Le Rwanda a assuré que les procès seraient conformes aux normes internationales. Une chambre spéciale a été créée au sein de la Haute Cour de Justice de Kigali, pour « entendre les affaires ayant trait aux crimes internationaux » ont indiqué les autorités rwandaises dans un communiqué le 14 février, qui annonçait la nomination de six juges rwandais. La présence dans ce panel d’au moins un juge international, suggérée par Washington dès 2009 et reprise dans les argumentaires de Kigali pour soutenir les demandes de transfert, ne semble elle plus d’actualité.
Ces dernières années, le Rwanda a été lourdement critiqué tant par Human Rights Watch que par Amnesty International pour ses atteintes aux droits de l’homme et le traitement réservé, en particulier, à ses opposants politiques.
Pour Carina Tertsakian, de Human Rights Watch, les réformes judiciaires effectuées au Rwanda ces dernières années ne sont pas que cosmétiques. « Au niveau de la forme, je ne serais pas surprise que les procès se déroulent plutôt bien. Les autorités rwandaises savent qu’ils seront suivis d’assez près. Les réformes ont notamment permis d’améliorer l’efficacité des procédures, de réduire les périodes de détention préventive. Mais notre préoccupation principale reste le manque d’indépendance du corps judiciaire. Il y a toujours pour le pouvoir des possibilités de s’ingérer et il n’hésite pas à le faire, surtout dans les dossiers à caractère politique. »
L’organisation belge Avocats sans frontières (ASF), présente au Rwanda de 1996 à 2012, s’était dans un premier temps fermement opposée aux transferts, du fait notamment de l’existence dans la législation rwandaise d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Mais ASF a révisé sa position: « Au niveau du cadre normatif et du système judiciaire lui-même il y a eu beaucoup d’avancées », estime Chantal van Cutsem, sa coordinatrice stratégique pour la région des Grands lacs. « Après, c’est une question de pratique judiciaire, ajoute-elle. C’est à ce niveau-là que l’on a observé des choses à améliorer, surtout dans les dossiers touchant à la liberté d’expression et aux libertés publiques. Au niveau de la pratique judiciaire, il y a des améliorations à faire au niveau du parquet pour la qualification des faits, et aussi au niveau des avocats qui doivent s'assurer de toutes les garanties du procès équitable, garanties qui ne sont pas toujours accordées par les magistrats. »
TPIR et juridictions nationales
Le transfert de cas vers des juridictions nationales a été autorisé par les Nations unies dès 2003 pour alléger la tâche du TPIR. La résolution 1503 du Conseil de sécurité « priait instamment » le TPIR « d’arrêter une stratégie détaillée […] en vue de déférer devant les juridictions nationales compétentes, y compris au Rwanda, des accusés de rang intermédiaire ou subalterne pour être en mesure d’achever ses enquêtes au plus tard à la fin de 2004».
À la suite de cette résolution, les juges du TPIR avaient amendé le règlement du tribunal afin d’établir des procédures de transfert. Une chambre du TPIR devait décider des cas à transférer, après avoir vérifié « que l’accusé recevrait un procès équitable dans les tribunaux de l’Etat concerné, et que la peine de mort ne pourrait pas être imposée ou exécutée ».
La première tentative de transfert concernait en 2006 l’ancien directeur de la filière thé Michel Bagaragaza, qui avait négocié un accord en ce sens avec le procureur. Mais ni la législation norvégienne ni ensuite celle des Pays-Bas n’étant alors adaptées à un procès pour génocide, il sera finalement jugé au TPIR.
Deux cas ont été transférés en France en 2007 : celui du père Wenceslas Munyeshyaka, l’ancien prêtre de la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali, et celui de l’ex-gouverneur Laurent Bucyibaruta. Tous deux vivent sur le territoire français et leurs procès n’ont pas encore débuté.
En Afrique, seul le Rwanda a exprimé sa volonté de recevoir des dossiers du TPIR. S’adressant au conseil de sécurité en décembre 2006, le procureur Hassan Bubacar Jallow avait expliqué que les autres Etats africains approchés avaient « plaidé contraintes financières et manque de moyens » pour ne pas accepter de transferts.
En 2006, le procureur avait déposé cinq demandes de transfert vers le Rwanda. Cependant, le TPIR avait rejeté l’ensemble des dossiers, au motif que les garanties de procès équitables n’étaient pas remplies, la sécurité de témoins de la défense devant venir de l’étranger étant, en particulier, sujette à caution.
Réformes rwandaises
Par la suite, le Rwanda a modifié sa législation, abolissant la peine de mort et la réclusion criminelle à perpétuité. Le procureur Jallow a donc soumis trois nouvelles affaires à l’appréciation de la chambre en novembre 2010 : celui du détenu du TPIR Jean Uwinkindi et ceux de deux fugitifs. Citant les réformes accomplies au Rwanda, le TPIR a cette fois approuvé, en juin 2011, le transfert du pasteur Uwinkindi. Cette décision a été confirmée en appel en décembre 2011. Uwinkindi a été transféré au Rwanda en avril 2012.
Cette décision a influencé les autorités judiciaires canadiennes qui ont, début 2012, également décidé de remettre à Kigali un autre suspect de génocide, Léon Mugesera, après une bataille de 15 ans contre son extradition.
Le TPIR a toutefois posé comme condition du transfert de suspects vers le Rwanda la mise en place d’un mécanisme de surveillance indépendant, chargé de vérifier que les droits des suspects sont respectés.
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples avait été désignée pour se remplir cette mission, mais aucun accord n’a pu être trouvé avec le TPIR, les négociations butant notamment sur des considérations financières. Tandis que les négociations se poursuivent, le TPIR a désigné en avril deux juristes, censés effectuer ce « monitoring » dans l’intérim. L’efficacité de ce mécanisme de surveillance du TPIR reste à démontrer.
FK/NI/JC/FP/GF