Le retour des envahisseurs

Russie, Israël, États-Unis, Chine, Azerbaïdjan, Venezuela : de plus en plus de pays affichent publiquement leur volonté de conquérir des territoires par la force. Ou semblent la mettre en œuvre sans le dire, comme le Rwanda. L’ordre mondial établi en 1945 est caduc, le droit international violé sans état d’âme. Voici la mappemonde des nouvelles annexions en cours et de celles qui menacent ouvertement.

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Un goût d’invasion - Notre carte du monde des envahisseurs (auteurs d'annexions et autres crimes aux yeux du droit international) précisant les pays agresseurs, les agressés et ceux qui sont menacés d'agression.

Occupation, colonisation, agression, annexion : ces mots sont devenus de plus en plus familiers. Ils recouvrent des réalités juridiques différentes, qui se superposent souvent. Mais celui qui marque sans doute son grand et brutal retour dans la géopolitique mondiale est l’annexion. Trois membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies expriment ouvertement leur volonté d’acquérir de nouveaux territoires par la force. La Russie la met déjà en pratique à grande échelle, au prix de centaines de milliers de morts et de destructions massives ; la Chine l’impose par ses démonstrations de force dans sa sphère d’influence ; les États-Unis veulent désormais agir de même dans la leur, tout en entérinant les conquêtes des Russes. Au moins quatre autres pays – Israël, Azerbaïdjan, Venezuela et Rwanda – sont de facto en train d’agrandir leur territoire ou ont annoncé qu’ils s’y préparaient.

Il existe une définition officielle de l’agression en droit humanitaire international : il s’agit de « l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations unies ». L’agression armée d’un État par un autre est interdite en droit international, sauf dans deux cas : en situation de légitime défense ou sur autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies. L’agression a également une définition en droit pénal international, elle figure dans les crimes pour lesquels la Cour pénale internationale (CPI) a une compétence très restreinte ; son but est alors d’engager la responsabilité pénale d’individus et non des États.

L’agression peut ou non résulter en une situation d’occupation. Selon la Convention de La Haye de 1907, « un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer ». Une occupation n’est pas forcément en soi illégale, mais elle vient avec des obligations de la part de la puissance occupante. L’une d’entre elles a trait à la question du peuplement sur le territoire occupé. La colonisation n’a pas de définition juridique. Mais sur le plan du droit international, il est interdit à la puissance occupante de déporter ou transférer sa population civile à l’intérieur du territoire qu’elle occupe. « C’est le phénomène de colonisation tel qu’on l’entend, par exemple, dans la situation de la Cisjordanie avec l’installation de colons israéliens au sein des territoires palestiniens occupés », explique Marco Sassòli, professeur émérite de droit international à l’Université de Genève. Il est également interdit à la puissance occupante de déporter ou transférer de force, hors du territoire occupé, la totalité ou une partie de la population de ce territoire. Un tel transfert constitue un crime de guerre.

L’annexion, violation flagrante du droit international

L’occupation peut se transformer, enfin, en annexion. L’annexion peut être légale si elle est le fruit d’une libre transaction entre deux États qui se mettent d’accord sur un transfert de souveraineté. Mais elle est illégale si elle résulte d’une situation d’occupation. En droit, ce territoire reste occupé, l’annexion étant une violation flagrante du droit international. Elle est interdite, même en état de légitime défense, ce qui la distingue de l’agression. Peut-on avoir une annexion légalisée par le Conseil de sécurité des Nations unies ? « Le Conseil de sécurité des Nations unies, pour régler un différend, n’a pas nécessairement à suivre le droit international ; il peut estimer qu’il faille bouger une frontière pour faire la paix », explique Sassòli. « Mais je ne saurais pas donner un exemple de ce type », ajoute-t-il.

Il existe des annexions de facto et des annexions de jure, précise-t-il encore. Dans le cas de la Cisjordanie, par exemple, la Cour internationale de justice (CIJ) parle d’une annexion de facto par Israël. Tandis que l’annexion de Jérusalem-Est ou du Golan figurent dans la loi israélienne et sont des annexions de jure.

