Au cours des dernières semaines, les juges ont demandé aux parties, au Fonds au profit des victimes et à des ONG de donner leur avis sur les critères d’attribution financière et sur la procédure à suivre. Les juges devraient rendre leur décision dans les prochaines semaines et déterminer qui doit payer ces réparations, qui en seront les bénéficiaires et quelle sera leur nature.
Le Fonds au profit des victimes invite les juges à décider des réparations dans un objectif de réconciliation. « La prévention des crimes ne requiert pas seulement la punition de l’auteur », estime ainsi Pieter de Baan, directeur exécutif du Fonds. « Cela demande une paix durable, basée sur la guérison des victimes et la réconciliation ».
Qui est victime?
Dans un document écrit, le procureur propose que « toutes les victimes des attaques perpétrées par l’UPC, [Union des patriotes congolais, dirigée par M. Lubanga], en particulier, les membres ciblés des communautés Lendu », soient considérées comme victimes.
Mais pour maître Catherine Mabille, la condamnation de Thomas Lubanga « ne saurait justifier que lui soient reprochées toutes les souffrances de l’Ituri. » L’avocate du condamné estime que seules les victimes des faits attribués directement à Thomas Lubanga, commis entre 2002 et août 2003, ont droit à des réparations. Elle demande que les victimes fournissent des indications détaillées sur leur identité et les lieux des crimes, pour pouvoir mener ses propres enquêtes et vérifier le lien entre les préjudices subis et les exactions dont M. Lubanga a été reconnu coupable.
Représentants d’ex enfants soldats, maître Luc Walleyn et Franck Mulenda, préviennent les juges du risque d’attribuer des réparations aux seuls Héma, ethnie de l’accusé et de leurs clients. Les anciens enfants soldats « qui participent à la présente procédure sont souvent en conflit avec leur propre communauté », avancent-ils. « Si cette communauté a objectivement souffert de l’enrôlement de sa jeunesse dans une milice et de l’utilisation de ses enfants dans des hostilités, elle a aussi en grande partie accepté ces comportements et soutenu les dirigeants qui les pratiquaient. » Dès lors, ils concluent qu’ « une réparation dont bénéficierait la communauté Hema dans son ensemble n’aurait pas de sens, et pourrait être sentie comme injuste par d’autres communautés. »
Qui doit payer ?
Pour le procureur, la chambre devrait « ordonner à M. Lubanga de payer une somme symbolique à chacune des victimes identifiées ». Le reste des réparations devrait être à la charge du Fonds au profit des victimes, estime-t-il.
Mais pour maîtres Walleyn et Mulenda, même si Thomas Lubanga a été déclaré indigent par le Greffe, «l’obligation de réparer le préjudice d’un crime commis incombe avant tout à la personne déclarée coupable ». Ils ajoutent que ce principe « peut avoir une importance psychologique, et constitue en soi une reconnaissance du préjudice occasionné ». Ils estiment que le condamné peut acquérir des revenus en prison, dont au moins une partie doit servir aux réparations et qu’une fois purgée sa peine, il doit être tenu d’y consacrer une partie de ses revenus. Les deux avocats proposent que le Fonds pour les victimes avance la somme due à Thomas Lubanga, qui sera ensuite tenu de la rembourser.
Maître Catherine Mabille prévient cependant qu’ « ordonner le versement de sommes exorbitantes sans commune mesure avec les préjudices effectivement démontrés revêtirait un caractère punitif manifestement incompatible avec l’objectif poursuivi par la réparation ».
Quel type de réparations ?
Maître Walleyn et Mulenda, qui ont interrogé des enfants, expliquent que les victimes demandent des mesures leur permettant de trouver du travail, comme l’accès au micro-crédit, la possibilité de faire des études, ou l’embauche dans une entreprise. Entre autres propositions, les avocats affirment que « la création d’un mémorial pour commémorer les enfants décédés dans les combats et pour dénoncer l’horreur du recrutement d’enfants, est également bien accueillie par les victimes ».
Représentants d’autres victimes, maître Carine Bapita et Paul Kabongo Tshibangu estiment que concernant les filles enrôlées et victimes de viols, il faudrait « appliquer leurs coutumes en remettant aux familles les biens exigés lors de la remise des dots, notamment la remise de 7 chèvres et 3 vaches qui peuvent constituer une compensation en cheptel dans la famille de la fille violée. » Les deux avocats congolais estiment que « respecter cette coutume (…) laverait l’affront qu’ont vécu la fille et sa famille».
SM/ER/GF