Au Kasaï, une justice de terrain sous protection

Après plusieurs reports, le procès en appel de deux condamnés à mort pour des crimes de guerre commis dans la région congolaise du Kasaï, s’est ouvert dans la ville de Masuika, le 3 mars. Toute la Cour s’est déplacée en itinérance. Pour écouter des témoins souvent protégés, sur les lieux mêmes du meurtre d’un chef traditionnel et de la dévastation causée par le conflit Kamuina Nsapu, entre 2016 et 2019.

Au Kasaï (République démocratique du Congo), certains procès ont lieu en audiences foraines, au coeur des villages, au plus près des crimes et des victimes. Photo : des témoins protégés sont couverts des pieds à la tête lors d'un procès pour crimes de guerre commis par des membres de la milice Kamuina Nsapu.
Au procès pour crimes de guerre dans le Kasaï, en République démocratique du Congo, les témoins sont protégés en étant revêtus d’une tunique qui les couvre des pieds à la tête. Photo : © Joseph Mbuyi / Justice Info
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« Nous avions fui le conflit Kamuina Nsapu. Nous étions cachés en brousse. Nous avons vu deux miliciens, quelques jours après, venir chercher le chef Mbangu pour une discussion. Quand il est sorti, il a été arrêté par un groupe de miliciens dont le patron était Tshilumba Marcel, surnommé le Blanc. Ils ont acheminé mon père à Masuika [à 30 kilomètres de son village] où ils l'ont tué en public, avant que Monsieur Mukini le décapite, coupe son sexe et sa main – et après tout, ils l'ont brûlé vif. J'ai assisté à la scène, ils ne savaient pas que c'était mon père qu'il tuait », explique Stanis Mbangu, sous les larmes. Ce lundi 3 mars 2025, le fils du chef Mbangu, portant élégamment habits et insignes traditionnels, est venu éclairer la lanterne de la cour militaire de l'ex-Kasaï Occidental. La mission catholique de la cité de Masuika, sur le territoire de Luiza, en République démocratique du Congo (RDC), accueille des audiences foraines dans l'affaire du meurtre du grand chef du groupement de Aka-Mulam.

Ce dossier oppose l'auditorat supérieur militaire et 283 victimes à deux accusés de crimes de guerre pour mutilations, meurtre, pillage, viol et incendie, participation à un mouvement insurrectionnel et association de malfaiteurs. Ceux-ci ont été condamnés à la peine de mort à l’issue d’un premier procès devant le tribunal militaire de garnison. La peine de mort n’a plus été appliquée en RDC depuis 2003 mais elle figure dans la loi, plusieurs centaines d’individus y ont été condamnés, et le gouvernement a annoncé, en avril 2024, vouloir reprendre les exécutions. Les deux condamnés, mécontents de la sentence du 4 octobre 2023, ont fait appel. Il s'agit de Marcel Tshilumba, identifié comme celui ayant donné le coup de calibre 12 ayant tué le chef traditionnel, avant de donner l’ordre à Emmanuel Mukini de le décapiter. Tous deux acceptent d'avoir participé à l’arrestation, puis l'exécution du chef Mbangu, le 5 et 6 mai 2017, mais ils affirment avoir agi sous la contrainte d’un chef de la milice Kamuina Nsapu, une insurrection qui a embrasé la région congolaise du Kasaï entre 2016 et 2019.

Le fils Mbangu est victime-témoin à ce procès. Il est de ceux qui déposent à visage découvert. Mais pour ces trois premiers jours d’audiences du tribunal en itinérance, consacrés à l'identification et l'audition des témoins et victimes, celles-ci voient leur identité protégée, afin de les préserver de quelconques représailles. Des dizaines de miliciens ont été arrêtés à Masuika, jugés et condamnés. Les témoins ont donc enfilé une longue tunique couleur rouille, qui les couvre de la tête aux pieds et dans laquelle ont été découpées deux ouvertures pour les yeux.