Selon le journaliste américain et spécialiste de géopolitique Fareed Zakaria, il y a eu, de 1830 à 1945, « environ 150 » annexions. C’était, en somme, l’ordre du monde. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n’y en a eu qu’une poignée. En 1950, la Chine a annexé le Tibet. En 1974, la Turquie est intervenue militairement à Chypre, devenue indépendante en 1960, et a occupé 38 % de l’île. En 1983, ce territoire sécessionniste s’est proclamé République turque de Chypre du Nord. Cette république, créée par l’occupation de la Turquie et contrôlée par elle, n’est pas reconnue par l’Onu. Le cas est considéré comme une annexion de facto. En 1975, l’Indonésie a annexé le Timor oriental, avant que celui-ci ne retrouve son indépendance, en 2002, après une administration provisoire par l’Onu. En 1976, le Sahara occidental a cessé d’être une colonie espagnole mais le territoire, revendiqué à la fois par le Maroc et par la République arabe sahraouie démocratique, proclamée par le Front Polisario, n’a jamais été un État indépendant et n’a jamais eu de statut juridique définitif. En 1975, la CIJ avait rendu un avis consultatif qui confirmait l’existence de liens historiques entre les populations du Sahara occidental et le Maroc, ainsi que l’ensemble mauritanien, mais que ces liens n’établissaient pas un lien de souveraineté territoriale et qu’un droit à l’autodétermination était ouvert. Le Maroc a rejeté les conclusions de la Cour. Peu après, un accord avait été conclu par l’Espagne, qui donnait les deux tiers nord au Maroc et le tiers sud à la Mauritanie, sans consultation des Sahraouis. En 1979, la Mauritanie a cédé sa partie au Front Polisario. La même année, le Maroc a annoncé l’annexion du territoire. Aux yeux de l’Onu, le Sahara occidental demeure un territoire sans administration. Juridiquement, c’est un territoire occupé. Enfin, en 1990, l’Irak a envahi le Koweït, avant que cette annexion soit annulée l’année suivante par une massive intervention armée internationale, menée par les États-Unis.

La carte proposée par Justice Info exclut les disputes de frontières. Il ne s’agit pas non plus d’une carte historique des annexions. Elle n’intègre pas certains cas d’annexions du siècle dernier, évoquées ci-dessus, et traite exclusivement du retour actuel à une nouvelle ère d’envahisseurs. Celle-ci n’est pas dénué de pulsions nationalistes, mais frappe particulièrement par sa motivation économique, de contrôle et d’exploitation de ressources naturelles considérées comme stratégiques. Cette mappemonde vise à mettre en lumière l’accélération récente de la pratique ou des projets d’annexion, défiant le droit international qui a régi les 80 dernières années, symbolisée par les événements en Ukraine et en Palestine, et par les déclarations publiques de la nouvelle administration américaine.

Notre tour du monde des pays envahisseurs (auteurs d'annexions). Photo : des véhicules armés israéliens patrouillent dans une rue de Jénine, en territoire occupé palestinien.
Des tanks israéliens patrouillent dans la ville de Jénine, en territoire occupé palestinien. L’occupation et la colonisation israéliennes en Palestine et en Syrie se sont accompagnées d’annexions pures et simples au fil des décennies. Photo : © Jaafar Ashtiyeh / AFP

- Annexions en cours -

La Fédération de Russie contre la Géorgie et l’Ukraine

La Russie de Vladimir Poutine a sans doute été le grand précurseur et principal moteur du retour sur la scène mondiale du principe de conquête de territoires par la force. Ce fut d’abord la prise de 20 % du territoire géorgien après la guerre de 2008. La méthode, ici, était « à l’ancienne » en quelque sorte, sous couvert d’un soutien à des « autonomistes » ossètes et abkhazes. Puis ce fut l’annexion directe de la Crimée ukrainienne en 2014, l’appui à une guerre séparatiste pro-russe dans le Donbass, avant l’invasion générale de l’Ukraine en 2022 et l’annexion officielle du sud et de l’est de ce pays, en septembre 2022, représentant environ 20 % du territoire national ukrainien. Le Donbass est notamment riche en charbon, fer, manganèse et lithium, tandis que la Mer noire recèle d’importants gisements de pétrole et de gaz.

