« Près de 12. 000 plaintes ont déjà atterri sur les bureaux de l’Instance Vérité et Dignité. Elles couvrent tous les évènements dramatiques qui se sont déroulés en Tunisie de juillet 1955 jusqu'à décembre 2013, parmi les quels la persécution de la gauche dans les années 60 et 70, la crise du pouvoir avec le syndicat en janvier 1978, en passant par les émeutes du pain en janvier 1984, aux répercussions de la guerre du Golf* en 1990 et 1991 et aux tirs à la chevrotine de Siliana en novembre 2012* », affirme Sihem Ben Sedrine, la présidente de l’IVD.
Cette commission vérité indépendante, installée officiellement dans ses fonctions le 9 juin 2014 est composée de quinze membre, dont trois ont présenté ces derniers mois leur démission. Son mandat a été fixé par la loi à quatre années, renouvelable une fois pour une année seulement. Elle compte parmi ses mission d’engager des enquêtes sur les violations des droits de l’homme, commise par dans le pouvoir pendant près de soixante années de despotisme.
L’IVD a commencé à accueillir les victimes en décembre dernier. Elle signe par cette action son entrée en phase opérationnelle après plusieurs mois consacrés à la mise en place de son appareil administratif, l’ouverture de ses sections régionales, le recrutement de trente enquêteurs et surtout l’élaboration de son « statement taking » (manuel de déposition). Ce manuel se présente sous la forme d’un formulaire de 50 pages que les écoutants de l’Instance remplissent au moment de la première audition des plaignants afin d’enregistrer tous les éléments de leur récit. Chaque dossier porte un code unique, qui identifie la victime au niveau de la base de données informatique de l’Instance.
« Nous cherchons à déterminer les tendances des violations »
Dans l’objectif d’affiner ses outils de recherche et d’expérimenter sa méthodologie d’analyse de contenu, l’IVD a entamé depuis le 13 avril dernier la phase du tri des dossiers. Elle travaille actuellement sur un échantillon de 2300 témoignages examinés à la loupe par trente enquêteurs, des juristes et des sociologues, qui ont bénéficié d’une formation préalable sur le thème de la justice transitionnelle.
« Sur la base des dossiers que nous avons réceptionnés, nous cherchons à déterminer les tendances des violations, les contextes dans lesquels elles se sont passées, le profil des victimes, la typologie des responsables des abus et aussi les aspirations finales des victimes, à savoir une réparation, le dévoilement de la vérité, un arbitrage ou une réconciliation », explique Laaroussi Amri, universitaire recruté par l’Instance pour diriger la Direction de la recherche et des études.
Par la suite les différentes requêtes seront dispatchées, après une audition spéciale des victimes, sur les cinq commissions qui viennent d’être crées à l’IVD : la redevabilité, la recherche et l’investigation, les réparations, l’arbitrage et la réconciliation.
« Nous formulons l’ambition de ne renvoyer devant les Chambres spécialisées que 5% de nos dossiers. Car quel serait donc l’apport de la justice transitionnelle si toutes les violations échouaient devant les tribunaux ? », s’interroge Sihem Ben Sedrine.
*Au moment de la Guerre du Golf en 1990, l’Etat tunisien a rapatrié tous ses citoyens, des milliers, qui travaillaient en Iraq tout en promettant des les indemniser. Une bonne majorité n’a reçu aucune compensation.
*Le 27 novembre 2012, à Siliana (127 km à l’ouest de Tunis), des milliers de citoyens manifestent en demandant la mise en place de projets de développement et le départ du gouverneur islamiste, à la politique partisane. La police répond par des tirs à la chevrotine faisant 200 blessés dont certains atteints aujourd’hui de cécité.