La dénégation de cet universitaire rwandais extradé du Canada en janvier 2012 ne provoque aucune réaction dans la salle à moitié pleine ce mardi. Mais ce fils du Nord va plus loin. « Il n’y a d’ailleurs jamais eu de planification ni d’entente en vue de commettre le génocide », affirme-t-il provoquant des murmures de désapprobation dans la petite salle. Le président de la chambre, le juge Anastase Bakuzakundi, est obligé de rappeler au public que le silence est obligatoire.
Aujourd’hui âgé de 59 ans, Léon Mugesera, ancien professeur de Linguistique à l’Université nationale du Rwanda (UNR), est notamment accusé de planification du génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et génocide. L’acte d’accusation repose sur un discours en langue rwandaise prononcé en novembre 1992 lors d’un grand rassemblement du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), le parti de feu le président hutu Juvénal Habyarimana. Pour l'accusation, ce discours incitait clairement les Hutus au génocide des Tutsis, qui eut lieu moins de deux ans plus tard. Quelque part dans ce discours, l’accusé parle de « l’ennemi ». Pour le procureur, cet ennemi de Mugesera et des Hutus qu’il harangue à Kabaya n’est autre que le concitoyen tutsi. Mais Mugesera explique que l’ennemi qu’il désignait en 1992 était celui qui avait attaqué le Rwanda à partir de l’Ouganda voisin. «Quiconque prend les armes contre un pays n’a d’autre nom que celui d’ennemi (…) le Rwanda n’a pas été attaqué par les Tutsis mais par des soldats ougandais », affirme-t-il. Composé essentiellement de fils de Tutsis exilés dans les pays voisins du Rwanda, le Front patriotique rwandais (FPR) dont certains commandants, comme l’actuel président Paul Kagame, avaient évolué au sein de l’armée ougandaise, lança son offensive contre l’armée rwandaise le 1er octobre 1990. Lancée à partir de l’Ouganda, l’attaque sera couronnée en juillet 1994 par la victoire militaire du FPR qui met fin au génocide des Tutsis.
Par ailleurs, dans le discours de Kabaya, les mots « inzoka » (serpents) et « inyenzi » (cancrelats) reviennent plusieurs fois. Alors que ces termes désignaient des Tutsis, dans la langue des tueurs en 1994, Mugesera affirme que lui voulait désigner l’envahisseur ougandais. Ainsi pour lui, un appel du genre « celui à qui vous ne couperez pas la gorge, c’est lui qui vous coupera la vôtre », était adressé à l’armée rwandaise. Il s’agissait, explique-t-il, de galvaniser les forces armées rwandaises.
Vers la fin de l’audience de mardi, Mugesera a demandé aux juges de suspendre le procès pendant la période de commémoration du génocide. Le 7 avril de chaque année, lors d’une cérémonie à laquelle prennent part les plus hauts responsables du pays, le Rwanda honore la mémoire des personnes tuées pendant le génocide des Tutsis de 1994. Pour Mugesera, cette période de commémoration n’est pas de nature à favoriser « la sérénité » des débats dans un procès pour génocide. L’accusation a rétorqué qu’il s’agit d’une manœuvre dilatoire. Le juge Bakuzakundi a indiqué que la chambre rendrait sa décision le moment opportun.
Depuis son extradition du Canada en janvier 2012, Mugesera a demandé et obtenu, pour divers motifs, de nombreux reports. Il a cependant déjà essuyé des revers, parmi lesquels le refus de la justice rwandaise de conduire le procès en langue française et le rejet de sa demande de récusation de deux des trois juges de la chambre. Réclamé par le Rwanda depuis 1995, il avait multiplié au cours des années les recours judiciaires au Canada, mais n'avait finalement pu empêcher son extradition, il y a aujourd’hui plus d’un an.
SRE-ER