L’Ukraine, appuyée par 33 autres pays, poursuit la Russie devant la Cour internationale de justice, même si sa plainte ne repose pas sur l’agression elle-même, mais sur sa justification. « La Russie mène une guerre contre mon pays au nom de ce terrible mensonge, selon lequel l’Ukraine commet un génocide contre son propre peuple », a ainsi déclaré l’ambassadeur d’Ukraine aux Pays-Bas, dans son allocution devant la CIJ, en septembre 2023. En mars 2022, la Cour a accédé à la demande ukrainienne de mesures dites conservatoires. Les juges ont ordonné à la Fédération de Russie de suspendre immédiatement leurs opérations militaires en Ukraine.

L’Ukraine a également engagé une autre procédure contre la Russie devant la CIJ, qui remonte au début des hostilités en 2014. Elle a aussi porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme, et les dirigeants ukrainiens demandent la création d’un tribunal spécial sur le crime d’agression. De son côté, la CPI a lancé sa propre enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans ce conflit, délivrant un mandat d’arrêt à l’encontre de Poutine, le 17 mars 2023.

Israël contre la Palestine et la Syrie 

Officiellement, Israël n’annexe pas les territoires palestiniens occupés de Gaza et de Cisjordanie, mais l’extrême droite israélienne, qui fait partie de la coalition au pouvoir, affiche publiquement son ambition de s’accaparer ce qui reste de la Palestine autonome.

En marche depuis des décennies, avec des étapes marquantes comme lors de l’érection du mur démarrée en 2002, la colonisation en Cisjordanie s’est fortement accélérée depuis le 7 octobre 2023. En 1967 déjà, Israël a annexé Jérusalem-Est, qui fait partie de la Cisjordanie occupée. Depuis 1981, Israël considère par ailleurs l’ensemble du plateau du Golan, pris à la Syrie lors de la guerre des six jours en 1967, comme faisant partie du territoire israélien. Cette annexion est uniquement reconnue par les États-Unis, depuis 2019, sous la première présidence de Donald Trump.

Le 8 décembre 2024, alors que le régime syrien de Bachar al-Assad était en train de tomber, l’armée israélienne s’est déployée dans la zone tampon démilitarisée du plateau du Golan, située entre la partie déjà annexée par l’État hébreu et le territoire syrien. Le lendemain, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré que la partie du plateau du Golan syrien annexée appartient à Israël « pour l’éternité ». Le 15 décembre, son gouvernement a approuvé un projet visant à doubler la population des colons juifs dans la partie du Golan annexée.

Jamais depuis la création d’Israël en 1948, l’idée d’un « Grand Israël » allant du Jourdain à la Méditerranée et du Golan au Sinaï, accompagnée d’une nouvelle expulsion de masse du peuple palestinien après celle de 1948, n’a été évoquée ou assumée aussi ouvertement qu’aujourd’hui, avec l’appui de la nouvelle administration Trump.

La destruction à Gaza et la colonisation en Cisjordanie ont été portées devant les deux juridictions internationales, la CPI et la CIJ, toutes deux basées à La Haye. Mais Israël ne reconnaît pas la CPI et n’a pas respecté un premier avis consultatif de la CIJ qui avait considéré, en 2004, la construction du mur comme illégal, puis un autre en juillet 2024, qualifiant sa présence dans les territoires palestiniens d’illégale, car correspondant à une annexion de facto, entre autres en raison du non respect des obligations d’une puissance occupante en vertu du droit international humanitaire.

Le Rwanda contre la République démocratique du Congo 

Les conflits armés dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), et plus spécifiquement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, n’ont pratiquement pas cessé depuis 1996, date de la première invasion des forces armées rwandaises. Cette attaque était au départ directement lié au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, à la présence à la frontière rwandaise d’immenses camps de réfugiés contrôlés par des génocidaires en fuite, d’où ils menaient des incursions meurtrières en territoire rwandais. 

Depuis trois décennies, tout le Nord-Est de la RDC est le théâtre de violences commises par divers groupes armés, en partie appuyés en sous-main par le Rwanda et l’Ouganda. Une situation de crise permanente qui dissimule un pillage en règle des nombreuses ressources minières dans cette région (cobalt, coltan, lithium, or, etc.), enjeu central du conflit. A l’issue d’une nouvelle offensive éclair menée par le M23, mouvement armé sponsorisé par le Rwanda, et d’environ 4.000 soldats rwandais, les deux provinces du Kivu, Nord et Sud, sont passées sous contrôle du M23 et de l’armée rwandaise, en janvier et février 2025.

