La Guinée équatoriale et l'équation Jammeh

La perspective de juger l'ancien dictateur gambien Yahya Jammeh s'est renforcée avec le projet d'un tribunal soutenu par l'organisation politique régionale Cédéao. Mais il y a un hic : comment le faire sortir de son exil protégé en Guinée équatoriale ? L'avocat équato-guinéen Lucas Olo Fernandes explique comment ce pays a accepté de prendre Jammeh après sa chute et quels facteurs ont empêché son extradition jusqu'à présent.

La Guinée équatoriale et l'équation Jammeh
Le président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, a accueilli le dictateur gambien déchu, Yahya Jammeh, en janvier 2017. Mais est-ce que cette protection est encore suffisamment solide ? Photo : © Amanuel Sileshi / AFP
Republier

Depuis 2017, l'ancien président gambien Yahya Jammeh est en exil en Guinée équatoriale. Le 22 janvier 2025, il a déclaré qu'il souhaitait retourner dans son pays et son éventuel procès en Gambie semble désormais plus probable. Des annonces d'un possible retour ont toujours existé, mais quel rôle joue la Guinée équatoriale et qu'est-ce qui motiverait une extradition de Jammeh vers la Gambie ?

Jammeh est arrivé en Guinée équatoriale après les élections présidentielles contestées de 2016 en Gambie, lorsque la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), une union politique régionale, l'a contraint à la démission. Le président de Guinée-Conakry à l'époque, Alpha Condé, était le président en exercice de l'Union africaine. Il a intercédé pour qu'Obiang accepte Jammeh après sa chute. On pense même que Condé était dans l'avion qui a emmené Jammeh hors de Banjul, la capitale de la Gambie. En offrant à Jammeh un exil doré, la Guinée équatoriale consolidait sa position d'allié important de la Cédéao.

La Guinée équatoriale avait peu de relations avec la Gambie, mais son président Teodoro Obiang y a trouvé une bonne occasion de gagner la confiance d'autres pays africains, et même de se présenter comme un dirigeant soutenant une transition démocratique, bien qu'il soit lui-même au pouvoir depuis 1979, après avoir remporté des élections avec une moyenne de 95 % des voix, selon des résultats officiels qui ont toujours été remis en question par les institutions internationales. Depuis que la Guinée équatoriale a commencé à exploiter activement le pétrole au milieu des années 90, son agenda africain s'est développé de manière exponentielle, en particulier dans le domaine de la sécurité.

Le bilan problématique de la Guinée équatoriale

La Guinée équatoriale, avec un don de 20 millions de dollars à l'UA, a construit le siège du Comité des services de renseignement et de sécurité africains (Cissa), une agence qui vise à coordonner les agences de renseignement des pays africains. Plusieurs de ces derniers ont effectivement collaboré avec les services de renseignement de Guinée équatoriale au cours de ces années. C'est le cas du Togo, également membre de la Cédéao, où plusieurs opposants politiques d'Obiang ont été arrêtés et transférés à Malabo. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a appelé la Guinée équatoriale et le Togo à libérer certains des détenus et à ouvrir une enquête sur les circonstances de leur détention. Au Soudan du Sud, quatre dissidents politiques équato-guinéens ont aussi été enlevés en 2019 et emmenés à Malabo. L'un d'eux est mort en prison après avoir été torturé. Dans tous ces cas, les opposants politiques ont été arrêtés pour une prétendue tentative de coup d'État.

En 2017, le fils du président, également vice-président du pays, a été condamné pour corruption à Paris et la Guinée équatoriale a poursuivi la France devant la Cour internationale de justice au motif que les avoirs saisis et l'accusé bénéficiaient de l'immunité diplomatique. Dans cette procédure, la Guinée équatoriale a fait valoir, sans succès judiciaire, que les actions de la France étaient dirigées contre le continent africain. Cet argument a mieux fonctionné dans les contextes africains et a réussi à estomper le dossier de corruption sous-jacent, faisant passer la Guinée équatoriale du rôle de coupable à celui de victime néocoloniale.

En 2017, des élections ont eu lieu en Guinée équatoriale et les résultats ont été validés par les observateurs de l'UA. La Guinée équatoriale occupant un rôle important au niveau régional et au sein du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine par le biais de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), les institutions africaines sont peu susceptibles de remettre en question sa situation politique interne. De fait, la Guinée équatoriale a été élue par l'Union africaine à l'un des sièges tournants du Conseil de sécurité des Nations unies, poste qu'elle a occupé pour la période 2018-2019. C'était une première dans l'histoire du pays, ce qui lui a donné une légitimité internationale supplémentaire.

