L'ordonnance de non-lieu du Père Munyeshyaka accusé de génocide au Rwanda le texte intégral

L'ordonnance de non-lieu du Père Munyeshyaka accusé de génocide au Rwanda le texte intégral
En-tête de l'ordonnance de non-lieu
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Nous publions ci-dessous l'intégralité de l'ordonnance de non-lieu du Père Wenceslas Munyeshyaka rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 2 octobre 2015.

 

 

COUR D'APPEL DE P A R I S

TRlBUNALDE GRANDE INSTANCE DE P A R I S

CABlNETDE
MME EMMANUELLE
DUCOS VICE-PRÉSIDENTE CHARGÉE DE L'INSTRUCTION

ORDONNANCE DE NON-LIEU

N ' DU P ARQUET: • 9918301488. N ' INS1RUCTION : .2425/12/12 . PROCÉDURE CRIMINELLE

Nous, Mme Emmanuelle DUCOS, Vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal de grande instance de Paris, et M. Claude CROQUET, Premier Vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'information suivie contre:

-M. MUNYESHY AKA Wenceslas sous C.J.

Mandat de dépôt: 28/07/95, libéré le 11/08/95, placement sous G.J.: 11/08/95

né le 30/07/58 BUTARE COMMUNE NGOMA (RWANDA) de NGIRUWONSANGA Gabriel et de MUKARUKAKA Félicité, profession: Ecclesiastique

demeurant 4 rue Saint-Gervais 27140 GISORS
ayant pour avocats: Me Jean-Yves DUPEUX et Me Florence BOURG

- Personne mise en examen -

des chefs de :
GÉNOCIDE, PRATIQUE MASSIVE ET SYSTÉMATIQUE D'EXÉCUTIONS SOMMAllŒS, D'ENLÈVEMENTS
DE PERSONNES SUIVIS DE LEUR DISPARITION, DE LA TOR11JRE OU D'ACTES INHUMAINS INSPIRÉS PAR DES MOTIFS POLITIQUES, PHILOSOPIDQUES, RACIAUX OU RELIGIEUX ET ORGANISÉES EN EXÉCUTION D'UN PLAN CONCERTÉ À L'ENCONTRE D'lIN GROUPE DE POPULATIONCIVILE;PARTICIPATlONÀUN GROUPEMENTFORMÉ OUÀ UNE ENTENTE ÉTAELIEEN VUEDELAPRÉPARATIONDEL'UNDE CES CRIMES. TORTUREETAUTRES PEINES OUTRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS FAITS PRÉvus ET PUNIS PARLES ARTICLES 211-1, 212-1, 212-3 DU CODE PÉNAL, 689, 689-1, 689-2 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE, CONVENTION DE

NEW YORK DU 10.12.1984 (NOTAMMENT LES ARTICLES DE 1 A9)

-> RÉQUISITOIRE SUPPLÉTIF DU 11112/09 :GÉNOCIDE
CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ,
COMMIS COURANT 1994,NOTAMMENTLES 24AVRILET 14IUIN 1994, AU RWANDA, NOTAMMENT ÀKIGALI (CENTRE PASTORAL SAINT PAUL)
FAITS PRÉvus ET RÉPRIMÉs PARLES ARTICLES 211-1,212-1,213-1,213-2
DU CODE PÉNAL

-Mme MUGABUSHAKA-MUJAW AMARIYA Jeanne de Chantal domicilié chez Me EXPERT Philippe, 11 avenue Feuchères 30000 NIMES
ayant pour avocats: Me Philippe EXPERT et
M . Alain OTT AN

-Mme SAFARI Clémence
domicilié chez Me EXPERT Philippe, 11 avenue Feuchères 30000 NlMES ayant pour avocats: Me Philippe EXPERT et Me Alain OTT AN

-M. NYILINKW A Y A Jean-Louis
domicilié chez Me EXPERT Philippe, 11 aVenue Feuchères 30000 NlMES ayant pour avocals : Me Philippe EXPERT et Me Xavier DHONTE

-Mme NYlLINKW A Y A Marie-Louise
domicilié chez Me EXPERT Philippe, Il avenue Feuchères 30000 NIMES ayant pour avocats: Me Philippe EXPERT et Me Xavier DRONTE

-Mme UMWANGAVU Josépha
domicilié chez Me EXPERT Philippe, I l avenue Feuchères 30000 NlMES ayant pour avocat. : Me Philippe EXPERT et Me Alain OTTAN

-Mme MUTlMURA Yvonne ép. GALINIER
domicilié chez Me EXPERT Philippe, I l avenue Feuchères 30000 NIMES ayant pour avocats: Me Philippe EXPERT et Me Xavier DRONTE

-M. NSANZABGANWA Richard
domicilié chezMeBOURDONWilliam,156, ruedeRivoli 75001PARIS ayant pour avocat: Me William BOURDON

-Ass. SURVIE

représentée par TARRlT Fabrice
domicilié chez Me SIMON Jean, 85 rue des Saints Pères 75006 PARIS ayant pour avocat: Me Jean SIMON

-Ass. COLLECTIF DES PARTIES CIVILES POUR LE RWANDA

représenté par GAUTHIER Alain
domicilié 61 avenue Jean Jaurès 51100 REIMS
ayant pour avocals : Me Michel LA V AL et Me Simon FOREMAN

-Mme RAHAMA T ALI-RANGIRA Immaculée
domicilié chez Me MORICE Olivier, I l , rue Saint Dominique 75007 P ARtS ayant pour avocat: Me Olivier MORICE

-Ass. FIDH

représentée par LAHIDTI Karim
domicilié chezMeDAOUDEmmanuel,9,rueBoissyd'AugiasCabinetVIGO75008PARIS ayant pour avocat. : Me Emmanuel DAOUD et Me Patrick BAUDOUIN

-Ass. LIGUE POUR DÉFENSE DROITS DE L'HOMME

représentée par DUBOIS Jean-Pierre
domicilié chez Me MONT ACIE Jacques, 19 rue d'Anjou 75008 P ARIS ayant pour avocat: Me Jacques MONT Acm

-M. NY AMUSHI KAMEY A Olivier
domicilié chez Me P ARUELLE Gilles, 13 rue Pierre Butin 95000 PONTOISE ayant pour avocat: Me Gille. P ARUELLE

-Ass. LICRA

représentée par JAKUBOWICZ Alain
domicilié 42, rue du Louvre 75001 P ARIS
ayant pour avocats: Me Sabrina GOLDMAN et Me Rachel LINDON

- Parties Civiles -
Vu l'article 175 du code de procédure pénale,

Vu notre ordonnance de soit-communiqué aux fins de règlement en date du 26 mars 2015,

INST/UlCTION N". 'Ul!IllII1, ORDQNNANCII DE NON-LIEU_ P"&c 2 .

Vu les observations des conseils de la FIOR et de SURVIE, en date du 5 juin 2015,
Vu les observations du conseil de Wenceslas MUNYESHYAKA, en date du 26 juin 2015,

V u le réquisitoire d e M . l e procureur de la République, en date du 19 août 20 15, tendant au non- lieu,

Vu l'envoi par lettre recommandée aux avocats des parties et aux parties de ces réquisitions,

Vu les observations complémentaires des conseils de Madame MUGABUSHAKA-MUJA W AMARIY A Jeanne de Chanta~ Madame SAF ARI Clémence, Monsieur NYlLINKWAYA Jean-Louis, Madame NYlLINKWAYA Marie-Louise, Madame UMWANGAVU Josépha, et Madame MUTlMURA Yvonne ép. GALINIER, parties civiles, en date du 17 septembre 2015,

Vu les observations complémentaires des conseils de la FIOR et de SURVIE, en date du 18 septembre 2015,

Vu les observations complémentaires du conseil de M. NY AMUSRI KAMEYA, en date du 18 septembre 2015,

Vu les observations complémentaires des conseils du CPCR, en date du 21 septembre 2015, Vu les articles 176, 177, 183 et 184 du Code de Procédure Pénale;
Attendu qne l'information a établi les faits suivants:

Le 12 juillet 1995, une plainte était déposée auprès du procureur du Tribunal de Grande Instance de Paris, au nom de plusieurs plaignants de nationalité rwandaise ainsi que leur conjoint de nationalitéfrançaise, contre Wenceslas MUNYESHYAKA des chefs de complicité de génocide, de tortures et de mauvais traitements, commis au Rwanda en 1994 (D2). Cette plainte, qui regroupait plusieurs témoignages, dénonçait le comportement de Wenceslas MUNYESHYAKA, prêtre à la paroisse de la Sainte Famille, située à Kigali, au Rwanda, pendant les événements d'avril àjuillet 1994. Elle s'appuyait sur les articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale établissant la compétence universelle des juridictions françaises pour poursuivre toute personne se trouvant sur le territoire français, "coupable" de tortures au sens de l'article 1er de la Convention contre la torture et autres peines et traitements inhumains, cruels ou dégradants du 10 décembre 1984 (D3).

Au vu de la domiciliation de Wenceslas MUNYESHYAKA à Bourg Saint Andeol, la plainte était transmise au Tribunal de Grande Instance de Privas. Le 25 juillet 1995, le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Privas ouvrait une information judiciaire contre Wenceslas MUNYESHYAKA des chefs de génocide, crimes contre l'humanité (par la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d'autres actes inhumains), participation à un groupement fonné ou à une entente établie en vue de la préparation de l'un de ces crimes, actes de tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (D4).

Le 28 juillet 1995, Wenceslas MUNYESHYAKA était mis en examen de ces chefs pour la période d'avril àjuillet 1994, alors qu'il exerçait les fonctions de ministre du Culte à l'église de la Sainte Famille à Kigali, au Rwanda (D17). Il était placé en détention provisoire et remis

TNSTRUCTION N" .1.JISlIlfI1 , ORDONNANCE DE. NON.liEU. paga 3 -

en liberté sous contrôle judiciaire par arrêt de la Cour d'appel de Nîmes du I l août 1995.

Le 9 janvier 1996, le juge d'instruction se déclarait incompétent pour instruire des chefs de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, faute de base légale permettant aux juridictions françaises de poursuivre des étrangers auteurs éventuels de tels actes commis à l'étranger et sur des étrangers, tout en se déclarant compétent pour les faits de torture sur le fondement de l'article 689-2 du code de procédure pénale (D62). Par décision en date du 6 mars 1996, la Cour d'appel de Nîmes infirmait la dite décision, considérant que l'ensemble des faits reprochés était en réalité constitutif des infractions de génocide et de complicité de génocide et qu'en l'état de la législation, les autorités judiciaires franllaises étaient incompétentes pour

en connaître (D93).

Par arrêt du 6 janvier 1998, la Cour de Cassation, en vertu de la loi du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation franllaise aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide, de crimes contre l'humanité ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 au Rwanda, cassait l'arrêt de la Cour d'appel de Nûues et renvoyait la procédure devant la Cour d'appel de Paris (D 107). La chambre criminelle de la Cour de Cassation se fondait, en effet, sur les articles 1 et 2 de cette loi nouvellement entrée en vigueur, qui donnait compétence auxjuridictions françaises pour juger les auteurs ou complices de telles inftactions trouvés en France.

Le 23 juin 1999, la Cour d'appel de Paris confirmait la compétence des juridictions françaises pour connaltr. de l'ensemble des faits reprochés et renvoyait le dossier à un juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris (DI5l).
Parallèlement à la procédure française, le procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T'PIR) initiait une enquête concernant Wenceslas MUNYESHYAKA et rédigeait contre celui-ci un acte d'accusation les 20 juillet 2005 et 27 septembre 2007 (D 6357, D6383, D6908). Le 20 novembre 2007, la chambre de première instance du TP!R, conformément à l'article
I l bis du règlement de procédure et de preuve permettant le renvoi d'une affaire devant

une juridiction nationale, ordonnait le renvoi de la procédure diligentée contre Wenceslas MUNYESHYAKA aux autorités franllaises.
Le
I l décembre 2009, le procureur de la République de Paris transmettaitladite procédure pour lajoindre au présent dossier.

A cette même date, il adressait un réquisitoire supplétif des chefs de génocide et de crimes contre l'humanité pour des faits commis au centre pastoral Saint Paul situé à Kigali commis notamment les 24 avril et 14 juin 1994. Pour ces faits, Wenceslas MUNYESHYAKA bénéficiait du statut de témoin assisté (D20315).

Après plusieurs décisions concernant la recevabilité des constitutions de parties civiles (D63, D151), celles déclarées recevables, étaient au nombre de 16. Les constitutions de partie civile de Jean-François DUPAQUIER ainsi que son épouse, des époux GOUTEUX et de Pierre GALINIER étaient déclarées irrecevables, faute de préjudice direct et personnel. Les parties civiles comprenaient I l personnes physiques ayant perdu des proches dans les faits dénoncés ou ayant eUes-mêmes été victimes du comportement reproché à Wenceslas MUNYESHYAKA. Parmi celles-ci, Rose MURORUNKWERE(épouse RWANGA) etDonatienRUGEMAétaient décédés depuis.

Se constituaient également parties civiles au cours de la procédure, l'association SURVIE, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH), la Ligue pour la défense des Droits de l'Homme (LDH), la Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA) et le Collectif des Palties Civiles pour le Rwanda (CPCR).

INSTRUCTIONN" 1:41S11l1J 2 . ORDONNANCEDENON·i,ItiU· p1!Ç04·

Au cours de l'information judiciaire, plusieurs commissions rogatoires étaient confiées à la Section Recherches de Paris de la Gendarmerie Nationale puis à l'Office Central de Lutte contre les Crimes contre l'Humanité, tes Génocides et Crimes de Guerre (OCLCHGCG), dont les officiers de police judiciaire, dans le cadre de demandes d'entraide pénale adressées aux autorités rwandaises, se déplaçaient au Rwanda àdemultiples reprises aux fins de recueillir des documents tels que des dossiers judiciaires, d'assister aux constatations faites par les policiers rwandais et de procéder à des auditions.

De la même façon, les magistrats instructeurs se transportaient au Rwanda à quatre reprises, notamment pour permettre l'organisation de confrontations entre le mis en examen et les témoins via un système de visio-conférence.
Des commissions rogatoires internationales étaient également adressées en Belgique, en Allemagne, au Burkina-Faso ainsi qu'au Tribunal Pénal Intemational pour
Je Rwanda, pour solliciter l'audition de témoins et obtenir communication de pièces.

Outre un griefgénéral de collusion etde complicité avec les autorités administratives, militaires et les miliciens impliqués dans les massacres, l'ensemble des faits reprochés à Wenceslas MUNYBSHYAKA pouvaient, pour l'essentiel, être regroupés de la façon suivante :

• crimes commis au CELA (Centre d'Etudes des Langues Africaines des missionnaires d'Afrique) consistant en l'enlèvement de réfugiés tutsi le 22 avril 1994, enlèvement suivi de leur exécution. Parmi les victimes, se trouvaient le mari et les fils de Rose MURORUNKWERE (PC) ainsi que Christophe SAFARI, frère de Clémence SAFARI (PC), neveu d'Immaculée RAHAMATALI-RANGIRA (PC) etcousin de YvonneMUTIMURA épouse GALINIER(pC).

• enlèvements de réfugiés et des attaques de miliciens commis au centre pastoral Saint Paul, mitoyen de la paroisse de la Sainte Famille, notamment le 24 avril et eutre le 12 et le 16 juin 1994.

• crimes commis à la paroisse de la Sainte Famille, en l'espèce:
- des enlèvements de réfugiés par des miliciens, notamment aux environs du 15 avril et du 18

ou 19 juin 1994,
- une attaque le 17juin 1994 au cours de laquelle un très grand nombre de réfugiés tutsi étaient

tués dans l'enceinte même de celle-ci, dont Hyacinthe RWANGA, la fiUe de Rose MURORUNKWERB.
Il lui était également reproché d'avoir livré des personnes particulièrement recherchées aux miliciens, tel qu'André KAMEY A,journaliste d'opposition connu. Enfin, il était mis en cause pour avoir entretenu des rapports intimes sous
contraint~ avec des jeunes femmes réfugiées à la paroisse de la Sainte Famille.

L'enlèvement des réfugiés au CELA ainsi que les crimes commis dans la paroisse de la Sainte Famille avaient fait l'objet, au Rwanda, d'un jugement du Tribunal militaire de Kigali en date du 16 novembre 2006 contre Wenceslas MUNYBSHYAKA et Laurent MUNYAKAZI, ancien colonel des Forces Armées Rwandaises (FAR), en charge de la protection de la ville de Kigali. WenceslasMUNYESHYAleA était condamné, in absentia, pour les crimes de génocide commis à la Sainte Famille (assassinat, enlèvements et viols) à la réclusion criminelle perpétuité mais acquitté des faits commis au CELA (D4785, D5616).

Plusieurs ouvl'ages ainsi que des rapports d'organismes internationaux étaient joints la procédure de façon à apporter un éclairage historique et politique sur les événements qui s'étaient déroulés au Rwanda en 1994 (Del à Dc26).

