Les avocats de l’actuel curé de Gisors (Eure) ne cachent pas leur satisfaction. Pour Me Florence Bourg, les juges Emmanuelle Ducos et Claude Choquet « ont fait un travail considérable » lorsqu’ils ont repris l’instruction, qui avaient été réactivée en France en 2010 après un dégel des relations diplomatiques avec le Rwanda et la création d’un pôle judiciaire spécialisé dans la poursuite des crimes internationaux. Pour les besoins de cette enquête, plusieurs commissions rogatoires ont été menées au Rwanda et les juges d’instruction ont effectué quatre descentes sur le terrain, au cours desquelles ils ont effectué des confrontations entre le prêtre et les témoins par visio-conférence.
« C’est un énorme travail d’analyse, extrêmement rigoureux de centaines de témoignages, qui leur a permis de se rendre compte que la plupart d’entre eux étaient peu crédibles », déclare Me Bourg, contactée par Justiceinfo. Depuis sa mise en cause par des plaintes déposées en France en juillet 1995, le père Wenceslas ne cessait de clamer son innocence. « Ma première pensée va aux paroissiens de Sainte-Famille, les morts et les vivants, à qui j’ai donné ma vie », a-t-il déclaré à l’AFP peu après l’annonce de la décision de non lieu. « Ce que je regrette, c’est que des associations de défense des droits de l’homme ont ruiné ma vie en soutenant de faux témoignages », a-t-il ajouté.
Vives réactions
Dans le camp des parties civiles, les réactions sont vives. Onze personnes physiques et cinq associations représentant les victimes rwandaises avaient été déclarées recevables par la justice française. La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Survie, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), la Ligue pour la défense des droits de l’homme, et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) sont constituées. Pour la FIDH, « de nombreux témoignages le mettent en cause pour avoir participé à la perpétration du génocide, notamment en livrant des réfugiés tutsis aux miliciens et en affichant une collusion manifeste avec les autorités génocidaires ». « 20 ans de procédure pour aboutir à un non lieu, c’est incompréhensible pour les victimes et nos organisations parties civiles qui attendaient la tenue d’un procès depuis 1995 » s’est exclamé Me Patrick Baudoin, président d’honneur de la FIDH. Emmanuel Daoud, avocat de la FIDH, a annoncé son intention de faire appel.
Au CPCR, c’est la consternation. Son président, Alain Gauthier, estime dans un message que cette décision « décrédibilise la justice française » et en appelle au mécanisme résiduel du TPIR, qui avait ouvert en son temps une enquête, renvoyée en novembre 2007 devant la justice française dans le cadre de la stratégie de clôture du tribunal d’Arusha. Dans un message posté sur Facebook, son organisation suggère au mécanisme résiduel de reprendre le dossier. En termes plus mesurés, l’ambassade du Rwanda en France s’interroge elle aussi dans un communiqué, en date du 6 octobre, « sur le bien fondé du transfert de la procédure initiée par le TPIR, vers les juridictions françaises ». Jacques Kabale, l’ambassadeur du Rwanda exprime sa « déception » et regrette « la lenteur exceptionnelle avec laquelle cette décision est intervenue ».
L’ordonnance de non lieu, en 83 pages étayées par des extraits de témoignages clés, explicite la décision. À la lecture, les juges font le portrait d’un prêtre menant au cœur du génocide une paroisse débordée par l’arrivée de réfugiés tutsis et hutus, qui n’a certainement pas été un héros mais contre lequel ils ne parviennent pas à retenir de charges criminelles probantes. La plupart des témoins décrivent, selon les juges, « une attitude se limitant à entamer une discussion avec les attaquants puis à disparaître abandonnant les réfugiés à leur sort ou à assister passivement aux faits ». Un témoin, Félix Kamanya décrit le prêtre allant au devant des miliciens interahamwe, gesticuler puis « il revenait vers les réfugiés en leur disant de prier et s'en allait ».
Bonnes relations avec les génocidaires
L’enquête confirme qu’il portait une arme et entretenait de bonnes relations avec les miliciens et les autorités génocidaires. Mais ce n’est pas une preuve de sa complicité, estiment les juges. Le collège des prêtres lui avait, en raison de ces bonnes relations, confié la charge des questions de sécurité et selon plusieurs prêtres, indique l’ordonnance, « malgré les apparences, Wenceslas Munyeshyaka avait fait tout son possible pour assurer la protection des réfugiés, sans distinction d'ethnie, sollicitant la protection des gendarmes, aidant dans le ravitaillement en eau et en nourriture, enlevant les poignées des portes pour empêcher l'accès des miliciens à l'église. » Selon ses confrères ecclésiastiques, son comportement ambigu reflète les traits de caractère d’un homme "peureux" quoique doté "d'un égo important".
« La lecture des dépositions, écrivent les juges, montre qu’il a mis plus d’énergie à gagner la confiance des groupes armés que celle des réfugiés. » Les témoignages laissent peu de doute, surtout, sur ses opinions. Par exemple, dit un abbé du diocèse, « il parlait d’‘inyenzi’ pour évoquer les Tutsi alors que sa propre mère est Tutsi, que l'expression est insultante, signifiant ‘cafard’ ou même ‘tu dois être tué’. L'abbé Wenceslas utilisait des mots sans réfléchir ce qui le rendra impopulaire. D'autre part, il a été déficient .... dans le réconfort qu'il aurait du apporter aux réfugiés. Plutôt que d’encourager les réfugiés à résister à leurs angoisses, il se montrait fataliste, ‘on ne pouvait rien faire. » Des écoutes téléphoniques menées en France montrent que le prêtre continue d’utiliser le terme d’inyenzi, qui vise selon lui non pas les Tutsis mais le Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda.
Ni un saint ni un héros
Le prêtre est loin d’être un saint ou un héros mais cela n’en fait pas un criminel, disent en substance les magistrats français. « Ses manifestations d'opinion, sa proximité avec les autorités militaires avaient pu, comme l’expliquait AYN [pseudo d’un prêtre témoin protégé, ndlr], être mal interprétées par les réfugiés en situation de souffrance. Et le fait qu'il porte un gilet pare-balles et une (ou des) arme à feu avait achevé d'en convaincre un certain nombre que le prêtre s'était rangé du coté des tueurs. » Pour les juges, « aucun des actes concrets reprochés n'était suffisamment étayé pour caractériser un ou plusieurs faits matériels susceptibles de constituer le crime d’entente établie en vue de la préparation de génocide ou crimes contre l'humanité. » Sa participation, ni de façon active ni en tant que « spectateur approbateur » aux différentes attaques perpétrées par les miliciens non plus, n’a pu être prouvée.
En France, le 25 mars 1994, le Rwandais Pascal Simbikangwa avait été condamné à vingt-cinq ans de prison, dans le premier et le seul jugement rendu par la justice française concernant le génocide des Tutsis au Rwanda. Ce jugement est en appel. Un second procès rwandais est attendu du 10 mai au 1er juillet 2016, devant la cour d’assises de Paris. Deux anciens bourgmestres de la commune de Kabarondo, dans l’Est du pays, doivent y répondre de charges de génocide et de crimes contre l’humanité présumés commis en avril 1994. Une vingtaine de dossiers rwandais sont en cours au pôle judiciaire parisien spécialisé dans les crimes contre l’humanité, où d’après nos informations plusieurs autres instructions vont se clôturer fin 2015 ou courant 2016.