OPINION

Ruée vers l’or des temps modernes au Nord-Kivu : ce que peut faire le droit

Le droit international a-t-il un rôle à jouer dans ce qui se passe au Nord-Kivu, et plus généralement pour la paix au niveau international, à l’heure où le Rwanda semble tirer les conclusions d’un contexte mondial marqué par des grandes puissances qui envisagent ouvertement l’expansion de leurs territoires ? Pour l’auteure, si les violences au Nord-Kivu peuvent être comprises comme faisant partie d’une ruée vers l’or financée par l’État, le principe de non-reconnaissance est aujourd’hui la norme la plus protectrice de la paix.

La République démocratique du Congo (RDC), plaque tournante du commerce des minerais, attise les convoitises du Rwanda voisin, comme d'autres Pays plus lointains, en Union Européenne ou ailleurs. Photo : des membres du groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, patrouillent à Goma, dans le Nord-Kivu.
Des membres du groupe armé M23 patrouillent le 1er février 2025 à Goma, là où se trouvait un camp de déplacés avant sa destruction. Le M23 s’est emparé de la ville de l’Est de la République démocratique du Congo, plaque tournante du commerce des minerais, après d’intenses combats qui auraient fait plus de 700 morts en moins d’une semaine, selon les Nations unies. Photo : © Michel Lunanga / AFP
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Le 27 janvier 2025, les soldats du M23, soutenus par le Rwanda, se sont emparés de la ville congolaise de Goma. Le Rwanda étend ainsi son contrôle sur le Congo, incluant désormais la majeure partie de la province du Nord-Kivu, avec la possibilité d’incursions plus profondes. Goma abrite deux millions de personnes, dont un million de déplacées de l’intérieur depuis d’autres zones de conflit. Les combats ont fait des dizaines de morts ainsi que des violences sexuelles généralisées et omniprésentes dans ce que les Nations unies et d’autres qualifient de catastrophe humanitaire dévastatrice. Les observateurs avertissent que nous pourrions assister au début d’un nouveau conflit majeur en Afrique centrale

La violence en Afrique est souvent considérée à tort comme le produit d’une situation locale, endogène et/ou inexplicable. En l’espèce, les causes directes de cette violence particulière apparaissent fabriquées et explicitement internationales. La République démocratique du Congo (RDC) est riche en minéraux rares nécessaires à la transition verte. Par exemple, elle produit 80 % du cobalt mondial, essentiel pour les batteries. Un rapport de 2018 les a désignés comme faisant partie des « minéraux des conflits verts : ils sont les combustibles de la transition vers une économie à faible émission de carbone ». Car les pays prêts à mener la transition verte ne possèdent pas eux-mêmes ces matériaux pourtant indispensables.

La violence au Nord-Kivu peut donc être comprise comme faisant partie d’une ruée vers l’or des temps modernes, menée avec des financements étatiques. Tandis que le M23 étend son contrôle sur les minéraux rares, le Rwanda bénéficie entre-temps d’un traité d’exportation de minéraux de 900 millions d’euros avec l’Union européenne (UE). L’UE a signé en 2024 un traité avec le Rwanda, bien qu’il ne possède pas lui-même les matériaux recherchés. Les critiques qualifient donc ce traité de ‘permis d’expropriation et de violence’.

Le droit international, entre reconnaissance et réparation

Après la Seconde Guerre mondiale, une série d’innovations dans le domaine du droit international ont cherché à limiter les moyens et les méthodes de la violence de masse. Chacune de ces innovations a eu une grande portée et a fait preuve d’imagination, et chacune d’entre elles pourrait sans doute s’appliquer à la violence actuelle en RDC.

Le droit international humanitaire (DIH), défini par les conventions de Genève de 1949, établit les règles de la guerre. Au lieu d’essayer d’interdire la guerre, une proposition qui aurait été vouée à l’échec, le DIH réglemente la manière dont les guerres sont menées, rendant certaines actions, comme le ciblage des civils, inadmissibles. Les violations du DIH commises par le M23 sont bien documentées, tout comme celles commises par les forces gouvernementales rwandaises

Récemment, les développements du droit international ont cherché à combler le fossé entre la reconnaissance des crimes et la réparation. Rompant avec la pratique et la tradition, la Cour internationale de justice (CIJ) a ainsi ordonné à l’Ouganda de verser 325 millions de dollars de réparations à la RDC pour des violations du droit international humanitaire commises entre 1998 et 2003 au Congo. Ce qui est peut-être encore plus remarquable, c’est que l’Ouganda a payé ! La RDC ne peut toutefois pas poursuivre le Rwanda devant la CIJ, Kigali ne reconnaissant pas la juridiction de la CIJ. 

