Pascal Simbikangwa, « a apporté un concours actif au fonctionnement des barrières meurtrières de Kigali en fournissant des armes et en donnant directement des instructions pour que les Tutsis soient systématiquement exécutés sur le champ […] en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale du groupe ethnique tutsi », ont conclu, après plus de dix heures de délibéré, les trois magistrats et les six jurés, dans un document de onze pages méticuleusement rédigé. Interrogé à la sortie du Palais de justice, le procureur général Bruno Sturlese a exprimé sa satisfaction à l'issue des six semaines de ce procès « coûteux », au cours duquel il a fallu organiser le déplacement de vingt-trois témoins venus du Rwanda : « C'est sûr qu'aujourd'hui à Paris un autre accusé a pris vingt ans pour un assassinat, mais la décision a été très motivée, avec le souci du détail. »« C'est une décision qui ne va pas jusqu'au bout », estime pour sa part l'avocat de la défense Fabrice Epstein, sans préciser s’il a l’intention de faire appel. Dans ce procès marqué par des soupçons de faux témoignages, les parties civiles ont « eu la trouille jusqu'à la fin », admet Simon Foreman, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui avait déposé la première plainte contre le capitaine rwandais arrêté en 2008 à Mayotte. « Mais la vérité, tout le monde la sentait, il n'y a pas vraiment de surprise. Mon seul regret est qu'il n'a été condamné que sur Kigali, pas sur les accusations portant sur Gisenyi. Je pense qu'il a passé du temps là-bas. » La cour d'assises a estimé que la présence de Pascal Simbikangwa à une réunion à Kibihekane (dans la préfecture de Gisenyi), le 7 avril 1994, « au cours de laquelle des instructions auraient été données aux Interahamwe de dresser des barrières et de pourchasser des Tutsis, est difficilement compatible avec le fait qu'il a été vu à Kigali ce jour-là, compte tenu du temps de trajet entre la capitale et cette préfecture du nord-ouest du pays ». Elle ajoute que trois témoignages « présentent des similitudes surprenantes […] dont il n'avait jamais été question avant l'audience, laissant présumer une certaine concertation entre eux peu compatible avec la vérité » et l’acquitte « tant en qualité de complice qu'en qualité d'auteur » concernant la préfecture de Gisenyi. La fenêtre des accusations retenues in fine contre celui qui a été maintes fois décrit, avant et pendant le procès, comme un coordinateur d'escadrons de la mort et un tortionnaire des services de renseignement, personnalité engagée et influente du Rwanda des années 1990, avait déjà été réduite à l'issue de l'instruction à la seule période du génocide. A l'issue du procès, elle se referme sur des actes perpétrés seulement à Kigali, dans ce quartier de Kiyovu d’où il ne part que quand la guerre est perdue, retenant sur le plan factuel sa participation à des distributions d'armes et ses encouragements exprimés aux miliciens sur les barrières meurtrières. La cour d'assises cite cinq témoins qui ont « tous confirmé que Pascal Simbikangwa procédait à des distributions d'armes dans le quartier ». « Là encore, précise la motivation écrite, si leurs dépositions diffèrent sur les circonstances de la remise des armes, ce qui n'a rien de surprenant au regard du temps écoulé et du stress dans lequel se trouvaient ces hommes à l'époque des faits, tous maintiennent qu'elles étaient destinées, sur [ses] instructions, à tuer les inyenzis, c'est à dire les Tutsis. »« C’est un très bon signal » Soulignant les contradictions de l'accusé sur son emploi du temps, qui avait prétendu lors des premiers interrogatoires avoir passé la quasi-totalité de la période du génocide dans la préfecture de Gisenyi et non à Kigali, notant ses convictions politiques et son admiration pour le président Habyarimana « qui représentait un père idéal pour lui », la cour estime « invraisemblable qu'il soit resté inactif à l'égard des responsables supposés de [son] assassinat ».Elle juge aussi, insistant sur le fait que les Tutsis réfugiés au domicile de Pascal Simbikangwa, hormis une famille, « sont tous issus de couples mixtes, c'est-à-dire appartenant tout comme lui aux deux ethnies hutue et tutsie », que cette mixité ethnique « n'était nullement incompatible sur le plan psychologique avec une participation au crime de génocide dès lors que le métissage pouvait ne pas avoir été intégré harmonieusement dans la structuration de [sa] personnalité », s'appuyant sur les explications données lors du procès par l'experte psychologue Françoise Sironi. « Restez vigilants, avait demandé aux jurés la procureure Aurélia Devos lors de sa plaidoirie finale, ne vous laissez pas entrainer sur le terrain d’une pseudo - objectivité sur un génocide pour lequel les preuves ne pourront jamais aller au-delà de ce que vous avez entendu devant cette cour. »Réjoui du verdict, le co-fondateur du CPCR Alain Gauthier estime cependant que « 25 ans, ce n'est pas extraordinaire ». « Mais le génocide a été reconnu, la participation de Simbikangwa a été reconnue. C'est un très bon signal donné pour la suite et pour les autres dossiers. La porte est entrouverte. »Devant les grilles du Palais de justice, il remercie et embrasse Aurélia Devos, procureur adjoint durant le procès et chef du parquet au pôle judiciaire spécialisé dans les crimes de droit international. Celui-ci a ouvert 34 informations judiciaires, dont les trois quarts relatives au génocide rwandais.« Un procès de compétence universelle sur le génocide rwandais en France, c'est possible. La preuve est faite, avec une qualité que l'on ne peut contester. La France était en retard, maintenant elle joue le jeu d'une justice pénale internationale qui fonctionne », commente Me Simon Foreman, par ailleurs président de la Coalition française pour la Cour pénale internationale. A la suite de ce premier verdict, plusieurs instructions en cours devraient se clôturer prochainement. Selon le ministère public, un deuxième procès rwandais pourrait se tenir devant la cour d’assises de Paris courant 2015. Priorité devrait être donnée à deux détenus, les anciens bourgmestres de la commune de Kabarondo (est du Rwanda) Octavien Ngenzi et Tito Barahira, pour un procès groupé.FP/ER