INSTRUCTION N" ,2425/12112. OllDONNANCIl DIlNON·LIEU· pato 5 •

En exposant le. faits, cette ordonnance ne saurait énumérer, de façon exhaustive, toutes les dépositions recueillies dans le cadre de cette procédure, celles-ci se chiffrant plusieurs centaines mais elle s'attachera à évoquer les témoignages qui, au delà d'accusations générales et de propos rapportés, attestent, de façon circonstanciée, de faits précis susceptibles de revêtir une qualification pénale.

Par ailleurs, i l convient de souligner, que dans le cadre de la procédure conduite devant le TPIR, intégrée désormais au présent dossier, certains témoins ont bénéficié de mesures de protection consistant à maintenir leur identité confidentielle à l'égard des tiers, en leur attribuant un pseudonyme. Ainsi, à l'instar du réquisitoire définitif et afin de respecter les engagemeuts pris par les autorités françaises auprès du TPIR lors du transfett de ce dossier, visant à ne pas rendre publiques ces identités, les témoins confidentiels -dont l'identité réelle est connue des patties ayant accès à la procédure- seront cités par leur pseudonyme.

Pour permettre une meilleure compréhension des faits et de la procédure, la présente ordonnance abordera dans un premier temps le contexte historique des événements, présentera les lieux et les principaux acteurs concernés, avant d'examiner chacun des faits reprochés en incluant l'analyse des charges pesant sur Wenceslas MUNYESHYAKA, selon le plan suivant:

INsTRucrrONN". UlSIlllll, ORDONNANCII DENON·LIEU· p.go 6~

1- Eléments de contexte sur l'histoire contemporaine du Rwanda ••••••••••••••••• 8

1-1- Les grandes lignes de l'évolution historique, politique et sociale de la période coloniale aux événementsde1994......................................•................. 8

1-2- Le basculement du 6 avri11994 ...........•.............................. 12 1-3-LestravauxduTribunalPénalInternationalpourleRwanda ................... 14

2- La situation géographique et administrative des sites religieux concernés ••••••• 15 3- La participation à une entente en vue de la préparation du cl'ime de génocide on

d'autres crimes contre l'humanité ....................... 1 • • • • • • • • • • • • • • • • • • 17

4- Les crime. commis au CELA et an centre pastoral Saint Paul ••••••••••••••••• 26 4-1- L'enlèvement des réfugiés au CELA le 22 avri11994 suivi de leur exécution . . . . . . 26 4-2- Les attaques subies par les réfugiés du centre pastoral Saint Paul ................ 31

5- Les crimes commis la paroisse de la Sainte Famille ••••••••••••••....•.•.•. 37 5-1- L'organisation mise en place au sein de la paroisse .......................... 37 5-2- Les enlèvements de réfugiés .•........................................... 42 5-3-L'attaque du 17juin 1994 .............................................. 49 5-4-Les viols ....................•....................................... 59

5-5- Les dénonciations de réfugiés particulièrementrecherchés : les cas d'André KAMEYA, de Félicien MUTALIKANWA et de Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA UWAMARIYA ........................................................................ 66

6- Conclusion snr la responsabilité pénale de Wenceslas MUNYESHYAKA ••.•••• 75

INSTRUCTJON N° .14lSlI2JJ1. ORDONNANCB DB NOH·WIlU- pago 7 •

1- Eléments de contexte sur l'histoh'e contemporaine du Rwanda eUes événements ayant ébranlé le pays en 1994

Plusieurs sources permettaient d'apporter un éclairage historique sur les événements qui s'étaient produits au Rwanda en 1994, et notannuent :

- Le rapport rédigé par Alison DES FORGES en vue de sa déposition devant les juges du Tribuual Pénal International pour le Rwanda (TPIR) en tant que témoin expert - (Dc6) ;
- Les rapports de la commission d'expertmandatée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (Dc7, Oc21) ;

- Une copie du livre d'André GillCHAOUA, historien de la région des Grands Lacs et expert du TPIR, intitulé "Rwanda, de la guerre au génocide" (Oc26) ;
- Un article d'Hélène DUMAS, historienne du génocide des Tutsi, publié dans la revue "Histoire" et intitulé "le génocide des voisins" (Dc23) ;

- La déposition de Jean-Pierre CHRETIEN, chercheur au CNRS spécialisé dans l'histoire de l'Afrique des Grands Lacs (Dc8 et Oc9) ;
- Le témoignage d'Ephrem NZEKÀBERA, l'un des plus hauts responsables interahamwe de la ville de Kigali (OcI7, OcI9).

1-1- Grandes lignes de l'évolution historiqne, politique et sociale de la période coloniale aux événements de 1994

La naissance de la République

En avril 1994, la population Rwandaise était composée de trois groupes distincts: un petit nombre de Twa, représentant moins de 2% de la population, une minorité de Tutsi, représentant environ 14% des Rwandais, et une grande majorité de 84% de Hutu, chacun s'exprimant dans une langue commune: le kinyarwanda (Commission d'expert de l'ONU, Oc7, p.12). Selon Alison DES FORGES, les groupes hutu et tutsi "se constituaient avec la mise en place de l'État". Initialement, les termes "Tutsi" et "Hutu" recouvraient des réalités sociales: les élites étaient désignées par le terme de "Tutsi" et le reste de la population était appelé "Hutu" (A. DES FORGES, Oc6, pA-5). Placé sous protectorat allemand, le Rwanda allait être occupé par la Belgique après la Première Guerre Mondiale. Profondément réorganisé par le pouvoir colonial, le Rwanda était cependant resté une monarchie dirigée par un souverain tutsi qui régnait par l'intermédiaire de représentants officiels (A. DES FORGES Oc6/6-9).

Les Belges devaient projeter sur les réalités Rwandaises les représentations raciales répandues en Europe au début du XXème siècle. Parce qu'elle considérait que le peuple Tutsi était plus avancé que le peuple Hutu dans l'échelle de l'évolution, l'administration coloniale menait une politique discriminatoire qui consistait à réserver l'accès à l'éducation aux Tutsi et à écarter systématiquemeut les Hutu de tous les postes responsabilités. A partir des années trente, cette politique prenait la forme de l'inscription sur les cartes d'identité de l'appartenance ethnique, laquelle setransmettait de manière patrilinéaire. A u terme de ce processus historique complexe, les Hutu et les Tutsi devenaient des groupes ethniques reconnus, y compris par les Rwandais eux-mêmes, qui accordaient désormais un certain crédit l'historiographie coloniale (A. DES

FORGES Oc6 p.8-9, J.P. CHRETIEN Dc8/2).

Amorcées après la deuxième guerre mondiale, les tentatives de rééquilibrage de la politique coloniale en faveur des Hutu provoquaient des transfonualÎons politiques et sociales significatives, marquées par la "Révolution sociale de 1959", la proclamation de la République en 1961 et la déclaration d'indépendance en 1962. Dans un contexte de grande violence, le Parti

INSTRUCTION N" 2425/U/l1. ORDONNANCB DE NON·LIEU. jI8/:o • •

du mouvement de l'émancipation des Bahutu (Parmehutu) consolidait un régime politique se réclamant du "peuplehutumajoritaire", qui confondait sciemmentmajori té politique et maj orité ethnique afin de renverser la pyramide des privilèges en faveur des Hutu. Selon cette conception, le pouvoir devait être partagé suivant une répartition ethnique, respectueuse de l'existence d'une très importante majorité de Hutu dans le pays. A la fin des années 60, ces transformations politiques et sociales devaient entralner la mort de 20.000 Tutsi et en pousser 150.000 autres à l'exil (J.P CHRETIEN De 8/2 et 8/12, A. DES FORGES Dc6 p.10-11).

Après l'instauration de la Première République le 1"juillet 1962, sous la direction du Président Grégoire KAYIBANDA, des rivalités régionalistes entre le nord et le sud du pays faisaient cependant voler en éclat la solidarité hutu. Profitant de ces tensions, le chef d'Etat Major des armées, Juvénal HABYAR1MANA, également nrinistre de la Défense nationale, renversait le 5 juillet 1973 le régime de Grégoire KAYlBANDA pour installer la "Deuxième République" (DES FORGES Dc6 p.11-12). A cet égard, il y avait lieu de relever que, jusqu'en 1994, le Rwanda était autant divisé par l'opposition entre Hutu du nord et Hutu du sud que par l'antagonisme entre Hutu et Tutsi. Or, ces deux conflits devaient finir par se superposer dans la mesure où la majorité des Tutsi vivait dans le sud du pays (GUICHAOUA Dc26129-32 et 46-53).

A partir de 1975, Juvénal HABY ARlMANA devait installer un régime politique à parti unique en exerçant son pouvoir à travers un maillage adnrinistratifparticulièrement resselTé. A l'instar du chef de l'État, la fois Président de la République et chef du Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND),les fonctionnaires du gouvernement cumulaient leur fonctions administratives avec des responsabilités équivalentes au sein du parti unique (A. DES FORGES Dc6 p.12; E. NZEKABERA Dc19/1 voir aussiDc17/177). A travers la défense d'une idéologie du développement, le parti unique visait officiellement à dépasser les clivages ethniques et régionaux afin d'encourager une répartition équitable des ressources. Cependant, le maintien de quotas etbniques et régionaux pour l'accès à l'école et à l'emploi continuaient de favoriser les Hutu sur les Tutsi et les Hutu du Nord sur ceux du Sud. Les principaux privilégiés du régime étaient les Hutu de la préfecture de Gisenyi, et plus particulièrement ceux de la région natale de Jnvénal HABYARlMANA, qui était courannnent appelée "telToir

présidentiel". A cet égard, le tenne "Akazu" (littéralement "petite maison"), était ainsi régulièrement utilisé pour désigner ce cercle fermé de personnes, nées dans la même région que Juvénal HABYARIMANA (la préfecture de Gisenyi), qui contrôlaient différents secteurs d'activités privés et publics, le plus souvent dans leur intérêt propre (J.P CHRETIEN Dc8/2, 3 et 12, GUlCHAOUA, Dc26/96-110, A. DES FORGES Dc6 p.l6).

Une libéralisation politique dans un contexte de guerre civile

A la fin des années 80, le Rwanda devait faire face à deux évolutions de grande envergure. D'une part, le gouvernement devait répondre aux demandes croissantes des membres de la communauté tutsi en exil à faire valoir leur droit au retour. Parmi eux, les membres du Front Patriotique Rwandais (FPR), composé essentiellement d'anciens militaires ayant servi dans l'armée ougandaise, ne cachaient pas leur volonté d'user de la force. Le choix du nom ''Inkotanyi'', en référence à un groupe de combattants d'élites du XIXème siècle illustrait cet état d'esprit belliqueux. Le 1" octobre 1990, les combattants du FPR déclenchaient une première offensive repoussée aux frontières par les Forces Armées Rwandaises (FAR) et, lors d'une seconde opération militaire en 1992, parvenaient à s'implanter dans plusieurs communes de la préfecture de Byumba, ce qui entr8Û,ait plus de 350.000 civils déplacés de guerre. Dès le début des hostilités, une partie de l'opinion publique Rwandaise désignait les membres du FPR comme des "inyel1zi" (cancrelats), selon l'expression utilisée dans les années 60, pour

6 INSTRUCTIONN .lU5I13111.

ORDONNANCB DE NON·LlEU· p~gc 9 ·

caractériser les actions de guérilla menées par les combattants tutsi qui avaient refusé la "Révolution Sociale de 1959". Dans ce contexte particulièrementtendu, leministt·ede la Justice justifiait l'arrestation de 11.000 personnes à Kigali, quelques jours seulement après le déclenchement des hostilités par le FPR, le 1" octobre 1990, affirmant que les individus interpellés étaient des "Ibyitso", c'est-à-dire les "complices" des envahisseurs (A. DES FORGES Dc6 p.18-21 et 33, J.P CHRETIEN Dc8/5, GUICHAOUA, Dc26/54-58 et 75-81).

D'autre part, les dynamiques intemes de la société Rwaudaise avaient contribué à l'émergence de nouvelles revendications politiques et sociales. En dépit du verrouillage institutionnel du système des quotas, une intégration croissante des populations tutsi et hutu s'imposait dans le centre et le sud du pays, notamment par la multiplication de mariages mixtes et le développement des relations commerciales. Bien que le Nord du pays restait à l'écart de cette évolution, la pression des bailleurs de fonds intemationaux, désormais soucieux d'asseoir le développement du pays sur des bases démocratiques, relayaient ces demandes d'ouverture. Face à cette pression, accrue par le déclin économique relatif du Rwanda et la grande famine du début de l'année 1990,Ie présidentHABY ARIMANA était contraint d'accepter la libéralisation de l'espace médiatique et l'instauration du "multipartisme". Consacrées par l'adoption d'une nouvelle constitution en juin 1991, ces réformes débouchaient sur la création d'une quinzaine de partis politiques. Parmi les nouvelles forces politiques du pays, il convenait de mentionner le Mouvement Démocratique Républicain (MDR), le Parti Social Démocrate (PSD), le Parti Libéral (PL), le PartiDémocrate-Chrétien (PDC), la Coalition pour la Défense de la République (CDR), laquelle réunissait les partisans les plus radicaux de l'hégémonie hutu. Au sein de ce nouveau paysage politique, le MDR était devenu le principal adversaire du MRNO par sa contestation de l'héritage de la "Révolution sociale de 1959" au parti présidentiel. Afin de

répondre à la remise en cause de son hégémonie, le parti de Juvénal HABYARlMANA repensait ses alliances aux côtés "des éléments nordistes les plus radicaux". Si le PL et le PSD étaient parvenus à attirer de nombreuses personnalités tutsi, le MRND de Juvénal HABY ARIMANA perdait ses principaux militants tutsi vers la fin de l'année 1993, au moment de sa plus forte radicalisation. Ces forces politiques étaient soutenues par différents journaux. L'opposition pouvait bénéficier du soutien de deux joumaux, KANGUKA et Rwanda RUSHYA, qui faisaient travailler ensemble des journalistes hutu et tutsi. Les idées radicales étaient portées parun bi-mensuel, KANGURA, qui diffusait une violente propagande anti-tutsi. A titre d'exemple, Jean-Pierre CHRETIEN insistait particulièrement sur la couverture du numéro de novembre 1991 qui appelait à prendre la machette contre les Tutsi pour préserver les acquis de la révolution de 1959 (J.P CHRETIEN Dc812-4, GUiCHAOUA Dc26/92-96 et 148-151, A. DES FORGES Dc6 p.24-25).

En raison du poids du MRND sur les institutions, les partis d'opposition imposaient la formation d'un gouvernement de coalition en avril 1992, plutôt que de participer des élections qu'ils jugeaient impossibles à organiser de manière impartiale (A. DES FORGES Dc6 p. 16, 17 et 22, GUiCHAOUA Dc26/IlO-Il7). Suite à des accords pluripartites, Dismas NSENGIYAREMYE, l'un des principaux leader du MDR, devenait Premier Ministre du Rwanda le 3 avril 1992. Sous son gouvernement, la ministre de l'Education Nationale, Agathe UWILINGIYIMINA, se distinguait par l'abolition du système des quotas ethniques à l'école. Figure proéminente du MOR, elle devait remplacer Dismas NSENGIYAREMYE au poste de Premier Ministre du gouvernement de coalition, le 18 juillet 1993 (J.P CHRETIEN Dc8/4, GUiCHAOUA Dc5/6). La cohabitation entre ces différentes forces politiques s'avérait cependant tumultueuse tant sur le plan national que sur le plan international. Au plan national, les partisans de l'opposition démocratique s'affrontaient violemment aux membres du MRND et à ceux de la CDR. En dépit de la nomination d'un premier ministre issu des rangs du MDR, le partage du pouvoir suscitait une grande vague de violences marquées par la confrontation de

lNSTRUCTION N° .lUS/IUU. OADONNANCeDENON·Lleu·p~se JO.

lajeuuesse militante du MRND qui se faisait appeler "interahamwe" -littéralement "ceux qui combattent ensemble"- et celle du MOR qui prenait le nom de "Inkuba". Pour briser le monopole du MRNO sur l'administration, le MOR lançait la stratégie de l'''ukubohaza'', qui consistait à libérer par la force les rouages de l'État de l'emprise de l'ancien parti unique. Ces coups de force provoqnaient cependant des représailles également très violentes de la part des interahamwe qui bénéficiaient d'un traitement de faveur des autorités pour agir en toute impunité (A.GillCHAOUA Oc261136-l40 et 215-219, J.P CHRETIEN Oc8/6, E. NZEKABERA 0c17/42-43 et Dc17/116). Au plan international, l'opposition démocratique rencontrait publiquement les représentants duFPR à l'extérieur du pays afin de contraindre le président HABYARIMANA ouvrir des négociations. Ces démarches abontissaient à la signature du premier protocole des accords d'Arusha, en août 1992, qui prévoyaient un cessez-le-feu, l'instaUation de la Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda

(MJNUAR) et SUltout une nouvelle répartition des pouvoirs au sein des instances de transition et de l'armée (GillCHAOUA Dc26/128-133, A. OES FORGES Dc6, p.33).

