Luis Eduardo Celis: “la vérité est au coeur de l’ accord entre la guérilla et le gouvernement”
Luis Eduardo Celis, politologue colombien, revient sur l’accord passé la semaine dernière entre la guérilla et le gouvernement sur le thème de la justice transitionnelle, après presque trois ans de pourparlers de paix
Que représente pour vous l’accord passé entre la guérilla colombienne et le gouvernement ?
C’est une avancée très importante. Elle montre que les deux parties ont beaucoup assoupli leur position de départ. Les guérilléros, au début des négociations, insistaient sur le fait qu’ils n’étaient pas là pour se soumettre à la justice, considérant qu’ils n’étaient pas seulement coupables mais aussi victimes de notre système politique et social. De son côté, le pouvoir voulaient qu’ils soient jugés. Finalement, avec cet acord, la guérilla admet qu’elle devra reconnaître ses torts et, de son côté, le gouvernement accède à la création d’un tribunal ad hoc, ce qui répond à la grande méfiance de la guérilla envers la justice ordinaire colombienne. Enfin, cet accord ouvre la porte à la signature de la paix.
Pensez-vous que les droits de victimes seront garantis, comme le réclament les Colombiens ?
La vérité est au coeur de cette juridiction spéciale : si les responsables reconnaissent leurs crimes et révèlent leur modus operandi, alors ils bénéficieront de réductions de peine. Cette règle ne s’appliquera pas seulement à la guérilla mais à tous ceux qui ont participé directement ou indirectement à la guerre. Cela signifie que non seulement les Farc, mais aussi les militaires impliqués dans des éxécutions, et les civils qui ont une part de responsabilité dans des crimes graves ont intérêt à parler pour obtenir des réductions et des aménagements de peine. Il y a donc un avantage à dire la vérité. C’est une bonne nouvelle: ce système pourrait nous permettre de faire la lumière sur des faits qui n’ont pas encore été éclaircis, ce qui est important pour les victimes. L’accord prévoit également la réparation concrète des dommages causés.
Pensez-vous que les responsables vont parler?
Du coté de la guérilla, il n’y a aucun doute: beaucoup de guérilleros passeront très vite aux aveux pour résoudre rapidement leur situation judiciaire. La guérilla a une réelle volonté de réinsertion, et surtout de participer à la vie politique du pays, et les commandants savent que plus vite ils parleront, plus vite ils pourront passer à cette étape. Je ne suis pas sûr, en revanche, que les agents de l’Etat, les personnalités politiques et les acteurs économiques impliqués dans notre conflit aient la même volonté.
Luis Eduardo Celis
N’y a-t-il pas un risque d’impunité?
Le texte est techniquement bien construit: il suppose dans tous les cas une enquête, un jugement, une sanction. Rien n’a été laissé au hasard. il prévoit aussi, au sein du tribunal, une présence de garants internationaux, ce qui lui donne plus de poid et d’équilibre. Cet accord est un peu inspiré de ce qui a été décidé en Afrique du Sud, sauf qu’il évite l’ écueil de l’impunité. Dans ce pays, le seul fait d’avouer garantissait l’amnistie. Dans le cas colombien, il n’y aura pas d’amnisitie pour les crimes les plus graves, et même avec des aveux, les responsables devront au moins purger une sanction de 5 à 8 ans.
Le terme “sanction” n’est pas très clair…
C’est sur ce point que j’ai le plus de réserves. L’accord parle de “restrictions” à la liberté, non pas de privation de la liberté. Selon moi, une peine minimale de privation effective de la liberté pour les crimes graves, même après des aveux, était nécessaire. Mais cela pouvait nous amener à arrêter tous les membres de l’Etat-major de la guérilla qui auraient pu, à leur tour, demander l’emprisonnement de l’ancien président Alvaro Uribe, ou même de l’actuel chef de l’Etat, impliqués dans des exécutions extrajudiciares. Nous savons que c’est impossible.
Par ailleurs, le texte parle de réparation aux victimes et précise que ces victimes pourront fixer la nature de la réparation. Cela suppose que guérilla et populations se mettent d’accord. C’est une très bonne chose, mais la guérilla ne va sans doute pas négocier directement. Il faudra un travail complexe de médiation. D’autres questions surgiront: qui paiera la réparation? Comment va-t- on traiter cette énorme masse dossiers judiciaires? Ce sont 50 ans de conflit! Le grand défi à venir c’est de faire fonctionner ce système, montrer aux Colombiens que ces mesures sont sérieuses. Cela prendra du temps, il y aura bien sûr des critiques, et un débat politique sur les peines infligées. Mais cela vaut la peine, parce que cela devrait nous permettre de compléter le puzzle de notre histoire.