Le nouveau gouvernement d'unité nationale du Sri Lanka s’est engagé à juger les crimes de guerre, mais il a refusé que soit menée une enquête internationale. Le Président Maithripala Sirisena, qui a remplacé son prédécesseur, le faucon Mahinda Rajapakse, en janvier, a également promis de faire de la réconciliation de son pays une priorité.
Le Sri Lanka, une ancienne colonie britannique, est encore marquée par 25 ans de violences et de conflits entre la majorité cinghalaise largement bouddhiste, et la minorité tamoule majoritairement hindoue vivant dans le nord-est du pays.
La guerre civile a pris fin en mai 2009, lorsque les forces gouvernementales sous la conduite du Président Rajapakse se sont emparées de la dernière zone aux mains de la guérilla tamoule. La communauté internationale s’est préoccupée du sort des civils bloqués dans les zones de combats à la fin de la guerre, du confinement de quelques 250.000 réfugiés tamouls dans des camps pendant des mois, et des allégations selon lesquelles le gouvernement a ordonné l'exécution de rebelles capturés ou qui s’étaient rendus.
L’Organisation des Nations Unies détaille dans un rapport publié la semaine dernière les violations massives commises, y compris la disparition de dizaines de milliers de personnes, et déclare que le pays a besoin de l'aide internationale pour enquêter sur les crimes de guerre afin de faciliter la réconciliation nationale.
Kate Cronin-Furman est une spécialiste de ce pays, en postdoc de droit et de sécurité internationale à l'Université de Stanford aux Etats-Unis. Elle a étudié les politiques de justice transitionnelle et de responsabilisation au Sri Lanka. Elle parle à JusticeInfo.Net.
JusticeInfo.Net : Le nouveau gouvernement d'union nationale a promis des mesures de réconciliation. Il étudie également la mise en place d'une commission Vérité et des réparations pour les victimes. Mais la guerre a pris fin il ya six ans, pourquoi pensez-vous que cela ait pris si longtemps?
Kate Cronin-Furman : En réalité, c’est allé beaucoup plus vite que nous aurions pu le penser. La justice transitionnelle était impossible sous le régime Rajapaksa, responsable de la phase finale de la guerre et fort de son soutien parmi la communauté cinghalaise. Il avait également des liens étroits à la fois avec l'armée et avec des nationalistes cinghalais militants bouddhistes. Le nouveau gouvernement, en revanche, a une base plus diversifiée, mais doit évoluer prudemment entre ses promesses en faveur des communautés minoritaires qui ont contribué à l’amener au pouvoir, et les Cinghalais, qui, en raison de la démographie de l'île, constituent la majorité de ses partisans.
JusticeInfo.Net : Pensez-vous que le gouvernement va vraiment faire ce qu'il dit en ce qui concerne la justice et la réconciliation?
KCF : Je crois qu'il existe des membres de l'actuel gouvernement qui veulent vraiment aller de l'avant sur la justice transitionnelle. Cependant, ils sont dans une position difficile étant donné les divergences au sein de leurs soutiens et ils peuvent trouver difficile de réaliser l'ensemble de leurs promesses. Pour une la vraie justice et réconciliation, il faudra un changement majeur dans l'opinion publique parmi la majorité cinghalaise. Il s’agira d’un processus long et lent.
JusticeInfo.Net : L'ONU appelle à un engagement de la communauté internationale au Sri Lanka pour enquêter sur les crimes de guerre, mais le gouvernement veut une enquête nationale. Pensez-vous qu'une telle enquête interne soit crédible?
KCF : Pour le moment, le Sri Lanka n'a pas de cadre légal ou de procédures en place pour poursuivre ces crimes. Toute enquête nationale aura donc besoin d'une aide internationale importante pour être crédible. Cela dit, le Sri Lanka a un bon système juridique professionnel et qui fonctionne ; il est donc dans une bien meilleure position que beaucoup d'autres sociétés qui se lancent dans un processus de justice transitionnelle.
JusticeInfo.Net : Est-ce qu'une enquête nationale peut être acceptée par la communauté tamoule?
KCF : Il existe de fortes inquiétudes parmi la population tamoule qui se demande si une pareille enquête pourra rendre justice à leur communauté, compte tenu des violences étatiques dans le passé. Beaucoup parmi les victimes et dans la diaspora pensent qu’une intervention internationale est nécessaire pour que les victimes puissent venir témoigner en tout sécurité.
JusticeInfo.Net : Il semble que le Etats-Unis soient partisans d’une enquête nationale. Pourquoi pensez-vous qu'ils ont adopté cette position?
KCF : Les relations entre le Sri Lanka et les Etats-Unis se sont considérablement améliorées depuis l'élection présidentielle qui a porté au pouvoir Sirisena. Cela a signifié une évolution depuis leur ligne dure en ce qui concerne les droits humains vers une plus grande latitude donnée au nouveau gouvernement. Mais il est effectivement un peu difficile de dire exactement quelle est la politique américaine sur la justice transitionnelle. Leur dernière prise de position dans le projet de résolution du Conseil des droits de l'homme appelle à un rôle international important pour ces enquêtes.
JusticeInfo.Net : Le récent rapport de l'ONU estime que des crimes de guerre et crimes contre l'humanité ont été commis par les deux parties dans le conflit. Pensez-vous que les deux côtés sont maintenant prêts à confronter leur passé?
KCF : Ces derniers mois ont vu des deux côtés s’engager une véritable réflexion sur les violences commises pendant la guerre. Cependant, la rhétorique reste très polarisée, et il y a un long chemin à parcourir pour confronter le passé. Pour résumer: Les récentes mesures prises par le gouvernement sri lankais représentent simultanément des progrès surprenants sur la justice transitionnelle mais elle soulignent aussi les défis pour qu’il y ait une réelle réconciliation et prise en compte du passé.