C’est l’un des meneurs de la société civile burkinabè. Leader du mouvement « Le Balai citoyen », le rappeur Serge Bambara, alias Smockey, a très tôt condamné le coup d’Etat perpétré par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) le 16 septembre à Ouagadougou, au Burkina Faso. Déjà en première ligne lors des manifestations d’octobre 2014 qui ont conduit l’ex président Blaise Compaoré à quitter le pouvoir, Smockey condamne en des termes très sévères l’amnistie envisagée pour les putschistes en échange d’un retour à la transition dans le projet d’accord de sortie de crise de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), réunie en urgence à Abuja. Il répond aux questions de justiceinfo.net au moment où tout le monde attend de connaître les résultats de cette réunion. Dans la capitale Ouagadougou, l’armée régulière et les éléments du RSP tiennent leurs positions respectives mais ne se sont pas encore affrontés. La population a été invitée à ne pas sortir. Les affrontements entre les manifestants et le RSP ont fait au moins une dizaine de morts et une centaine de blessés depuis le début de la crise.
Smockey, votre mouvement est très suivi, notamment par les jeunes. Qu’avez-vous dit à vos militants et sympathisants ces dernières heures, au vu des derniers événements?
Nous leur avons demandé de faire confiance à l’armée régulière mais aussi de rester vigilant afin de maintenir la mobilisation et la pression. Nous ne pourrions accepter une décision de la CEDEAO permettant aux assassins de s’échapper. Nous avons alerté la communauté internationale. La volonté populaire ne peut être ignorée. La population burkinabè ne tolérera pas une amnistie pour les assassins de son peuple. Elle ne tolérera pas non plus que leurs complices puissent participer à des élections pour lesquels elle s’est sacrifiée (ndlr : le projet d’accord de la CEDEAO prévoit de réintégrer les représentants du CDP, le parti de l’ex président Blaise Compaoré, dans les élections présidentielles et législatives).
Vous évoquez l’amnistie proposée aux putschistes. Selon vous, c’est le point le plus litigieux du projet d’accord de la CEDEAO?
Oui. C’est certainement l’un des points les plus litigieux, même si ce n’est pas le seul. C’est en tout cas le point plus douloureux. On demande à la population de faire l’impasse sur l’assassinat de ses enfants. Ces enfants sont sortis dans la rue, poitrine nue, pour affronter les balles, les kalachnikovs et l’armement sophistiqué du RSP. Ces gens n’ont eu aucune pitié. Moi-même j’en ai été victime (ndlr : le studio d’enregistrement de Smockey a été attaqué le 17 septembre). Des maisons ont été incendiées. Il y a eu des chasses à l’homme. Des têtes ont été mises à prix. Ils ont terrorisé la population. Un véritable comportement de voyous!
Les nombreux assassinats non élucidés dans le pays, comme la disparition du journaliste Norbert Zongo en 1998, ont-ils joué un rôle dans le positionnement de certains acteurs de cette crise selon vous ?
Certainement. Il y a toujours eu un problème de justice. On parle de plusieurs centaines de crimes non résolus depuis l’époque de Blaise jusqu’à aujourd’hui. C’est un immense problème. L’impunité est rampante. C’est devenu un modèle de société. Où vous vous qu’on aille lorsque des gens se disent qu’ils peuvent faire n’importe quoi sans être inquiétés? Il est temps d’y mettre un terme une fois pour toute.
Pensez-vous qu’une issue favorable est encore possible avec le RSP ?
Je ne sais pas. Mais je n’oublie pas que ce sont nos frères et qu’ils ont des familles. J’espère qu’ils prennent conscience de tout cela. Diendéré est en train de les mener dans une folie meurtrière qui pourrait être irrattrapable. Nous avons demandé à la population de ne pas toucher aux membres du RSP, de les laisser se rendre à l’armée régulière comme proposé par le chef des armées. Nous appelons leurs parents et tous leurs proches de nous aider à les ramener à la raison. Nous les invitons à mettre les intérêts de la nation au-dessus de leurs intérêts personnels et partisans.
Certains analystes redoutent une guerre civile. Est-ce un scénario que vous envisagez vous aussi ?
Non. Je ne crains pas de guerre civile pour mon pays. J’ai confiance en mon peuple. J’ai confiance dans la plupart des mouvements du pays qui sont plutôt raisonnables. Il s’agit d’un affrontement entre une armée régulière, que nous cautionnons et qui veut empêcher qu’on fasse main basse sur la République, et des militaires corrompus et criminels. Mais je suis persuadé que le peuple ne va pas se mettre à se tirer dessus, nous sommes suffisamment sage pour cela.