Il n’y a officiellement pas de volonté d’annexion de ces territoires par le Rwanda. Il s’agit pour l’heure d’une agression et d’une occupation. Mais l’histoire des ambitions territoriales rwandaises dans cette région date au moins de la fin du XIXe siècle. Une partie du Front patriotique rwandais, au pouvoir au Rwanda depuis 1994, entretient de longue date l’idée que ce territoire revient naturellement au Rwanda et serait rwandais si les colons européens n’y étaient pas venus, à la veille du XXe siècle, pour en fixer et figer les frontières qui prévalent aujourd’hui. La suspicion sur les réelles intentions du Rwanda est donc ancienne. Et la rapidité avec laquelle le Rwanda semble s’être engouffré dans la nouvelle ère géopolitique ouverte par le retour de Trump au pouvoir, donnant le feu vert aux ambitions de conquête territoriale, renforce les soupçons sur le réveil expansionniste rwandais.

Une plainte a été déposée par la RDC devant la Cour des États d’Afrique de l’Est et une autre devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette dernière doit décider bientôt de son admissibilité. À la lumière de l’aggravation du conflit et sur une nouvelle demande de la RDC, le procureur de la CPI a également rouvert, en octobre 2024, son enquête sur le Nord-Kivu.

La Chine en mer de Chine méridionale

C’est une mer d’une importance stratégique majeure pour le monde et pour le géant chinois : 30 % du commerce mondial et 25 % du pétrole transporté par mer transitent par les eaux de la mer de Chine méridionale, qui renferment des ressources considérables, dont du gaz et du pétrole. En dehors de la Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, Taïwan, Brunei et même Singapour en revendiquent une partie. Mais depuis environ quinze ans, c’est la Chine qui y étend son emprise, à travers la construction unilatérale d’îles artificielles et l’installation de bases navales et aériennes, une succession de « faits accomplis » et d’affirmations qui visent à étendre sa « zone économique exclusive » en redéfinissant les espaces maritimes.

Le cas est particulier, note Sassòli, car les îlots rocheux contestés sont dépourvus d’habitants. Mais le contentieux a été porté devant la justice par les Philippines, qui ont porté plainte auprès du Tribunal sur le droit de la mer, qui a saisi la Cour permanente d’arbitrage à la Haye. Celle-ci a estimé, en 2016, que la Chine avait violé les droits souverains des Philippines relatifs à sa zone économique exclusive et à son plateau continental, sans que Pékin ne se conforme à cette décision.

Notre tour du monde des pays envahisseurs (auteurs d'annexions). Photo : un couple marche de dos dans une rue de Nuuk enneigé.
Les Groenlandais ont tourné le dos à l’offre d’achat du président américain. Photo : © Odd Andersen / AFP

- Menaces d’annexion -

Les États-Unis contre le Panama, le Groenland et Gaza

En janvier 2025, les États-Unis de Donald Trump sont à leur tour entrés officiellement dans le concert des nations entendant s’approprier de nouveaux territoires. Le président américain a annoncé vouloir prendre le contrôle du canal de Panama ainsi que de la bande de Gaza, dépeuplée de ses habitants palestiniens, et d’acheter le Groenland, y compris par la menace de sanctions et de pressions financières contre le Danemark. Le Groenland est un territoire autonome du royaume du Danemark, qui en maîtrise la politique monétaire, la défense et la diplomatie.

Ni le Panama, ni le peuple groenlandais ou le gouvernement danois, ni les Palestiniens n’acceptent de passer sous souveraineté américaine. Le projet américain pour Gaza, qui comprend l’évacuation sans retour de tous les Palestiniens, n’a été positivement accueilli que par le gouvernement israélien. En plus d’une violation du droit international, il constituerait, selon l’avocate israélienne Yaël Vias Gvirsman, un « crime contre l’humanité ».

L’importance stratégique du Groenland s’est accrue ces dernières années, notamment du fait de la fonte des glaces due au réchauffement climatique. Celle-ci permettrait l’ouverture de nouvelles routes commerciales qui réduiraient de près d’un tiers le temps de voyage entre l’Asie de l’Est et l’Europe. Par ailleurs, la plus grande île du monde possède de vastes réserves d’eau très pure, d’importants gisements de sable, et regorge de richesses minières dans son sous-sol, comme le fer, le nickel, l’or, l’uranium ou les métaux rares, comme le cobalt, nécessaires à la fabrication des téléphones portables.