Une autre innovation de l’après-guerre est le développement du droit pénal international et du droit international humanitaire, qui permettent aux tribunaux de regarder et de statuer sur des faits survenus à l’intérieur des frontières des États. Ces innovations remettent en question les souverainetés nationales et font des affaires internes aux États des affaires d’autrui. La Cour pénale internationale (CPI) a ainsi reconnu un commandant du M23, Bosco Ntaganda, coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, et a promis de reprendre ses enquêtes sur la situation au Nord-Kivu. Mais lorsque les violences de masse menacent, la promesse de poursuites futures peut sembler vide de sens pour les victimes du conflit.

Il reste ce qui est sans doute l’innovation la plus importante dans les constructions juridiques de l’après-guerre : l’interdiction du recours à la force énoncée dans la Charte des Nations unies (1945). L’article 2, paragraphe 4, stipule que les États ne doivent pas recourir à la violence ou menacer de recourir à la violence contre d’autres États, sauf en cas de légitime défense. Cette disposition remet en question un paradigme vieux comme l’humanité, selon lequel les États sont des entités avides qui s’enrichissent et deviennent plus puissantes en étendant leur empire, redéfinissant constamment les relations entre États.

C’est également l’élément du droit international qui présente actuellement le plus grand potentiel pour répondre aux incursions violentes du Rwanda en RDC. En effet, alors qu’une grande partie du droit international exige une décision devant un tribunal, l’article 2, paragraphe 4, est rendu effectif en droit international par le biais du principe de non-reconnaissance. Ce principe veut que les actes agressifs des États ne soient pas légitimés par d’autres États. Cela ouvre la voie à des méthodes politiques et collectives de lutte contre les violations du droit international, telles que l’imposition d’un régime de sanctions – mis en place par exemple contre la Russie en réponse à son invasion de l’Ukraine en 2022.

Le Rwanda dans et hors du droit international

J’ai beaucoup écrit sur le comportement problématique du Rwanda au regard du droit international. Un chapitre de mon dernier livre, The Justice Laboratory : International Law in Africa, examine comment le Rwanda a utilisé les ressources internationales qui lui ont été allouées après le génocide de 1994 pour soutenir son régime autoritaire. J’ai réitéré certains de ces points dans un essai publié l’année dernière, détaillant les tentatives infructueuses de la RDC pour contraindre le M23 à utiliser le droit international.

Le soutien continu des États démocratiques au régime autoritaire du Rwanda laisse perplexe. En 2012, l’UE a réduit son aide au Rwanda en raison des atrocités commises par le M23. Les appels se sont multipliés pour que l’UE fasse de même en réponse aux violences actuelles. Mais depuis 2012, les Européens se sont rapprochés du Rwanda. Ainsi, en 2025, le Rwanda est un partenaire de confiance qui aide les États européens à satisfaire leurs besoins en minerais dans leur course technologique contre la Chine, ainsi qu’un partenaire qui promet d’accueillir les migrants en provenance d’Europe.

Le président à vie du Rwanda, Paul Kagame, a commencé à faire des déclarations affirmant que la région du Kivu faisait partie du Rwanda. Alors que Kagame insiste sur le fait que le M23 n’est pas une force rwandaise, aucun observateur sérieux n’est d’accord. Nous nous trouvons donc face à un défi évident pour l’article 2, paragraphe 4 de la Charte des Nations unies, et l’obligation qui en découle pour les autres États de dénoncer l’agression du Rwanda et de l’isoler en conséquence.

Renouveler l'engagement pour la paix

On discute beaucoup de la façon dont nous vivons la disparition de l’ordre international. Les menaces territoriales des États-Unis contre leur allié de l’Otan, le Danemark, au sujet du Groenland, font suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et à la paralysie de l’ordre mondial face à la dévastation de Gaza. Une UE prête à récolter les bénéfices des ressources expropriées de la RDC par le biais d’une conquête violente semble être un marqueur supplémentaire de cette disparition.

Le principe de non-reconnaissance est l’élément du droit international qui protège le mieux la paix internationale. En tant que norme s’opposant l’impérialisme, ce principe est moralement convaincant. Il est tout autant à la disposition des États individuels que des institutions de la communauté internationale ; ils n’ont pour ce faire qu’à renouveler leurs engagements.

Kerstin Bree CarlsonKERSTIN BREE CARLSON

Kerstin Bree Carlson est professeure associée à l’université de Roskilde (Danemark), où ses travaux portent sur le développement du droit international et des institutions juridiques dans la pratique de la justice transitionnelle. Elle enseigne également à l’Université américaine de Paris, où elle est codirectrice du Justice Lab. Elle est l’auteure de The Justice Laboratory: Reconceptualizing International Law in Africa (Chatham House/Brookings Institute, 2022).

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