Le Gambien Michael Sang Correa, ancien membre des Junglers - un commando de l’ex-président Yahya Jammeh - a écouté en silence la lecture de son verdict, le mardi 15 avril 2025, devant le tribunal de district des États-Unis à Denver, au Colorado. Correa était accusé de torture et de conspiration en vue de commettre des actes de torture sur au moins cinq compatriotes - Tamsir Jasseh, Pharing Sanyang, Demba Dem, Pierre Mendy (aujourd’hui décédé) et Yahya Darboe. Correa avait plaidé non coupable de tous les chefs d’accusation, et sa défense a fait valoir qu’il avait été contraint et forcé.
« Michael Sang Correa a commis une grave erreur en venant au Colorado. Il pensait pouvoir échapper à l’obligation de rendre des comptes pour les actes de torture ignobles qu’il a commis en Gambie, en tant que membre d’une organisation militaire connue sous le nom de Junglers, afin de contraindre les ennemis du président Jammeh de l’époque à avouer des actes de trahison. Il pensait que ses crimes contre ses compatriotes gambiens seraient oubliés. Mais le Colorado n’est pas un refuge pour les tortionnaires, ni pour les sadiques. Et ce n’est pas non plus un refuge pour ceux qui fuient la justice », a déclaré J. Bishop Grewell, procureur américain par intérim pour le district du Colorado, lors d’un point de presse organisé après le verdict.
« C’était le jour de Michael »
L’émotion était palpable. La plupart des victimes de Correa qui sont venues témoigner et qui étaient présentes dans le tribunal américain ont fondu en larmes à l’annonce du verdict.
« Pendant des années, les survivants du régime brutal de Yahya Jammeh se sont battus pour être vus, entendus et pour que leurs souffrances soient reconnues. Le verdict d’aujourd’hui n’est pas seulement une victoire juridique, c’est une puissante affirmation de la vérité. C’est un moment à la fois doux et amer, mais le long chemin vers la justice a finalement rattrapé Michael Correa », a déclaré à Justice Info Isatou Jammeh, une victime de kidnapping et membre de la société civile gambienne qui s’est rendue à Denver pour assister au procès.
« Jammeh et les siens sont démasqués l’un après l’autre. Ce qui s’est passé aujourd’hui en Amérique a été vu par le monde entier. C’est une victoire pour toutes les victimes. Lorsque je l’ai vu au tribunal aujourd’hui, j'étais très émue, et je remercie Dieu. Toute personne impliquée dans ces crimes doit se tenir prête. C’était le jour de Michael. Mais ce sera leur tour, l’un après l’autre », a déclaré Ya Mamie Ceesay, la mère de Alhagie Mamut Ceesay qui était venue des États-Unis à Banjul en 2006 pour affaires et qui a disparu entre les mains des Junglers.
« Les Gambiens avaient le choix »
« Vous avez entendu beaucoup de Gambiens qui ont fait des choix sous le régime de Jammeh. Ils vous ont expliqué qu’ils avaient leur libre arbitre et qu’ils étaient guidés par leur conscience. L’accusé avait les mêmes possibilités de choix. Il est rentré chez lui tous les soirs mais il n’a jamais fui [la Gambie] », a déclaré la procureure américaine Melissa Hindman lors de sa plaidoirie finale, ce lundi 14 avril.
Elle a reconnu que la peur était généralisée en Gambie sous le régime de Jammeh. Mais pour elle, cela ne peut pas servir d’excuse. « La contrainte est différente », a-t-elle déclaré. En fin de compte, a-t-elle ajouté, il s’agit de savoir pourquoi l’accusé a fait ce qu’il a fait. « Y avait-il une menace imminente ou était-il heureux d’avoir le pouvoir ? Chaque fois que Correa a fait ce qu’il a fait, a souligné Hindman, « il n’y avait pas de menace ».
« Il leur a mis un sac sur la tête et ils ont été battus par d’autres Junglers. Il est responsable de ces actes. Hindman a en outre noté que les preuves montraient que Correa jouissait du pouvoir qu’il avait sur certains officiers comme Yahya Darboe et Pharing Sanyang. « Ce n’est pas ainsi que l’on agit quand on ne fait que ce que l’on est censé faire. L’accusé savait ce que signifiait être un Jungler. Il avait d’autres options. Il aurait pu partir comme l’ont fait d’autres Junglers, mais il a choisi de rester ».
« Obéir ou mourir »
L’avocat de la défense, Matthew Belcher, lors de sa déclaration finale ce lundi 14 avril, a rétorqué qu’au contraire tous les témoins avaient insisté sur le climat de peur qui régnait en Gambie et que personne n’était à l’abri de Jammeh, même si l’on fuyait le pays.
Il a développé le témoignage de Sainey Bayo : « Il [Bayo] vous a dit que vous deviez être prudent en présence du président Jammeh. Pourquoi ? Parce qu’il a dit que vous pouviez mourir rapidement. Pharing Sanyang a déclaré l’avoir vu [Jammeh] se rendre à la NIA pour s’assurer que ses ordres étaient respectés. Tamsir Jasseh nous a dit qu’il [Jammeh] était avec ses agents au téléphone ». Il a ajouté que d’autres témoins, comme Alieu Jobe, ont déclaré qu’il n’avait pas fui le pays parce qu’il avait peur que Jammeh élimine sa famille.