En juillet 2021, le gouvernement autonome du Groenland a interdit l’exploration et l’exploitation pétrolières. Mais « pour la sécurité nationale et la liberté à travers le monde, les États-Unis d’Amérique estiment que la propriété et le contrôle du Groenland sont une nécessité absolue », a déclaré Trump sur son réseau social, en décembre dernier.

Ajoutons enfin que Trump a également souhaité que le Canada devienne le 51e État des États-Unis, ce que les Canadiens ont catégoriquement rejeté.

La Chine contre Taïwan

De droit, la République populaire de Chine considère Taïwan comme sa 23e province. « Personne ne peut arrêter la tendance historique de la réunification de la mère patrie », a déclaré le président chinois Xi Jinping dans un discours diffusé par les médias d’État, le 31 décembre 2024. « Une nécessité pour la grande réjuvénation de la nation chinoise dans la nouvelle ère » : c’est en ces termes que le chef d’État chinois avait déjà évoqué la « réunification » avec Taïwan, lors d’un précédent discours en janvier 2019

Toute l’ambiguïté de la situation de Taiwan, sur un plan purement juridique, est que Taiwan n’a jamais fait sécession de la Chine mais considère que c’est lui qui représente la Chine, souligne Sassòli. Pékin revendique l’île comme partie intégrante de son territoire et n’a jamais renoncé à employer la force militaire pour y parvenir. Ces dernières années, la pression militaire n’a cessé de s’accentuer. En 2022, la Chine a mené de vastes exercices militaires autour de l’île. En octobre 2024, Taïwan a déclaré avoir détecté un nombre record de 153 avions militaires chinois en 25 heures : Pékin avait organisé des exercices à grande échelle qualifiés d’« avertissement sévère » à l’encontre des « forces pro-indépendance de Taïwan ».

Dans un article paru dans Politique Internationale en 2019, Matthieu Duchatel, chercheur à Sciences Po, explique que « la loi ‘anti-sécession’ du 14 mars 2005 précise dans quelles circonstances la Chine se réserve le droit de recourir à la force : en cas de déclaration d’indépendance ; si les conditions susceptibles de mener à une solution pacifique ne sont plus réunies ; ou si un événement majeur provoque une séparation définitive entre Taïwan et le continent ». Le spécialiste écrivait alors que « si la Chine estime que les États-Unis pourraient ne pas intervenir, une offensive contre Taïwan devient possible ».

« Résoudre la question de Taïwan est une question qui appartient au peuple chinois », a déclaré Xi Yinping dans un discours à l’ouverture du XXe Congrès du Parti communiste chinois, en octobre 2022. « Nous continuerons à nous efforcer de rechercher une solution pacifique avec une grande sincérité mais nous ne promettrons jamais de renoncer à l’usage de la force et nous nous réservons le droit de recourir à toutes options nécessaires. La réunification complète de notre pays doit être réalisée, elle le peut et elle le sera sans aucun doute. »

L’Azerbaidjan contre l’Arménie

En septembre 2023, l’Azerbaïdjan s’est emparé de la région du Haut-Karabakh, une enclave habitée à 99 % par des Arméniens et qui a déjà été le théâtre de deux guerres, en 1988-94 (avec une victoire de l’Arménie) et en 2020 (avec une victoire de l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie). Désormais partie intégrante de l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabakh a été presque entièrement vidé de sa population arménienne, qui est aussi chrétienne alors que les Azéris sont majoritairement musulmans et turcophones. Le cas est complexe : selon Sassòli, l’Azerbaïdjan pouvait arguer que l’Arménie avait de facto annexé le Haut-Karabakh, alors que ce territoire autonome faisait auparavant partie de la république d’Azerbaïdjan, à l’époque de l’Union soviétique.

Mais un autre grand pan du territoire arménien menace d’être annexé par Bakou : une bande de terre située dans le sud de l’Arménie, formant sa frontière avec l’Iran, et qui sépare l’Azerbaïdjan d’une enclave azérie en Arménie, le Nakhitchevan, un cadeau empoisonné de Staline qui date du début du XXe siècle. Le futur chef de l’empire soviétique avait créé cette région autonome en 1921 avant de l’attribuer à la république soviétique d’Azerbaïdjan en 1923, en même temps qu’il créait une région autonome arménienne dans le Haut-Karabakh, enclavée, elle, en Azerbaïdjan. Deux bombes à retardement qui ont très vite explosé après la désintégration de l’Union soviétique, en 1991.

