La répression croissante au Venezuela offre à la Cour pénale internationale (CPI) une occasion unique de prouver qu'elle peut avoir un impact réel sur le terrain. En poursuivant son enquête sur les crimes présumés contre l'humanité, le bureau du procureur de la CPI a la possibilité d'affaiblir la machine de répression du régime Maduro, d'offrir une justice attendue depuis longtemps aux victimes et à leurs familles, et de contribuer à ouvrir la voie à une transition démocratique.
Deux affaires potentielles sont actuellement pendantes devant la CPI. « Venezuela I » découle d'un renvoi par l'Argentine, le Canada, la Colombie, le Chili, le Paraguay et le Pérou en 2018 et fait référence à la répression brutale des manifestations de 2014 et 2017. Les forces de sécurité se sont livrées à des arrestations arbitraires, à des actes de torture et à d'autres abus généralisés. En 2020, le procureur de la CPI a estimé qu'il existait des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l'humanité – notamment des persécutions politiques, des actes de torture, des viols et des détentions illégales – avaient été commis. « Venezuela II », une demande des autorités vénézuéliennes visant à enquêter sur l'impact des sanctions américaines, n'a pas de fondement juridique en vertu du droit pénal international.
En 2021, le procureur de la CPI Karim Khan a officiellement ouvert l'enquête Venezuela I et signé un protocole d'accord avec le gouvernement de Nicolás Maduro, permettant à son bureau de fournir une assistance technique en matière de justice. Ce double effort devait avancer en parallèle, selon le principe de « complémentarité positive » qui vise à renforcer les mécanismes judiciaires nationaux et à faire de la CPI un dernier recours. Cependant, en juin 2023, après que les autorités vénézuéliennes ont cherché à mettre fin à l'enquête de la CPI en faveur de leurs propres procédures, la CPI a décidé que l'enquête devait se poursuivre. Elle a jugé les efforts du Venezuela insuffisants, car protégeant des fonctionnaires de haut rang tout en ne poursuivant que des auteurs de bas niveau et ne traitant pas les crimes motivés par la discrimination et la violence sexuelle.
De la complémentarité positive à l'inaction
Beaucoup ont l'impression que le procureur de la CPI a donné la priorité aux efforts de complémentarité positive plutôt qu'à une enquête indépendante, ce qui a ralenti les progrès dans l'affaire Venezuela I. Les victimes et leurs familles, l'opposition démocratique vénézuélienne, le Bureau du conseil public pour les victimes de la CPI (BCPV) – qui, le 22 novembre, a exhorté Khan à accélérer l'affaire – et les organisations de défense des droits de l'homme ont tous appelé à une action concrète. Plus de trois ans après le début de l'enquête, ils exigent des résultats tangibles.
L'accent mis sur la complémentarité est d'autant plus problématique que la répression s'est intensifiée à la suite des élections du 28 juillet 2024, où le candidat de l'opposition Edmundo González a été largement reconnu comme vainqueur malgré un processus manifestement truqué pour déclarer Maduro président du Venezuela. Comme l'a rapporté la Mission d'établissement des faits de l'Onu sur le Venezuela (FFM), le gouvernement a intensifié ses tactiques répressives les plus violentes : démantèlement systématique des forces de l'opposition, suppression des médias indépendants et musèlement de la dissidence par l'intimidation, les détentions arbitraires, la torture et les violences sexuelles. (Les précédents rapports de la FFM avaient déjà mis en évidence des crimes contre l'humanité et une complicité judiciaire dans ces abus.) Selon les dernières données de l'ONG Foro Penal, 2.062 détenus politiques ont été recensés entre le jour des élections et la fin de l'année, ce qui rappelle cruellement les enjeux au Venezuela et la nécessité d'une action urgente.
Le Venezuela reste l'un des rares dossiers de la CPI à ne pas faire l'objet de mandats d'arrêt. Sur les 12 enquêtes en cours et les cinq enquêtes conclues devant la Cour, 14 ont fait l'objet de mandats d'arrêt demandés par le Procureur. Seuls le Venezuela, le Burundi et les Philippines n'en ont produit aucun.
La CPI n'a pas expliqué cette inaction, mais plusieurs facteurs pourraient jouer.
Pourquoi le Venezuela est-il différent de la Colombie ?
Historiquement, les procureurs de la CPI ont mis en oeuvre non seulement des poursuites, mais aussi l'objectif plus large de promouvoir une prise de responsabilité nationale. Bien que cette approche ait souvent été critiquée, elle vise à étendre l'influence de la Cour au-delà des affaires qu'elle poursuit directement. L'idée est que lorsque les autorités nationales se montrent disposées à enquêter sur les crimes et à engager des poursuites, l'implication de la CPI peut contribuer à faire avancer les efforts de la justice nationale. Pour trouver cet équilibre, la CPI doit laisser aux autorités nationales la possibilité d'agir tout en faisant progresser sa propre analyse indépendante et, si nécessaire, en ouvrant des enquêtes officielles. L'examen préliminaire de la CPI en Colombie (2004-2021) en est un excellent exemple, car il a contribué à faire progresser le système judiciaire national.
Appliquer cette approche au Venezuela est particulièrement difficile. Une véritable responsabilisation est impossible avec le système judiciaire actuel du pays, qui manque d'indépendance. Depuis 2004, lorsque le président de l'époque, Hugo Chávez, et ses alliés à l'Assemblée nationale ont pris le contrôle politique de la Cour suprême, le pouvoir judiciaire fonctionne comme une extension du pouvoir exécutif. Au lieu d'enquêter sur les abus graves et la corruption, les tribunaux vénézuéliens sont devenus un pilier de la machine répressive du régime, protégeant les auteurs de crimes et punissant la dissidence.
