Exode de réfugiés, possible intervention militaire rwandaise: si elle s'embrase, la crise burundaise pourrait avoir de graves conséquences dans la très instable Afrique des Grands Lacs.
Pour les analystes, le risque que dégénèrent les manifestations d'opposition à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza et la répression du mouvement est réel. Et l'une des clés est entre les mains des dirigeants d'une région marquée par les conflits transnationaux.
Massacres interethniques et guerre civile entre Hutu et Tutsi au Burundi, génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, féroces rébellions politico-ethniques et guerres régionales dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) voisine: l'Afrique des Grands Lacs a été traversée ces dernières décennies par plusieurs crises interconnectées qui ont provoqué d'innombrables vagues de réfugiés dont la Tanzanie aussi a accueilli sont lot.
"Compte tenu des interdépendances et interconnexions entre les pouvoirs de la région et entre leurs oppositions, une rechute du Burundi dans la violence accroît le risque d'embrasement régional", notait l'International Crisis Group dans un rapport publié avant le début des manifestations.
Les dirigeants de la Communauté d'Afrique de l'Est (Burundi, Rwanda, Tanzanie, Kenya, Ouganda) se réunissent mercredi à Dar es Salaam pour discuter du dossier. Seront aussi présents le président congolais Joseph Kabila et le vice-président sud-africain Cyril Ramaphosa pour représenter son chef de l'Etat Jacob Zuma, l'un des parrains des accords d'Arusha conclus en 2000 pour clore la longue guerre civile burundaise.
Le Rwandais Paul Kagame, arrivé au pouvoir à la tête d'une rébellion tutsi qui avait mis fin au génocide et qui jusqu'à ces deux dernières années composait avec le pouvoir de Pierre Nkurunziza issu de l'ex-rébellion hutu du Cndd-FDD, a donné un aperçu de la pression qui pourrait être exercée sur celui-ci pour qu'il se retire:
"Si vos propres concitoyens vous disent: +nous ne voulons pas que vous fassiez ça ou que vous nous dirigiez+ (...) Comment pouvez-vous alors dire: +je reste, que vous vouliez de moi ou non+?", a-t-il lancé vendredi.
Pierre Nkurunziza n'est plus fréquentable, "il faut s'en démarquer, et il est important de le faire savoir", note un expert sous couvert d'anonymat.
D'autant qu'en se démarquant de la gestion du pouvoir burundais -- les violences autour des manifestations ont déjà fait près de 20 morts et des dizaines de milliers de Burundais, terrorisés par le climat pré-électoral, ont fui dans les pays voisins --, certains leaders régionaux peuvent en profiter pour redorer leur image.
"Que le président burundais cède à la rue ou fasse preuve de +détermination+, les désordres induits justifient à leurs yeux la poursuite de leur propre gestion autoritaire et leur rôle éminent de garants du maintien de l'ordre dans la région", explique André Guichaoua, spécialiste des Grands lacs.
C'est surtout vrai pour Paul Kagame, dont la répression de la dissidence à domicile indispose des alliés-clés comme les Etats-Unis et qui est lui-même soupçonné de vouloir changer la Constitution rwandaise pour briguer un troisième mandat, mais de le faire en organisant un référendum que les observateurs disent gagné d'avance.
"Les Rwandais sont au centre" de cette histoire burundaise, note le spécialiste Christian Thibon.
Si la crise burundaise s'aggravait, débouchant sur de nouveaux massacres ethniques -- la majorité des Burundais qui ont fui sont des Tutsi se disant victimes d'intimidation de la part des jeunes du parti au pouvoir au Burundi qu'est devenu le Cndd-FDD (les Imbonerakure) -- le Rwanda pourrait être tenté de déployer son armée, comme en 1998 en RDC.
Kigali avait alors expliqué intervenir pour chasser les responsables présumés du génocide de 1994, notamment les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) qui s'étaient réfugiés en territoire congolais. Son intervention avait déclenché une guerre régionale.
La tentation d'une nouvelle intervention pourrait être d'autant plus forte que des connexions ont été établies entre groupes hutu de la région: les Imbonerakure, rendus responsables de certains morts depuis le début de la crise burundaise, sont accusés de s'être entraînés en RDC. Kigali s'est aussi inquiété de la présence de FDLR au Burundi.
Si le Rwanda arrive "à démontrer que les Imbonerakure tuent, et même de montrer qu'il y a des FDLR dans le lot et si des Tutsi fuient, alors (...) ils peuvent être tentés d'imposer un règlement FDLR à toute la région", résume l'analyste sous couvert d'anonymat, en référence à un groupe que Kigali qualifie de menace à sa sécurité et qu'il veut éradiquer.
"Le Rwanda ne peut pas laisser se radicaliser une crise à ses frontières", résume M. Thibon.
Même la Tanzanie, en délicatesse avec Kigali et en plutôt bons termes avec le Burundi de Pierre Nkurunziza, peut désormais difficilement défendre un président qui, en briguant un troisième mandat après 10 ans de pouvoir, bafoue les accords de réconciliation signés à Arusha.
"Les Tanzaniens ont porté Arusha, ils ne peuvent pas tolérer qu'on les transgresse", glisse l'expert sous couvert d'anonymat.
AFP(Aude Genet)