L'émergence du courant "Hutu-Power"

Dans ce contexte tendu, le courant anti-tutsi de la COR dénonçait "la trahison" de l'opposition intérieure qui négociait avec le FPR. Il accusait ainsi les partis d'opposition d'avoir brisé l'unité de la majorité Hutu et d'être des ennemis de l'intérieur la solde du FPR(DES FORGES De6 p.27-29). A cet égard, A. DES FORGES relevait que cet amalgame idéologique avait eu un large écho au sein des milieux militaires, particulièrement évident lors du rassemblement du MRNO le 22 novembre 1992, au cours duquel le professeur Léon MUGESERA devait prononcer un violent discours anti-tutsi en présence de l'ancien chef d'État Major des FAR. En assimilant les Tutsi aux partis de l'opposition démocratique et l'opposition aux combattants du FPR, ce responsable du MRND lançait un appel à "exterminer la canaille ", "écraser tout complice" et "liquider la vermine" avant de terminer son discours en déclarant que "celui

à qui vous ne couperezpas le cou, c'est celui-là même qui vous le coupera" (A. DES FORGES Dc6 p.24 et 29-30). Ce discours était prononcé dans un climat de violences anti-Tutsi récurrentes, tel que les massacres commis dans la Préfecture deRUHENGERl en 1991 (pogrom des BAGOGWE), dans celle du BUGESERA en 1992 ou encore dans celle de KIBUYE en 1993 .(A. DES FORGES Oc6 p.30-32, J.P CHRETIEN Oe8/5, GillCHAOUA Dc26/143-147).

L'année 1993 était ponctuée par deux épisodes majeurs qui allaient marquer le cours des événements. Le 8 février 1993, le FPR lançait une nouvelle offensive massive sur le Rwanda, au mépris du cessez-le feu signé à Arusha, en août 1992. Déclenchée sous le prétexte de mettre un terme aux massacres anti-tutsi, cette attaque portait le nombre des déplacés de guerre à environ un million de personnes. A la suite de ces événements, une partie de l'opposition démocratique conunençait douter de sa stratégie de coopération avec le FPR, lequel semblait encore privilégier une victoire militaire sur les négociations d'Arusha. Refusant ainsi d'être considérés comme les "complices" du FPR, certains leaders de l'opposition se rapprochaient du MRNO pour la défense des intérêts nationaux (A. DES FORGES Oc6 p.34-36, J.P CHRETIEN Oc9/3). Mais c'est l'assassinat du Président burundais Melchior NDADAYE, au cours du mois d'octobre 1993, qui précipitait un ré-alignement politique derrière la défense de la solidarité Hutu. Premier président d'origine hutu d'un pays qui rencontrait des difficultés comparables à celles du Rwanda, Melchior NDAOAYB était assassiné par des militaires tutsi, quatre mois après son arrivée au pouvoir, au terme d'élections considérées comme libres et

impartiales. Accablés par l'offensive du FPR et l'assassinat du président burundais, les partis politiques de l'opposition démocratique se scindaient entre unefraction favorable à la poursuite des négociations d'Arusha etune fraction partisane d'une "solidarité" hutu. Cetterecomposition du paysage politique donnait naissance à la coalition dite "Hutu Power", regroupant des

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membres issus de presque tous les partis politiques au sein d'un même mouvement de défense des intérêts hutu (A. DES FORGES Dc6 p.37-39, J.P CHRÉTIEN Dc9/3, GillCHAOUA Dc26/17l-179).

Cette mobilisation politique en faveur du ''Hutu-Power'' s'accompagnait d'une transformation des pratiques militantes. D'une part, les jeunesses "interahamwe" du MRND devenaient progressivement une milice, tout d'abord au travers de leur participation à des actions violentes contre les partis d'opposition, puis par leur contribution. aux actions meUl1rières contre des civils tutsi, notammentlors des massacres commis dans la préfecture du BUGESERA en 1992 (lP CHRETIEN Dc9/2, A. DES FORGES Dc6 p.32, E. NZEKABERA DcI9/4, voir aussi Dc17/45-46).La transformation des interahamwe en mouvement paramilitaire était achevée au cours de l'année 1993, lorsque de nombreux réservistes commençaient àrejoindre ses rangs et que le Ministère de la Défense décidait de leur dispenser un entralnement militaire dans les camp de BUGESERA, BIGOGWE et MUTARA (A. GillCHAOUA Dc26/233-238, E. NZEKABERA DcI9/4, voir aussi DcI7176-77). Ces interahamwe nouvellement formés aux

techniques militaires étaient ainsi présents dans toutes les communes dirigées par des sympathisants du MRND et disposaient d'une très forte concentration dans la ville de Kigali (A. DES FORGES Dc6 pAl, E. NZEKABERA DcI9/3-4, voir aussi Dc17/64, DcI71107). D'autre prut, la création d'une nouvelle radio privée en août 1993, la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), permettait la diffusion au plus grand nombre de propos expressément racistes, sur le même ton que ceux du journal KANGURA.

L'entrée en fonction d'un gouvernement de transition à base élargie, prévue initialement en janvier 1994, en application des accords d'Arusha était reportée à plusieurs reprises, pour être finalement fixée début avril 1994.

1-2- Le basculement du 6 avril 1994

Le 6 avril 1994, le président Juvénal HABY ARIMANA, se rendait à Dar-es-salam en T anzanie, poury rencontrer les chefs d'États des pays voisins et discuter de la mise en oeuvre des accords d'Arusha. Lors de son retour, ce dernier, accompagné du Président du Burundi, du chefd'État Major de l'année Rwandaise et de plusieurs autres personnalités, trouvait la mort dans l'attentat de son avion à l'approche de l'aéroport de Kigali. Plusieurs événements se déroulaient simultanément dans la nuit du 6 au 7 avril 1994. Alors que de nombreuses barrières routières étaient érigées par la garde présidentielle dans divers quartiers de Kigali, une série d'exactions, de meurtres et d'incendies de domiciles de personnes présumées complices du FPR étaient perpétrés dans la ville. Les premiers homicides touchaient aussi bien des Tutsi que des Hutu connus pour avoir été favorables aux accords d'Arusha. Plusieurs ministres du gouvernement de coalition faisaient partie des premières victimes, notamment le premier ministre, Agathe UWJLINGIYIMANA (membre du M.D.R.), ainsi que d'autres personnalités, telles que le Président de la Cour suprême et des membres de l'équipe dirigeante du Parti Social Démocrate (P.S.D.). Par ailleurs, l'exécution par des soldats des FAR de dix casques bleus belges qui assuraient la protection du Premier Ministre, avait immédiatement entmîné la réduction des forces de maintien de la paix à 450 hommes par décision du Conseil de sécurité des Nations Unies en date du 21 avril 1994 (GUICHOUA Dc261246-249, 273-275 et 290-305, Rapport de

j'ONUDc7 p.14).

Sous l'égide de Théoneste BAGOSORA, qui exerçaitjusqu'alors les fonctions de directeur de cabinet du ministre de la Défense, un gouvernement de tendance ''Hutu-Power'' venait combler le vide institutionnel causé par les assassinats ciblés de personnalités politiques. Connu sous le nom de "gouvernement intérimaire", il était composé notamment de 8 membres du

INSTRUCT!ON N- .1~J.5/UIU. ORDONNANCBDBNON-UEU- p~&t' 12_

gouvernementprécédentissnsdesrangsdespartisMRNDetPLPowel"Installéle9avril 1994, le gouvernement intérimaire était dirigé par Jean KAMBANDA, Premier ministre, tandis que Théodore SINDJKUBWABO était choisi pour assumer la présidence de la République. Les conditions de ces nominations ne répondaient pas aux. exigences des accords d ' Arusha, lesquels étaient devenus prétendument inopérants, notamment en raison de l'élimination des personnalités politiques censées jouer un rôle dans le gouvernement de transition. A peine entré en fonction, le gouvernement intérimaire était contraint de s'enfuir de Kigali pour rejoindre la vi11e de Murambi,préfecture de Gîtarama, du fait de la progression des troupes du FPR, arrivées aux. portes de la capitale le 12 avril 1994 (A. GUICHAOUA Dc26/321-335).

Parallèlement aux. assassinats des membres de l'opposition politique, les tueries prenaient immédiatement pour cible des civils tutsi. Le communiqué du ministère de la Défense, diffusé le 12 avril 1994 sur les ondes de Radio Rwanda, montrait que le groupe ethnique tutsi devenait la cible des exactions: "les soldats, les gendarmes [police nationale] et tous les Rwandais ont décidé de lulter ensemble contre leur ennemi commun que tous ont identifié. L'ennemi est toujours le même. C'est celui qui n'a cessé d'essayer de rétablir le monarque qui avait été renversé [..} Le ministère de la Défense demande tous les citoyens Rwandais, aux solda/s, aux gendarmes d'agir ensemble, d'organiser des patrouilles et de combattre l'ennemi" (Rapport DES FORGES Dc6 p.56). A l'instar des discours deplusieurs responsables politiques, laRTLM propageait les messages de haine qu'elle diffusait depuis l'automne 1993. Pendant les

massacres, les présentateurs vedettes de la radio continuaient de lancer des appels aux meurtres à l'encontre de la population tutsi et relayaient des dénonciations contre des personnes nommément visées à partir de renseignements fournis par des auditeurs. Dans la mesure où son réseau couvrait l'ensemble du territoire rwandais depuis mars 1994, laRTLM s'avérait être un moyen très efficace de mobilisation (J.P CHRETIENDc8/4, NZEKABERA, D e l 9/5, voir aussi

DcI7/41, DcI71147).

Dès lors, des massacres de grande ampleur étaient perpétrés sur une grande partie du territoire Rwandais coutre des personnes, en raison de leur appartenance, véritable ou présumée, au groupe ethnique tutsi. TIs étaient perpétrés tantôt isolément tantôt de concert par des interahamwe, par des membres des Forces Années Rwandaises (FAR), notamment les bataillons depara-commandos et lagarde présidentielle, ainsi que par des unités de gendalmerie ou des autorités locales administratives soutenues par des civils. Au cours de ces événements, le terme inlerahamwe allait se détacher de sa signification initiale de membre de la jeunesse du MRND pour désigner communément les personnes qui s'engageaient dans des actions violentes à l'encontre de civils tutsi et des Hutu qui cherchaient à les protéger. Ces crimes étaient commis avec une intensité variable en function de la période et de la localité concernées. Les premiers

jours suivant le décès du Président HABYARIMANA se révélaient particulièrement meurtriers daus plusieurs régions, au nord-ouest de la préfecture de Gîsenyi, dans celle de Kibungo et dans la ville de Kigali. A partir du 9 avril 1994, "plusieurs dizaines de milliers de corps" étaient rassemblés aux principaux carrefours de la capitale. Les jours et les semaines suivants étaient également marqués par des massacres dans d'autres régious. Des personnalités politiques du moment, tels que le Président du gouvernement intérimaire ou le premier ministre allaient notamment se rendre à Butare et Gîkongoro. A la suite de ces visites, ces régions initialement plus épargnées allaient également sombrer dans les tueries et autres violences graves à l'égard de civils tutsi ( l P CHRETIEN Dc9/3-4, DUMAS Dc23/4-7, GUICHAOUA Dc26/335-341 et

409-415, Rapport DES FORGES Dc6 p.54-55 et 59-60).

Dans certains cas, des milliers de personnes, parfois encouragées par des représentants de l'administration locale, se rassemblaient dans des lieux où elles avaient pu trouverrefuge et être épargnées à l'occasion de troubles antérieurs (églises, bâtiments administratifs, écoles,

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hôpitaux, dispensaires, etc.). Dans les faits, la concentration de civils tutsi dans de tels lieux avait entraîné l'élimination rapide et massive d'un très grand nombre de personnes. A titre d'exemple, il convient de relever les crimes perpétrés à l'encontre des Tutsi réfugiés au centre co=unal de Taba, les massacres commis dans les églises de Nyundo, de Nyamata ou de Kibnye, ou encore les massacres et violences multiples commis l'hôpital et l'université de Butare Gugement AKAYESU Dc12 par.269 et suivants, DUMAS Dc23/7-10, CHRETIEN, Dc9f4-S, Rapport DES FORGES Dc6 p.59-60).

Les violences contre les Tutsi et le conflit au Rwanda allaient se poursuivre jusqu'au 18 juillet 1994, date de l'entrée victorieuse du FPR à Kigali. Selon Alison DES FORGES, ces crimes devaient entraîner la mort d'au moins un demi-million de personnes, et selon d'autres sources, le bilan dépassait le million de morts (DES FORGES Dc6 p.S9, A. OillCHAOUA,

Dc26f433-438).

1-3- Les travaux du Tribunal Pénal International pour le Rwanda

Par une lettre datée du 28 septembre 1994 adressée au président du Conseil de sécurité, le représentant permanent du Rwanda auprès des Nations Unies interpellait la communauté internationale sur la nécessité de créer "au plus tôt un tribunal international chargé de juger les criminels" (81199411115). A l'instar de la création du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, le Conseil de sécurité adoptait ainsi le 8 novembre 1994, sur le fondement du Chapitre VII de sa Charte la résolution 955 instituant un Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). Son statut, annexé à la résolution, précisait que le Tribunal avait pour compétence de juger les personnes responsables d'actes de génocide (article 2 du Statut), de crimes contre l'humanité (article 3 du Statut) et de violations de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel Il (article 4 du Statut) commis sur le territoire Rwandais, ou par des citoyens Rwandais sur le territoire d'Etats voisins, entre le 1"

janvier et le 31 décembre 1994.

Le premier jugement rendu par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda le 2 septembre 1998 contre Jean-Paul AKAYESU, bourgmestre de la commWle de Taba, établissait qu'un génocide contre la population tutsi avait bien été perpétré en 1994 au Rwanda parallèlement au conflit armé opposant les FAR et le FPR. Comme la Chambre de première instance du TPIR le soulignait, le génocide "a une nature fondamentalement différente de celle du conflit" (De 12). Si le conflit armé avait vraisemblablement facilité la propagation rapide des massacres entretenant l'amalgame entre Tutsi et combaltants du FPR, l'ampleur des massacres ne laissait planer aucun doute quant au but recherché : la destruction totale ou partielle du groupe ethnique tutsi. Cette décision ainsi que la condamnation à l'emprisonnement à vie de cet ancien

bourgmestre était confIrmée par la Chambre d'appel dans un arrêt rendu le 1er juin 2001.

Depuis cet arrêt, le TPIR a condamné de nombreux responsables politiques, administratifs et militaires pour leur participation au génocide et des crimes contre l'hwnanité. Parmi ces personnes figuraient notamment Jean KABANDA, Premier Ministre, le colonel Théoneste BAOOSORA, ainsi que le préfet de Kigali, Tharcisse RENZAHO.

Douze ans après la création du Tribunal, en veltu de la règle 94 (A) du Règlement de procédure et de preuve du TPIR qui disposait que la "Chambre de première instance n'exige pas lapreuve de ce qui est de notoriété publique, mais en dresse le constatjudiciaire", la Chambre d'appel du Tribunal rendait, dans l'affaire KAREMERA et consorts (De 13), un arrêt dressant plusieurs constats judiciaires. La Chambre d'appel estimait désormais que nul ne pouvait valablement contester qu'il y ait eu au Rwanda en 1994 :

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"(i) - des attaques généralisées ou systématiques dirigées contre une population civile en raison de son appartenance au groupe ethnique tutsi"(Dc13, par.29 et 31);

"(ii) - une campagne de massacre visant détruire l'ensemble ou au moins une très grande fraction de lapopulation tutsi du Rwanda qui {...] était un groupe protégé" (Dcl3, par.35).

Par la suite, les Chambres de première instance se fondaient sur ces constats judiciaires pour considérer comme de notoriété publique l'existence du génocide ainsi que les éléments contextuels du crimes contre l'humanité -c'est dire le caractère généralisé ou systématique de l'attaque, le critère discriminatoire de celle-ci et la qualité des victimes (population civile)-. Ainsi, le TPIR n'admettait plus ni débats ni éléments de preuve y étant relatifs, ces faits ne pouvant être raisonnablement contestés.

2- L a situation géographique et administrative des sites religieux concernés

Les sites

Dans le cadre des accords d'Arusha, compter de décembre 1993 un contingent de six cents combattants ainsi que des représentants du FPR s'étaient installé au Parlement, c'est dire au Conseil National du Développement (CND) à Kigali. Après l'annonce de la mort du président Juvénal HABYARIMANA, cette position était immédiatement attaquée par les troupes gouvernementales (DeS). Dès le 12 avril 1994, les combattants FPR arrivaient aux abords de la capitale, entraînant la fuite du gouvernement intérimaire à Gitarama. Toutefois, le centre de Kigali restait sous le contrôle des forces gouvernementales jusqu'à la prise de la ville par les troupes du FPR le 4 juillet 1994.

