JUSTICE INFO : Quelles actions juridiques avez-vous entamées au lendemain de l’attaque du 7 octobre 2023 ?
YAËL VIAS GVIRSMAN : Dans les semaines qui ont suivi les massacres du 7 octobre commis par le Hamas, nous avons lancé des procédures devant la Cour pénale internationale (CPI) ainsi que devant plusieurs juridictions nationales pour crime contre l’humanité. Nous avons saisi la justice allemande et française s’agissant de leurs ressortissants – des binationaux israélien-français ou israélien-allemand, ou sur la base de la compétence universelle. Nous explorons les possibilités de saisir les juridictions d’Argentine, de Grande-Bretagne et d’Australie, même si du fait de la procédure de la Common Law, cela est plus compliqué.
Pourquoi attaquez-vous aussi l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA) devant la justice américaine ?
Nous attaquons l’UNWRA au civil pour complicité d’actes de génocide, de crimes contre l’humanité, de violences sexuelles et de torture sur la base du Alien Tort Statute (l’équivalent américain du principe de la compétence universelle et pour des procédures non pénales). Le bâtiment qui abritait la direction de l’UNWRA à Gaza a servi de quartier général du Hamas, les écoles de l’UNWRA ont abrité la présence militaire du Hamas, du personnel de l’UNWRA s’est livré à une apologie du terrorisme le 7 octobre 2023 et après le 7 octobre, et nous avons des vidéos qui le prouvent. Enfin, du personnel de l’UNWRA a gardé des enfants otages chez eux. Ceci, malgré une lettre de l’ONU en 2015, à la suite d’une enquête onusienne, avertissant de l’infiltration du Hamas et de ses idéologies dans l’organisation. Nous représentons certaines des victimes des crimes du Hamas et pour lesquels l’UNWRA s’est montrée complice.
Qu’attendez-vous de la Cour pénale internationale ?
Nous faisons valoir les droits des victimes. Le 31 octobre 2023, nous avons déposé la première plainte au nom des victimes, y compris de soldats hors de combat qui ont été décapités ou sexuellement abusés (para 22-23 du rapport de l’ONU) et de survivants des massacres, auprès du procureur de la Cour pénale internationale. Depuis, les victimes prennent une part active pour faire avancer les enquêtes de la Cour. Nous amenons des preuves tangibles et elles donnent des témoignages clefs afin de démontrer le caractère systématique de l’attaque contre des civils.
Sur le fond, la CPI doit rester fidèle à son mandat, en dépit des pressions qui s’exercent sur elle. Je suis contre l’impunité des crimes internationaux.
Que pensez-vous de l’inculpation à l’encontre du Premier ministre, Benyamin Netanyahu, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ?
Tout d’abord, je regrette que le bureau du procureur ait estimé judicieux d’émettre des mandats d’arrêt simultanément contre des leaders du Hamas et deux membres du gouvernement israélien. Toute l’attention médiatique s’est portée sur l’inculpation du Premier ministre israélien, avec pour effet d’invisibiliser les victimes israéliennes et les actes d’extermination, de viols et de tortures qu’elles ont subies. Sur le fond, la CPI doit rester fidèle à son mandat, en dépit des pressions qui s’exercent sur elle. Je suis contre l’impunité des crimes internationaux. Israël est une démocratie en crise, mais il reste encore des mécanismes juridiques. Si des soldats israéliens commettent des abus ou des crimes, ils doivent être jugés pour cela, au nom du droit international mais également et même plus pour le droit israélien, reflétant les valeurs de la société israélienne et sa résilience, sans égal. Ce sont les valeurs qui nous unissent. Des violations, si elles sont commises, doivent être poursuivies. J’ai vu des vidéos alarmantes diffusées par certains soldats. Les autorités israéliennes doivent agir pour sanctionner toute violation.
