Les centaines de milliers de manifestants qui ont précipité, dans les rues de Belgrade le 5 octobre 2000, la chute du tout puissant Slobodan Milosevic, n'imaginaient certainement pas que ses alliés seraient de nos jours les principaux apôtres de l'adhésion de la Serbie à l'UE.
Refusant de reconnaître sa défaite électorale à la présidentielle du 24 septembre 2000, Milosevic déclenche un soulèvement populaire sans pareil qui entraînera sa chute.
Ce jour là, prenant d'assaut le Parlement et le bâtiment de la télévision nationale, son principal outil de propagande, les manifestants avaient mis un terme à un règne ayant provoqué l'isolement international, l'effondrement économique, mais aussi une division profonde de la société serbe tiraillée entre les aspirations démocratiques, pro-européennes, et un nationalisme autiste.
Mais, héritant d'une situation catastrophique, la coalition hétéroclite de 19 partis et formations, baptisée DOS, qui avait pris la tête de cette révolution pacifique, a échoué à mettre en oeuvre les réformes indispensables pour rapprocher rapidement la Serbie de l'Union européenne.
- Espoirs énormes, puis la déception -
La liesse et les espoirs énormes qu'avaient suscités le départ de Milosevic, ont vite été suivis d'une déception tout aussi intense.
"La DOS était beaucoup trop hétéroclite pour (...) répondre aux attentes" du peuple, a estimé Rasim Ljajic, ancien membre de la DOS, aujourd'hui ministre du Commerce dans le gouvernement du Premier ministre Aleksandar Vucic.
Les conflits intestins entre le Premier ministre Zoran Djindjic - premier chef de gouvernement serbe démocratiquement élu et assassiné en mars 2003 par balles par des policiers d'élite liés au crime organisé -, et Vojislav Kostunica, l'homme qui avait battu Milosevic à la présidentielle, ont "freiné la marche en avant", a fait valoir M. Ljajic.
Le nationalisme de M. Kostunica, qui a occupé la fonction de Premier ministre à partir de décembre 2003, s'est durci progressivement, sur le Kosovo notamment, dont il n'a pu empêcher la proclamation de l'indépendance en février 2008, et détérioré les relations avec l'UE.
Slobodan Milosevic, jugé par la justice internationale pour son rôle dans les conflits qui ont déchiré l'ex-Yougoslavie dans les années 1990, meurt dans sa cellule à La Haye en mars 2006.
Le retour au pouvoir, en 2008, des pro-européens regroupés autour du président Boris Tadic, marque surtout, dans une certaine mesure, la réapparition sur le devant de la scène des anciens alliées de Milosevic.
Le soutien du Parti socialiste (SPS) fondé par Milosevic et dirigé désormais par Ivica Dacic permet une majorité au Parlement aux démocrates de M. Tadic. A l'horizon, alors dans l'opposition, apparaît le Parti serbe du progrès (SNS, conservateur) créé en 2008 par Tomislav Nikolic et Aleksandar Vucic, aujourd'hui président et Premier ministre serbes, deux ultranationaliste très proches de Milosevic reconvertis en pro-européens convaincus.
"Ils se sont réorganisés et la DOS était incapable de diriger le pays. On a perdu trop de temps" note, amer, Velimir Ilic, un des héros du 5 octobre, aujourd'hui ministre sans porte-feuille au gouvernement de M. Vucic.
- Les objectifs du 5 octobre atteints -
En 2012, le SNS et le SPS évincent du pouvoir les démocrates aux législatives et dynamisent la marche du pays ver l'UE. Comme souhaité par Bruxelles, ils entament un processus de normalisation des relations avec le Kosovo, dont Belgrade ne reconnaît toujours pas l'indépendance, et obtiennent en janvier 2014 l'ouverture des négociations d'adhésion à l'UE.
"Je ne m'attendais pas à ce qu'ils soient toujours sur la scène politique", admet Aleksandra, 35 ans, profitant d'un doux soleil d'automne dans le parc faisant face au Parlement où règnent les anciens alliés de Milosevic.
Cependant, l'historien Cedomir Antic estime que "le 5 octobre a atteint ses objectifs". "Aujourd'hui 95% des partis parlementaires soutiennent les idées et le programme pro-européen de la DOS", a-t-il dit à l'AFP.
Parallèlement, les partis d'extrême droite et ultranationalistes sont "aujourd'hui absents du Parlement" et ont été réduits à des groupuscules sans grande influence, note-t-il.
"La prédominance de l'idéologie nationaliste s'est évaporée", fait valoir Srdja Popovic un des leaders du mouvement Otpor (Résistance), un des fers de lance du soulèvement populaire du 5 octobre.
Mais les ultranationalistes ne sont pas les seuls absents de la scène politique. La plupart des leaders et partis de la DOS, à l'exception de trois d'entre eux, deux au gouvernement et un au Parlement, ont disparu des radars.