LavilledeKigaliétantlethéâtred'affrontementsviolentsentrelesFARetles troupesduFPR, le complexe de la Sainte Famille, situé non loin de la ligne de front, était parfois touché directement par les bombardements, notamment le 1er mai 1994, lorsqu'un obus du FPR occasionnait la mort de 12 réfugiés (DeS).

La paroisse de la Sainte Famille, le centre pastoral Saint Paul et le CELA étaient situés dans Nyarugenge, l'une des trois communes de la préfecture de Kigali-Ville avec celles de Kacyiru et Kicukiro.

Des plans, albums photographiques des lieux et également des films vidéo figuraient dans la procédure (DI9772 et suivants, D19801, D10465, D20174, D20621-D20622).

Nyarugenge constituait la commune plus peuplée de Kigali, puisqu'elle comptait 130000 habitants en 1993, ce qui représentait la moitié de la population de la ville (D511 0, D8159). Elle abritait également nombre de bâtiments officiels, comme le siège de la Présidence de la République, le ministère de la Défense, de même que le bureau du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), ainsi que les principales ambassades occidentales, notamment de France, de Belgique et des États-Unis (D20174). S'y trouvait enfin, moins de 500 mètres de l'église de la Sainte Famille, l'hôtel des Mille Collines qui allait devenir, compter du 7 avril 1944, le lieu de refuge le plus sûr de la capitale pour des milliers de Tutsi, et d'opposants hutu souhaitant se placer sous la protection de la MINUAR.

Au sein de la commune de Nyarugenge, les trois sites religieux étaient situés plus précisément dans le secteur de Rugenge et tous les trois en bordure du boulevard de l'OUA, l'un des principaux axes routiers de Kigali (D20 174).
Les plans en DI0465 et en D20l74 (Archidiocèse de Kigali) permettaient de visualiser que

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l'enceinte de la Sainte Famille était mitoyenne au centre pastoral Saint Paul; un passage permettait d'accéder à pied de l'un à l'autre sans emprunter la voie publique. Le CELA se trouvait, quant à lui, à quelques mètres du centre Saint Paul, la distance entre la paroisse de la Sainte Famille et le CELA pouvant être estimé à 200 mètres environ.

L'enceinte de la Sainte Famille comprenait l'église, le presbytère, la procure, l'économat général, ainsi que le couvent des Soeurs Abizeramariya. L'école primaire était, quant à elle, située l'arrière de ces bâtiments, en dehors de l'enceinte proprement dite (DI 0465).

Les responsables religieux, administratifs, politiques et militaires

Au printemps 1994, le père Anaclet MWUMVANEZA était la tête de la paroisse de la Sainte Famille. Menacé du fait de ses origines tutsi, il se réfugiait au centre pastoral Saint Paul au début du mois d'avril, et cédait sa place à Wenceslas MUNYESHYAKA, hutu par son père mais dont la mère était tutsi. Ce dernier était vicaire à la paroisse et aumônier desjeuues depuis 1991, ce qui lui avait valu l'appellation de "prêtre des jeunes" (023, 019861, 02759,02922). Pendant le génocide, Wenceslas MUNYESHYAKA occupait l'une des chambres situées au premier étage du presbytère et, de manière plus ponctuelle, une autre chambre à la procure en contrebas (019843, Dl9958, 019864).

Rattaché la paroisse de la Sainte Famille, tout en étant autonome, le centre pastoral Saint Paul était dirigé par le Père Léopold VERMESCH. Après son évacuation en Belgique le 12 avril 1994 et le départ du directeur adjoint du centre, l'abbéFilbertNSENGIYUMVA, le centre Saint Paul avait été géré par le témoin protégé AYN, d'origine hutu. Oans certains documents, notamment de la MINUAR, le centre Saint Paul était considéré comme faisant partie de la Sainle Famille (0203 55).

Face l'afflux massif de réfugiés dans ces sites religieux dès le 7 avril 1994, les prêtres de la Sainte Famille et de Saint Paul s'étaient concel1és pour mettre en place une organisation et tenter de gérer au mieux la situation. En plus de AYN et de Wenceslas MUNYESHYAKA qui avaient la charge l'un du centre SaintPau~ l'autre de la paroisse de la Sainte Famille, les tâches avaient également été réparties entre les autres prêtres présents lors des événements. Ainsi, les abbés Panlin MUNYAZIKW1YE et Gallican NDAY1SABA avaient la responsabilité de l'économat général. L'abbé Paulin, en tant que responsable Carita, s'occupait aussi, au côté de Wenceslas MUNYESHYAKA, de l'approvisionnement des sites en nourriture, Wenceslas MUNYESHYAKA s'assurant plus particulièrement de la sécurité des transport de vivres. Le ravitaillement en eau, était, quant à lui, à la charge deAYN (019872,020119). Selon Gallican

NDA YISABA, les prêtres se réunissaient régulièrement pour évoquer ensemble les évolutions de la situation (019872).

Il convient de mentionner, enfin, les personnalités administratives et militaires ayant autorité sur cette partie de la ville et qui seront régulièrement cités dans cette ordonnance, compte tenu de leur rôle dans les crimes visés.

Colonel des Forces Armées Rwandaises, Thareisse RENZAHO était le Préfet de la ville de Kigali depuis octobre 1990 jusqu'à la chute de la capitale au début du mois de juillet. Au vu de son soutien apporté aux crimes commis contre les civils tutsi dans la ville de Kigali et de son implication directe dans certains massacres, i l était condamné le 14 juillet 2009 à la réclusion criminelle à perpétuité des chefs de génocide, crimes contre l'humanité, participation à entente, peine confirmée en appelle 1er avril 2011 (020241,020242).

INSTRUCTION}.!" .142SJIlIJ1. ORDONNANCE DENON.LIEU· pDj;O 16·

En avril 1994, la commune de Nyarugenge était administrée par le bourgmestre Jean BIZIMANA. Arrêté au Rwanda en 1998, Jean BIZIMANA était condaruué en 2009 à 30 ans de réclusion criminelle pour des meurtres commis dans sa circonscription, incluant ceux survenus au sein de l'église de la Sainte Famille, et en 2010 à la réclusion criminelle à perpétuité pat· la juridiction Gacaca Guridiction populaire) du secteur de Rugenge pour les faits de génocide connnis au Centre d'Étude des Langues Africaines et au ceutre pastoral Saint Paul (D19966 à Dl9972).

L a commune de Nyarugenge était divisé en 10 secteurs dont celui de Rugenge abritant les sites religieux intéressant la présente procédure. Odette NYlRABAGENZI était la conseillère du sectenr de Rngenge. Ayant fui au Zaïre après la chute de ville, elle était condamnée par contumace à la prison à vie par les juridictions Gacaca du secteur de Rugenge, pour association de malfaiteurs et pour sa participation aux massacres de Tutsi daus le secteur de Rugenge (D20690 à m0704).

Angéline MUKANDUTIYE, inspectrice scolaire, avait joué un rôle déterminant dans les crimes commis la paroisse de la Sainte Famille. Dirigeant la milice interahamwe du secteur de Rugeuge, elle était considérée comme la principale responsable des maSSacres ayant eu lieu dans le secteur, disposant d'une autorité de fait considérable à laquelle Odette NYlRABAGENZI s'était soumise. Ayant également fui le Rwanda au mois de juillet 1994, Angéline MUKANDUTlYE n'était jamais retrouvée.

Chargé d'assurer la défense des points sensibles de la capitale, le lieutenant-colonel Laurent MUNYAKAZI était le commandant du groupement de gendarmerie mobile de Kigali et du camp de Muhima. Bien qu'il le contestait, il apparaissait qu'au cours du génocide, la compagnie territoriale de Nyarugenge en charge de la protection du complexe de la Sainte Famille, était placé sous ses ordres. (D20166, D19823). Il avait été jugé et condamné par le Tribunal militaire de Nyamirambo puis par lajuridiction Gacaca de Nyarugenge, à la prison à vie pour le crime de génocide (D4785,D5539,D 19824).

3- La participation de Wenceslas MUNYESHYAKA à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de crimes contre l'hnmanité ou du crime de génocide

Outre les griefs liés à son rôle lors des incidents spécifiques qui seront examinés ultérieurement, les parties civiles etdenombreuxtémoins reprochaient surtout à Wenceslas MUNYESHYA K A un comportement général de collusion avec les autorités militaires et civiles ainsi qu'avec les miliciens impliqués dans les massacres de civils tutsi.

Au soutien de cette argumentation, étaient dénoncés sa façon de s'adresser aux réfugiés en les traitant d'''inyenzi'', ses prises de position contre le FPR (notamment via le discours du 1 er mai) et son accoutrement militaire, celui-ci portant anne et gilet pare balle.
Panni les reproches précis susceptibles de constituer un acte matériel pénalementrépréhensible, figurait le fait que celui-ci participait à des réunions de planification des tueries et qu'il communiquait les listes des réfugiés présents à la paroisse de la Sainte Famille aux milices interahamwe.

On lui reprochait enfin la façon dout il avait géré les évacuations, mettantles réfugiés en danger et exposant les plus menacés.
Au delà d'une réprobation d'ordre moral et politique du comportement affiché par Wenceslas MUNYESHYAKA,
il convenait d'examiner si l'attitude de Wenceslas MUNYESHYAKA pendant les événements ne masquait pas une collaboration en coulisses avec les miliciens etles

INSTItUCTIONN" .141SlJlIU. OItPONNANCBDB1WN-LŒU· pag& 17-

autorités impliquées dans les massacres.

Les relations du mis en examen avec les militaires et les miliciens

De nombreux réfugiés des trois sites religieux concemés avaient constaté la proximité de Wenceslas MUNYESHYAKA avec les forces armées, les autorités administratives et les miliciens (Gisèle MUKANGIRA D11491, Bernadette KANZAYIRE D20847/2, AZL D20797/4, BCB DI7533, Donata MUKASEKURU D20170/5, Concelie MUKAMWEZI D19953, Billy MarcMURASHID20196/4, Josépha UMWANGAVU D20587/2, Jean-Claude MAZIMPAKA D3712).

Les liens constatés par les réfugiés entre Wenceslas MUNYESHYAKA et les autorités militaires étaientconflfffiés par les autres prêtres du complexe de la Sainte Famille. Ainsi, A YN et Gallican NDAYISABA expliquaient que le collège des prêtres avait décidé de confier les questions de sécurité à Wenceslas MUNYESHYAKA en raison de ses longues et bonnes relations avec des responsables militaires (D20119, 03897, 019874). A l'inverse de celtains réfugiés, ils expliquaient que ses relations dans le monde militaire avaient facilité la sécurisation des lieux (D19873).

AnacletMWUNVANEZA, curé en titre de la Sainte Famille, expliquait avoir, avant son départ le 9 avril, tenté en vain de joindre le préfet RENZAHO pour obtenir une protection et précisait que les contacts obtenus par Wenceslas MUNYESHYAKA étaient dus à ses bonnes relations avec les militaires et les hauts dirigeants (D20522).

D'autres témoignages démontraient que Wenceslas MUNYESHYAKA avait tenté de mettre à profit ses relations pour obtenir une meilleure protection de l'église de la Sainte Famille. Comme il sera développé par la suite, Alain DAMY, conseiller spécial français du chefd'Etat M'lior de la gendarmerie rwandaise, affirmait que le mis en examen l'avait sollicité dès le 8 avril dans l'espoir d'obtenir une protection pour faire face à la pression des interahamwe (0521).

Les dépositions d'anciens officiers de gendarmerie de l'époque,telquePaulRWARAKABIJE, ancien G3 de l'Etat Major de la gendarmerie et actuel directeur des services correctionnels du Rwanda (D20424) confirmait que Wenceslas MUNYESHYAKA était bien introduit dans le cercle militaire (D20424/3). Jean-Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE, connuandant de la compagnie de Nyarugenge, compétente sur ces sites, se souvenait combien le mis en examen s'était plaint auprès de lui des incursions des interahamwe et que, lors de leur rencontre du 1er mai 1994, ce dernier lui avait demandé une protection supplémentaire (D20635./4).

Laurent MUNYAKAZI, commandant l'unité de groupement mobile de Kigali en charge de la sécurité publique, affirmait, quant à lui, ne pas connaître Wenceslas MUNYESHYAKA avant de le rencontrer le 18 juin 1994 (019825, DI9826).

Wenceslas MUNYESHYAKA ne contestait pas avoir des liens avec les autorités militaires indiquant que c'était grâce à eux et aux gendarmes déployés sur place que la paroisse de la Sainte Famille avait pu abriter des réfugiés jusqu'à la chute de Kigali (D 20312/2).

La proximité affichée de Wenceslas MUNYESHYAKA avec les miliciens se traduisant par des repas partagés, des soins prodigués, des dons de vivres, selon les témoignages des réfugiés, pouvait apparaitre plus problématique que celle avec les militaires (Alphonse GISAGARA 012180, Jean-Aimé MULIGANDE D3831, Félix KAMAYA D20160, Jean BIZIMANA D20025, Donata MUKASEKURU D20169, Jean de Dieu MUREKEZI D 17545).

INstRUCTION N" •Hl5/WU. ORDONNANCI!DENON·LlEU· plie lB.

Wenceslas MUNYESHYAKA contestait ces témoignages. TI rétorquait qu'il n'était pas en bons termes avec les miliciens, invoquant, l'appui de son propos, les attaques que lui-même avait subies de leur part. Il précisait avoir fait preuve d'un double jeu, "d'une stratégie de dissimulation, pour ne pas braquer les forces en présence, notamment la milice, en faisant croire qu'on était avec eux" (D20664/3). Par ailleurs, il indiquait que lui reprocher de parler avec les miliciens n'avait pas de sens, car à l'époque "même les casques bleus, et {AYN], et même le Général DALLAIRE négociait avec eux" (D203l2/3).

Etaient jointes à la procédure les retranscriptions de la déposition de Corinne DUFKA, photographe américaine présente au Rwanda pendant les événements, devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda au cours du procès de Tharcisse RENZAHO. Celle-ci expliquait les circonstances dans lesquelles Wenceslas MUNYESHYAKA l'avait mise en relation avec RobertKA TIJGA, le Président national des interahamwe, rencontré sur un barrage routier tenu par des miliciens (D20657/16 et 17). Interrogé sur ce témoignage, Wenceslas MUNYESHYAKA reconnaissait avoir pu emmener cette journaliste avec lui lors d'une sortie mais contestait avoir organisé une rencontre avec RobertKAJUGA. TI déclarait que larencontre de KATIJGA à ce barrage était due au hasard et que c'était celui-ci, ayant vu une journaliste européenne qui prenait des photos, qui s'était adressé à elle (D20664/6). TI affirmait qu'il s'agissait de la seule fois où il avait été en contact avec Robert KATIJGA.

Quant à ses relations avec Angéline MUKANDUTlYE, inspectrice scolaire et chef des miliciens de Rugenge, Wenceslas MUNYESHYAKA relatait qu'il était déjà en conflit avec celle-ci avant le mois d'avril 1994. Pendant les événements, elle représentait une réelle menace pour lui-même, les réfugiés et même les gendarmes. Quand elle venait à la Sainte Famille, il subissait insultes, menaces et humiliations (D20312/3).

Sur ses liens avec Odette NYIRABAGENZI, conseillère du secteur de Rugenge, condamnée par contumace, les déclarations de Wenceslas MUNYESHYAKA évoluaient au cours de la procédure. Lors de ses premiers interrogatoires en 1995 et 1996, il expliquait que celle-ci, bien que représentante du conseil municipal et ce titre ayant autorité, était sous la coupe d'Angéline, mais il avait su qu'elle avait aidé des gens à fuir (D23). Il indiquait que, tout en ayant aucune sympathie ni confiance en ces deux femmes, il devait composer avec elles et ne pas les heurter pour éviter les massacres (D9116).

Lors de son audition en mai 1997 par les enquêteurs du TPIR, i l donnait un peu plus de détails sur ses contacts avec Odette NYIRABAGENZI pendant les événements (02872 à D2882). Il indiquait qu'au départ, éelle-ci, donnait l'impression d'être modérée, même s'il avait appris, par la suite, qu'elle avait fait tuer des gens chez elle. Il admettait qu'il s'était adressée à elle, en tant qu'autorité du secteur, plusieurs fois pour qu'elle fasse tout ce qui était en son pouvoir pour leur éviter d'être agressés.

Par la suite, lors de ses interrogatoires postérieurs, il déclarait qu'il ne s'entendait pas avec ene car il avait refusé enjanvierou février 1994, de célébrer religieusement les obsèques de son fils qui était milicien et mort dans une attaque diligentée contre des Tutsi (D20312/2, D20177/8), ce refus était confirmé par AYN (D3670).

Selon Chrysogone HATEKEGIMANA, gendarme servant de chauffeur pour la paroisse de la Sainte Famille et qui accompagnait Wenceslas MUNYESHYAKA dans ses déplacements, si certains interahamwe étaient contre Wenceslas MUNYESHYAKA car il leur refusait l'entrée de la Sainte Famille, d'autres, qui étaient du quartier, le respectait comme "prêtre desjeunes". Il ajoutait que Wenceslas MUNYESHYAKA était connu de ceux qui tenaient les barrages car

INSTRUCTIONN" .1425112111.

