Procès Correa : par peur ou avec zèle ?

L'ouverture du procès de Michael Sang Correa semble clarifier l'affaire : l'ancien sbire gambien ne nie pas les tortures auxquelles il a participé ; il dit qu'il y a été contraint. L'accusation soutient au contraire qu'il avait le choix et y a participé de son plein gré.

Procès de Michael Sang Correa aux États-Unis pour des crimes commis en Gambie. Illustration : Correa comparait devant le tribunal entouré des différents protagonistes de son procès.
Au procès du Gambien Michael Sang Correa, à Denver, dans le Colorado (États-Unis). Illustration : © Robyn Cochran-Ragland / CJA
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« L'accusé n'est pas jugé pour avoir arrêté des gens. Il est jugé pour la façon dont lui et d'autres Junglers les ont traités, torturés. Les gens ont le choix. Les Junglers avaient le choix. L'accusé est jugé pour les choix qu'il a faits », déclare la procureure Marie Zisa au jury, le 8 avril.

Les auditions des témoins dans le procès de Michael Sang Correa pour torture et complicité de torture ont commencé mardi à Denver, aux États-Unis, après une journée consacrée à la sélection du jury. Correa est poursuivi en tant qu'ancien « Jungler », un escadron de la mort sous le régime du président gambien Yahya Jammeh (1994-2017). Il est accusé d'avoir torturé plusieurs individus qui auraient participé à une tentative de coup d'État en Gambie en 2006.

Dans la salle d'audience de la juge Christine Aguellor, les avocats de la défense sont assis à gauche de la salle et l'accusation à droite, chacun autour d'une table circulaire. L'équipe de la défense se trouve en face des Gambiens qui se sont rendus à Denver pour assister au procès, y compris des membres de la société civile gambienne. Bien que la majorité d'entre eux, dont une victime présumée qui n'est pas témoin dans ce procès, aient plaidé pour que Correa soit traduit en justice, dans un procès qui se déroule à des milliers de kilomètres de chez eux, ils semblent être les plus proches de l'accusé.

L'accusé, qui a fêté ses 46 ans le jour de l'ouverture de son procès, se dirige vers ses avocats en souriant, élégamment vêtu d'un costume noir avec une chemise blanche en dessous. Méconnaissable pour beaucoup de Gambiens dans la salle, il porte désormais une barbe qui semble avoir été teinte au milieu, des dreadlocks nouées en queue de cheval et les pattes soigneusement rasées.

« Le président Jammeh a ordonné au personnel de ses forces de sécurité, dont les Junglers et la NIA [National Intelligence Agency], de torturer les victimes. La NIA et les Junglers ont accepté de commettre ces actes de torture. En particulier, l'accusé et d'autres ont [amené] ces comploteurs à la NIA », poursuit Zisa. Là, ils ont été interrogés par un panel. « Vous dites ce que le panel veut que vous disiez, ou vous affrontez la colère des Junglers. Les aveux ont ensuite été utilisés contre les victimes. » Selon l'accusation, Correa était un participant volontaire. « Les victimes n'oublieront pas. Les victimes ne l'oublient pas. »

Pour la défense, « contrainte et coercition »

L'argument de la défense est que Correa a commis les crimes parce qu'il craignait pour sa vie et sa sécurité. Elle cherche à établir qu'il a été contraint de participer à la torture de ses victimes. Les avocats de Correa citent Musa Jammeh, Tumbul Tamba et Manlafi Corr comme exemples de Junglers qui étaient proches de Jammeh et qui ont été tués par lui lorsqu'ils ont été soupçonnés de faire partie d'un complot.

