09.04.15 - RWANDA/FRANCE - GÉNOCIDE DES TUTSIS : PAS D’EMBALLEMENT AU RWANDA APRÈS LA DÉCLASSIFICATION D’ARCHIVES DE L’ÉLYSÉE

Arusha, 09 avril 2015 – C’est avec une satisfaction teintée de prudence que les autorités rwandaises ont accueilli la déclassification des archives de la présidence française sur le génocide des Tutsis en 1994. Pour leur part, les chercheurs rwandais se sont montrés sceptiques.

3 min 28Temps de lecture approximatif

« La relation politique, diplomatique et militaire franco-rwandaise pendant la période 1990-1995, a été un domaine bien gardé. Peut-être que ce qui s’est passé à l’époque sera finalement révélé et permettra de faire la lumière sur de nombreuses zones grises », a indiqué le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye, qui s’exprimait sur les ondes de la RFI.Le responsable rwandais a cependant souhaité que « la déclassification soit totale » et dit attendre de prendre connaissance du contenu exact de ces archives déclassifiées.Mardi, alors que le président Paul Kagame venait de lancer la semaine de deuil national, dans le cadre de la commémoration du 21 ième anniversaire du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994, la présidence française a déclassifié ses archives sur le Rwanda pour la période 1990 à 1995, après un an de préparatifs dans le plus grand secret.Le nouveau régime rwandais n’a de cesse d’accuser la France d’avoir joué un rôle dans ce génocide  qui a fait, selon l’ONU, près de 800.000 tués, essentiellement au sein du groupe ethnique tutsi.Ce que Paris a toujours démenti.Lors d’un voyage officiel à Kigali en février 2010, l’ex-président Nicolas Sarkozy, première personnalité française de ce rang à se rendre au Rwanda après le génocide, avait reconnu « des erreurs d’appréciation » de la part des autorités françaises de l’époque.Il n’était cependant pas allé jusqu’à demander pardon au nom de son pays comme l’a déjà fait la Belgique.La visite de Sarkozy avait considérablement contribué au réchauffement des relations entre Paris et Kigali qui étaient restées gelées entre 2006 à 2009 suite à une décision rwandaise. Le gouvernement rwandais avait ainsi réagi à l’émission par le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière de mandats d’arrêt contre neuf personnalités de l’entourage de Paul Kagame pour leur implication présumée dans l’attentat du 6 avril 1994 qui avait coûté la vie au président rwandais Juvénal Habyarimana.Le magistrat français avait également réclamé des poursuites contre Kagame.Tom Ndahiro, un journaliste rwandais   indépendant qui a longtemps travaillé sur l’histoire des relations franco-rwandaises ne cache pas son scepticisme.« Je ne crois pas qu’ils puissent nous dire ce qu’ils ont réellement fait avec le gouvernement (du président Juvénal) Habyarimana. Je ne crois qu’ils puissent nous dire ce qui s’est passé dans la Zone Turquoise et je ne crois que ces documents puissent nous montrer comment les soldats français tenaient des barrages routiers pendant le génocide et demandaient aux Rwandais de présenter leur carte d’identité (pour identifier les Tutsis) », dit-il dans un entretien avec le quotidien rwandais New Times.Organisée par la France et autorisée par le Conseil de sécurité en juin 1994, l’Opération Turquoise avait pour mission de mettre fin aux massacres partout où cela était possible, éventuellement en utilisant la force.Kigali l’accuse cependant d’avoir couvert la fuite au Zaïre du gouvernement en place pendant le génocide.Pour Ndahiro, cette déclassification est une manœuvre de diversion au moment où la France continue d’abriter d’anciennes personnalités rwandaises soupçonnées d’avoir joué un rôle dans le génocide.L’historien Raphaël Nkaka, qui enseigne à l’Université nationale du Rwanda (UNR), salue la décision française, mais en se demandant si Paris aura vraiment le courage de rendre publics des documents qui l’embarrassent.« Les archives sont préparées par des hommes et ils pourraient bien expurger celles qu’ils ne veulent pas voir publiées. Mais, dans tous les cas, déclassifier ces documents est une bonne chose car ils ne peuvent pas tout cacher en les rendant publics », ajoute Nkaka également cité dans le New Times. Selon l'entourage de François Hollande, le président « avait annoncé il y a un an que la France devrait faire preuve de transparence et faciliter le travail de mémoire sur cette période sans que cette décision ne soit rendue publique ».Depuis, le recensement des archives a été « lancé et coordonné » par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), les documents mêlant des notes des conseillers diplomatiques et militaires de l'Élysée, mais aussi des comptes rendus de conseils restreints de défense ou de réunions ministériels.Dans quelque temps, précise encore Paris, d'autres archives seront déclassifiées, celles de l'Assemblée nationale et des ministères des Affaires étrangères et de la Défense, chacun allant « à son rythme » dans cette procédure.Saluant « une bonne nouvelle », l'association française Survie a réclamé « d'autres déclassifications de documents diplomatiques et militaires plus sensibles », notamment les « dossiers instruits par le pôle crimes contre l'humanité et génocide contre des militaires français de l'opération Turquoise » et « celui de l'attentat du 6 avril 1994 instruit au pôle anti-terroriste ».ER/FS