ORDONNANCEDHNON-LIEU-pago l'.

il essayait de parler avec eux et de les calmer (020684).

Le père Emmanuel TUBANE confirmait que, connu comme prêtre des jeunes Kigali, Wenceslas MUNYESHYAKA avait réussi à nouer des liens avec les jeunes miliciens. Selon lui, il usait de la confiance ainsi établie ponr aider les réfugiés (04039 04042). Ce point de vue était partagé par la soenr Apolinie MUKAMUSONI, mère snpérieure de la communauté des soeurs Abizeramarya selon laquelle Wenceslas MUNYESHYAKA avait réussi à persuader des interahamwe qui s'étaient introduits dans le couvent de ne pas faire de mal aux réfugiés (D20l92).

S'agissant des relations avec le préfet de Kigali, le colonel Tharcisse RENZAHO, condamné par le TPIR, le mis en examen expliquait ne l'avoir rencontré qu'à deux reprises, une fois, avec des ONG pour obtenir la permission de circuler dans la ville en véhicule et une autre fois, lors de la veuue du préfet à la paroisse de la Sainte Famille au cours d'une visite de la MlNUAR (02880, 020312/2). Il précisait que son interlocuteur habituel à IaPréfecture était le sous-préfet chargé des affaires humanitaires Aloys SIMPUNGA.

Les réunions

Wenceslas MUNYESHYAKA réfutait les accusations de certains réfugiés selon lesquelles il avait participé à des réunions pour planifier des tueries, avec le préfet, des militaires etles chefs de la milice (020312/3). Toutefois, aucun des réfugiés auditionnés n'ayant assisté à ces réunions, ne pouvait témoigner de leur objet. JeannedeChantalMUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA,partiecivile,réfugiée àlaparoisse de la Sainte Famille du 28 avril au 18 mai 1994, était entendue de nombreuses reprises de 1995 à 2014, par le Parquet de Kigali, parles enquêteurs du TPIR, par l'auditorat militaire de Kigali et par le magistrat instructeur français (019/27, 020262, 0492 à0498, D1906, D17155, D19355, 020520, 020683). Elle expliquait avoir vu le père MUNYESHYAKA tenir des réunions avec, selon ses dépositions, soit des militaires (020520, 020683), soit Augéline MUKANOUTIYE, Odette NYIRABAGENZI, Tharcisse RENZAHO et Robert KAWGA (017160,01908). Lors de son audition de partie civile devant le magistrat instructenr en septembre 2014, elle confirmait avoir vu Robert KAJUGA à la paroisse de la Sainte Famille mais sans savoir ce qu'il venait y faire, indiquant que des membres tutsi de sa famille pouvaient

y être réfugiés (020683). Quant au contenu des réunions, elle avait appris d'un jeune garçon Constantin GASANA, âgé d'environ 13 ans lors des faits, que des listes de gens tuer y étaient établies. Mais ce dernier n'était pas retrouvé pour être entendu. Comme preuve des intentions génocidaires des participants ces réunions, Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA indiquait, en 2006, devant l'auditorat militaire, que celles-ci étaient immédiatement suivies d'attaques d ' interahamwe qui enlevaient des persounes pour les tuer (020520) ; toutefois, en 2014, elle déclarait simplement qu'après ces réunions, il y avait des tentatives d'intrusion de la milice mais que celles-ci échouaient (0206283).

Wenceslas MUNYESHYAKA, dans son audition par les enquêteurs du TPIR le 20 mai 1997, ne reconnaissait avoir participé qu'à une seule réunion avec Odette NYIRABAGENZI et Angéline MUKANDUTIYE mais niait que le but de celle-ci avait été l'extermination de Tutsi (02826).

Il expliquait que cette réunion s'était tenue au centre Saint Paul avec les autres prêtres pour signifier ces deux femmes que si elles voulaient faire arrêter des réfugiés, il leur fallait être muni d'un mandat d'ameuer, qu'il était hors de question de continuer à "envoyer desforees comme ça etprendre des gens et les tuer". L'existence de cette réunion et son objet étaient corroborés par AYN. Celui-ci relatait en effet que les prêtres de Saint Paul et de la Sainte

INSTRUCllON .1415lUfil. OROONNANçB 011 NON-LIliU- plgo 1 0 -

Famille avaient rencontré la conseillère de Rugenge, l'inspectrice scolaire, le bourgmestre et le président des miliciens de Rugenge pour faire cesser les attaques; lors de cette réunion, il avait été décidé que les réfugiés ne pouvaient être emmenés qu'en vertu d'un mandat d'arrêt signé par l'autorité compétente (D3673, D12262).

Dans ses déclarations devant les enquêteurs du TPIR en 2006, Hussein RONGORONGO, ancien milicien condamné pour sa participation aux attaques commises dans le secteur de Rugenge indiquait, de façon générale, que Wenceslas MUNYESHYAKA collaborait étroitement aveC le préfet Tharcisse RENZAHO. Il précisait, devant les gendarmes français en 2011 et lors de la confrontation avec le mis en examen en 2013, que lors de la réunion chez Angéline MUKANDUTIYE précédant l'attaque du CELA, il avait été dit que Wenceslas MUNYESHYAKA allait faciliter les choses aux interahamwe (020047). Mais celui-ci ne mentionnait nullement la présence de Wenceslas MUNYESHYAKA cette réunion ou une autre.

S'agissant d'information obtenue par ouï-dire, la valeur probante d'une telle déclaration était très faible.

Malbeureusement, ni Angéline MUKANDUTIYE, ni Odette NYlRABAGENZI ne pouvaient être entendues sur leur lien avec Wenceslas MUNYESHYAKA, celles-ci étant en exil et non localisées.

L'attitude de Wenceslas MUNYESHYAKA avec les réfugiés et ses prises de positions

La lecture des dépositions montrait que Wenceslas MUNYESHY AKA avait mis plus d'énergie gagner la confiance des groupes armés que celle des réfugiés. L'abbé Gallican NDA YISABA analysait le comportement de Wenceslas MUNYESHY AKA et la perception négative qu'en avait eu les réfugiés de la façon suivante: "[Wenceslas MUNYESHYAKAj parlait sans peser les conséquences, surtout dans une période de génocide. Par exemple, ilparlait d' "inyenzi"

pour évoquer les Tutsi alors que sa propre mère est Tutsi, que l'expression est insultante, signifiant "cafard" ou même "tu dois être tué". L'abbé Wenceslas utilisait des mots sans réfléchircequilerendraimpopulaire.D'autrepart, ilaétédéficient....dansleréconfortqu'il aurait du apporter aux réfugiés. Plutôt que d'encourager les réfugiés résister leurs angoisses, il se montraitfataliste, "on nepouvaitrienfaire .......11cassait toute son image lors de bombardements où il se laissait aller se plaindre du FPR auprès de Tutsi réfugiés. C'était très maladroit de leur dire "ce sont les tiens, tes amis, tes proches, qui sont en train de tuer» après un bombardement sur la Sainte Famille" (019875).

AYN exprimait en d'autres termes la même idée. Sans prêter de mauvaises intentions Wenceslas MUNYESHYAKA, il expliquait que celui-ci n'avait pas su adapter son langage habituel ce contexte de guerre et qu'il employait des termes tels qu"'Inyenzi" ou "Ibyitso by'inkotanyi" qui voulait dire "complice des Inkotanyi", voix haute devant les réfugiés (D20397). Il confirmait également que celui-ci avait pu dire lors des bombardements "vos

frères et vos amis nous bombardent et nous attirent beaucoup d'attaques".

Cependant, selon ces deux prêtres, malgré les apparences, Wenceslas MUNYESHYAKA avait faittoutson possible pour assurer la protection des réfugiés, sans distinction d'ethnie, sollicitant la protection des gendarmes, aidant dans le ravitaillement en eau et en nourriture, enlevant les poignées des portes pour empêcher l'accès des miliciens l'église. Les efforts de l'ensemble des prêtres avait eu un résultat plutôt positifpuisque les deux sites (Saint Paul et Sainte Famille) avaient permis de sauver beaucoup de Tutsi et d'opposants (0 20397/9).

Bien qu'il le contestait (D20177, D20397), il était établi, au vu des multiples témoignages concordants des réfugiés et des prêtres, que Wenceslas MUNYESHYAKA employait le terme

INSTRUCTION N° .1415"fllJll. ORDONNANca DENON-LIEU-pagell-

d'''inyenzi'' pour désigner les Tutsi et les réfugiés (02701, 02746, D3773, 03890, D4007, D2721, 03658, 03947, D81, D20608). Ainsi que le révélaient les écoutes téléphoniques, il continuait d'utiliser ce terme de façon péjorative, au cours de la procédure, pour désigner le pouvoir rwandais en place (D2077511 1, D208J4/7).

Selon lui, le terme d"'inyenzi" ne visait pas les Tutsi mais le FPR; en 1994, i l l ' employait pour des raisons tactiques, pour faire croire aux miliciens qu'il était de Jeur coté (D20177). Il précisait enfin, qu'avant les événements, ce terme était couramment utilisé sans connotation insultante, lui-même surnommant ainsi sa propre mère d'ethnie tatsi.

Même si Wenceslas MUNYESHYAKA affirmait avoir fait preuve d'une neutralité politique dans le conflit opposant les FAR au FPR en 1994, plusieurs dépositions démontraient, à l'inverse, qu'il avait exprimé sa sympathie pour les forces pro-gouvernementales et son hostilité à l'égard du FPR, et d'une façon encore plus virulente après l'assassinat des évêques par des soldats du FPR le 5juin 1994 (SilasRUGABA03963,Marie-LouiseNYILINKW A Y A D3947, Félicien NGIRABA TW ARE D20609, Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALlYA D20683, Ramadhan NGENDAHIMANA D20563, Jean BIZIMANA 019966, Gallican NOAYISABA 019879).

Comme preuve du sontien de Wenceslas MUNYESHYAKA à la politique génocidaire du gouvernement, il lui était reproché son intervention à Radio Rwanda, le l'' mai 1994, dans lequel il désignait le FPR comme responsabte d'un bombardement.
La lectare des paroles prononcées par Wenceslas MUNYESHYAKA (010481 à DI0483)

révélait, en effet, que celui·ci était intervenu pour réagir au bombardement ayant atteint la paroisse de ta Sainte Famille, dont il attribuait l'origine à la zone sous contrôle du FPR. I l se présentait comme étant responsable de la paroisse de la Sainte Famitle, chargé d'accueillir les personnes fuyant "le. trouble. etlmique. ou le. attaque. de. population. civile.". Si, pour l'abbé NDAYISABA, cette prise de parole publique condamnant le FPR alors que les tueries quotidiennes étaient le fait des interahamwe et de l'armée, était critiquable, il ressortait de l'analyse des propos tenus que ceux-ci consistaient pour t'essentiel en un appel à la protection de la population civile et à la fin des combats.

Wenceslas MUNYESHYAKA expliquait que lors de son intervention la radio, il avait témoigné de ce qu'il avait vu ce jour là à savoir le bombardement sur la population civile. I l rappelait par ailleurs, que se trouvant en zone gouvernementale, il n'avait pas une totale liberté de parole et qu'il ne pouvait condamner publiquement les attaques de miliciens sans craindre des représailles (D20I77/7 et 8).

Ses manifestations d'opinion, sa proximité avec les autorités militaires avaient pu, comme l'expliquait AYN, être mal interprétées par les réfugiés en situation de souffrance. Et le fait qu'il porte un gilet pare-balles et une (ou des) arme à feu avait achevé d'en convaincre nu certain nombre que le prêtre s'était rangé du coté destaeurs (JeanBosco MUGANZAD19860, Gisèle MUKAMFURA 019917, Antoine NKUSI 019937, Denise UMWALI D206I 8).

Le port d'une arme et d'un gilet pare-balles

Il n'était pas contesté que Wenceslas MUNYESHYAKA était, dnrant les événements, porteur d'une arme et d'un gilet pare baIle. Il expliquait avoir, dans un premier temps, acheté un gilet pare-balle auprès d'un gendarme, en raison de l'intensité des pilonnages et à la suite du bombardement du site te 1" mai (023, D91, D2862). S'estimant particulièrement exposé du fait de ses fréquents déplacements en dehors du site pour les besoins de ravitaillement, il avait également obtenu un pistolet, grâce à une connaissance au sein de l'Etat Major de la gendarmerie, pour impressionner et dissuader les miliciens notamment lors des franchissements

INSTRUCTION N" . 24lSfIllU. ORDONNANCE DIl NON·UIlU· ,.80 22..

de barrages (D2862 à D 2865, D23/3). Mais il affirmait ne s'en être jamais servi.

Ses confrères, AYN et GallicanNDAYISABA confil1l1aientque Wenceslas MUNYESHYAKA avait justifié ces acquisitions par la volonté de pas se laisser "intimider" par les interahamwe (01223, D19877).
Quelques témoins dont l'abbé Gallican NDAYISABA faisaient état d'un fusil détenu avant ou cumulativement avec le pistolet (019877, D20735/6) mais Wenceslas MUNYESHYAKA ne reconnaissait que la possession d'une arme de poing et ce, uniquement
partir du mois de mai.

Si cet accoutrement militaire avait choqué nombre de réfugiés et était considéré par ses confrères et des personnalités extérieures comme peu indiqué pour un prêtre (020119/10, DI9877) Wenceslas MUNYESHYAKA n'était jamais mis en cause de façon sérieuse, pour avoir fait usage de son arme.

La transmission éventuelle de listes aux interahamwe

D'après certains réfugiés, la compromission de Wenceslas MUNYESHYAKA avec "les autorités génocidaires" se traduisait en particulier par la remise de liste des Tutsi réfugiés à la Sainte-Famille aux chefs de la milice.

Ils soutenaient que Wenceslas MUNYESHY AKA avait communiqué aux interahamwe les listes dressées par la MINUAR pour organiser l'évacuation des réfugiés, listes qui faisaient la distinction entre ceux qui souhaitaient se rendre dans la zone gouvernementale et ceux qni optaient pour rejoindre les territoires contrôlés par le FPR (Ramadhan NGENDHIMANA D20653/4, BCB 020287/20, Gisèle MUKAMFURA D19922, Servilien MUGENGANA 02530, AYC 020515, Thierry HIRWA012395, Josépha UMWANGAVU020587/3, Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA 01908 et 020683/3).

Bien que la questiou de l'établissement des listes d'évacuation sera abordée par la suite, il convient d'ores et déjà d'indiquer que les éléments rapportés par ces témoins ne disposaient pas tous de la même valeur probante. Ainsi, le témoin B e B et Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJA WAMALIYA n e faisaient que rapporter des informations obtenues par ouI-dire. Ramadhan NGENDHIMANA, Servilien MUGENGANA et Thierry HIRWA procédaient par déduction ; ils estimaient que le mis en examen avait nécessairement communiqué les listes aux miliciens dans la mesure où ces derniers étaient venus chercher les personnes auxqnelles Wenceslas MUNYESHYAKA avait refusé l'évacuation. Plus précis, Thierry HIRW A soutenait avoir vu les miliciens disposer des listes d'évacuation rédigées sous la houlette du mis en examen.

GisèleMUKAMFURArapportait, quant à elle, qu'elle avait retrouvé la liste d'évacuation que Hyacinthe RWANGA devait remettre à l'abbé MUNYESHYAKA parmi les cadavres de l'attaque du 17 juin (019922).

Pour autant, ces observations ne suffisaient pas à affirmer que c'était Wenceslas MUNYESHY AKA qui avait, lui-même, transmis les documents en question aux interahamwe. En effet, on ne pouvait exclure que les miliciens avaient obtenu ces mêmes listes par d'autres intermédiaires, y compris parmi les réfugiés de la Sainte-Famille. Servilien MUGENGANA rappelait d'ailleurs lui-même que les réfugiés participaient la confection des listes (02530), Odette MUICANYIRIGIRA ajoutait que les interahamwe utilisaient les réfugiés hutu de la Sainte-Famille pour obtenir des informations sur les Tutsi (020194/14) et Sarah BAMPIRIYE affirmait que les miliciens étaient venus, à la Sainte-Famille demander aux réfugiés les destinations d'évacuation qu'ils avaient choisies (020392/6).

Enfin, Hussein RONGORONGO indiquait lui-même qne les informations sur les réfugiés

INSTRUCTION N". z.415Jlllll. ORDONNANŒDB NON·UlIU· page 2J.

n'étaient pas transmises directement par Wenceslas MUNYESHYAKA mais par Jean-Claude HABINEZA qui vivait avec l'abbé à la paroisse de la Sainte Famille ou encore pal' Augustin RUTABANA qui était celui qui avait montré au témoin les listes d'évacuation (D20053, D20055).

Augustin RUTABANA, entendu, niait les accusations de Hussein RONGORONGO, affirmant que celui-ci devait sa remise en liberté aux nombreux faux témoignages qu'il avait fournis et pour lesquels il avait été rémunéré (D20388).

