Dans la nuit du 10 au 11 mars, la Cour d'assises d'Abidjan a condamné l'épouse de Laurent Gbagbo à 20 ans de prison après l'avoir, à l'unanimité, reconnue coupable d' « contre l'autorité de l'État, participation à un mouvement insurrectionnel et trouble à l'ordre public » pour son rôle durant la crise postélectorale de 2010-2011. Les jurés ont été plus sévères que le procureur qui avait requis dix ans de prison. D'autres proches de Laurent Gbagbo ont écopé de peines de prison dans le même jugement. Dans cette affaire, l'ancienne première dame et ses co-accusés n'étaient pas poursuivis pour « les crimes de sang », crimes plus graves faisant l'objet d'une autre enquête, en cours. Ce premier procès avait donc valeur de test pour le nouveau système judiciaire ivoirien, dont le président Alassane Ouattara assurait, en janvier qu'il ne rendrait pas la justice des vainqueurs.Mais la FIDH et ses organisations membres en Côte d'Ivoire –le Mouvement ivoirien des droits humains et la Ligue ivoirienne des droits de l'Homme (LIDHO) relatent, dans un communiqué conjoint, « un procès marqué par de nombreuses insuffisances ». Les trois organisations « expriment leurs préoccupations quant au déroulement de ce procès et son possible impact sur les affaires concernant les crimes les plus graves, toujours en cours d'instruction »."Ce procès doit servir de contre - exemple pour les procédures en cours sur les graves violations des droits humains », estime Me Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH.Les trois organisations « déplorent la faible qualité d'une procédure d'instruction qui n'a pas ou a peu cherché à étayer les charges retenues contre les prévenus ». Elles dénoncent « l'absence d'éléments de preuve probants, la faiblesse des témoignages à charge et de l'accusation dans son ensemble ».« Des personnes ont été lourdement condamnées, sur la base d'éléments peu convaincants, ce qui n'est pas de nature à crédibiliser une justice dont la Côte d'Ivoire a tant besoin pour l'instauration d'un Etat de droit pérenne », déplore Me Yacouba Doumbia, président du MIDH.La FIDH et les deux organisations ivoiriennes se sont constituées parties civiles dans ces procédures et accompagnent devant les juridictions nationales une centaine de victimes, qui attendent la tenue de procès équitables et conformes aux standards internationaux.« Le moins que nous puissions dire aujourd'hui, c'est que nous ne sommes pas rassurés, et que la justice ivoirienne devra donner davantage de garanties pour juger les graves violations des droits humains commises entre 2010 et 2011 par les clans Gbagbo et Ouattara » , affirme Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH.En plus de ces dossiers devant la justice de son pays, Simone Gbagbo est poursuivie pour crimes contre l'humanité devant la Cour pénale internationale (CPI) qui détient déjà son mari ainsi que l'ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé.Pour la FIDH, les insuffisances ayant marqué le procès d' Abidjan prouvent que la Côte d'Ivoire ne saurait garantir un procès équitable à Simone Gbagbo pour les crimes internationaux et qu'elle doit ainsi la remettre sans délai entre les mains de la Cour.La CPI détient déjà l'ancien président Laurent Gbagbo et son ancien bras droit Charles Blé Goudé, dont les affaires viennent d'être jointes.Human Rights Watch est une autre organisation qui a suivi de près le procès d'Abidjan. Jean-Marie Fardeau, directeur du bureau français de l'organisation, partage les analyses de la FIDH. Ce procès « n'a pas été mené conformément aux normes en vigueur en matière de procès équitable », a-t-il indiqué à RFI.A plus forte raison, poursuit-il, Simone Gbagbo doit être jugée à La Haye pour les crimes les plus graves. « Nous ne voyons pas cette procédure avancer en Côte d'Ivoire, et nous voulons prendre pour preuve que la Cour pénale internationale, qui a étudié de près les conditions dans lesquelles la Côte d'Ivoire mène cette enquête, estime que pour l'instant, les conditions ne sont pas réunies pour que la Côte d'Ivoire garantisse une justice de qualité. C'est pourquoi la Cour pénale demande encore le transfert de cette enquête à la Haye. Donc pour Human Rights Watch, cette obligation reste impérative et la Côte d'Ivoire devrait coopérer plus activement avec la Cour pénale sur ce plan- là ».ER