Darboe, Bayo et Sanyang (aujourd’hui retraité de l’armée) étaient tous militaires. Alieu Jobe était l’ancien comptable général que Ndure Cham, chef d’état-major de la défense qui a mené le coup d’État de 2006 contre Jammeh, avait pressenti pour diriger le gouvernement civil si le coup d’État réussissait. Jasseh était à l’époque directeur de l’immigration. Lorsque le coup d’État a échoué, ils ont été arrêtés, torturés par les Junglers et contraints d’avouer qu’ils faisaient partie du complot. À l’exception de Bayo, ils ont tous été poursuivis et envoyés à la prison Mile 2.
« Michael Correa a dû suivre les ordres du président Jammeh sans poser de questions », a poursuivi Me Belcher à l’attention du jury. « En 2006, votre statut n’avait aucune importance, Mesdames et Messieurs. Lorsque le président Jammeh vous soupçonnait, il faisait pleuvoir l’enfer sur vous. Ce n’était pas hypothétique. C’était réel. Le procureur a beau jeu de venir nous dire, de sa position bien assise ici, aux États-Unis, dans ce lieu de privilège, ‘j’aurais pu partir’ ».
Il a ajouté que le procureur du gouvernement américain n’avait présenté aucune preuve montrant que Correa avait les moyens financiers de quitter la Gambie. « Il y avait une menace imminente, réelle et violente. Correa ne pouvait pas refuser et échapper à la menace. Il n’avait qu’une seule option : obtempérer ou mourir ».

« Il n’a pas été menacé »
« Vous avez entendu des témoignages selon lesquelles il y avait une peur générale et que les Junglers n’étaient pas immunisés contre cela. Ce que ses témoignages ne précisent pas, c’est si l’accusé était bien sous la contrainte lorsqu’il torturait ces personnes. C’est à vous [la défense] d’en juger », a rétorqué le procureur Hindman.
« Ce que vous n’avez pas entendu, c’est ce qu’on a dit à l’accusé qu’il lui arriverait s’il ne le faisait pas. Il n’a jamais été menacé », a-t-elle déclaré, ajoutant que si cette menace était suffisante, aucun Jungler ne serait jamais tenu pour responsable. « Il n’y a aucune preuve que la famille de l’accusé ait été menacée. La seule fois où vous avez entendu parler de la famille de l’accusé, c’est qu’il allait voir son ex-femme tous les soirs », a-t-elle ajouté.
Admettre la torture après l’avoir niée
Lundi, l’accusation a poursuivi l’interrogatoire de l’agent spécial à la retraite Barton Garrison et a continué à diffuser l’enregistrement audio de l’audience de Correa devant le tribunal de l’immigration des États-Unis. Lors de ce témoignage, Correa avait déclaré que le premier ordre qu’il a reçu après le coup d’État manqué de mars 2006 était d’arrêter le lieutenant-colonel Vincent Jatta, aujourd’hui décédé, qui était chef d’état-major de l’armée. Il a déclaré à la cour que lui et d’autres Junglers s’étaient rendus au domicile de Jatta, l’avaient arrêté et l’avaient emmené à la National Intelligence Agency (NIA).
Le deuxième ordre, a-t-il déclaré à la cour d’immigration, était de torturer Pierre Mendy. Le lieutenant-colonel Pierre Mendy était le commandant de la caserne de Fajara. Il faisait partie d’un groupe de soldats arrêtés, torturés pour avouer leur participation au coup d’État, puis emprisonnés. Il est décédé en août 2021 avant d’avoir pu raconter son histoire devant ce tribunal. Selon Correa, il était chez lui lorsque Nuha Badjie l’a appelé et lui a demandé de s’habiller et de se rendre à la NIA parce qu’ils avaient des ordres. Correa dit avoir demandé à Badjie ce qu’ils faisaient là, que Badjie lui a dit que certains officiers ne coopéraient pas aux enquêtes et qu’ils étaient là pour leur arracher des aveux.
Selon Correa, il a protesté contre cet ordre, déclarant que ce n’était pas son travail et que cela ne correspondait pas à ses croyances en tant que chrétien. « Vous contestez les ordres du président ? » Correa se souvient que Badjie lui a posé la question. Au cours de ces échanges, ajoute Correa, Tumbul Tamba, qui dirigeait l’opération, a demandé : « Michael, tu as dit quoi ? »
« Michael, fais ce qu’on te dit. C’est un ordre. » C’est selon Correa ce que sa victime, Mendy, lui avait lui-même conseillé. « Il était agenouillé et je lui ai demandé de se pencher, ce qu’il a fait. C’est alors que j’ai commencé à le frapper. C’est alors qu’il a dit oui, je suis au courant pour le coup d’État, et j’ai arrêté ». Dans l’enregistrement, on entend l’accusé pleurer lorsqu’il raconte les tortures infligées à Mendy. « Je n’avais pas le choix. J’étais un simple soldat. Je l’ai frappé plusieurs fois et Pierre a commencé à parler ». Correa a également indiqué que ses supérieurs étaient présents lorsqu’il torturait Mendy.
Un procès de courte durée
Le procès de Correa devait initialement s’ouvrir en septembre 2024, mais il a été reporté après que la défense a déposé une requête pour se rendre en Gambie afin de recueillir les dépositions de l’ancien directeur adjoint de la NIA Momodou Hydara, et de l’ancien Jungler Alieu Jeng.
Mais lorsque l’accusation a clos son dossier le lundi 14 avril, la défense a annoncé qu’elle n’appellerait aucun témoin à la barre, bien qu’elle avait annoncé que certains voulaient se rendre à Denver.
Le procès devait durer deux semaines et le verdict être rendu au moins une semaine plus tard. Mardi 15 avril, le tribunal de Denver a déclaré Correa coupable de tous les chefs d’accusation et indiqué que la peine retenue contre lui serait prononcée « à une date ultérieure ».