Parler d'inceste dans un jeu vidéo, le travail d'équilibriste de "Wednesdays"

Les créateurs français de "Wednesdays", jeu vidéo d'auteur produit par Arte, veulent "briser le tabou" autour des violences sexuelles intrafamiliales, un thème encore peu évoqué dans cette industrie.

Disponible mercredi sur PC et Mac, "Wednesdays" se présente sous la forme d'une bande-dessinée interactive où le joueur reconstitue un à un les souvenirs fragmentés du personnage principal, étrange silhouette à la tête carrée, remontant le fil d'un traumatisme d'enfance.

"J'ai moi-même été victime d'inceste", dit Pierre Corbinais, 37 ans, auteur pour plusieurs jeux et qui dirige ici son premier projet, auquel il a consacré près de trois ans.

"J'avais envie de parler de ça à travers le jeu vidéo", ajoute-t-il, car "il faut qu'on en parle plus", "le tabou ne sert qu'à protéger des agresseurs".

S'il s'est inspiré de son histoire, "le jeu n'est pas autobiographique, c'est clairement fictionnel" et compile "un patchwork de plein de témoignages", précise Pierre Corbinais.

Bien que déconseillé aux moins de 18 ans, "Wednesdays" ne comporte aucune scène d'agression sexuelle ni de description crue. Tout passe par les dialogues et les souvenirs du personnage, parfois lourds de sous-entendus, que celui-ci reconstruit en rejouant à un jeu vidéo de son enfance.

- Jeux sérieux -

"On ne voulait pas qu'il y ait un côté voyeuriste et que les joueurs se disent qu'ils jouent avec la vie d'une vraie personne", explique Christophe Galati, développeur du jeu qui dit lui aussi avoir subi des violences sexuelles dans son enfance.

Il ajoute: "l'idée, c'est de faire prendre conscience aux gens que, même si ça paraît un truc exceptionnel, dramatique et rare, c'est plutôt commun comme type d'agression".

Alors que le procès de l'ex-chirurgien Joël Le Scouarnec a remis la lumière sur la pédocriminalité en France, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles (Ciivise) estime que près de 160.000 mineurs en sont victimes chaque année.

Plongé dans les univers virtuels depuis son enfance, Christophe Galati souligne que, "en tant que victime, les jeux vidéo m'ont beaucoup apporté en grandissant".

Sans eux, "je ne pense pas que je serais vivant aujourd'hui", confie-t-il. "C'est ma manière de remercier ce média, m'en servir pour aider les gens".

- "Soulever des questions" -

Si, depuis les années 2000, plusieurs jeux développés par des studios plus importants ont évoqué les crimes de guerre ("Spec Ops: The Line") ou la survie des civils ("This war of mine", inspiré du siège de Sarajevo), c'est plutôt du côté de la scène indépendante que les auteurs explorent des thèmes liés à l'intime.

De nombreuses créations ont par exemple exploré le deuil, que ce soit celui d'une compagne ("Lie in my Heart") ou d'un enfant ("That Dragon, Cancer"), ou encore la transidentité ("A normal Lost Phone").

"Ce n'est pas forcément l'image que les gens ont du jeu vidéo", reconnait Pierre Corbinais. "Mais on peut faire des choses très matures, très fines", poursuit celui qui a raconté le périple d'une migrante syrienne dans le jeu "Enterre-moi, Mon Amour" en 2017, déjà avec Arte.

Avec "Wednesdays", il souhaite avant tout "soulever des questions" chez les gens qui n'ont jamais été confrontés à l'inceste.

A l'image de cette scène où, lorsqu'un proche apprend que le personnage principal en a été victime, une multitude de questions apparaissent à l'écran. Libre au joueur de les poser une à une pour connaitre les détails de l'agression ou de les ignorer.

"J'espère que ce jeu va permettre d'ouvrir la parole sur le sujet", affirme son auteur, qui souhaite enclencher "le début d'une conversation" chez ceux qui parcourront cette histoire de deux heures.

Développé avec le studio The Pixel Hunt et une demi-douzaine de personnes, "Wednesdays" rejoint la vingtaine de jeux vidéo d'auteurs coproduits par la chaîne franco-allemande depuis plus de 10 ans.

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