Deux nouveaux massacres ont fait 23 morts près de Beni au soir même d'une visite du ministre de l'Intérieur congolais dans cette ville de l'Est de la République démocratique du Congo pour tenter de calmer la colère d'une population exaspérée par des mois de violence.
Depuis octobre, Beni et ses environs ont été endeuillés par une succession de massacres attribués aux rebelles ougandais musulmans des Forces démocratiques alliées (ADF) ayant fait près de 350 morts.
Mercredi soir, "cinq personnes ont été tuées par de présumés ADF" à Mbau (20 km au nord de Beni), puis "les ADF ont tué 18 autres personnes" à l'ouest de la ville, a dit à l'AFP Amisi Kalonda, administrateur du territoire de Beni, joint par téléphone de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu.
"Nous sommes révoltés par ces massacres", a déclaré Teddy Kataliko, président de l'ONG locale Société civile du territoire de Beni. "Plutôt que de dialoguer avec la société civile, les autorités ont préféré brandir l'intimidation", a-t-il accusé, en faisant allusion au discours officiel selon lequel les différentes opérations "villes mortes" lancées depuis le début de la semaine pour dénoncer l'incapacité du gouvernement à protéger la population "font le jeu de l'ennemi".
Place commerciale importante du Nord-Kivu, Beni (250 km au nord de Goma) compte environ 500.000 habitants. La ville est paralysée depuis lundi, la population ayant suivi jusque-là le mot d'ordre de "ville morte" pour une durée illimitée lancée par la société civile locale, selon plusieurs témoins.
Mercredi, le mouvement de contestation a gagné les villes d'Oicha (30 km au nord de Beni, environ 130.000 habitants) et Butembo (plus d'un million d'habitants, à 50 km au sud de Beni). Selon plusieurs témoins, la consigne était massivement respectée jeudi à Oicha, mais moins à Butembo, où des boutiques étaient ouvertes, mais où on ne trouvait aucun taxi-moto.
Le Nord-Kivu est déchiré par des conflits armés depuis plus de vingt ans, et accueille la plus grande part des quelque 20.000 soldats déployés dans le pays par la Mission de l'ONU au Congo (Monusco).
Depuis le début du mois, la région de Beni est victime d'un regain de violence imputable aux ADF. Celui-ci a suivi l'annonce de l'arrestation de leur chef Jamil Mukulu en Tanzanie en avril.
- 'Crimes de guerre' -
Excédés, des centaines d'habitants sont descendus mardi dans les rues de Beni en scandant des slogans hostiles à l'armée, au gouvernement ou au président Joseph Kabila avant d'être dispersés par la police. Les autorités locales et provinciales ont appelé la population à reprendre le travail, mais en vain, en dépit des privations que cela représente pour la majorité des habitants qui, comme ailleurs dans le pays, vivent dans la plus grande pauvreté.
Mercredi, après avoir passé moins de 24 heures à Beni, le ministre de l'Intérieur Évariste Boshab, est rentré à Kinshasa, sans avoir annoncé la moindre nouvelle mesure destinée à renforcer la sécurité. Sur place, il a appelé la population à faire confiance aux autorités.
Opposés au président ougandais Yoweri Museveni, les ADF sont présents dans l'est du Congo depuis 1995.
Mercredi, l'ONU a publié un rapport notant que les crimes commis par ces miliciens dans la région de Beni au dernier trimestre 2014 "ont été systématiques et d'une extrême brutalité" et "pourraient constituer, de par leur type et leur nature, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité".
Face à ce déchaînement de violence, l'armée, la police et les politiciens locaux sont accusés par la population de ne rien faire.
Un rapport d'enquête parlementaire publié en novembre après les premiers massacres notait déjà une "crise de confiance entre les services de sécurité, les autorités politico-administratives et la population", présentée comme étant liée entre autres à "l'implication de certains officiers dans l'affairisme".
Promis fin novembre par M. Kabila, le remplacement de la chaîne de commandement militaire locale, demandée par ce rapport et aujourd'hui par la population, attend toujours.