Génocide au Rwanda: non-lieu pour le prêtre visé par la première plainte en France

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Vingt ans après, les juges d'instruction ont prononcé un non-lieu pour le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, premier Rwandais visé par une plainte en France pour le génocide de 1994, dont l'enquête avait relevé le rôle "trouble" dans sa paroisse de Kigali.

"C'est une décision incompréhensible", a réagi le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Alain Gauthier. La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) a annoncé qu'elle contestait ce non-lieu, ce qui va porter l'affaire devant la cour d'appel de Paris.

Au terme d'une enquête de vingt ans, nourrie de centaines de témoignages et de plusieurs confrontations, le parquet de Paris avait déjà demandé un non-lieu dans ses réquisitions, en raison d'une insuffisance de charges.

Installé en France après le génocide, avec l'aide de l'Église, le prêtre était, à l'époque des massacres, vicaire de la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali, où furent accueillis des milliers de civils. Il y circulait armé et protégé d'un gilet pare-balles pendant le génocide qui a fait entre avril et juillet 1994 quelque 800.000 morts, principalement au sein de la minorité tutsi.

L'acte d'accusation du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui s'était dessaisi en 2007 au profit de la justice française, fait de lui un bourreau. Le procureur du TPIR lui reprochait d'avoir participé à des réunions planifiant des massacres et d'avoir livré des civils tutsi aux milices extrémistes hutu. Il était aussi accusé d'avoir lui-même abattu trois jeunes Tutsi, et encouragé ou commis des viols.

En 2006, un tribunal militaire rwandais l'avait condamné en son absence à la prison à vie.

Le prêtre qui officie à la paroisse de Gisors (Eure) a toujours clamé son innocence. Réfugié temporairement dans l'ex-Zaïre, il avait cosigné début août 1994 avec d'autres religieux une lettre au pape Jean-Paul II, dans laquelle il relativisait le génocide.

"Ma première pensée va aux paroissiens de Sainte-Famille, les morts et les vivants, à qui j'ai donné ma vie", a déclaré à l'AFP Wenceslas Munyeshyaka, 57 ans. "Ce que je regrette, c'est que des associations de défense des droits de l'Homme ont ruiné ma vie, en soutenant de faux témoignages", a-t-il ajouté.

- 'Concordance des accusations' -

L'enquête française s'est notamment attachée à déterminer sa responsabilité dans la préparation et le déroulement des attaques meurtrières de la paroisse ou des centres qui y étaient rattachés, entre le 22 avril et les 18-19 juin 1994.

Dans ses réquisitions, consultées par l'AFP, le parquet notait "l'extrême concordance des accusations", "en dépit de leur étalement dans le temps et de l'extrême diversité des sources". Le parquet relevait sa facilité de déplacement, les privilèges dont il jouissait auprès des Forces armées rwandaises (FAR), dont le port d'une arme.

"Un personnage trouble", "se ménageant toutes les options, sans action positive dans les massacres mais sans les dénoncer ou les empêcher", résumait le réquisitoire.

Pour autant, cette attitude et les témoignages, dont certains se contredisent, ne suffisaient pas, de l'avis du parquet, à caractériser une participation active au génocide.

"Il a fait tout ce qu'il a pu pour accueillir 18.000 personnes à la Sainte-Famille durant cette période épouvantable ", avait expliqué son avocat, Jean-Yves Dupeux, pour le défendre.

Ce non-lieu risque de jeter un nouveau froid dans les relations tumultueuses entre la France et le Rwanda.

Le président rwandais Paul Kagame, arrivé au pouvoir après le génocide, a accusé Paris d'avoir aidé le pouvoir hutu pendant les massacres, déclenchés par l'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994.

La France a toujours refusé d'extrader des suspects du génocide au Rwanda, la Cour de cassation considérant que ce crime n'était pas défini en 1994 dans le code pénal rwandais.

Dans le premier procès à Paris en lien avec les massacres, l'ancien officier de la garde présidentielle Pascal Simbikangwa a été condamné en 2014 à 25 ans de réclusion criminelle. Il a fait appel.

Attendu en 2016, le second procès vise deux anciens bourgmestres, Tito Barahira et Octavien Ngenzi.