Porté par un gendarme, Pascal Simbikangwa est déposé dans le fauteuil roulant qui l'attend dans le box. L'homme s'installe pour assister à son procès, regard tourné vers les juges. Au public l'accusé présente sa nuque et les épaules de son blouson de cuir couleur tabac. Le président de la Cour d'Assises de Paris lui demande de décliner son identité, rappelant qu'elle a fait l'objet de déclarations contradictoires : "Safari Pascal, né le 17 décembre 1959, à Rambura au Rwanda." Profession ? "Militaire, après j'ai travaillé aux services de renseignements", décline le Rwandais. "Résidence actuelle, maison d'arrêt de Fresnes" enchaîne pour lui le président Olivier Leurent, affichant d'emblée son intention de conduire les débats avec vivacité. Procès filmé pour l’HistoireLes six jurés sont tirés au sort, plus cinq suppléants. Les jurés appelés viennent s'asseoir à la droite puis à la gauche des trois magistrats. Les suppléants prennent place sur des chaises alignées derrière eux. Trois hommes, une femme, un homme, une plus jeune femme… "Mais elle a 18 ans !", s'exclame une journaliste. Puis le président cite les 51 témoins - 41 pour l'accusation, 10 pour la défense - des cinq semaines de ce procès qui sera exceptionnellement filmé pour l'Histoire. Un régime réservé aux procès ayant une valeur mémorielle, initié en France avec le procès Klaus Barbie en 1987. Neuf avocats représentent pas moins de cinq parties civiles : le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), la Ligue pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), la Ligue internationale contre le racisme et l'anti-sémitisme (LICRA) et l'association Survie. Submergés par la marée de caméras qui les assaillent à l'entrée de la salle d'audience, les deux jeunes avocats de la défense serrent les dents. "Si vous ne dites rien, c'est que votre client est coupable !", les provoque un journaliste. La défense dénonce la difficulté d'entendre des témoins à déchargeMais la veille au soir, Maîtres Fabrice Epstein et Alexandra Bourgeot se sont assurés d'être au centre des débats en jetant un pavé dans la mare, demandant l'annulation du procès dans un mémoire de 30 pages. Invoquant leurs honoraires symboliques face aux moyens donnés au ministère public, comparant leur situation avec celle nettement plus confortable des avocats de juridictions anglo-saxonnes ou internationales, Me Bourgeot dénonce à l'audience, mardi, "l'impossibilité d'entendre des témoins à décharge au Rwanda, où les recherches sont confiées à des unités de police partiales, le GRTU". Le professeur Filip Reyntjens, annonce l'avocate, viendra expliquer que des témoins récents font état d'un système de surveillance les menaçant, évoquant des cas de meurtres et de disparitions. "Le respect de la présomption d'innocence est quasi impossible quand vous êtes accusé de génocide", fustige l'avocate, pour qui ce contraste a été "renforcé par la constitution du pôle judiciaire spécialisé et des parties civiles qui sont autant de parquetiers en plus." Le regard d'un des jurés ne cesse d'aller et venir entre l'avocate et le juge président, manifestement troublé. "Ce procès ne peut se tenir", achève Me Bourgeot. « Une plaisanterie de mauvais goût »Les répliques des parties civiles iront crescendo, repoussant la défense dans les cordes. "Le pôle spécialisé ? Qu'il y ait des magistrats spécialisés c'est avant tout une garantie pour que le travail soit bien fait", rétorque Patrick Baudoin pour la FIDH. "La nullité de la procédure ? Vous aviez la possibilité de la plaider devant la chambre d'accusation et vous ne l'avez pas fait. C'est un peu facile et c'est trop tard", riposte Emmanuel Daoud. Mais "voir un homme en chaise roulante dans un box, imaginer les conditions de détention à Fresnes, illustre le manque de moyens et l’archaïsme de notre système carcéral et judiciaire", concède Michel Tubiana pour la LDH. "Qui a fait appel de l'ordonnance de mise en accusation ?, rappelle Simon Foreman pour le CPCR. Ce n'est pas la défense. C'est moi, car les juges d'instruction ont rejeté une partie significative des témoignages, faisant que les parties civiles ne représentent plus aujourd'hui de personne physique au procès. A ce stade, c'est une plaisanterie de très mauvais goût. Cela fait une dizaine de mois que l’on sait que ce procès va avoir lieu, et la défense communique la liste de ses témoins en dernière seconde, il y a une ou deux semaines. Ça n'est pas sérieux. " L'avocat pivote vers Pascal Simbikangwa : "Je vous le dis les yeux dans les yeux, je souhaite de tout cœur que ce procès soit équitable, et je souhaite de tout cœur que vous soyez condamné au terme de ce procès équitable !" Après délibéré, les juges rejettent sans surprise la requête en annulation de la défense. Aide et encouragement Pascal Simbikangwa, 54 ans, comparaîtra jusqu’au 28 mars devant la cour d'assises de Paris. Au terme de l'enquête, le juge d'instruction français a retenu contre lui l'accusation principale d'aide et encouragement à commettre des crimes contre l'humanité à Kigali entre avril et juin 1994, l'accusant notamment d'avoir fourni des armes aux miliciens sur les barrières de Kiyovu, dans ce "quartier des riches" où il habitait et de les avoir encouragés à tuer des Tutsis. Le juge d'instruction a par ailleurs rejeté les charges portant sur des actes de torture présumés commis entre 1990 et 1994, et estimé que les témoignages l'accusant d'avoir organisé des formations militaires d'Interahamwe dans sa propriété sont trop "indirects, fragiles et peu concordants" pour être retenus. Il a prononcé un non–lieu concernant l'entente en vue de commettre le génocide. Il a enfin prononcé un autre non-lieu concernant les soupçons de participation directe aux massacres commis sur la colline de Kesho dans sa région d'origine de Gisenyi.FP/ER