La bande de terre convoitée par l’Azerbaïdjan est située dans la région du Siounik, aussi appelée Zanguezour, la plus riche province arménienne en minéraux et qui représente 15 % du territoire national arménien. Le corridor de Zanguezour est un projet de couloir de transport qui relierait l’Azerbaïdjan à son territoire enclavé du Nakhitchevan, en traversant l’Arménie, sans que celle-ci en ait le contrôle. Le 7 janvier 2025, dans un entretien avec les médias azéris, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a déclaré que les Arméniens « ne devraient pas constituer une barrière géographique entre la Turquie et l’Azerbaïdjan. Le corridor de Zanguezour doit être ouvert et le sera. Plus tôt ils comprendront cela, mieux ce sera ».

L’Arménie rejette ce projet qui porterait atteinte à sa souveraineté.

Notre tour du monde des pays envahisseurs (auteurs d'annexions). Photo : vue aérienne de l’Essequibo, partie occidentale du Guyana.
Une vue aérienne de l’Essequibo, partie occidentale du Guyana. En plus de ses richesses terrestres, ses eaux côtières recèlent de vastes réserves en pétrole. Photo : © Roberto Cisneros / AFP

Le Venezuela contre Guyana

En 2015, la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil découvre un important gisement de pétrole offshore, au large de l’Essequibo, région occidentale du Guyana, pays frontalier du Venezuela. L’exploitation commence quatre ans plus tard, et entre 2020 et 2023, la production est multipliée par cinq. Cinq nouvelles compagnies pétrolières s’installent. Les réserves sont estimées à 11 milliards de barils, davantage que celles du Koweït. En 2020, la croissance du pays atteint 86%. L’Essequibo, qui représente les deux tiers du Guyana et abrite un cinquième de sa population, est également riche en or, diamant, cuivre, bauxite et fer.

La découverte de cette manne pétrolière attise la convoitise du chef d’État vénézuélien, Nicolàs Maduro, qui, dès 2018, renforce sa présence militaire à la frontière. L’Essequibo appartenait au Venezuela lors de son accession à l’indépendance en 1811. Annexé par les Britanniques en 1840, le territoire est passé sous souveraineté de Guyana lors de son Indépendance en 1953, ce que Caracas a toujours contesté. Traditionnellement, avant les dernières menaces de Trump sur le Groenland, les vieux contentieux ont d’ailleurs accompagné toutes les annexions, rappelle Sassòli : « Je ne connais pas de cas d’annexion qui n’ait pas sous-jacente une dispute historique. »

Le Guyana, qui ne dispose que d’une très petite armée face à son grand voisin, a sollicité la CIJ pour trancher le différend. Mais le Venezuela a refusé de reconnaître la compétence de la Cour. Pressée par le Guyana, inquiet d’un projet de référendum chez son voisin, la Cour a ordonné au Venezuela, en décembre 2023, de « s’abstenir de toute action qui modifierait le statu quo dans l’Essequibo ». Mais Maduro a maintenu l’organisation de son référendum sur le rattachement de l’Essequibo au Venezuela. Son slogan : « El Esequibo es nuestro » - l’Essequibo est à nous. Le référendum a donné 95 % au oui. Le lendemain, le Guyana a fait état d’une incursion sur son territoire par 200 membres des forces spéciales vénézuéliennes, déguisés en civils afin d’organiser des sabotages. Le Venezuela a aussi ordonné l’octroi de licences de sa propre compagnie pétrolière nationale pour exploiter le pétrole dans l’Essequibo, « semblant annexer de fait le territoire », explique Patrick Blancodini, professeur d’histoire et de géographie, dans la revue GéoConfluences. En mars 2024, Maduro a franchi une nouvelle étape. Une loi a été approuvée à l’unanimité par l’Assemblée nationale vénézuélienne, qui désigne le territoire de l’Essequibo comme un nouvel État du Venezuela.

Le retour des envahisseurs - Affiche de la série
« A présent, David Vincent sait que les envahisseurs sont là, qu'ils ont pris forme humaine. Parviendra-t-il à convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé ? » Générique de la série télévisée Les Envahisseurs (1967-1968).
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