Pour certains Ivoiriens, le choix des poursuites menées à ce jour par la Cour pénale internationale (CPI) relativement à la crise de 2010-2011 fait douter de l'impartialité de cette juridiction permanente. C'est la conclusion d'un rapport de 101 pages de l'organisation Human Rights Watch (HRW), publié mardi.
Intitulé « Pour que la justice compte : Enseignements tirés du travail de la CPI en Côte d'Ivoire », ce rapport s'appuie sur des entretiens menés auprès d'activistes, de journalistes et de membres du personnel de la CPI à Abidjan et à La Haye, aux fins d'évaluer si la CPI a déployé suffisamment de moyens pour s'assurer que ses procédures soient pertinentes, significatives et accessibles aux Ivoiriens.
Un seul camp
Pour HRW, les lacunes dans le dossier ivoirien doivent servir de leçon pour le travail de la CPI concernant d'autres situations à travers le monde.
La décision du Bureau du procureur de la CPI de limiter ses enquêtes initiales aux crimes commis par un seul camp lors de la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d'Ivoire a été une maladresse, selon l'organisation, qui estime que l'impact potentiel de la Cour en a été affaibli.
« Le champ d'action de la Cour pénale internationale s'étend dans le monde entier ; toutefois le cœur de sa mission consiste à rendre justice aux communautés affectées par des atrocités de masse », indique Elisabeth Evenson, conseillère juridique auprès de la division Justice internationale à Human Rights Watch. « Les représentants de la CPI devraient veiller à ce que les actions de la Cour aient une résonnance dans ces communautés», recommande-t-elle.
Les enquêtes de la CPI sur la Côte d'Ivoire ont été ouvertes en octobre 2011. Mais elles ne concernent, jusqu'à présent, que des crimes qui auraient été commis par les forces alliées à l'ex-président Laurent Gbagbo aujourd'hui entre les mains de la Cour à La Haye, aux Pays-Bas.
Des victimes estiment que la Cour a ignoré leur souffrance
Pourtant des commissions d'enquêtes, tant de Côte d'Ivoire que des Nations unies, ont mis en cause à la fois les pro- Gbagbo et les alliés du président actuel, Alassane Ouattara.
HRW relève par ailleurs que les affaires de la CPI ont visé seulement des crimes commis dans la capitale économique du pays, Abidjan, alors que certains des pires abus ont été perpétrés dans la partie occidentale du pays.
Jusqu'à présent, seuls font l'objet de poursuites de la CPI, l'ancien président Laurent Gbagbo, son épouse Simone et l'ancien ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé.
Le procès joint des deux hommes doit débuter en novembre prochain alors que l'ancienne Première dame est toujours détenue par la Côte d'Ivoire qui refuse de la transférer à la CPI.
L'actuelle procureure de la CPI, Fatou Bensouda, s'est souvent défendue de protéger le camp du vainqueur Alassane Ouattara, invoquant des contraintes financières pour expliquer les retards dans l'ouverture de nouvelles poursuites.
« La priorité donnée jusqu'ici aux exactions des forces pro-Gbagbo a profondément divisé l'opinion sur la CPI en Côte d'Ivoire. De nombreuses victimes estiment que la Cour a ignoré leur souffrance », affirme Elizabeth Evenson.
L'organisation recommande au Bureau du procureur de la CPI d'intégrer les enseignements tirés du cas ivoirien dans la politique de sélection et de hiérarchisation des affaires en cours d'élaboration.
HRW fait remarquer que la démarche de la CPI en Côte d'Ivoire contraste avec celle utilisée dans le dossier du Kenya et ses enquêtes les plus récentes en République centrafricaine, où le Procureur de la CPI a enquêté simultanément sur toutes les parties plutôt que par ordre successif.
Pour l'organisation, le Procureur doit davantage consulter les victimes afin de s'assurer que le choix des affaires reflète leurs souffrances.