Il y a six mois, l’ancien directeur de cabinet au ministère de la Défense voyait, comme Ntabakuze mardi, sa sentence ramenée de la perpétuité à 35 ans. A lire l’arrêt, Bagosora est loin d’être l’homme que le procureur avait présenté comme « le cerveau » du génocide des Tutsis de 1994. Dans le cas du major, dont le dossier était certes moins lourd, la copie des premiers juges a été également largement revue.
Une victoire partielle
Tous deux originaires de l’ancienne région du Bushiru, dans la préfecture de Gisenyi (nord), Bagosora et Ntabakuze se côtoient dans l’exercice de leur métier. En décembre 1991, en pleine guerre contre les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), le président Habyarimana crée une commission militaire "chargée d’étudier les manières de vaincre l’ennemi". Le colonel Bagosora préside la commission, Ntabakuze en fait partie.
Après le génocide de 1994, les deux fils du Bushiru se retrouveront au centre de détention du TPIR à Arusha, en Tanzanie.
En avril 2002, débute le procès dans lequel ils comparaissent avec deux autres officiers. Directeur de cabinet au ministère de la Défense au moment du génocide, le colonel Bagosora est accusé d’être « le cerveau » du génocide. Quant au major Ntabakuze, qui commandait le seul bataillon de para-commandos de l’époque, il répond de crimes commis par ses hommes. Le 18 décembre 2008, au terme d’un procès marqué par des nombreux rebondissements, les deux hommes sont condamnés à la peine maximale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ils sont reconnus coupables de n’avoir pas prévenu les crimes, et de ne pas avoir puni les responsables.
Pour Bagosora, la chambre de première instance est même convaincue qu’il a ordonné certains des massacres. En revanche, les deux hommes sont acquittés du crime le plus grave, l’entente en vue de commettre le génocide, autrement dit la préparation ou la planification du génocide des Tutsis. Une victoire partielle que ne manquera pas de savourer Maître Raphaël Constant, défenseur du principal accusé, comme « une remise en cause de toute l'historiographie du Rwanda ».
La peur de Maître Erlinder
Le 30 mars 2011, date du procès en appel, Ntabakuze se retrouve seul à l’audience, son défenseur américain affirmant craindre pour sa sécurité à Arusha. Quelques semaines plus tôt, Peter Erlinder a en effet été jeté en prison à Kigali pour «négationnisme» alors qu’il venait assurer la défense d’une opposante au régime. Echaudé par ces quelques semaines de détention, le professeur dit craindre que la main de Kigali ne l’atteigne en Tanzanie. La chambre ordonne une disjonction avant d’entamer l’audition des recours de Bagosora et d’un autre appelant.
Le 14 décembre 2011, tombe l’arrêt qui restera indiscutablement l’un des plus spectaculaires du TPIR. Ce qui restait, en première instance, de l’acte d’accusation contre Bagosora est une nouvelle fois taillé en pièces. La chambre d’appel rejette la conclusion selon laquelle le colonel avait ordonné certains des massacres perpétrés aux premiers jours du génocide. Il savait mais n’a rien fait : sa responsabilité se limite à son inaction. En conséquence, sa peine est réduite à 35 ans de prison.
Les crimes de Kabeza
Ntabakuze avait été condamné en première instance pour les crimes perpétrés par des para-commandos en trois endroits de la capitale rwandaise. Parmi ces lieux de massacres, figure Kabeza, près de la résidence du l’ancien chef de l’Etat Juvénal Habyarimana. « Aucun juge des faits raisonnable n’aurait pu exclure la possibilité que les soldats para-commandos impliqués dans ces crimes (de Kabeza) pouvaient appartenir à la deuxième compagnie du bataillon para-commando qui était alors sous le commandement du bataillon de la Garde présidentielle, et non sous le commandement de Ntabakuze », estiment les juges d’appel, dans leur majorité. Selon l’adage, ce doute profite à Ntabakuze. La chambre épingle par ailleurs un défaut dans l’acte d’accusation, en ce qui concerne des exactions commises par des miliciens. Contrairement à ceux du premier degré, les juges d’appel concluent que ce document n’informait pas le major qu’il allait être poursuivi, en tant que supérieur hiérarchique, pour des crimes de miliciens. Ce sont ces motifs qui ont entraîné la réduction de la peine.
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