Dans le procès du Gambien Michael Sang Correa qui se tient à Denver, aux États-Unis, l’accusation a commencé à diffuser, ce jeudi 10 avril 2025, l’enregistrement audio d’un entretien avec des agents fédéraux peu de temps après son arrestation et sa mise en détention. Dans cet enregistrement, Correa admet avoir fait partie des Junglers - une équipe de tueurs opérant sous l’autorité de l’ancien président de la Gambie, Yahya Jammeh - et avoir participé à des arrestations après le coup d’État manqué de mars 2006.
« Je suis désolé... si je pouvais revenir en arrière... je suis désolé. Ai-je pris du plaisir à cela ? C’est malheureux. Y aurais-je mis fin si j’en avais eu le pouvoir ? Oui, je l’aurais fait. Ai-je vu certains de mes collègues torturer des gens ? Oui. Mais je n’y ai jamais participé. Ai-je tué des gens ? Jamais », a déclaré l’accusé, en bégayant, à des agents fédéraux américains en septembre 2019.
Bien que sa défense affirme aujourd’hui que Correa a été contraint et forcé de participer à des actes de torture présumés, il niait alors, dans l’enregistrement audio, avoir participé à des actes de torture. Il a expliqué que son rôle consistait uniquement à arrêter les suspects et à les emmener à l’Agence nationale de renseignement (NIA). C’était son seul travail, a-t-il répété.
Correa est venu aux États-Unis en septembre 2016, pour assister à une réunion de l’Assemblée générale des Nations unies en tant que garde du corps de l’ancienne vice-présidente gambienne Isatou Njie Saidy. Les tampons apposés sur son passeport montrent que l’accusé est entré aux États-Unis avec son visa diplomatique en septembre et en décembre 2016. Jammeh avait perdu les élections le 1er décembre et selon Correa, des amis l’ont appelé pour l’en informer et lui ont déconseillé de retourner en Gambie.
« Yahya Jammeh a perdu. J’ai craint d’aller en prison pour des choses que je n’avais pas faites. C’est pourquoi j’ai décidé de rester dans le pays », a-t-il déclaré aux agents fédéraux. Au cours des années qui ont suivi, la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) de la Gambie avait cependant estimé que Correa serait responsable d’au moins 11 meurtres.
Comment Correa a été retrouvé
Mercredi 9 avril dernier, l’agent spécial Mathew Gifford du Homeland Security Investigations (HSI) a témoigné devant le tribunal de Denver sur la façon dont les États-Unis ont pu retrouver la trace de Correa, ce qui a conduit à son arrestation en septembre 2019.
Le bureau de Gifford se trouve à Dakar, et la Gambie est l’un des pays relevant de ses « zones de compétence ». Il a expliqué au tribunal qu’ils savaient que Correa avait dépassé la durée de validité de son visa aux États-Unis, mais qu’ils ne savaient pas où il vivait. Présumant qu’il enverrait de l’argent dans son pays d’origine, Gifford a expliqué qu’ils avaient retrouvé sa trace par l’intermédiaire de Western Union.
L’agent spécial à la retraite Barton Garrison, qui a enquêté sur lui et qui a procédé à son arrestation, a témoigné le lendemain, 10 avril, déclarant à la cour qu’ils avaient par ailleurs découvert que Correa et sa femme avaient divorcé et que « le numéro de téléphone utilisé par sa femme sur les papiers du divorce correspondait au numéro utilisé par Correa pour ses virements Western Union ».
Les autorités américaines ont continué à le surveiller et l’ont finalement arrêté le 17 septembre 2019 devant son appartement du Colorado. Garrison a déclaré au tribunal qu’une ordonnance d’expulsion des États-Unis avait été rendue à l’encontre de l’accusé et qu’il [Correa] s’y opposait devant le tribunal. Le témoin a ajouté qu’il suivait de près ce procès pour voir comment il pourrait affecter leurs enquêtes. Si Correa avait été expulsé, les États-Unis n’auraient plus été compétents pour l’inculper et le juger.
Lors de la procédure relative à son statut d’immigrant, Correa a déclaré qu’il n’avait pas fui les poursuites, mais qu’il était en vacances pour rendre visite à son frère vivant dans le Tennessee, qu’il n’avait pas vu depuis de nombreuses années, et qu’il avait l’intention de repartir dans son pays par la suite. « Mais le gouvernement qui est arrivé [en Gambie] a commencé à s’en prendre à d’autres. C’est pourquoi j’ai décidé de rester. »
Refuser les ordres de Jammeh
« Michael Correa me battait également. Lorsque son bâton était cassé et qu’il ne pouvait plus me battre, il faisait des gestes à ses camarades. Qu’ils me battent et qu’ils me tuent. Il était très agressif. Il n’était pas dans le compromis », a déclaré Pharing Sanyang, aujourd’hui retraité de l’armée gambienne, devant le tribunal de Denver, où Correa est jugé pour torture.
