Conflit en RDC: les plaies à vif des diasporas rwandaise et congolaise

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La guerre dans l'est de la République démocratique du Congo a un écho puissant dans les diasporas en France, exacerbant les souffrances des Rwandais qui s'apprêtent à commémorer les 31 ans du génocide des Tutsi, et celles des Congolais s'estimant victimes d'un conflit ignoré.

Souffrance et traumatismes se heurtent dans une guerre des récits datant de plusieurs décennies, mais avec une violence amplifiée par les réseaux sociaux, où se mêlent discours haineux, révisionnisme, procès d'intentions, fait valoir Bob Kabamba, docteur en sciences politiques à l'université de Liège.

La guerre actuelle dans l'est de la RDC, où le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda mène une offensive meurtrière, plonge ses racines dans un passé marqué par le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, la fuite de centaines de milliers de Hutu, dont de nombreux génocidaires, en RDC voisine (alors appelé Zaïre) et des guerres qui s'en sont suivies.

"La guerre des narratifs se joue aussi dans les diasporas: côté congolais, on dénonce +l'envahisseur+ rwandais, accusé de vouloir coloniser et piller le Congo. Côté rwandais, on alerte sur un nouveau génocide des Tutsi par les Congolais", explique M. Kabamba.

Une polémique actuelle illustre la profondeur des blessures et la sensibilité du sujet. Au départ, c'est l'annonce d'un concert de solidarité à Paris pour les enfants de l'est de la RDC, avec des têtes d'affiche comme les rappeurs congolais et franco-congolais Gims et Youssoupha, ou la chanteuse béninoise Angélique Kidjo.

Mais la date prévue pour cette manifestation, le 7 avril, suscite la stupeur et la consternation au sein de la communauté rwandaise: le 7 avril est la journée internationale de commémoration du génocide de 1994 orchestré par le régime hutu, où au moins 800.000 personnes, en majorité des Tutsi, ont été exterminées en trois mois dans des conditions atroces.

- "Affligeant, consternant" -

Kigali intervient, l'ambassadeur rwandais François Nkulikiyimfura écrivant à la maire de Paris et au ministère des Affaires étrangères. "La cause du concert est noble, mais avoir programmé cet événement le 7 avril est consternant, affligeant", explique à l'AFP M. Nkulikiyimfura, soulignant avoir demandé "le report, pas l'annulation".

L'Unicef, qui devait bénéficier des recettes à destination des enfants, reconnaît un manque de vigilance et se désolidarise de la date.

A ce stade, des discussions sont en cours avec les organisateurs et la salle Accor Arena pour un report du concert, selon plusieurs sources.

Dans la diaspora rwandaise, l'émotion est énorme. "C'est incompréhensible. On pourrait s'attendre à une certaine vigilance de la société quand il s'agit du génocide des Tutsi", dit à l'AFP Christophe Renzaho, représentant de la communauté rwandaise de France (CRF). "Pour les rescapés du génocide en particulier, c'est insupportable. "'Ils vont nous tuer une deuxième fois', voilà ce qu'ils disent", poursuit-il, en montrant de violents messages postés sur X niant le génocide des Tutsi, ou accusant le Rwanda d'en commettre un lui-même.

Dans un communiqué, des associations de rescapés comme Ibuka et des historiens comme Vincent Duclert ou Stéphane Audoin-Rouzeau ont appelé à "tout mettre en oeuvre pour faire cesser ici et là-bas le discours de la haine contre les Tutsi", mettant en cause certains des artistes sans les nommer.

- "Free Congo" -

Dans leur viseur, la superstar Gims, très vocal sur le conflit ravageant son pays, et dont la phrase "C'est pas un jus d'orange qui va calmer la haine d'un Tutsi", dans un documentaire de 2020 sur Netflix suscite l'indignation.

Les organisateurs du concert et les artistes concernés ne se sont pas exprimés. Une source proche de l'organisation plaide le manque de vigilance sur la date du 7 avril. Et défend les artistes. "Gims, Youssoupha, n'ont pas leur langue dans la poche, mais leur combat principal, c'est le peuple congolais, la fin de la guerre, et ils font la distinction entre le régime et le peuple rwandais", explique cette source.

Dans le clip "Free Congo", mis en ligne fin févier et qui a déjà fait des millions de vue, ces rappeurs et d'autres pointures comme le Congolo-belge Damso expliquent vouloir mettre en lumière "un conflit trop souvent ignoré par les médias".

"Des millions de morts au Nord Kivu et pourtant personne n'en parle", scande le refrain du clip, dont un passage dit: "Paul Kagame (le président rwandais, ndlr), faut le condamner, mais aussi reconnaître que ceux qui dirigent le Congo n'aiment ni le Congo ni les Congolais".

Pour la source proche des organisateurs, "le projet du concert s'inscrit dans la même optique: toucher le grand public, sensibiliser".

"La RDC figure parmi les crises les moins bien financées", a rappelé l'Unicef, en souhaitant le report d'un concert représentant "une opportunité cruciale de mobilisation", et "saluant l'engagement des artistes autour de cette cause".