Au Soudan, la guerre prive les morts de cimetière

Devant sa maison criblée de balles dans la région de Khartoum ravagée par la guerre, le Soudanais Jamil Nasr Ajib Marjane prie, les mains vers le ciel, face à un monticule de terre qui recouvre la dépouille de sa mère.

"Nous n'avons pas pu nous rendre au cimetière pour l'enterrer", confie cet habitant d'Omdourman, ville voisine de Khartoum, les yeux rougis par la fatigue.

Lorsque sa mère est décédée en mars 2024, la capitale soudanaise et sa région étaient devenues un champ de bataille entre l'armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), en guerre alors depuis environ un an.

Les routes étaient obstruées par des gravats et des tireurs embusqués se cachaient sur les toits.

M. Marjane n'avait donc pas le choix. "Nous avons été contraints de l'inhumer devant notre porte", déclare-t-il à l'AFP. Une simple planche de bois fait office de pierre tombale.

A Khartoum, il est devenu quasiment impossible d'enterrer ses proches dans les cimetières depuis qu'a éclaté la guerre en avril 2023 entre l'armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane et les FSR du général Mohamed Hamdane Daglo.

Les rues, autrefois animées dès les premières heures du jour avec ses marchés et ses vendeurs de thé, sont désormais bordées de tombes de fortune.

Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts, déplacé plus de 12 millions de personnes et provoqué une crise humanitaire majeure.

Dans la capitale, plus de 60.000 personnes sont mortes au cours des 14 premiers mois de la guerre, selon un rapport du groupe de recherche sur le Soudan de la London School of Hygiene and Tropical Medicine.

- Rues et terrains vagues -

Sans accès garantis vers les cimetières, les familles ont été contraintes de creuser des tombes là où elles pouvaient: dans les jardins, les rues et les terrains vagues.

Dans un quartier d'Omdourman, un terrain de football sert désormais de nécropole.

En guise de stèles, ce sont des planches, des morceaux de métal ou de simples tableaux noirs sur lesquels sont écrits les noms des défunts.

"Il n'est pas rare aujourd'hui de découvrir une tombe fraîchement creusée dans la rue", déclare Mohammad Al-Samani, un fossoyeur bénévole, qui dit avoir aussi vu "des corps en décomposition dans les rues".

Selon lui, "même les morts déjà enterrés n'étaient pas à l'abri de la guerre", évoquant des obus qui ont touché un cimetière.

Souvent, des gens n'ont pu aller enterrer des proches dans des cimetières car les quartiers qu'ils devaient traverser étaient contrôlés par des paramilitaires.

"Nous avons essayé à plusieurs reprises d'aller dans des cimetières mais les FSR nous ont battus, nous empêchant d'avancer. Nous avons dû rentrer chez nous avec les cercueils," ajoute M. Samani.

L'armée et les paramilitaires sont accusés d'avoir perpétré des crimes de guerre, notamment d'avoir bombardé délibérément des zones habitées et des établissements médicaux.

Les FSR ont, en particulier, été accusées de nettoyage ethnique, de violences sexuelles systématiques et d'autres graves violations des droits humains.

Presque deux ans après le début du conflit, l'armée semble en passe de contrôler l'ensemble de Khartoum. Elle a annoncé mercredi avoir repris l'aéroport après avoir chassé les paramilitaires de la plus grande partie de la capitale.

Mais loin de s'avouer vaincues, les FSR poursuivent leurs attaques contre des quartiers habités, tout en maintenant leur emprise dans plusieurs régions éloignées de la capitale.

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