Les 21 autres témoins prennent la parole pour charger les prévenus Tshilumba et Mukini. Ils affirment qu'en dehors de l'exécution du chef Mbangu, les accusés ont pillé, violé, incendié et volé le groupement de plus de 15 villages, sous l'œil impuissant des services d'ordre. La pluie vient un moment perturber l’audience, qui se tient sous de grandes tentes devant un public qui est venu en masse. Le crime a eu lieu à 1 kilomètre d’ici. Les deux accusés nient avoir participé au pillage, viols, vols et incendies. Tshilumba admet avoir amené le Chef Mbangu sur ordre d'un autre chef milicien mais il nie avoir appuyé sur la détente. Mukini, qui a été identifié sur une vidéo de l’exécution retrouvée par les avocats des parties civiles où il apparaît bien comme étant celui qui a décapité et mutilé la victime, affirme que c’est effectivement Tshilumba qui a tiré.

Chef Stanis Mbangu, fils du chef traditionnel tué par les miliciens Kamuina Nsapu, au Kasaï, en 2017, est venu témoigner au procès en grande tenue, accompagné par son oncle paternel.
Chef Stanis Mbangu, fils du chef traditionnel tué par les miliciens Kamuina Nsapu, au Kasaï, en 2017, est venu témoigner au procès en grande tenue, accompagné par son oncle paternel. Photo : © Joseph Mbuyi / Justice Info

Un procès au milieu des gens

C'est un procès « pédagogique », dit l’un des habitants qui ont répondu présent. Mais tout le monde ne converge pas sur la tenue de ce procès sur leurs terres. « C'est un dossier déjà oublié, cela fait 8 ans. Pour nous, ces criminels ont été condamnés », dit l’un deux sous un ton fort. La présence des prévenus sur les lieux des crimes réveille de vieux souvenirs, ajoute un autre. « Nous n'avons jamais oublié qu'en dehors du chef Mbangu, nous avons perdu parents, frères et sœurs pendant les atrocités. Les générations futures doivent apprendre à ne plus jamais commettre de tels dégâts », dit-il.

Masuika est une agglomération agro-pastorale dans le Kasaï profond, avec une population cosmopolite, estimée à 20.104 habitants. Les gens y vivent de l'agriculture, de l'élevage et du petit commerce. Outre que la tenue de ce procès ici soit liée au fait que les crimes y aient été commis, la cour voulait également se rapprocher des 283 victimes parties civiles qui vivent soit à Masuika soit dans les villages environnants. C’est le principe même de ces audiences foraines de se rapprocher des communautés affectées par les violences. La justice congolaise pratique ces déplacements depuis longtemps. Masuika est située à 290 kilomètres de Kananga, capitale du Kasaï Central, forte de plus de 2 millions d’âmes. Les délégations de la cour – avocats, juges, procureurs, partenaires et autres – ont mis un jour et demi pour rejoindre les lieux du procès, à cause de l'état désastreux de la route.

Le procès s’est ouvert après au moins quatre reports. Un partenaire financier régulier du système judiciaire en RDC, le PNUD, devait initialement contribuer à son organisation. Mais l’agence de l’Onu s’est finalement désistée, n’ayant pas encore pu adopter son budget pour 2025. C’est donc le Fonds national des réparations en faveur des victimes (Fonarev) qui finance seul son déroulement. « L'une des missions du Fonarev est d'assurer la justice pour les victimes. C'est dans cette optique que nous avons décidé de financer seuls ces audiences, lorsque nous avons compris que d'autres partenaires n'étaient pas prêts », explique Miran Mulumba, coordonnateur régional de ce organisme public de l'État Congolais. Du coup, la Cour a également décidé de tenir un second procès en appel, cette même semaine, à Masuika, alors qu’il était prévu dans une autre ville, à la suite de celui sur le meurtre de Chef Mbangu. Les deux procès pour crimes de guerre pourraient être conclus dès le 7 mars.

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