Le jour du coup d’État manqué, Sanyang a été arrêté du fait qu’il avait précédemment rencontré Ndure Cham, chef d’état-major de l’époque et fer de lance du coup d’État. Le témoin a déclaré qu’il n’était pas d’accord avec le coup d’État et qu’il avait obtenu l’autorisation formelle de rencontrer l’ancien chef d’état-major, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’une réunion secrète. Interrogé sur la façon dont il a reconnu l’accusé qui, selon son récit, portait un masque au moment où il le torturait, il a répondu qu’il le reconnaissait à sa démarche. « Lorsqu’il parle, il bégaie un peu », a-t-il ajouté.
- Le gouvernement Jammeh vous a-t-il déjà demandé de commettre un acte de violence ?, l’interroge le procureur américain.
- Oui, en 2006. Pour assassiner Deyda Hydara. Ajoutant qu’il avait refusé l’ordre et suggéré que si Hydara, un journaliste chevronné, avait fait quelque chose de mal, il devait être traduit en justice.
- Que s’est-il passé lorsque vous avez refusé les ordres du président Jammeh ?
Sanyang répond que la question lui a été soumise une nouvelle fois, mais qu’il a refusé et qu’il a fini par figurer sur la « liste des personnes à assassiner ».
- On ne s’opposait pas ouvertement à lui, mais si on ne se sentait pas en sécurité, on pouvait quitter le pays, ajoute Sanyang.
- Si vous avez peur, vous devez quitter le pays. C’est bien ce que vous avez dit ?, relance l’accusation.
- Oui, c’est ce que j’ai dit.
- Et vous avez laissé votre famille derrière vous ?
- Oui.
S’échapper au Sénégal
Plusieurs témoins de l’accusation ont expliqué au jury comment, lorsque les gens craignaient pour leur vie en Gambie, notamment pour n’avoir pas suivi les ordres du président Jammeh, ils pouvaient s’enfuir au Sénégal - où il ne pouvait pas leur faire de mal.
Le lieutenant-colonel Sainey Bayo a évoqué devant la Cour le cas de la fuite du major Kalipha Bajinka, un soldat aujourd’hui décédé, qui avait été commandant des gardes de l’État. Il était tombé en disgrâce auprès de l’ancien président et avait fui la Gambie. Bayo lui-même a été détenu à la prison Mile 2 et emmené à la NIA où il a été torturé. Bien que sa déposition ait été recueillie, il n’a pas été poursuivi, contrairement à d’autres.
L’avocat de la défense de Correa, Mathew Belcher, a indiqué au témoin qu’au moins le frère du commandant Bajinka avait été arrêté après son évasion. Bayo a déclaré qu’il savait que Bajinka avait été libéré, mais qu’il ne savait pas quand.
Mendy, la victime absente
L’une des victimes du procès américain, Pierre Mendy, n’est pas présente pour affronter Correa au tribunal. Il est aujourd’hui décédé. Mendy était commandant de la caserne de Fajara. Dans son témoignage devant la TRRC, il a déclaré qu’un soldat, Alpha Bah, lui avait parlé du coup d’État, mais qu’il ne l’avait pas pris au sérieux. Mais cette conversation a fait qu’il a été torturé, interrogé et emprisonné.
Après la torture de Mendy à la NIA, à laquelle Correa est accusé d’avoir participé, le témoin Yahya Darboe a déclaré à la Cour de Denver qu’il a accompagné Mendy aux toilettes et qu’il a observé ses blessures, ajoutant qu’il semblait beaucoup souffrir.
Lors de son témoignage devant la TRRC, Mendy a décrit le 10 avril 2006 comme étant le pire. « C’était violent comme la lumière du jour. Comme lorsqu’un soudeur soude un fer à repasser, c’était comme cela, il y avait des étincelles. » Il a expliqué à la Commission qu’un sac en plastique recouvrait sa tête et qu’il avait été électrocuté à quatre reprises.
« Ils se sont occupés de moi et m’ont laissé. J’ai vu Pierre se faire battre », a expliqué un témoin, Sainey Bayo, au tribunal de Denver. « Il était menotté, les mains derrière le dos. Ils lui ont versé de l’eau sur la tête, il a levé la tête. C’est à ce moment-là que j’ai su qu’il s’agissait de Pierre. Il y avait aussi ses cris ».
Demba Dem était député du parti de l’ancien président Jammeh. Il a été arrêté en pleine Assemblée nationale pour son implication présumée dans la tentative de coup d’État de 2006. Demba Dem a par la suite passé un an et trois mois à la prison Mile 2.
Il est lui aussi venu expliquer à la Cour américaine qu’il avait été témoin de la torture de Mendy et de la présence de Correa. Correa lui-même, lors de son entretien avec les agents fédéraux, a admis avoir vu Mendy et Darboe se faire torturer.
Le procès s’est terminé plus tôt que prévu hier lundi 14 avril, devant le tribunal de Denver, la défense n’ayant appelé aucun témoin et l’accusé ayant décidé de ne pas témoigner. Le jury est entré en délibéré et pourrait prononcer son verdict sans tarder.