« J’espère que Gaza ne sera pas le cimetière du droit international »

Le 12 février 2025, l’avocat palestinien défenseur des droits humains Raji Sourani [lire bio ci-dessous] s’est entretenu avec Justice Info, réagissant aux déclarations du président Donald Trump sur Gaza et à la menace du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu de reprendre les combats si le Hamas ne libère pas les otages israéliens d’ici samedi 15 février.

Raji Sourani, un avocat palestinien spécialiste des droits de l'homme, répond aux questions de Justice Info sur la situation dans la bande de Gaza (Palestine) et sur le droit international, suite aux déclarations de Donald Trump. Photo : Sourani regarde par la fenêtre de son bureau.
Raji Sourani, pris en photo en juin 2021, dans son bureau qui surplombait la bande de Gaza. L’avocat palestinien a déposé des dizaines de dossiers auprès de la Cour pénale internationale depuis que la Palestine a ratifié le Statut de Rome, en 2015. Photo : © Mohammed Abed / AFP
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JUSTICE INFO : Comment avez-vous réagi lorsque le président américain Donald Trump a parlé de la « riviera de Gaza », de la construction d’hôtels et de la relocalisation de plus de deux millions de Gazaouis ?

RAJI SOURANI : C’était irréel pour moi. Ce sont des mots vides de sens. Cela fait 15 mois que les Israéliens essaient de nous pousser dehors, et avant cela, pendant 17 ans, ils ont imposé un blocus [depuis que le Hamas a pris le contrôle du territoire en 2007]. Ils ont essayé de nous pousser dehors et ils n’ont pas réussi.

Que signifie l’avertissement de Trump selon lequel il va laisser « l’enfer se déchainer » si les otages ne sont pas libérés avant samedi midi ?

Quel enfer peut être pire que ce que nous avons vécu ? Les gens ne se rendent pas compte que nous vivons un génocide depuis 15 mois : nous avons subi des tueries massives, des destructions massives, des famines massives, des déplacements massifs, sans hôpitaux, sans écoles, sans gaz, sans électricité, sans rues, et malgré tout cela, personne n’a bougé. 85 % des habitants de Gaza sont des réfugiés, traumatisés par la Nakba de 1948 [« la catastrophe », lorsque des centaines de milliers de Palestiniens ont été déplacés de force], et ils ne bougeront plus jamais. Ils sont devenus les pierres de la vallée.

De votre point de vue, il s’agit d’une guerre génocidaire ?

Absolument. Regardez trois déclarations de responsables israéliens le 10 octobre : le président d’Israël, Isaac Herzog, a déclaré que tout le monde à Gaza était complice. Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré : « Pas de nourriture, pas d’eau, pas d’électricité et pas de carburant » et « Les Gazaouis sont des animaux humains et nous les aurons tous ». Benjamin Netanyahu a déclaré : « Les habitants de Gaza doivent quitter Gaza ». Leur stratégie consiste à pousser les gens vers le sud de la bande de Gaza, puis à les déplacer vers le Sinaï, en Égypte.

Qu’attendez-vous de la société israélienne ?

Israël est une société malade, comme l’était la société allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Personne ne parle des habitants de Gaza. Ils ne parlent que des otages. Ils ne se soucient pas du génocide. Ils ont leurs frères, leurs maris, leurs fils militaires qui vont à Gaza. Ils savent ce qui se passe. Ils s’en moquent. J’ai des amis israéliens. Ils ont le cœur brisé comme nous.

Les Israéliens essaieront de créer une nouvelle Nakba, mais les Palestiniens ne seront pas de bonnes victimes consentantes. Un tel degré d’injustice profonde ne peut qu’apporter le malheur.

Qu’en est-il des otages israéliens ?

Nous avons 22 000 disparus. Sont-ils morts ? Nous n’en savons rien. Je veux voir la fin de la guerre, la fin des massacres, la fin des destructions massives, la fin des déplacements et de la famine.

Quel regard juridique portez-vous sur l’attaque du Hamas du 7 Octobre ?

[Sourani marque un silence, avant de répondre] Il se passe ici quelque chose d’obscène. Vous pouvez affamer et tuer les Palestiniens. Vous pouvez faire ce que vous voulez d’eux. Tout le monde parle des trois derniers otages israéliens libérés et dit à quel point ils étaient pâles et en mauvaise santé, alors que les Gazaouis meurent de faim en raison de la politique officielle. C’est raciste. On ne peut pas être sélectif lorsqu’il s’agit d’êtres humains.

Qu’attendez-vous de la Cour pénale internationale (CPI) ?

Nous continuerons à faire de notre mieux, comme nous l’avons fait dès le premier jour. Nous voulons l’État de droit. Si ce n’est pas le cas, nous aurons la loi de la jungle. J’espère que Gaza ne sera pas le cimetière du droit international. Je suis conscient des pressions, des menaces politiques et sécuritaires qui pèsent sur le procureur et les juges, et des décrets [du président américain] contre la CPI.

Qu’attendez-vous de l’Europe ?

Au nom de la liberté, l’Europe a défendu l’Ukraine contre l’agression russe. Elle a défendu le droit de résistance de l’Ukraine. L’Europe a envoyé des armes et a soutenu l’armée et l’économie ukrainiennes. Elle a imposé sept vagues de sanctions. Elle a demandé à la Cour internationale de justice et à la Cour pénale internationale d’intervenir. Dans notre cas, l’Europe n’a rien fait. Comment l’Europe peut-elle être aussi sélective et politiser le droit international ? Nous ne sommes pas des esclaves. Israël nous prive de notre dignité et de la justice.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a prévenu que des « combats intenses » allaient reprendre si les otages n’étaient pas libérés dans les prochains jours. Craignez-vous une nouvelle Nakba ?

Il n’y aura pas de nouvelle Nakba. Ils peuvent tous nous supprimer, mais il n’y aura pas de nouvelle Nakba. Cela n’arrivera pas. Les Israéliens essaieront de créer une nouvelle Nakba, mais les Palestiniens ne seront pas de bonnes victimes consentantes. Ils nous poussent à n’avoir rien à perdre. Un tel degré d’injustice profonde ne peut qu’apporter le malheur. Ils le paieront. Malgré tout, je suis optimiste, car je suis du bon côté de l’histoire. J’ai une cause juste et équitable. Nous sommes les pierres de la vallée. Nous sommes là depuis toujours et nous continuerons à être là pour toujours. Et demain nous appartient. Toute l’histoire mène à cette conclusion.

Raji SouraniRAJI SOURANI

Raji Sourani est avocat, fondateur et directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme. Il a fui Gaza après que sa maison a été détruite par une bombe, le 22 octobre 2023. Il a reçu de nombreuses distinctions, dont le Right Livelihood Award (2013). En 2022, il a été nommé arbitre à la Cour permanente d’arbitrage aux Pays-Bas. Depuis 2015, Sourani dirige une équipe juridique palestinienne qui représente les victimes à la Cour pénale internationale. En 2024, il a rejoint l’équipe juridique de l’Afrique du Sud dans l’affaire du génocide contre Israël à la Cour internationale de justice.

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