Les leçons de Charles Taylor

Il est difficile de connaître la position exacte des autorités équato-guinéennes à l'égard de Jammeh. Il ressemble à un invité fantôme. La majorité de la population ne sait pas que Jammeh se trouve dans le pays ou, si elle le sait, elle ne s'y intéresse pas. On pense qu'il se trouve dans la région géographique reculée de Mongomo qui, bien que très luxueuse, se trouve à l'extrême est du pays, juste à la frontière avec le Gabon. Il a rarement été vu. Ses activités sont inconnues et le gouvernement n'a pas ouvert de débat au parlement ou dans une institution publique sur le fait de l'accueillir ou de le livrer. En Guinée équatoriale, il n'y a pas de médias indépendants et les médias existants n'ont pas mentionné sa situation, probablement parce que c'est un sujet interdit aux médias.

Suite aux développements politiques en Gambie et à la demande de le juger, du point de vue de la Guinée équatoriale, la seule possibilité serait de s’accorder sur une convention pour extrader Jammeh, étant donné qu'il n'existe pas de traité d'extradition entre les deux pays. Il est cependant entendu que cette décision ne pourrait être prise que par le président Obiang. Plusieurs visites de représentants du gouvernement gambien ont eu lieu à Malabo, mais elles ne se sont pas traduites par des actions spécifiques à l'égard de Jammeh, bien que des accords commerciaux et l'établissement de relations diplomatiques aient été signés.

Selon certains, Obiang ne serait pas disposé à livrer Jammeh car cela créerait un dangereux précédent où un ancien président en exil peut être utilisé comme monnaie d'échange pour des intérêts géostratégiques. L'un des rares précédents est le cas de l'ancien président du Liberia, Charles Taylor. Taylor faisait l'objet d'un mandat d'arrêt du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, parrainé par l'Onu, pour crimes contre l'humanité. Il a fallu trois ans au gouvernement nigérian pour livrer Taylor, après une douteuse tentative présumée d'évasion de Taylor, après que le nouveau gouvernement libérien dirigé par Helen Johnson Sirleaf ait officiellement demandé son extradition, et sous la pression des États-Unis. La reddition a été utilisée comme un outil de publicité politique par le président nigérian Obasanjo, et le Liberia a immédiatement envoyé Taylor devant le tribunal de l'Onu. Dans le cas de Jammeh, il n'y a pas de demande de reddition de la part du gouvernement gambien, ni de pression directe de la Cédéao ou des Nations unies pour sa reddition.

Retour volontaire ou extradition ?

Il ne faut pas exclure la possibilité que Jammeh rentre volontairement, comme l'ont fait nombre de ses acolytes qui se trouvaient également en Guinée équatoriale. Lorsqu'il a récemment annoncé son retour dans le pays, il a déclaré avoir officiellement repris la direction de son parti. Il a été dit que Jammeh n'était pas tout à fait à l'aise en Guinée équatoriale, étant loin de son pays et de ses proches. En Guinée équatoriale, la langue parlée est l'espagnol, mais dans la région où il se trouve, les gens ne parlent généralement que le fang, une langue locale. Il y a également très peu de mosquées dans cette région – le pays est majoritairement catholique – alors que Jammeh est connu pour sa dévotion au Coran. Le statut international d'un Obiang vieillissant et la possibilité d'être renvoyé en Gambie contre son gré pourraient encourager Jammeh à opter pour un retour volontaire digne ou à chercher un autre pays d'accueil.

Une reddition est moins probable en l’absence d’une pression internationale plus forte qui devrait venir à la fois du bloc de la Cédéao, de l'UA et de l'Onu. Cette possibilité s’est toutefois compliquée avec un bloc de la Cédéao affaibli après le retrait de trois de ses membres (Mali, Burkina-Faso et Niger) annoncé en janvier 2024, une Union africaine faible et un Conseil de sécurité de l'Onu divisé. On peut penser que le niveau de corruption, un indice de développement humain qui ne correspond pas à la richesse du pays, ou les profondes lacunes démocratiques de la Guinée équatoriale sont des facteurs évidents d'instabilité. D'où l'arrivée de militaires russes à Malabo et l'intérêt constant du gouvernement pour les questions de sécurité au sens large, en raison de la crainte permanente d'éventuelles attaques ou de coups d'État dans un pays convoité pour ses richesses pétrolières. Et il est craint que l'extradition de Jammeh ne crée un précédent qui pourrait s'appliquer aux dirigeants du régime actuel s'ils se retrouvaient dans une situation similaire.

Lucas Olo FernandezLUCAS OLO FERNANDES

Lucas Olo Fernandes est un avocat de Guinée équatoriale, expert en gouvernance et en droits de l'homme. Il a travaillé pendant de nombreuses années pour Transparency International en tant que coordinateur régional pour l'Afrique centrale en 2012 et directeur général interne par intérim en 2016. Il travaille dans le cadre de différentes initiatives en matière de droits de l'homme et de gouvernance axées sur la Guinée équatoriale. Il est le secrétaire général de la Commission équato-guinéenne des juristes.

Republier
Justice Info est sur WhatsApp
Découvrez notre première Chaîne WhatsApp et recevez, en temps réel, une notification pour chaque publication mise en ligne sur notre site, avec un résumé et des extraits ou citations. Chaque soir, vous aurez accès à notre revue des dépêches AFP du jour. Chaque fin de semaine, un récapitulatif de nos publications.