Après quatre ans d'un procès épineux, la justice allemande rend lundi son verdict contre deux chefs de la rébellion hutu rwandaise, accusés d'avoir orchestré à 6.000 kilomètres de distance des crimes contre l'humanité et de guerre dans l'est de la RDC.
Jugés depuis le 4 mai 2011 à Stuttgart (sud-ouest), Ignace Murwanashyaka et Straton Musoni, président et vice-président des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) respectivement âgés de 51 et 54 ans, encourent tous deux la perpétuité.
L'accusation leur reproche d'avoir piloté "depuis l'Allemagne", où ils ont obtenu l'asile et vivent depuis plus de vingt ans, "toute la palette d'atrocités que l'on peut imaginer dans une guerre civile", selon le procureur Christian Ritscher.
Massacre de plus de 200 civils à la machette ou à la houe, viols, pillages, incendies, recrutement d'enfants-soldats, prises d'otages: les deux hommes devaient initialement répondre de 26 crimes contre l'humanité et 39 crimes de guerre, commis en 2009, ainsi que de la "direction d'une entreprise terroriste à l'étranger".
La Cour a finalement abandonné les trois quarts des accusations pour se concentrer sur les meurtres, afin que le procès "n'aggrave de manière significative la vulnérabilité" des femmes violées ou des enfants recrutés de force, terrorisés d'apparaître dans la procédure.
- Concentré de difficultés -
Ce "procès mammouth", selon la Deutsche Welle, a été attentivement suivi par les associations de défense des droits de l'homme, qui y ont dépêché des observateurs, et devait "servir d'avertissement à tous les individus soupçonnés de crimes de guerre", d'après Human Rights Watch.
"La justice aurait pu se contenter de l'accusation de terrorisme. Les juger pour crimes contre l'humanité, malgré les problèmes de preuve, est un signal fort", estime auprès de l'AFP Andrej Umansky, spécialiste de droit pénal à l'université de Cologne.
Entre problèmes de traduction et pressions sur les témoins, l'audience a offert un concentré des difficultés de ce type de procès, d'autant que la minutie pénale s'est heurtée "à l'éloignement géographique, la gravité et la nature collective des massacres", souligne l'universitaire.
La défense, qui a plaidé l'acquittement, n'a cessé de contester la chaîne de commandement supposée des FDLR, faisant des deux accusés de simples dirigeants politiques dénués d'influence sur les exactions commises sur place.
"Où est la différence entre Musoni et Alan Doss ?", a lancé Jochen Theilmann, avocat du premier, en évoquant le patron de la Mission des Nations unies en RDC (Minusco), qui avait soutenu l'offensive menée par l'armée congolaise contre les FDLR, elle aussi accompagnée de massacres.
- Demain, les Syriens ? -
Le parquet a finalement requis cinq fois la perpétuité contre Ignace Murwanashyaka, sans libération conditionnelle automatique après 15 ans comme c'est normalement la règle, et 12 ans d'emprisonnement contre Straton Musoni.
Au delà du sort des accusés, le verdict marque la "première tentative" pour l'Allemagne de "contribuer à la traque mondiale" des pires criminels, souligne le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), elle qui a été mise en cause pour sa difficulté à punir les crimes nazis.
Et d'autres cas pourraient suivre. Selon Kai Ambos, professeur de droit pénal international à l'université de Göttingen cité par l'agence DPA, la justice allemande voit désormais affluer "les plaintes de Syriens" pour les crimes perpétrés dans leur pays, pris en tenaille entre les bombardements du régime et l'Etat islamique.
"Si des combattants allemands de Daesh reviennent en Allemagne, il paraît certain qu'ils seront poursuivis, d'autant que la Cour pénale internationale n'est pas compétente parce que l'Irak et la Syrie n'ont pas signé son statut", rappelle Andrej Umansky.
"Mais les accusera-t-on de crimes contre l'humanité? (...) Le chemin le plus facile semble être les procédures pour terrorisme, politiquement moins embarrassantes", ajoute-t-il.