Par contre, je rejette les accusations de génocide émises par l’Afrique du Sud, État qui a lui-même violé ses obligations de coopérer avec la CPI. Le génocide requiert une intention spéciale d’exterminer un groupe. Une telle intention ne rejoint pas la réalité du terrain, ni les efforts de protéger la population civile. Une telle accusation ne prend pas en compte la réalité d’une guerre abominable, sur un terrain densément peuple, contre des milices mettant cette population en danger de vie imminent. Elle ne reflète pas l’inaction des pays arabes voisins pour alléger la souffrance des civils à Gaza, les moyens émis par le Hamas pour terroriser les Gazaouis, leurs refus de se désarmer ou de renoncer à la violence meurtrière qui les anime, de libérer immédiatement et sans condition tous les otages, ainsi que de cesser la commission de crimes contre l’humanité de manière aussi décomplexée. Toutefois, la destruction à Gaza est terrifiante. Le prix humain est choquant. La guerre est atroce et un leadership responsable aurait tout fait pour l’empêcher. Le Hamas, le Hezbollah, les Houthis ont tous opté ouvertement pour la guerre et le sang, de la même manière que la Russie en Ukraine. Cette guerre n’aurait jamais dû commencer.
La guerre à Gaza est une guerre existentielle pour Israël. Cela étant dit, une guerre juste ne justifie pas tous les moyens. L’ethos de la société israélienne est ferme : nous ne nous battons pas par soif de conquête. Si nous perdons notre boussole morale, nous perdons cette guerre ainsi que notre identité à la base de notre résilience civique. C’est pourquoi les voix les plus extrêmes du gouvernement n’ont pas et n’ont jamais eu gain de cause, malgré les défis. Ainsi, l’ancien ministre Itamar Ben Gvir [de la Sécurité nationale, de décembre 2022 à janvier 2025] a démissionné le jour de la signature du cessez-le-feu et la libération des otages en contrepartie de la libération de prisonniers dont au moins un tiers a tué des innocents de sang-froid. Rappelons que [Yahya] Sinwar [ancien chef de la branche armée du Hamas, poursuivi pour crimes contre l’humanité par la CPI et tué par l’armée israélienne en octobre 2024] a été libéré dans le ‘deal’ pour la libération de Gilad Shalit [un soldat israélien détenu pendant cinq ans par le Hamas avant d’être libéré en juin 2006].
Que pensez-vous de l’idée du président américain de déplacer la population de Gaza en Jordanie et en Égypte ?
C’est une obscénité de plus. Ce serait un nettoyage ethnique, c’est-à-dire juridiquement, un crime contre l’humanité. Par cette déclaration, le président Trump rejoint les hommes politiques israéliens les plus extrémistes.
Que pensez-vous du décret présidentiel du président Trump émettant des sanctions contre la CPI ?
Je le regrette. Ce décret présidentiel rejoint un projet de loi israélien qui n’a pas encore été voté et qui bannirait tout contact entre des citoyens israéliens et la CPI. J’espère que ce projet de loi ne sera jamais voté par le parlement israélien. Je ne crois pas dans les boycotts. Je crois dans ma mission pour les victimes et leur droit à être reconnus, ainsi que leur droit à la vérité et à la justice. Je n’accepterais pas de laisser cette place vide. S’il le faut, je serai prête à continuer, y compris à l’étranger. Je poursuivrai mon action quoi qu’il en coûte.
Aujourd’hui, j’ai reçu un appel d’un des otages qui vient d’être libéré. C’était incroyablement émouvant. Je le représente depuis 501 jours sans qu’il soit au courant de mon existence. Je ne l’ai jamais vu, mais depuis des mois, je suis très proche des membres de sa famille et des incertitudes qu’ils ont traversées sur son sort et si oui ou non, il reviendrait vivant. Et là, subitement, il me téléphone et j’entends pour la première fois le timbre de sa voix et c’est moi qui tremble d’émotion, même si je ne l’ai jamais vu. Il me dit qu’il est prêt à témoigner devant les enquêteurs de la CPI et des autres juridictions. C’est pour ces victimes, celles qui sont mortes le 7 octobre et celles qui s’en sont sorties, que je poursuivrai mon travail coûte que coûte.
Yaël Vias Gvirsman est la directrice fondatrice de la Clinique du droit international pénal et humanitaire de la faculté de droit Harry Radzyner, à Herzliya, au nord de Tel Aviv. Avocate spécialisée en droit pénal international, elle a fondé l’organisation October 7, Justice Without Borders, qui défend les victimes et rescapés du massacre du 7 octobre 2023 perpétré en Israël par le Hamas.