A Boutcha, la crainte qu'avec Trump, les crimes de la Russie restent impunis

Des proches des centaines de civils tués pendant l'occupation russe de la ville ukrainienne de Boutcha craignent désormais que l'empressement de Donald Trump à négocier une trêve ne vienne juguler les efforts pour trouver et punir les coupables de ce massacre.

"Tu peux essayer de forcer la paix tant que tu veux, tordre les bras et forcer à la capitulation mais tant qu'il n'y a pas de justice, la blessure ne peut guérir", note le prêtre orthodoxe Andriï Galavine, se tenant prêt du mémorial derrière son église.

Car c'est là que 116 des quelque 400 morts avaient été enterrés à la hâte il y a trois ans, dans les premières semaines de la guerre, avant que l'armée russe ne soit contrainte à se replier fin mars-début avril 2022.

Dans cette église en banlieue de Kiev, parmi les croix et les icônes, des photos des crimes de guerre présumés imputés aux forces de Moscou, notamment certains clichés pris par des journalistes de l'AFP qui furent parmi les premiers à découvrir en pleine rue des corps de civils fusillés.

Andriï Galavine, qui a officié au cours de nombreuses funérailles de ces victimes, connaît les destins individuels de beaucoup d'entre eux.

Une des photos montre le corps de Volodymyr Brovtchenko, tué par balle pendant l'occupation russe, début mars 2022, au moment où il ramenait un vélo à son travail.

Sa veuve, Svitlana, raconte à l'AFP avoir supplié ce jour-là celui dont elle partageait la vie depuis 45 ans de ne pas sortir. Aujourd'hui, elle réclame justice et veut y croire, même si le président américain semble ménager la Russie et a adopté la rhétorique du Kremlin sur de nombreux aspects de l'invasion russe.

- Trump "pas éternel" -

"Je n'ai aucun doute qu'un jour (justice) sera rendue. Trump n'est pas éternel", lâche cette retraitée.

Ce que Svitlana attend, c'est un procès public pour que "tout le monde voie à quoi amène la guerre, qui a amené la guerre et comment l'on punit afin que personne ne soit jamais plus tenté" de recommencer.

Si le massacre de Boutcha est le plus tristement célèbre et le plus documenté des carnages du conflit, il est loin d'être la seule atrocité dont sont accusés les militaires russes.

Les autorités ukrainiennes ont ouvert quelque 128.000 dossiers pour crimes de guerre. La Cour pénale internationale (CPI) enquête aussi, émettant même dès 2023 un mandat d'arrêt contre le président russe Vladimir Poutine pour son rôle dans l'envoi "illégal" d'enfants ukrainiens vers la Russie.

Mais M. Trump a décidé de prendre des sanctions contre la CPI et a, assurent des médias aux Etats-Unis, mis fin à des initiatives américaines pour identifier les personnes responsables de l'assaut contre l'Ukraine et les mineurs ukrainiens déportés.

Les décisions visant à affaiblir la Cour sont "très dérangeantes", juge Maryna Slobodyanouk, qui enquête pour le compte de l'organisation ukrainienne "Truth Hounds" sur des exactions attribuées aux soldats russes.

- "Coudées franches" -

"Cela laisse les coudées franches à la Russie et à tous les agresseurs", assène-t-elle, auprès de l'AFP.

Le "Tribunal pour Poutine" - un collectif d'ONG incluant Truth Hounds et le Centre pour les libertés civiles, prix Nobel de la Paix 2022 - dit avoir identifié jusqu'ici quelque 12.000 personnes tuées dans ce qui pourrait s'apparenter à des crimes de guerre.

Oleksandra Matviïtchouk, la patronne de l'organisation nobélisée, estime néanmoins que les obstacles dressés sur le chemin de la justice seront surmontés à terme.

"Ceci est la guerre la plus documentée de toute l'histoire de l'humanité", rappelle-t-elle. "Si la communauté internationale n'a pas la volonté politique de rendre justice maintenant, nous saisirons les opportunités demain, lorsque la situation aura changé".

Dans l'église de Boutcha, qui a accueilli nombre de dignitaire étrangers dont le procureur en chef de la CPI Karim Khan, le pope Andriï Galavine plaide à nouveau pour la justice, afin de permettre aux survivants de se reconstruire.

"Nous avons des gens qui viennent dans notre église qui ont souffert, qui ont perdu des proches, des amis, qui ont été violés", relève le religieux, "un jour les armes se tairont mais eux doivent pouvoir reprendre leurs vies".

Justice Info est maintenant sur WhatsApp
Découvrez notre première Chaîne WhatsApp et reçevez, en temps réel, une notification pour chaque publication mise en ligne, avec un résumé.
Chaque samedi un récapitulatif de la semaine. Chaque mois, un édito de la rédaction.