Un observatoire de guerre a accusé mardi l'armée d'avoir mené une frappe contre le marché d'une ville tenue par les rebelles au Darfour-Nord, dans l'ouest du Soudan, qui pourrait s'avérer comme l'une des plus meurtrières de la guerre qui dure depuis deux ans.
Le groupe Emergency Lawyers, composé d'avocats bénévoles, ainsi que les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont déclaré que l'attaque avait fait des centaines de morts.
"Nous avons compté 270 corps enterrés et 380 blessés", a déclaré à l'AFP un habitant de la région de Tora et un autre habitant a confirmé ce bilan. Ces deux témoins ont refusé d'être identifiés pour des raisons de sécurité.
Selon le collectif d'avocats pro-démocratie, qui documente les violations des droits humains depuis le début de la guerre en avril 2023, "les avions de l'armée soudanaise ont perpétré un horrible massacre en frappant aveuglément le marché de Tora, au Darfour-Nord, tuant des centaines de civils et en blessant grièvement des dizaines ".
Les paramilitaires ont également imputé à l'armée la responsabilité du "massacre" survenu lundi, quelques jours après la reprise par l'armée du palais présidentiel de Khartoum.
L'AFP n'était pas en mesure de vérifier les chiffres avancés par le collectif, ni de joindre les médecins sur place en raison d'une coupure des communications au Darfour.
L'armée n'a pas confirmé explicitement cette frappe mais a démenti viser des civils.
Interrogé par l'AFP, son porte-parole Nabil Abdallah a dénoncé des "accusations mensongères".
"Nous veillons dans les frappes aériennes à respecter les règles d'engagement conformément au droit international et nous ne pouvons en aucun cas viser des civils innocents", a-t-il déclaré.
Une association de défense des droits humains, la Coordination générale des camps de déplacés et de réfugiés du Darfour, a cependant déclaré que le "bombardement délibéré" du marché par l'armée constituait un "crime contre l'humanité".
"Il est profondément regrettable que certains justifient le meurtre d'innocents sous prétexte de la présence de l'une des parties au conflit", a-t-elle ajouté.
Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux, que l'AFP n'a pas été en mesure de vérifier, laissent apercevoir des corps carbonisés et des piles de débris fumantes.
En deux ans, la guerre entre l'armée et les FSR a fait des dizaines de milliers de morts, déraciné plus de 12 millions de personnes et provoqué une crise humanitaire majeure. En raison d'un effondrement presque total du système de santé au Soudan, il est difficile de confirmer les bilans.
- La bataille du Darfour -
L'ancien envoyé spécial des Etats-Unis au Soudan, Tom Perriello, avait déclaré en mai 2024 que selon certaines estimations, la guerre aurait fait à cette date 150.000 morts.
En décembre, le groupe d'avocats avait signalé une frappe similaire de l'armée sur un marché de l'Etat du Darfour-Nord ayant tué plus de 100 personnes.
Les Nations unies ont par la suite confirmé un bilan "d'au moins 80" morts.
La vaste région du Darfour a été le théâtre de certaines des pires atrocités de la guerre, notamment des bombardements avec des barils explosifs sur des zones civiles, des attaques des paramilitaires sur des camps de déplacés touchés par la famine ainsi qu'une violence ethnique généralisée.
L'armée conserve sa prédominance dans les airs grâce à son aviation, qui frappe régulièrement les positions des paramilitaires.
El-Facher, la capitale du Darfour-Nord, située à 40 kilomètres au sud de Tora, est la seule capitale provinciale que les FSR n'ont pas conquise, malgré le siège de la ville depuis dix mois et les attaques régulières contre les camps de déplacés qui l'entourent.
Selon les analystes, la stratégie des paramilitaires pourrait consister à maintenir l'armée occupée à Khartoum tout en s'efforçant de consolider leur emprise sur le Darfour.
Vendredi, l'armée a repris le palais présidentiel à Khartoum et a depuis lancé une "opération de nettoyage" visant à chasser les combattants des FSR des principales institutions du centre de la capitale.
Depuis le début de la guerre, les deux belligérants sont accusés de crimes de guerre contre les civils, notamment les bombardements aveugles de marchés et de quartiers habités.