Ces consultations font suite aux démarches entreprises début décembre à Paris par le greffier intérimaire du tribunal d’Arusha, Pascal Besnier, afin de trouver une solution à la situation de trois acquittés ayant demandé à rejoindre leur famille en France, ainsi que d’un condamné ayant achevé de purger sa peine.
Leur destin, également évoqué le 5 décembre au Conseil de sécurité des Nations unies, pose une question névralgique pour la juridiction internationale onusienne, dont les décisions d’acquittement n’apparaissent pas reconnues comme valides par les Etats membres.
Le plus ancien de ces acquittés, l’ancien ministre des Transports André Ntagerura, vit depuis 2004 dans une « maison sécurisée » d’Arusha, où l’ont rejoint en 2008 le général Gratien Kabiligi, puis un membre de l’ancienne famille présidentielle, Protais Zigiranyirazo, fin 2009. Le quatrième demandeur, le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, a purgé sa peine et souhaite aussi rejoindre sa famille en France.
Les demandeurs ayant essuyé des refus de visas, invoquant le risque de « troubles à l’ordre public », ont déposé des recours devant l’administration française.
« L’instruction [de ces recours] est en cours, nous précise-t-on au Quai d’Orsay, et il y a des consultations interministérielles qui impliquent le ministère de l’Intérieur. Ce qui est évalué, c’est le trouble que l’attribution d‘un visa peut constituer à l’ordre public. On en est toujours là, et aucune décision n’a été prise à ce stade. »
Dans un courrier adressé le 14 décembre au ministre français des Affaires étrangères, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) s’est offusqué que la France puisse accueillir des acquittés du TPIR.
Le CPCR s’inquiète tout particulièrement dans sa lettre de la venue en France de Protais Zigiranyirazo, « condamné en première instance à 20 ans d’emprisonnement puis scandaleusement acquitté en appel pour ‘vice de forme’ », qui pourrait dès lors bénéficier d’un regroupement familial auprès de sa soeur, Agathe Kanziga, la veuve de l’ancien président Juvénal Habyarimana, et ce malgré les soupçons qui continuent de peser, selon l’association, sur leur participation au génocide.
De son côté, l’avocat de Gratien Kabiligi indique avoir écrit la semaine passée au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, pour lui demander de réviser la position de son prédécesseur. Celui-ci avait opposé un refus constant aux demandes de visa long séjour de son client, en dépit de plusieurs décisions favorables du tribunal administratif de Nantes et du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française.
La dernière décision en date, dont l'agence Hirondelle a obtenu une copie, est pourtant ambigue. Suite à un ultime recours de l’ancien ministre de l’Intérieur, la cour administrative d’appel de Nantes a fini par lui donner raison, mais au terme d’une argumentation ostensiblement critique du jugement du tribunal d’Arusha.
« Si sa participation directe à des massacres de civils n’a pas été établie, indique l’arrêt du tribunal de Nantes, il n’est pas davantage établi qu’il [M. Kabiligi] aurait agi pour atténuer ou prévenir ces massacres, qu’il ne pouvait ignorer compte tenu de la nature de ses fonctions. » Ainsi, malgré son acquittement par le TPIR, « il doit être regardé, eu égard aux responsabilités éminentes qu’il a exercées au sein des FAR [Forces armées rwandaises] pendant le génocide et au soutien qu’il a maintenu au gouvernement responsable des massacres de la population civile d’avril à juillet 1994, comme ayant été impliqué dans des crimes graves contre les personnes. »
Contacté, le ministère de l’Intérieur confirme qu’il travaille en ce moment sur cette question des visas, pour laquelle, admet-on, « il y a eu pas mal de délais pour apporter une réponse aux personnes concernées ».
Deux acquittés du TPIR, les anciens maires Ignace Bagilishema et Jean Mpambara, ont déjà été accueillis par la France, il y a de cela plusieurs années.
FP/ER/GF