Quoiqu'il en soit, dans ces conditions, il n'était pas exclu que les interahamwe eux-mêmes aient pu faire leur liste ou encore que les listes aient pu parvenir aux interahamwe par d'autres canaux de transmission que Wenceslas MUNYESHYAKA.

En dehors de la faiblesse des preuves charge, l'existence de témoins décharge terminait de semer le doute sur les éventuelles transmissions de listes par Wenceslas MUNYESHYAKA aux interahamwe. En particulier, l'abbé Gallican NDAYISABA affirmait que le mis en examen faisait monter dans le camion de la MINUAR des personnes qu'il avait volontairement omis de la liste d'évacuation pour éviter de les mettre en danger, le tuut en bonne intelligence avec les intéressés. Selon cette déposition, Wenceslas MUNYESHYAKA avait donc trouvé un stratagème pour déjouer la vigilance des miliciens et prévenir les éventuelles fuites des listes (D19870). Par ailleurs, un certain nombre de réfugiés tutsi reconnaissaient que Wenceslas MUNYESHYAKA leur avait appOlté une certaine protection contre les miliciens. Alice UMUTONIrapportaitque le mis en examen l'avait protégé contre Angéline MUKANDUTlYE, la leader des interahamwe. Elle rappelait que Wenceslas MUNYESHYAKA l' avait aidée à fuir vers Nyamirambo lorsqu'elle l'avait informé qu'Angéline la recherchait (D2086817), il en était de même pour Olive UMUHIRE, évacuée vers l'hôtel des Mille Collines.

La gestion des évacuations

A compter de la fin avri11994, la MINUAR avait négocié avec les belligérants des opérations d'évacuation de façon à ce que les réfugiés, regroupés dans les sites de la capitale tels qne l'hôtel des Mille Collines, la paroisse de la Sainte FamillefSaint Paul et la Croix Rouge, puissent rejoindre, par convois, les zones gouvernementales ou les zones contrôlées par le FPR (D92).

La façon dont avaient été rédigées les listes d'évacuation pour le site de la Sainte Famille, suscitait beaucoup de controverses.
Des réfugiés indiquaient que Wenceslas MUNYESHYAKA, furieux du nombre de personnes souhaitant rejoindre les zones contrôlées par le FPR, avaittenté de s'opposer
leur évacuation (André KARANGWA D20186, Béata MUKAMAZIMPAKA 03739, BCB 02721, Chantal MUKANYANDEKWE D1600, Godeberthe TWAGIRAMARUIYA D1642, Jean de Dieu MUREKEZID17545 ).

Wenceslas MUNYESHYAKA affirmaitn'avoireuaucun rôle dans l'établissement de ces listes qui était sous la responsabilité de la MlNUAR. Il n'élait intervenu que pour rectifier l'ordre alphabétique des noms, qui, sinon, ne permettait pas de regrouper les membres des familles (vu l'absence de transmission du nom de famille au Rwanda) et pour la lecture des listes.

Il expliquait que les réfugiés devaient mettre leur noms dans des boites qui étaient ensuite remises à la MINUAR qui rédigeait les listes.

Le témoin AYN relatait avoir vu, un jour, deux lignes dans la cour dn presbytère, l'une composée de Ceux souhaitant rejoindre les zones contrôlées par le FPR et l'aulre de ceux

INSTRUCfIONN",l42Sflll1l. OROONNANCBVl!NON·UEU.pago24·

souhaitant être évacués vers les zones gouvernementales. Il avait attiré l'attention de Wenceslas MUNYESHYAKA sur le danger d'une felle méthode qui exposait aux yeux de tous, ceux voulant rejoindre les zones du FPR. Après avoir râlé, Wenceslas MUNYESHYAKA avait convenu de son erreur et la méthode avait été modifiée (D20119/13).

Malgré la constance des propos de ce témoin, corroborés par d'autres réfugiés, Wenceslas MUNYESHYAKA niait cet épisode (D20397).

Paul Victor MOIGNY, colonel des forces armées congolaises, ayant servi au sein de la MINUAR, était entendu par le magistrat instructeur le 5 mars 1996 pour expliciter notamment le déroulement des opérations d'évacuation. Il contestait les propos de AZP, journaliste pour le "TORONTO GLOBE MAIL", qui avait assisté à une évacuation le 4 juin 1994 et qui affirmait que Wenceslas MUNYESlNAKA était le seul décideur lors de ses opérations. Paul Victor MOIGNY déclarait que les Ustes d'évacuation étaient établies par la MINUAR qui dirigeait les opérations.

TI soulignait la réaction première de réticence des réfugiés qui, pour certains, n'avaient pas confiance dans la protection de l'ONU. Il expliquait qu'effectivement au départ, il avait été demandé aux gens de s'inscrire sur des listes mais que ce système avait échoué, les réfugiés ne voulant pas que leur destination soit connue des autres. Le colonel MOIGNY avait donc mis en place des enveloppes fermées dans lesquelles étaient écl'its les noms et la destination souhaitée, puis les listes étaient établies par un officier de la MINUAR. A sa connaissance, Wenceslas MUNYESHYAKA n'était intervenu que pour lire les noms sur les listes et n'avait pas dressé lui-même de liste. Il n'avait jamais reçu de plainte contre ce dernier lors de ces opérations et ne rapportait aucune entrave de la part du prêtre aux évacuations menées.

Bien qu'intrigué par l'accoutrement militaire de Wenceslas MUNYESHYAKA, il n'avait jamais constaté d'acte de complicité de celui-ci avec la milice.

Si, lors des opérations d'évacuation, ils avaient du essuyer des tirs ou se heurter aux miliciens pourfranchir les barrages, Paul VictorMOIGNY affirmait qu'iln'y avaitjamais eu de tués lors des convois, ce qui allait à l'encontre des affirmations contenues dans les observations du CPCR partie civile.

Pour certains réfugiés, les interventions de Wenceslas MUNYESHYAKA pour favoriser l'évacuation des femmes et des enfants révélaient sa volonté d'empêcher que les hommes rejoignent les rangs du FPR. Toutefois, s'agissant d'un comportement classique de priol'ité humanitaire donnée aux populations civiles les plus vulnérables, ces accusations relevaient davantage du registre de l'interprétation subjective (MUKASEKURU Donata D3801, André

KARANGWAD20186, Védaste KAREMERAD16385, ChariesKIMENYI D16385).

Bnfm, la déclaration de Josépha UMWANGAVU, partie civile, selon laquelle Wenceslas MUNYESlNAKA se serait opposé son départ en la tirant par la jambe, était suj ette à caution, celle-ci ayant accusé du même comportement, Laurent MUNYAKAZI dans la procédure dirigée contre lui (D20587).

..*

L'examen des éléments ci-dessus développés démontrait que Wenceslas MUNYESlNAKA avait entretenu des relations avec les militaires, avait eu des contacts avec des miliciens alors qu'il avait pu se montrer distant, voire même désagréable à l'égard des réfugiés. Plongée dans une grande détresse, les réfugiés avaient pu légitimement être choqués par une telle attitude. Toutefois, on ne pouvait exclure que Wenceslas MUNYESHYAKA avait mis à profit son

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entregent auprès de personnalités pour assurer une protection minimale du site de la Sainte Famille, confonnément la responsabilité spécifique confiée par le collège des prêtres au mis en examen.

Par ailleurs, aucun des actes concrets reprochés n'était suffisamment étayé pour caractériser un ou plusieurs faits matériels susceptibles de constituer le crime d'entente établie en vue de la préparation de génocide ou crimes contre l'humanité.

Le langage employé par Wenceslas MUNYESHYAKA, l'expression d'opinions politiques et son réseau relationnel ne pouvant en soi constituer une infraction pénale, il était nécessaire d'examiner avec précision son éventuelle implication dans chacune des attaques commises et autres crimes déterminés.

4- Les crimes commis au CELA et au centre pastol'lll Saint Paul

4-1- L'enlèvement des réfugié. au CELA le 22 avril 1994 suivi de leur exécution

En sus de la procédure française, ces faits avaient fait l'objet d'une enquête par le TPIR dans la procédure suivie contre le Préfet de Kigali, Tharcisse RENZAHO et par les autorités militaires rwandaises dans la procédure suivie contre le lieutenant-colonel Laurent MUNYAKAZl et Wenceslas MUNYESHYAKA.

Des parties civileslelles que Rose MURORUNKWERE épouse RWANGA, Clémence SAFARI et Immaculée RAHAMA T ALI-RANGIRA se constituaient en raison de la mort de leur proches lors de cette attaque, en l'espèce Charles, Déglote et Wilson RWANGA, mari et fils de Rose RWANGA et Christophe SAFARI, frère de Clémence SAFARI, neveu de Immaculée RAHAMA T ALI-RANGIRA et cousin de Y vonne MUTIMURA épouse GALINIER.

Des photographies et vues satellites du CELA figuraient en DI9801 àD19805 et D 20174-F.

Entendu en Belgique le 21 mai 2002, Jozef VLEUGELS, responsable des Pères Blancs du Rwanda expliquait avoir été, en tant que Régional des missionnaires d'Mrique, basé en 1994 au Centre d'Etude des Langues Africaines de Kigali (D20229).
Il indiquait connaître le père Wenceslas MUNYESHY AKA, et avoir participé avec lui, dès la fin de l'année 1993 au Comité Organisateur de DUHARANIRE AMAHORO "Marche pour la paix", comité qui réunissait des organisations catholiques et protestantes militant pour la paix et pour l'application des accords d'Arusha.

A compter de l'annonce à la radio le 6 avril au soir de l'attentat sur l'avion présidentiel, Jozef VLEUGELS relatait être resté enfermé au CELA jusqu'à son évacuation le 12 avril 1994. Il précisait toutefois que dès le 7 avril, les bâtiments du CELA avaient été occupés par 200 250 personnes.

Il se souvenait, son retour en Belgique, avoir eu au téléphone Wenceslas MUNYESHY AKA qui lui avait demandé l'autorisation d'utiliser sa voiture restée au CELA pour faciliter l'approvisionnement des réfugiés de la paroisse.

De l'ensemble des auditions des réfugiés ayant été présents au CELA, l'évolution de la situation dans ce centre pouvait être décrite succinctement de la façon suivante.
Dès le 7 avril, de nombreuses personnes d'origine tutsi avaient trouvé refuge au CELA. Après l'évacuation des Pères Blancs par la MINUAR, les réfugiés étaient restés seuls dans les locaux:. A la date du 22 avril-ou du 20 avril d'après quelques témoiguages-, des interahamwe armés avaient pénétré au CELA, accompagués, selon certains, du préfet Tharcisse RENZAHO, de militaires et de gendarmes. Ils avaient fouillé les bâtiments, avaient séparé les hommes des

INSTRUC1IONW.24l!11UIl. ORDONNAliCBDI! N"ON·LIEU.pagelIi.

femmes et avaient sélectionné entre 40 et 70 hommes tutsi. Ces derniers avaient été emmenés dans des mini-bus, censés les déposer la brigade de gendarmerie de Muhima mais ils avaient été exécutés sur le trajet. Les réfugiés restés sur place se voyaient donner l'ordre soit de rentrer chez eux soit d'aller la paroisse de la Saiote Famille, ce que la majorité d'entre eux choisissaient.

Deux rescapés du groupe d' hommes raflés, les témoins A YF et BCY témoignaient de ce qu'ils avaient été, dans premier temps, effectivement conduits la brigade de Muhima mais qu'ils en étaient repartis. Arrivés une barrière appelée "péage" tenue par les miliciens du quartier de Rugenge, on leur avait ordonné de descendre des véhicules; les deux témoins avaient réussi s'enfuir alors que les autres avaient été tués.

Lors de ses auditions devant les enquêteurs du TPIR le 17 avri11997, les 10 mars, 7 et 19 septembre 1998 (D2997, 011205), devant le Parquet Général de Kigali le 15 novembre 2001 (03636), devant le TPIR lors du procès de Tharcisse RENZAHO en 2007 (017254 Dl) ou devant les gendarmes français en janvier 2013 (D20296), AYF situait les événements survenus au CELA soit le 20 avril, soit le 22 avril. Il expliquait avoir été, après le départ des prêtres, le responsable des réfugiés du centre. Il indiquait avoir vu Wenceslas MUNYESHY AKA au CELA plusieurs fois avant l'attaque, notamment deux jours avant, accompagné d'un milicien dont il ignorait l'identité. Ce jour là, Wenceslas MUNYESHY AKA semblait chercher l'argent laissé par les Pères Blancs et souhaitait prendre la voiture du père VLEUGELS.

Concernant le déroulement de l'attaque, le témoin précisait que ce même milicien faisait partie des attaquants.
Il ajoutait qu'une quarantaioe ou cinquantaine d'hommes avaient été sélectionnés par les miliciens sous prétexte qu'ils étaient membres du FPR. Palmi ces personnes, la majorité était tutsi mais trois environ étaient hnto.

Le témoin affinnait que Wenceslas MUNYESHY AKA était présent lors du tri et qu'il avait du lui remettre les clés du CELA (03636, 017255).
AYF se souvenait de la présence de Charles RWANGA et des fils de celui-ci dans le minibus
(0 17257) ; il avait lui-même assisté la mort de Charles RWANGA au barrage routier.

Lors de sa dernière audition, en janvier 2013, devant les gendarmes français (D20296), A YF affirmaitque,selonlui,WenceslasMUNYESHYAKAétaitvenudeuxjoursavantl'attaque, "en éclaireur", pour repérer les lieux. Il précisait que le jour de l'attaque, celui-ci n'était arrivé qu'après que les miliciens aient investi les lieux.

Le témoin BCY, entendu le 22 juillet 1996 par le Parquet de Kigali (0192971D20267) et le 8 mars 1998 par les enquêteurs du TPlR (DI8130), confirmait la présence de Wenceslas MUNYESHY AKA au CELA au moment des faits. Alors que les ioterahamwe voulaient tuer les réfugiés, le préfet RENZAHO et Wenceslas MUNYESHYAKA avaient insisté pour que les réfugiés soient emmenés la brigade pour être ioterrogés. Il confirmait également les circonstances décrites par AYF, au cours desquelles avaient été tués les réfugiés sélectionnés dont Charles RWANGA et ses deux fils.

D'après des témoins qui s'étaient ensuite réfugiés la paroisse de la Saiote Famille, l'abbé Wenceslas MUNYESHYAKA était effectivement présent au CELA le 22 avril, autorisant les femmes rejoiodre la paroisse de la Sainte Famille. Toutefois, ces témoignages variaieut sur le moment exact de l'arrivée au CELA de Wenceslas MUNYESHY AKA.

Pour certains, il était arrivé au CELA en même temps que les miliciens (Eugénie MUKESHIMANA 020169, Rose RWANGA 090) ; pour d'autres, Wenceslas MUNYESHYAKA étaitvenu au CELA accompagné du préfetRENZAHO, après l'intrusion des

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ORDONNANCEDENON·UEfJ·P·8~17

miliciens (Concilie MUKAMWEZI D3768, Dl9950 D19955, Donata MUKASEKURU D3801et D20170). Pour d'autres encore, il avait rejoint les autorités sur place·un peu plus tard (Dominique RURANGIRWA Dl8056, témoin ZZ D18197, Ramadhan NGENDAHIMANA D20563).

Entendu plusieurs reprises, les déclarations du témoin AZS variaient sur le déroulement des faits et l'implication de Wenceslas MUNYESHYAKA dans ceux-ci (D17129, D5420,D20164). En 1998, il disait avoir vu, de l'endroit où il se trouvait, les interahamwe tuer, en partant du CELA, un dénommé Albert le chauffeur (D 17132), puis i l indiquait, en 20 12, que c'était Charles RWANGA qui avait été tué sur place dès sa découverte dans la chapelle, sous les yeux de Wenceslas MUNYESHYAKA (D20164). Toutefois, lors de la confrontation (D20402), s'il maintenait avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA pat'miles autorités présentes lors de l'attaque, il reconnaissait qu'après s'être réfugié à l'infirmerie, il n'avait pas assisté à la suite des événements, ni à la mort de quiconque.

Les témoignages successifs de Clémence SAFARI, partie civile, contenaient également d'importantes variations sur de nombreux points. Cette dernière relatait au juge d'instruction le 13 février 1996 qu'elle même, sa soeur Claire et son frère Christophe s'étaient réfugiés au CELA. Elle expliquait que le 22 avril, Wenceslas MUNYESHYAKA était arrivé en compagnie du préfet Tharcisse RENZAHO et de miliciens ; il avait appelé à l'aide d'une liste une soixantaine de noms. Christophe SAFARI qui faisait partie de la liste, avait supplié le père MUNYESHYAKA qui l'avait repoussé en le désignant aux interahamwe comme celui qui devait être tué en premier. Christophe SAFARI avait été tué immédiatement à coups de machette (088). Elle maintenait ses déclarations lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA (D91).

