« Avez-vous entendu parler de justice transitionnelle ? », « Savez-vous quelles sont les violations concernées par la justice transitionnelle ? », « Qu’attendez-vous de la justice transitionnelle ? », « Avez-vous entendu parler de l’Instance Vérité et Dignité ? », « Faites-vous confiance à l’IVD ? », « Pensez-vous qu’il soit nécessaire de dévoiler la vérité sur les violations commises par le passé ? », « Les chambres spécialisées seront-elles capables de traiter les violations des droits de l’homme commises par le passé ? »…
Voilà un échantillon des questions d’une étude quantitative qui vient d’être rendue publique par l’Instance Vérité et Dignité sur « La perception des Tunisiens de la justice transitionnelle ». L’étude a été commanditée au mois de mars dernier par le bureau de Tunis du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui soutient depuis l’année 2011 le processus de justice transitionnelle en Tunisie, à l’Institut indépendant de sondage et de traitement de l’information statistique (ISTIS). Parmi les objectifs assignés à cette étude : sonder directement les Tunisiens sur ce que signifie pour eux ce concept nouveau de justice réparatrice et recueillir des informations sur leurs attentes quant aux procédures judiciaires et aux réformes des institutions accompagnant la justice transitionnelle. L’analyse et le traitement des données de l’enquête qui a ciblé 3547 individus des deux sexes couvrant toute la République permettront, selon le rapport de l’étude, de renforcer ou de réorienter les futures stratégies d’intervention de l’IVD, de mieux accompagner les victimes auprès des différents mécanismes de prise en charge qui leur sont destinés et d’impliquer encore plus les organisations de la société civile dans le processus en cours.
Pour Anouar Moalla, responsable de la cellule d’information et de communication à l’IVD, les résultats de l’enquête d’ISITIS, expriment tout le paradoxe du contexte tunisien : « Nous assistons à une réelle fracture entre une tranche de l’élite qui nous diabolise et une majorité silencieuse globalement satisfaite du travail de la commission vérité et de l’évolution de la justice transitionnelle ».
Tourner la page mais en dévoilant les abus auparavant
L’étude révèle que 65, 6% de la population interviewée a entendu parler de justice transitionnelle, particulièrement par le biais de la télévision. 78, 5% de cette catégorie, qui a pris connaissance du processus, estime que la JT est « une nécessité pour la Tunisie », notamment pour « garantir la transition vers un Etat de droit ». Si le rythme d’avancement du processus est jugé à 63,8% lent, les personnes enquêtées attendent de la justice réparatrice qu’elle dévoile la vérité (76,8%), qu’elle installe le principe de la redevabilité (44%), qu’elle apporte des indemnisations morales et matérielles aux victimes (36,3%), qu’elle réconcilie les Tunisiens (34%). D’autre part 86,3% des interviewés souhaitent que des poursuites judiciaires soient appliquées contre les personnes qui ont commis des violations des droits de l’homme pendant la dictature, 9,7% vont jusqu'à désirer les…déchoir de leurs droits civiques et seulement 8,8 % préfèrent les amnistier. Si 62% des personnes ont entendu parler de l’Instance Vérité et Dignité, que 67,2 % lui font confiance, 48,6% avancent que la principale mission de la commission vérité consiste à « rechercher la vérité sur les violations passées et sur la corruption ». Encore une donnée, qui démontre à quel point les Tunisiens sondés ici veulent en finir avec le système totalitaire basé sur le clientélisme : 97,3% des enquêtés estiment que la lutte contre la corruption doit être l’un des objectifs prioritaires des réformes institutionnelles.
La présentation de l’étude d’ISITIS intervient à un moment crucial où l’IVD subit des pressions politiques. Les plus graves depuis sa création en juin 2014. Le projet de « loi sur la réconciliation nationale » proposé dernièrement à l’Assemblée des représentants du peuple par le président de la Républiques Béji Caied Essebsi destitue l’Instance de sa fonction d’arbitrage dans les affaires financières et promet d’arrêter les poursuites et les procès contre les hommes d’affaire et les fonctionnaires publics soupçonnés de corruptio