L'affaire Duterte vue comme un cadeau pour une CPI en difficulté

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L'affaire médiatisée de l'ancien président philippin Rodrigo Duterte devant la Cour pénale internationale (CPI) tombe à un moment crucial pour la juridiction, sous le feu des critiques et même sous le coup de sanctions américaines.

Accusé de crimes contre l'humanité pour sa guerre contre la drogue, M. Duterte, 79 ans, sera le premier ancien chef d'État asiatique à comparaître devant la CPI, qui siège aux Pays-Bas.

Son transfert de Manille à La Haye pour comparaître devant la justice n'aurait pas pu mieux tomber pour la CPI. Critiquée de toutes parts, elle peut célébrer un rare coup d'éclat, observe Willem van Genugten, professeur de droit international à l'université de Tilburg (Pays-Bas).

"Je considère l'arrestation et la remise de Duterte comme un cadeau à un moment important", note M. Van Genugten auprès de l'AFP.

Melanie O'Brien, professeure agrégée de droit international à l'Université d'Australie occidentale, qualifie l'arrestation soudaine de M. Duterte de "monumentale".

"C'est une avancée très positive pour la CPI et pour le droit international et la justice en général", déclare-t-elle à l'AFP.

Il est parfois reproché à la cour de se concentrer sur des suspects de niveau intermédiaire, principalement africains, et son faible bilan en matière de condamnations ternit son image.

- "Gros poisson" -

"Il est très important d'avoir attrapé un si gros poisson, montrant une fois de plus au monde que l'impunité n'est pas une option, même pour les (anciens) dirigeants politiques", constate M. Van Genugten.

La cour a connu des échecs retentissants : l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a été acquitté, tout comme l'ancien vice-président de la RDC Jean-Pierre Bemba en appel, et les poursuites contre le président kenyan Uhuru Kenyatta ont été abandonnées.

Mais Mme O'Brien estime que le dossier de l'affaire Duterte est "plus solide" que ceux des précédents anciens chefs d'État.

Car, explique-t-elle, le mandat d'arrêt émis par la CPI ne porte que sur un seul chef d'accusation : meurtre, en tant que crime contre l'humanité.

Ceci "permet au procureur de se concentrer beaucoup plus facilement sur ce point lors du procès", affirme-t-elle.

M. Duterte a déjà dit assumer la responsabilité de ses actes. "J'ai dit à la police, à l'armée, que c'était mon travail et que j'en étais responsable", a-t-il déclaré dans une vidéo sur Facebook.

- Danger "existentiel" -

En décembre, la présidente de la CPI, Tomoko Akane, a mis en garde contre un danger "existentiel" pour la juridiction, attaquée de toutes parts.

En 2023, la Russie a imposé des sanctions à son procureur général, Karim Khan, après que la cour a émis un mandat d'arrêt contre le président russe Vladimir Poutine.

Le mois dernier, le président américain Donald Trump a imposé des sanctions à la cour pour ce qu'il a qualifié d'"actions illégitimes et sans fondement visant l'Amérique et notre proche allié Israël".

La CPI a en effet émis un mandat d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés pendant la guerre de Gaza.

L'affaire Duterte a suscité des critiques de la part de ses partisans, qui accusent la cour d'ingérence dans les affaires intérieures, et la Chine a appelé à éviter la "politisation" et le "deux poids, deux mesures".

"C'est une période très difficile pour la cour", constate Mme O'Brien.

Mais "si ce procès se déroule sans accroc, comme il se doit, si les preuves sont bien présentées et si Duterte est condamné, ce sera vraiment positif de pouvoir dire que ce tribunal existe pour une raison", a-t-elle déclaré.

M. Khan a de son côté déclaré que le droit international n'était "pas aussi faible que certains pourraient le penser", soulignant la décision des Philippines de remettre un ancien président.

Il s'agit d'un "moment majeur pour la CPI", observe Mark Kersten, professeur adjoint de criminologie et de justice pénale à l'Université de Fraser Valley, aux États-Unis.

"Le fait qu'un ancien chef d'État soit détenu (par la CPI) témoigne clairement de sa pertinence et de son impact continus dans le monde et lui offre un procès à un moment où elle en a désespérément besoin", note M. Kersten auprès de l'AFP.

Pour certains, les mandats d'arrêt contre des personnalités comme Vladimir Poutine ou Benjamin Netanyahu sont inutiles, car ils ne seront jamais exécutés.

Mais l'affaire Duterte montre à quelle vitesse les normes peuvent être bouleversées.

"Pour l'instant, personne ne remet Poutine, mais les choses peuvent changer. Les régimes peuvent changer", souligne Mme O'Brien.

"C'est vraiment positif, car cela prouve que c'est possible", confie-t-elle.