Les contraintes financières peuvent également expliquer l'inaction de la CPI. La Cour est confrontée à un sous-financement chronique, ce qui crée des attentes irréalistes quant à l'accomplissement de son mandat en constante expansion. Alors que le nombre d'affaires augmente, les États parties n'ont pas fourni un soutien financier proportionnel. De plus, les nouvelles sanctions américaines contre la CPI, selon les experts de l'Onu, pourraient entraîner des restrictions financières, menaçant de « saper la CPI et ses enquêtes ».
Dans ce contexte, le 2 décembre 2024, Khan a lancé un avertissement sévère lors de l'Assemblée des États parties. Il a averti le gouvernement, les juges et les procureurs vénézuéliens que l’occasion pour la justice nationale de traiter les crimes contre l'humanité « s'épuise ».
La carotte et le bâton
La déclaration de Khan devrait marquer le début d'une action plus ferme dans le dossier vénézuélien. S'il est crucial de rétablir l'indépendance de la justice et de réformer le système judiciaire vénézuélien, cela ne se fera pas sous une dictature. Il est essentiel d'augmenter le coût de la répression. Si les personnalités clés du régime croient que la poursuite des exactions pourrait entraîner des poursuites internationales, que ce soit par le biais de la CPI ou de dossiers relevant de la compétence universelle, comme celle qui est actuellement menée en Argentine, elles pourraient commencer à envisager d'autres moyens que de conserver le pouvoir par la violence. Ce résultat n'est ni facile ni garanti, mais sans la menace réelle d'emprisonnement, il ne se produira tout simplement pas.
Le droit international est clair : les auteurs des violations les plus graves des droits de l'homme, y compris les crimes contre l'humanité, ne peuvent bénéficier d'une immunité des poursuites. Cela s'applique en particulier aux personnes occupant les plus hautes fonctions, mais ne se limite pas à elles. Bien que de nombreux individus au sein du gouvernement, des forces de sécurité et du pouvoir judiciaire aient joué un rôle dans la répression étatique, en particulier lors des mesures répressives de 2014 et 2017 et de la période postélectorale après le 28 juillet 2024, le seuil légal pour prouver les crimes internationaux et tenir les individus responsables est élevé. Ceux qui font actuellement l'objet d'enquêtes pénales devant la CPI et d'autres tribunaux pour leur responsabilité présumée dans les crimes internationaux les plus graves, ou qui risquent de l'être, ne pourront pas recevoir l'assurance d'une impunité durable. La menace de poursuites et la possibilité d'être tenus pour responsables les hanteront en permanence.
Cependant, le pouvoir au Venezuela n'est pas monolithique. De nombreuses personnes occupant des postes élevés, moyens et inférieurs dans la structure du régime n'ont pas encore été mises sur liste noire et ont encore le choix. Les forces de sécurité, les fonctionnaires de justice et les autorités électorales, par exemple, peuvent envisager un avenir dans un Venezuela démocratique.
Le droit international prévoit des mesures alternatives pour les personnes impliquées dans des violations des droits de l'homme qui ne constituent pas des crimes internationaux. Des options telles que l'amnistie, la grâce, la réduction des peines ou des mesures non privatives de liberté pourraient être possibles, mais uniquement en échange d'une coopération substantielle avec le pouvoir judiciaire, d’une reconnaissance de responsabilité et de garanties de non-répétition. Si de tels accords doivent être négociés en privé, ils doivent également faire l'objet de consultations avec les victimes et leurs familles. Cette voie peut être moralement inconfortable pour beaucoup mais, si elle est conforme au droit international, elle pourrait contribuer à ouvrir la voie à la justice et à une transition démocratique.
Ce processus a beaucoup plus de chances de réussir s'il est appuyé par la menace de poursuites pour d’autres crimes commis par les autorités vénézuéliennes, notamment la corruption, le blanchiment d'argent et le trafic de drogue, pour lesquels les procureurs ont un pouvoir discrétionnaire plus large pour offrir des incitations légales en échange d’une coopération.
Cependant, pour que cette stratégie soit viable, ceux qui s'accrochent aujourd'hui violemment au pouvoir doivent comprendre que la répression et le mépris total de la volonté du peuple ont des conséquences réelles. À l'heure actuelle, compte tenu de l'évolution de la réalité politique dans la région et aux États-Unis, il n'y a pas de réponse internationale clairement coordonnée de la part des dirigeants démocratiques en faveur de la démocratie au Venezuela. Face à ce vide, la CPI a un rôle crucial à jouer, qui exige une action urgente et décisive.
Il ne s'agit pas de politiser la CPI, mais de reconnaître le pouvoir de la loi et sa capacité à établir des responsabilités là où la justice nationale a échoué.
Tamara Taraciuk Broner est directrice du Peter D. Bell Rule of Law Program à l'Inter-American Dialogue. Avant de rejoindre cette organisation, elle était directrice par intérim pour les Amériques à Human Rights Watch. Elle a également travaillé à la Commission interaméricaine des droits de l'homme de l'Organisation des États américains. Broner est née au Venezuela et a grandi en Argentine. Elle est titulaire d'un diplôme d'études supérieures en droits de l'homme et justice transitionnelle de l'Université du Chili et d'un Masters en droit (LLM) de la Columbia Law School.