« Les Junglers devaient exécuter les ordres de Yahya Jammeh sans poser de questions. [En] 2010, de nombreux Junglers ont été arrêtés, torturés. Et nous voyons où il [Correa] se situe : il était tout en bas. Vous entendrez qu'on leur a ordonné d'aller chez les Junglers. Ce n'était pas un choix », soutient l'avocat de la défense, Jared Westbroek. « Il n'y a pas de complot », dit-il en faisant référence à l'une des accusations portées contre son client. « Vous ne pouvez pas avoir une entente lorsque vous n'avez pas le choix. »

« M. Jammeh sait ce que vous faites et il demande à sa garde nationale de venir vous chercher. Tout le monde sait que c'est ce qui va vous arriver. M. Correa savait ce qui allait lui arriver parce que c'est ce qui est arrivé à d'autres Junglers. En fin de compte, nous vous demanderons de déclarer M. Correa non coupable parce qu'il a été forcé, il était sous la contrainte », déclare Westbroek. Il souligne que l'accusé n'était qu'un simple soldat dans l'armée. « Jammeh était la loi. »

Des Junglers qui ont refusé de torturer

Le major Yahya Darboe, troisième témoin de l'accusation, n'est pas d'accord avec cette explication. Il déclare au tribunal que pendant sa torture, les Junglers Malick Jatta et Bora Colley ont refusé d'y participer et qu'il n'a pas connaissance qu’il leur soit arrivé quelque chose par la suite. Au moment de la tentative de coup d'État de 2006, Darboe était l'adjoint du commandant de la caserne de Yundum, un camp militaire situé près de Banjul, capitale de la Gambie. Il a été approché par le major Wassa Camara au sujet du coup d'État. Le rôle de Darboe était d'obtenir le soutien des soldats de son bataillon et de contrôler l'aéroport.

Après la tentative de coup d'État avortée, il a été arrêté à son domicile et emmené à la prison de Mile 2, le principal et le plus tristement célèbre centre de détention du pays. Darboe se souvient avoir été emmené à la NIA au moins quatre fois, où il a été torturé par les Junglers, ce qui lui a laissé des blessures et des souffrances à vie. A la NIA, Darboe a été frappé à l'œil gauche et des photos des cicatrices laissées par des sacs en plastique fondus sur sa peau sont présentées au tribunal. Même après que des aveux lui aient été extorqués, il n'a pas été épargné par les tortures des Junglers.

Il identifie Correa, Dembo Jarju et Sanna Manjang comme étant les Junglers qui ont le plus participé aux tortures. « Ce sont des gens terribles », déclare-t-il. « Lui [en référence à Correa] était plus agressif. Je ne pouvais pas croire que c'était le Michael Correa que je connaissais auparavant. » (Correa avait travaillé sous ses ordres en 2004, à la caserne de Yundum.)

« Pendant que vous étiez à la NIA, avez-vous vu les Junglers recevoir des ordres ? » demande la procureure Laura Cramer-Babycz. Le témoin répond par l'affirmative, déclarant que Musa Jammeh, le principal officier de protection de Yahya Jammeh, leur donnait des ordres.

Une charge en moins

Le procès a cependant commencé avec un réconfort pour la défense. Le premier jour, le tribunal a écarté l'une des charges portées contre Correa parce que Bunja Darboe, l'un des témoins cités dans l'acte d'accusation, ne sera pas disponible pour témoigner. Au moment du coup d'État de 2006, le lieutenant-colonel Darboe était l'assistant militaire de Ndure Cham, alors chef d'état-major et instigateur du coup d'État. Après avoir été atrocement torturé par les Junglers – dont Correa, selon ses dires – il a été contraint de lire une fausse déclaration à la télévision nationale, dans laquelle il s'impliquait dans le coup d'État.

Darboe a témoigné lors du procès de l'ancien ministre de l'Intérieur gambien Ousman Sonko, qui s'est déroulé en Suisse en 2024. Il a témoigné contre Sonko au sujet de son implication dans sa persécution à la suite du coup d'État de mars 2006. Et c’est un des crimes pour lesquels Sonko a été condamné. Mais selon les autorités gambiennes, Darboe, qui est toujours en service actif dans l'armée, ne pourra pas comparaître au procès de Correa car il a été déployé dans un autre pays. En conséquence, cette accusation spécifique de torture a été rejetée par le tribunal.

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