Lors de ses déclarations devant les enquêteurs du TPIR le 31 janvier 1997, son récit variait sur les circonstances dans lesqueUes elle avait assisté aux événements (018112). EUe précisait ne pas être restée au CELA mais s'être réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille. Le jour de l'attaque, elle s'était rendu au CELA avec sa soeur à la demande d'un milicien qui lui avait dit de remettre de l'argent si elle voulait sauver la vie de son frère. Une fois au CELA, elle avait assisté à la scène décrite précédemment, eUe avait vu son frère frappé à coups de machette puis avait entendu un coup de feu lorsqu'elle s'était·enfuie.

Toutefois, il apparaissait des pièces ohtenues des autorités rwandaises que lors de son audition réalisée le 7 septembre 1995, interrogée spécifiquement sur le comportement de Wenceslas MUNYESHYAKA, elle ne mentionnait aucunement le rôle de celui-ci dans la mort de son frère, dont elle ne relatait d'ailleurs pas les circonstances (D19283/020259).

Compte tenu de cette importante divergence dans ses déclarations, elle était convoquée pour une nouvelle audition par les magistrats instructeurs mais son état de santé ne lui pet'mettait pas d'être entendue (D20406).
o'autres dépositions étaient recueillies pour préciser les conditions dans lesquelles Christophe SAFARI était décédé.

Selon Claire SAFARI, sa sœur, son frère et eUe s'étaient réfugiés à la paroisse de la Sainte Famille et non au CELA (02701). Son frère s'était rendu au CELA avec d'autres jeunes hommes la demande de Wenceslas MUNYESHYAKA pour transporter des vivres. Par la suite, Clémence SAFARI était allée au CELA pour remettre de l'argent dans le but de sauver son frère. Claire SAFARI avait appris plus tard de sa sœur que leur frère s'était fait tué, mais sans en préciser les détails.

Entendu par les gendarmes français en janvier 2014, Ramadhan NGENDAHlMANA expliquait qu'il vivait en 1994 avec Christophe SAFARI et ses deux sœurs Clémence et Claire. En avril 1994, il s'était réfugié au CELA avec Christophe SAFARI, Clémence et Claire étant, quant à elles, réfugiées au centre S~intPaul. Le 22 avril 1994, Christophe SAFARI avait fait partie de

INSTRUCnONN°,2415112/12. ORDONNANCB DE NON.LIEU, Pli!:. 28 •

ceux qui avait été sélectionnés par les intel'ahamwe et le témoin ne l'avait plus jamais revu (020563). Denise UMWAU confirmait que Christophe SAFARI avait été emmené par les miliciens avec les autres personnes sélectionnés (020618).

Rose MURORUNKWERE épouse RWANGA expliquait au juge d'instruction, le 14 février 1996, s'être réfugiée au CELA avec son mari et ses trois enfants dès le9 avril 1994. EUe y avait vu Wenceslas MUNYESHY AKAnotamment la veille de l'attaque, celui-ci avait demandé que les véhicules soient neutralisés (D90). Lors de l'attaque du 22 avril, eUe avait vu Wenceslas MUNYESHYAKA avec les miliciens à l'extérieur du CELA, au niveau du poltail. Elle confirmait qu'une cinquantaine d'hommes avaient été emmenés dont son mari, ses deux fils et également Christophe SAFARI. Elle ne pouvait dire si des hommes avaient tués dans la cour avant d'être emmenés (091) ; toutefois dans sa déclaration auprès du Parquet général de Kigali, elle indiquait qu'à sa connaissance, personne n'avait été tué au CELA (03873). Par la suite, le père Wenceslas MUNYESHYAKA avait emmené les réfugiés restés sur place, à la paroisse de la Sainte Famille.

Ainsi d'après la grande majorité des témoins entendus, les personnes sélectionnées n'avaient pas été tuées sur place mais par la suite soit lors du premier trajet soit après être repartis de la brigade de Mullima. Donata MUKASEKURUet le témoin anonymeZZ faisaienttoutefois mention d'un homme appelé GlliANA qui aurait été tué sur place (D20169). Hussein RONGORONGO, un des attaquants, confirmait que Charles RWANGA et ses fils, qu'il connaissait pour avoir été ses voisins, avaient été tués sur le trajet (017817).

Concernant la palticipation de Wenceslas MUNYESHYAKA à cette attaque ou à sa préparation, tout comme le témoin AYF, Dominique RURANGIRWA indiquait avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA la veille de l'attaque, ce dernier leur intimant de quitter le CELA sous peine de le payer cher (05049). Antoine NKUSI affirmait que Wenceslas MUNYESHYAKA était venu avant l'attaquepourprévenir les gardiens de celle-ci et demander de neutraliser les voitures afin que les interahamwe ne les volent pas (03926, D2020 1).

En 1997, devant les enquêteurs du TPIR, le témainAYXdéclaraitégalementavoirvu Wenceslas MUNYESHYAKA au CELA avant l'attaque mais pour donner de l'argent aux miliciens et leur ordOimer de garder les lieux et les voitures; il le citait également comme étant sur les lieux pendant les faits (012182). Mais réentendu en 2003 au Parquet général de Kigali, i l ne réitérait pas ses accusations, expliquant qu'il ne fallait pas tenir compte de son précédenttémaignage au vn du contexte de l'époque, des conditions de l'audition et des rumeurs qui circulaient sur le prêtre (DI9891D20257).

Wenceslas MUNYESHY AKAreconnaissaitqu'il passait régulièrement au CELA à la demande expresse de JeffVLEUGELS qui lui avait demandé d'assister les réfugiés. Il n'intervenait que pour apporter des vivres, les réfugiés s'organisant eux-mêmes. Il confirmait avoir fait neutraliser les véhicules pour éviter qu'ils ne soient volés (D23, D91, D2841 àD2844, D6208, D20312114 à 16, D20664/17 à 18). Il admettait également avoir pris l'argent resté au CELA avec l'accord du père VLEUGELS, argent qu'il avait paJ1agé avec le père Henri BLANCHARD et qu'il avait utilisé pour l'achat de denrées alimentaires (0 6208). Par contre, il niait avoir prévenu les veilleurs du CELA d'une attaque imminente.

Il s'était effectivement rendu au CELA le matin du 22 avril car il avait été prévenu qu'un incident s'y déroulait. Mais, son arrivée, le Préfet RENZAHO était déjâ parti; restaient sur place des miliciens armés ainsi que des gendarmes et le bourgmestre. Des hommes étaient entassés dans unmini-bus pour être conduits à l a brigade de gendarmerie et êt'e intelTOgés. Alors que les miliciens ordonnaient aux réfugiés de rentrer chez eux, il était intervenu auprès du capitaine de gendarmerie afm que les réfugiés qui le souhaitaient puissent être accueillis à la paroisse de la Sainte Famille.

Jt.ISTRUCTlONN" .1425/fJ/U. ORDONNANCIi DENON·L1nU- p•.go 29_

Après avoir accompagné ces derniers la paroisse de la Sainte Famille, il s'était rendu à la gendarmerie pour connaître le sort des personnes arrêtées et il avait appris que celles-ci avaient été tuées par les miliciens sur la route de Rugenge.

Seuls deux participants àl'attaquepouvaient être entendus: HusseinRONGORONGO (D20047, D20388/3) et Thomas NTUYEMBARUSHYA (D20540). Ceux-ci ne citaient pas Wenceslas MUNYESHYAKA comme faisant partie des attaquants.

Les auditions des deux anciens gendarmes, Chrysogone HA TEGEKIMANA servant de chauffeur pour la paroisse Sainte Famille et Félicien KAREKEZI, ancien caporal de gendarmerie de la compagnie de Nyarugenge affecté la protection de la Sainte Famille apportaient les éléments suivants. Félicien KAREKEZI se souvenait être intervenu au CELA car il avait entendu des tirs, sur place étaient présents des miliciens et des autorités militaires qui négociaient. On lui avait dit que des infiltrés du FPR étaient présents au CELA et qu'ils allaient être emmenés la gendarmerie pour être interrogés, lui-même devait conduire les autres réfugiés à la Sainte Famille, ce qu'il avait fait. Il n'avait pas vu Wenceslas MUNYESHYAKA (D20856/5 et 6). Chrysogone HATEGEKlMANA se rappelait, quant à lui, que des Tutsi réfugiés au CELA considérés comme des complices du FPR, avaient, après négociation entre les réfugiés et les autorités, été conduits à la préfecture pour être interrogés mais ils n'étaient jamais revenus. A l'inverse de Félicien KAREKEZI, selon lui, Wenceslas MUNYESHYAKA était présent (020684/18).

Selon ZZ, un témoin entendu par les enquêteurs du TPIR sous anonymat Wenceslas MUNYESHY AKA avait demandé aux interahamwe de ne rien faire aux femmes et aux enfants (D18197).

L'attaque du CELA avait fait l'objet de deux jugements: l'un rendu pat· le TPIR contre Tharcisse RENZAHO et un autre rendu par le Tribunal militaire de Nyamirambo (Kigali) le 16 novembre 2006.

Dans le jugement rendu par le TPIR et confirmé par la chambre d'appel, déclarant Tharcisse RENZAHO coupable de génocide et crime contre l'humanité pour les faits commis au CELA, le Tribunal concluait à l'enlèvemeut d'une quarantaine de réfugiés dont certains incluant Charles et Déglote RWANGA avaient été tués sur la route (D20241/36, D20242). Lors de son procès, Tharcisse RENZAHO, qui plaidait non coupable en expliquant être intervenu uniquement pour repousser l'attaque des interahamwe, avait nié la présence de Wenceslas MUNYESHYAKA au CELA (D2024 1/34). Au vu des témoignages recueillis, le Tribunal, de façon incidente, exprimait des doutes, quant à la nature et à la pOltée de l'implication de Wenceslas MUNYESHYAKA

(D20241134).

Pour le Tribunal militaire de Kigali, le crime de complicité dans l'assassinat au CELA de plus de 40 personnes, ne pouvait être retenu à l'encontre de Wenceslas MUNYESHYAKA au regard du doute existant sur son éventuelle participation (D5612, D5613, D5616). Ce jugement était considéré comme définitif par les autorités rwandaises (D20433).

•••

En premier lieu, un obstacle juridique s'oppose au jugement par les juridictions françaises de Wenceslas MUNYESHYAKA pour les crimes commis au CELA le 22 avril 1994. En effet, en vertu de l'miicle 692 du code de procédure pénale instaurant le principe de "ne bis in idem" en cas d'infraction commise en dehors du territoire de la République, "aucune poursuite ne peut

INSTRUCTION N° .14J5}Il{Il.

ORDONNANCe DB NON·LlBU· P"§' 30-

être exercée contre une personnejustiftant qu'elle a été jugée définitivement pour les mêmes faits et, en cas de condamnation que la peine a été subie ou prescrite ".
Ainsi, le jugement défInitif du 16 novembre 2006 rendue par le Tribunal militaire de Nyamirambo (Kigali) fait obstacle à la poursuite de Wenceslas MUNYESHYAKA pour des fai tB

identiques ceux pour lesquels il a été acquitté.
De façon subsidiaire, il convient d'ajouter que sur le plan factuel, l'analyse des éléments rassemblés ne permet pas à ce jour de lever les doutes exprimés par lajuridiction rwandaise sur l'éventuelle participation de Wenceslas MUNYESHYAKA
l'attaque du CELA.
En effet, si sa présence au CELA le 22 avril 1994 n'était pas contestée, il était impossible de déterminer avec précision à quel moment ni avec qui ce dernier était arrivé, ni surtout quelle avait été son influence sur les événements.
Les accusations formulées par Clémence SAPARI contre Wenceslas MUNYESHYAKA sur le rôle de celui-ci dans la mort de son frère Christophe, étaient sujettes caution non seulement compte tenu de leur inconstance, mais également de leur contradiction avec les témoignages selon lesquels Christophe SAFARI faisaient partie des personnes emmenées. Il en était de même pour Charles RWANGA et ses fIls, conb'airement aux premières déclarations d'AZS.
EnfIn, les allégations de complicité basées sur les visites que Wenceslas MUNYESHYAKA avaient effectuées au CELA dans les jours précédant l'attaque, reposaient davantage sur une interprétation
postériori des événements que sur la description précise d'actes incriminants.

4-2- Les attaques subies par les )'éfugiés du centre pastoral Saint Paul

Les crimes commis au centre pastoral Saint Paul de Kigali, notamment les 24 avril et 14 juin 1994 faisaient l'objet d'un réquisitoire supplétif, accompagnant la transmission du dossier provenant du TPlR le Il décembre 2009 (06252, D6253).

Comme il a déjà été indiqué dans la description des sites, le centre pastoral Saint Paul était mitoyen la paroisse de la Sainte Famille, une porte d'accès intérieur reliant les deux sites (D10465, D201741E notamment El07).
A compter de l'attentat commis contre l'avion présidentiel, ce centre allait accueillir un grand nombre de réfugiés estinIés entre 1500
et 3000, principalement d'ethnie tutsi mais également certains Hutu de l'opposition (D19870, 019876, 02484, 03667, D20119, D20315/2).

Témoin central car responsable du centœ Saint Paul, A YN était entendu Il de multiples reprises les 7 janvier et 30 mars 1998 par les enquêteurs du TPlR (D2482, 012217 à D12223), le 10 décembre 200 1 devant le Parquet général de Kigali (03666 à D3677), le 25 janvier 2007 devant les juges du TPlR lors du procès de Tharcisse RENZAHO (012257 D12286), le 13 mars 2012 par les gendrumes français (D20119) et enfIn, le 4 décembre 2013 en confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA (D20397).

D'après les témoignages de AYN, du prêtre Emmanuel TUBANE (04039 à D4042) et des réfugiés rescapés, le centre pastoral Saint Paul avait fait l'objet de trois attaques de la part des miliciens ayant entraïné des conséquences fatales, les 24 avril, 14 juin et 17 juin 1994. Elles pouvaient se résumer comme suit.

Au mois d'avril, le 24 avril (ou le 22 avril selon certains), des interahamwe pénétraient dans le centre pastoral, après que la population avait effectué 1"'Umuganda", travaux communautaires obligatoires consistant, ce jour là, débroussailler les bananeraies pour repérer des soit-disant complices du FPR. Après négociation avec les gendarmes tentant de s'opposer à l'entrée massive des miliciens, seuls les chefs étaient entrés dans le centre Saint Paul. Ils en étaient ressortis en emmenant 5/7 personnes dont le journaliste Emmanuel RUKUNDO, Arestarique

JNSTIU.lCTIONN°.24J5JU/1l. ORDONNANCE DENON-LŒU. pago 3 1 ·

RUTSINDUKA etun dénommé MAZIMPAKA sous le prétexte de les conduire à la gendarmerie pour les interroger mais ceux-ci avaient été tués par la suite.

Le 14 juin 1994, un groupe de miliciens s'étaient présentés pour procéder à l'arrestation de réfugiés. AYN s'y était opposé en invoquant l'absence de mandat officiel de leur part pour arrêter des gens. Les miliciens étaient repartis puis revenus avec des mandats autorisant les miliciens à amener à la Brigade de gendarmerie de Nyarugenge une trentaine de personnes. Les personnes visées par ces mandats s'étant cachés, les miliciens furieux s'étaient saisis de jeunes hommes, dont le nombre variait selon les témoignages entre 40 74. Ceux-ci avaient été conduit au Bureau de secteur de Rugenge pour y être tués. Selon AYN, cette attaque intervenait après une réunion qui avait eu lieu entre les prêtres de la paroisse de la Sainte Famille et du centre pastoral de Saint Paul et les autorités administratives de la zone et les chefs de milice. Cette réunion avait pour but de faire cesser les tueries et d'établir comme règle que les réfugiés ne pouvaient être arrêtés que sur mandat des autorités officielles (D3673).

Le 16 juin dans la nuit, des membres du FPR intervenaient au centre Saint Paul pour exfiltrer un grand nombre de réfugiés vers les territoires contrôlés par le FPR. AYN restait au centre avec une quarantaine de réfugiés, des prêtres et des sœurs. Le lendemain, soit le 17 juin, les interahamwe étaient revenus, avaient pillé les locaux, volé l'argent et tués 5 réfugiés. Le lieutenant-colonel MUNYAKAZI étaient VenUS à leur secours et les avaient évacués à l'archevêché. Toutefois, lors de son audition devant les gendarmes frauçais (D20119/8 et D20119/10), le témoin ne faisait plus état de victimes lors de cette dernière attaque, ne

mentionnant que le pillage et des menaces.

Dans cette audition, AYN expliquait que, même avec la protection des gendarmes, il était impossible d'empêcher les miliciens en nombre et en arme de pénétrer dans le centre, le mieux que les gendannes et religieux pouvaient faire face aux interahamwe, était négocier (020119/6, D20 119/9, D20 119/1 0).

