Philippines: avec son patriarche à La Haye, la dynastie Duterte vacille

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A peine l'avion qui emmenait son prédécesseur Rodrigo Duterte vers la Cour pénale internationale à La Haye venait-il de décoller de Manille, que le président philippin Ferdinand Marcos assurait que "la politique n'a rien à voir avec ça".

En arrêtant Duterte et en le livrant à la CPI, qui le réclamait pour crimes contre l'humanité pour sa guerre meurtrière contre la drogue, les Philippines n'ont fait que respecter leurs obligations internationales, a-t-il argué.

Le coup de théâtre de mardi est intervenu à peine un mois après le vote par la chambre basse du Parlement de la destitution de la vice-présidente des Philippines Sara Duterte, fille de l'ex-chef de l'Etat. Un épisode qui constituait déjà un coup dur pour l'avenir politique du clan Duterte, selon les experts.

"Leur situation n'était pas prometteuse au départ, même avant que tous ces événements ne se produisent", explique à l'AFP Michael Henry Yusingco, du groupe de réflexion Ateneo Policy Center, en parlant des élections de mi-mandat prévues en mai.

Seulement trois candidats du Parti démocratique philippin (PDP-Laban), dont est issue la famille Duterte, sont en lice pour l'un des 12 sièges à pourvoir au Sénat. Alors que la New Philippines Alliance du clan Marcos compte huit candidats.

L'issue de ces élections sera crucial pour l'avenir de Sara Duterte, acusée de détournements de fonds publics et d'un projet d'assassinat du président Marcos, dont la destitution doit être confirmée par le Sénat.

Etant donné que M. Marcos "contrôle entièrement les leviers essentiels du gouvernement (...), il est tout à fait raisonnable de penser que cela pourrait être la fin" de la dynastie Duterte, affirme M. Yusingco, tout en avertissant qu'il est trop tôt "pour porter un jugement définitif".

Les clans Marcos et Duterte s'étaient alliés pour les élections de 2022, qui s'étaient soldées par leur victoire écrasante. Mais des craquelures étaient vite apparues dans cette alliance, à commencer par la colère de Sara Duterte après s'être vue refuser le portefeuille de la Défense qu'elle convoitait.

La querelle a viré à la guerre ouverte dans les mois qui ont précédé le vote de destitution de Mme Duterte par la Chambre des représentants, présidée par un cousin Marcos. Rodrigo Duterte avait qualifié Ferdinand Marcos, le seul homme qui aurait pu le protéger de la CPI, de toxicomane.

Le président, lui, a passé une grande partie de son temps à dénoncer la répression sanglante de M. Duterte contre la drogue.

"En fin de compte, (l'arrestation) n'aurait pas eu lieu s'il n'y avait pas eu de désaccord entre eux deux", résume Jean Franco, directrice adjointe du département de sciences politiques de l'Université des Philippines.

- "Pris au dépourvu" -

L'ancien président philippin, dont la première comparution devant la CPI est prévue vendredi, a été arrêté à sa descente d'avion à Manille alors qu'il revenait d'un voyage à Hong Kong, et alors que des rumeurs sur son transfert à La Haye circulaient déjà avec insistance.

Sa décision de revenir pourrait avoir été prise parce qu'il espérait "être perçu comme une victime", déclare à l'AFP l'analyste politique Richard Heydarian.

La manoeuvre s'est retournée contre lui. Le gouvernement philippin s'est appuyé sur un mandat d'arrêt d'Interpol -et non de la CPI dont le pays s'est retiré en 2019- pour appréhender Duterte et l'envoyer devant la CPI.

"Le gouvernement a été plus malin que lui en s'assurant qu'il disposait d'un mécanisme permettant de l'emmener directement à La Haye", explique M. Heydarian.

Les Duterte "ont été pris au dépourvu", ajoute-t-il. Selon lui, le clan comptait sur "des manoeuvres dilatoires, comme saisir les tribunaux, pour donner à leurs partisans le temps d'organiser des rassemblements de grande ampleur".

Si Mme Franco estime que certains électeurs se sont fait convaincre par le discours victimaire de M. Duterte, M. Yusingco n'est pas de cet avis.

"Les électeurs ne seront pas influencés en faveur (des Duterte) simplement parce qu'il a été arrêté", estime-t-il.

- "Le début de la fin?" -

Quels que soient les résultats des élections de mai, le vide laissé par le départ de Rodrigo Duterte pourrait être impossible à combler pour la famille.

"J'ai l'impression que le charisme des Duterte est en grande partie dû à l'aîné", juge Mme Franco. "Je ne pense pas que Sara ou ses fils (l'un membre du Congrès, l'autre maire de Davao, fief de la famille, ndlr) aient réellement hérité de sa marque, de son charisme auprès de la base".

S'imaginer que le patriarche de 79 ans, à la santé fragile, puisse mener un combat politique depuis sa cellule à La Haye semble peu réaliste.

"J'imagine que ce serait extrêmement, extrêmement difficile étant donné son âge (...) et le fait qu'il soit détenu", estime M. Yusingco.

Mais "vous ne pouvez jamais sous-estimer un politicien comme l'ancien président Duterte", nuance-t-il. "Il a toujours des alliés qui peuvent faire du bruit et se mobiliser".

L'incarcération du père et la destitution de la fille pourraient marquer "le début de la fin pour la marque Duterte", estime pour sa part Mme Franco. Même si selon elle, "bien sûr, dans la politique philippine, on peut s'attendre à tout".