Emmanuel TUBANE, prêtre tutsi réfugié au centre pastoral Saint Paul confumaitque celui-ci avait subi deux ou 3 rafles de la part des miliciens auxquels il était très difficile de s'opposer. JI expliquait qu'après l'évacuation d'un grand nombre de réfugiés par les membres du FPR dans la nuit du 16 au 17 juin, il ne restait plus qu'une vingtaine de personnes dont A YN et lui-même. Le lendemain, les miliciens accompagnés d'Angéline MUKANDUTIYE, Odette NYlRABAGENZI et du préfet RENZAHO étaient venus au centre Saint Paul, furieux, les accusant de complicité avec le FPR. Ils avaient pu être sauvés grâce à l'intervention de Laurent MUNYAKAZI et des gendarmes qui les avaient évacués vers la paroisse Saint Michel (04042).

S'agissant plus précisément du rôle de Wenceslas MUNYESHYAKA lors de ces attaques, tout comme Emmanuel TUBANE, AYN ne souvenait pas de la présence de Wenceslas MUNYESHY AKA. Ce témoin ajoutait, lors de la confrontation, que W enceslas MUNYESHYAKA venait généralement juste après avoir appris la survenance d'une attaque pour présenter ses condoléances (D20397/6).

La témoin BAD, réfugiée au centre Saint Paul depuis le 12 avril 1994, d'origine tutsi et marié avec un Hutu, était entendue par les enquêteurs du TPIR le 14 avril 1997 (02736/01 7204) et Je 8 mai 1998 (017220), le 31 mai 2000 (017227) et le 8 mars 2004 (017236), puis par les gendarmes français Je 16 janvier 2013 (020297). Elle déclarait bien connaître Wenceslas MUNYESHYAKA car elle enseignait à J'école primaire de la Sainte Famille avant les événements. Dans ses deux premières auditions devant le TPIR consacrées au père Wenceslas et devant les gendarmes français, elle affirmait que Wenceslas MUNYESHYAKA était présent

INSTRlICllON H' ,10:5JJ1II1, ORDONNANCE Dl! NON·LlEU· P"SO32 •

avec les miliciens lors de leur intrusion le 22 ou 24 avril Il s'était interposé lorsqu'un milicien Léonard BAGABO avait voulu forcer son mari à rentrer leur domicile, en lui disant de les laisser tranquille, que les gens rentreraient d'eux-mêmes quand ils se considèreronten sécurité. Les miliciens s'étaient alors dirigés vers un autre dortoir et avaient emmenés 7 personnes dont RUKUNDO, BATSINDUKA, MAZIMPAKA et MUSONERA qui n'étaient jamais revenus malgré les promesses faites à l'abbé en charge de Saint Paul. Elle insistait sur le fait que Wenceslas MUNYESHYAKA avait de l'autorité sur les interahamwe.

Concernant l'attaque du 14 juin, elle précisait que son frère Charles, faisait partie de la soixantaine des hommes emmenés par les miliciens mais elle ne mentionnait pas la présence de Wenceslas MUNYESHYAKA ce jour là.
Pour conclure, sans pouvoir affirmer la responsabilité de Wenceslas MUNYESHYAKA dans les faits commis au centre Saint Paul, elle lui reprochait de n'avoir fait aucun effort pour sauver les gens compte tenu des relations qu'il semblait entretenir avec les miliciens.

AYN -dont BAD mentionnait la présence lors de la scène du 24 avril qui s'était déroulée dans le dortoir- ne se souvenait que d'une seule intrusion de miliciens jusqu'aux dOltoirs du centre Saint Paul mais selon lui, Wenceslas MUNYESHYAKA n'était pas présent à cette occasion. Léonard BAGABO indiquait, quant à lui, ne pas COfmaÎtre Wenceslas MUNYESHYAKA et n'avoir participé qu'au débroussaillage autour du centre Saint Paul et non à l'arrestation de réfugiés (D19928).

La témoin BBG, adjointe du directeur de l'école primaire de la Sainte Famille en 1994, tulsi et réfugiée également au centre Saint Paul, confirmait l'enlèvement par les interahamwe de 7 personnes le 22 ou 24 avril 1994. Dans sa première audition devant les enquêteurs du TPIR le 14 avril 1997, elle déclarait que Wenceslas MUNYESHYAKA, présent à Saint Paul, avait demandé aux interahamwe de partir, ce que ceux-ci avaient fait mais en emmenant avec eux les 7 persormes (D 2729/D 17416). Lors de son audition devant les gendarmes français le 17 janvier 2013, si elle maintenait que WenceslasMUNYESHYAKA avait bien fait partir les interahamwe ce jour là, elle déclarait, par contre, qu'il n'était pas là lors de l'arrestation des 7 réfugiés (D20298). Sur l'attaque du 14 juin 1994, elle indiquait que son propre fils faisait partie des 60

victimes des interahamwe (D17429).

Selon elle, Wenceslas MUNYESHYAKA n'avait aucune implication ni eu aucune influence dans les faits qui s'étaient déroulés au centre pastoral Saint Paul (D20298/3).

AYF, rescapé de ['attaque du CELA, avait réussi à rejoindre le centre pastoral Saint Paul et à s'y cacherjusqu'au 16juin 1994. Dans son audition devantles enquêteurs du TPIR le 17 avril 1997, il témoignait de la présence de Wenceslas MUNYESHYAKA lors de l'intrusion des miliciens qu'il situait deux jours après l'attaque du CELA. Il expliquait que ce dernier accompagné de deux gendarmes avait mis fin aux opémtions de tri par ethnie effectuées par les miliciens. Toutefois, dans son audition de 2013, il ne mentionnait plus cet épisode indiquant seulement avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA au mois de mai au centre Saint Paul mais sans apporter de précision sur l'attitude de ce dernier (D20296).

Sur le comportement général de Wenceslas MUNYESHYAKA, BAD indiquait avoir appris de AYN que Wenceslas MUNYESHYAKA lui avait conseillé, à plusieurs reprises, de laisser "les gens tuer les inyenzi [qu'il cachait], qu'il ne servait à rien de [s']interposer" (D17206 et D20403/5). Lors de ses auditions devant les enquêteurs du TPIR en 1997 et en 1998 (D14430), BBG relatait des propos identiques tenus par Wenceslas MUNYESHYAKA à AYN. Mais en 2013, devant les gendarmes, elle reconnaissait ne pas avoir elle-même assisté cette conversation entre les denx religieux et qu'il s'agissait là de propos qui lui avait été rapportés

INSTRUCTIONN" .14:Z!iJUlIl. OllDONNANÇB PB NON·I.!liU· JliI,go:ll.

par d'autres (02029&/4).
Questionné à ce sujet lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA, AYN contestait que Wenceslas MUNYESHYAKA lui ait tenu de tels propos.
JI expliquait que ces paroles avaient été prononcées par Angéline MUKANDUTlYE après la m0l1 des évêques ; celle-ci lui avait dit : ''je te demande de ne pas t'interposer quand on viendra chercher les Tutsi. Si tu t Yopposes, nous allons faire la paroisse de la Sainte Famille ce que nous avons fait Nyundo".

Hussein RONGORONGO, qui se déclarait Vice-Président des interahamwe, avait été condamné pour les attaques commises dans le secteur de Rugenge par jugement du 24 octobre 2003 du Tribunal de première instance de Kigali, communément appelé 'Jugement des miliciens" (0203&&,020347). Toutefois, lors du procès, les juges avaient estimé que celui-ci avait usurpé le titre de Vice-Président des interahamwe, ayant été un simple milicien (D20347/194). Hussein RONGORONGO, qui avait eu recours àla procédure d'aveu et de plaidoyer de culpabilité et qui avait collaboré en nommant ses co-auteurs, avait été condamné à 15 ans d'emprisonnement pour avoir notamment participé à une attaque au CELA, une attaque Saint Paul au cours de laquelle avaient été tués RUKUNOO et MAZIMPAKA et une attaque lancée à la paroisse de la Sainte Famille (017&13, Oi0347/194 et 267).

Celui-ci était entendu à de nombreuses reprises le 15 juillet 2005 et le 12 juillet 2006 par l'auditorat militaire rwandais (020379, 0203&0), en 2006 par les enquêteurs du TPIR (017&10) et en octobre 2011 par les gendarmes français (020043, 020050). Tout en reconnaissant sa pal'ticipation à l'attaque au cours de laquelle Emmanuel RUKUNOO et un dénommé MAZIMPAKA avaient été arrêtés, il situait cette attaque au mois de mai ou enjuin 1994, alors que celle-ci était datée du mois d'avril par l'ensemble des témoins (017817, 02038&).

Par ailleurs, dans ses déclarations devant l'auditorat militaire de 2006, il indiquait que cette attaque baptisée "Umuganda" avait fait plus de deux cents victimes, ce qui ne correspondait pas aux autres témoignages (0202&012).
Dans son audition devant
le TPIR, il expliquait que son groupe d'interahamwe avait reçu d'Angéline MUKANDITUYE, une liste de noms de personnes à tuer sur laquelle figurait le nom de RUKUNDO. Après avoir regroupé les personnes visées, une dispute était sUI'Venue entre Angéline et Odette NYJRABAGENZI quant à savoir s'il fallait tuer tous les réfugiés ou seulement ceux dont le nom était sur la liste. Sur ces entrefaits, Tharcisse RENZAHO accompagné de Wenceslas MUNYESHYAKA était arrivé et les deux avaient discuté avec les deux femmes. A l'issue, les interahamwe avaient emmenés les réfugiés sélectionnés pour les toer à un endroit surnommé "CND" en référence au Conseil National du Développement de Kigali qui abritait des représentants et soldats du FPR (017817).

Oevant les gendarmes français (020048 et 020050), ses déclarations étaient quelque peu différentes, il indiquait s'être introduit une première fois au centre Saint Paul avec d'autres interahamwe et en être reparti avec 13 hommes tutsi sans se heurter aucune opposition. Puis, Angéline MUKANDITUYE avait décidé de lancer une attaque dès le lendemain en raison du grand nombre de Tutsi présents, en profitant des travaux d'Umuganda. Il confirmait que lors de l'attaque, les interahamwe étaient munis d'une liste, qu'il y avait eu un différent entre Angéline et Odette et que celles-ci avaient été rejointes par le Préfet RENZAHO et Wenceslas MUNYESHYAKA. Finalement, seuls les Tutsi, figurant sur la liste soit une quarantaine, avaient été emmenés puis exécutés. Il maintenait que les dénommés Emmanuel RUKUNOO et MAZIMPAKA en faisaient partie.

Sur le rôle de Wenceslas MUNYESHY AKA, il affirmait avoir appris d'Angéline MUKANDITUYE que c'était lui qui avait signalé la présence d'Emmanuel RUKUNOO au centre Saint Paul comme il l'avait fait pour d'autres Tutsi (02004&, 0203&8/3). Lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA, il maintenait ses accusations (0203&8/5).

INSTRUCI10NN" .14l5f11l12. O/tOONN/lNCH DB NON.LJEU.. plgo 34 -

Pour appuyer ses dires, il citait comme autres attaquants en plus de Léonard BAGABO, Narcisse NZAMWlTA et comme témoin Gilbert RUTAYISlRE MASENGO.
Toutefois, Narcisse NZAMWlTA (020162) qui recounaissait avoir participé
l'''Umuganda'' autour de Sain! Paul pour éviter que des "inyenzi" se cachent dans les herbes, ne confirmait pas la présence de Wenceslas MUNYESHYAKA qu'il connaissait comme étant un prêtre de la Sainte Famille.

Gilbert RUTAYIRE MASENGO, réfugié au centre Saint Paul, entendu par les gendarmes français le 24janvier2014, indiquait avoirvu arriver ce centre, WenceslasMUNYESHYAKA en même temps que les interahamwe le jour d'une attaque Saint Paul mais sans pouvoir en préciser la date (D20564/3). Wenceslas MUNYESHYAKA se serait adressé au témoin en s'étounant qu'il soit toujours en vie (020564/5), le témoin étant effectivement particulièrement recherché car considéré comme un informateur du FPR d'après l'abbé Gallican NDAYISABA (019880).

D'autres témoignages de Gilbert RUTAYIRE MASENGO figuraient déjà daus la procédure. L'un joint à la plainte initiale, en 2001, où il dénonçait le comportement de Wenceslas MUNYESHY AKA lors des attaques du CELA et de la Sainte Famille (D432, D434). Dans cette letlre, il relatait une visite de Wenceslas MUNYESHYAKA au centre Saint Paul au cours de laquelle le prêtre lui aurait dit "tu n'espas encore mort", mais il n'inscrivait pas cette visite dans le cadre d'une attaque. Dans une audition devant le Parquet général de Kigali (D5035 à D5039) concernant principalement BUTERA Jean-Baptiste, il mentionnait Wenceslas MUNYESHYAKA parmi une liste de noms de criminels qu'il avait vu au centre SaintPaullors de son séjour mais sans apporter de détails sur les agissements de celui-ci.

Quant l'attaque du 14 juin, le témoin AZS lors de son audition par les gendarmes français le 24 janvier 2012 citait Wenceslas MUNYESHY AKA comme étant présent en compagnie du PréfetRENZAHO, d'AngélineMUKANDUTIYE et OdetteNYIRAGABENZI, bien qu'il ne le mentionnait pas lors de son audition devant les enquêteurs du TPIR du 18 février 2008 (017129). Mais, lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA (020402/15), il ne pensait plus l'avoir vu ce jour là.

Cassien RUTEBUKA, attaquant du 14 juiu, entendu par les gendannes français le 6 octobre 2011, déclarait ne pas avoir vu Wenceslas MUNYESHY AKA à Saint Paul ce jour là (D20032 àD20038).

Lors de sa première audition sur les faits commis au centre pastoral Saint Paul, le 26 avril20I3, Wenceslas MUNYESHY AKA bénéficiait du statut de témoin assisté (02OJ 15). llniait avoir été présent lors de ces attaques.
Le 24 avril 1994, il avait rejoint les prêtres dans la maison des prêtres du centre Saint Paul, une fois que tout était fmi et ces derniers lui avaient relaté ce qu'il s'était passé.

Pour expliquer les témoignages de ceux qui l'avaient vu sur place, il précisait qu'en arrivant au centre Saint Paul, il avait croisé des jeunes devant la maison des prêtres et les avaient chassés mais il ne les qualifiait pas de miliciens, ceux-ci n'étant pas armés. Même face aux déclarations de BAD (D20403) et de AYC (011220) qui indiquaient qu'il s'était, en partie, opposé à la volonté des miliciens, il maintenait ne pas avoir été présent lors de l'intrusion de ceux-ci.

Il contestait avoir informé Angéline MUKANDUTIYE de la présence dujournalisteEmmanuel RUKUNDO au centre de Saint Paul, accusant Hussein RONGORONGO de faux témoignage. Iljoignaitpourpreuve, une attestation d'une journaliste britannique Elizabeth CEIRIOG JONES selon laquelle Hussein RONGORONGO avait exigé de l'argent en contrepartie de son témoignage (D20315/3, D203 88/11).

Il admettait connaître Gilbert RUTAYlRE MASENGO, avant les événements mais ne se souvenait pas l'avoir croisé l'époque et lui avoir parlé (D20664/19).

INSTRUCTION N· .2415111111. ORDONNANCE 0 0 NON-LIEU. PIJlO 3S

Concernantl'attaquecelledu 14juin,ilnesesouvenaitpasêtrealléaucentreSaintPaul,cejour là.

Son conseil fournissait un mémoraudum interne de la MINUAR en date du 15 juin 1994 sur l'organisation des opérations d'évacuations, document qui contenait des références intéressantes sur les événements du 14 juin. Ainsi, il était évoqué l'enlèvement et le meurtre de 40 jeunes le 14 juin, le lendemain de l'opération d'évacuation (D20355). Selon une mention mauuscrite ajoutée sur la dernière page, "le prêtre avait indiqué que les 40 jeunes hommes en âge de comballreavaientétéenlevésalorsquelesévacuésavaientpourrilamiliceenpartantetavaient

fait des commentaires la radio sur lefait de retourner se ballre pour le FPR ".
Interrogé sur cette mention, Wenceslas MUNYESHYAKA n'excluait pas être l'auteur de ces paroles mais
il affirmait qu'elles n'avaient pas pour but de justifier les enlèvements faits pat' la milice. Il n'avait fait que rapporter ce qu'il se disait l'époque du coté de la milice, à savoir que les personnes évacuées étaient ensuÎte interviewées sur la Radio MUHABURA du FPR et que certains évacués intégraient les rangs des combattauts du FPR (D20664/8).

Ce même commentaire était repris, de façon plus claire, daus un article du journal Libération publié le 17 juin 1994, sous le titre "Kigali, l'enfer de l'église Sainte-Famille ". Le journaliste Alain FRILET y relatait l'entretien qu'il avait eu avec Wenceslas MUNYESHYAKA, quelques jours après l'attaque, lors de la visite sur les sites de la Sainte Famille et de Saint Paul du chef d'Etat Major adjoint de la MINUAR, le général ghanéen Henry ANYlDOHO, accompagné de journalistes étrangers. Wenceslas MUNYESHYAKA avait admis devaut ce journaliste avoir autorisé "comme d'habitude" les miliciens rentrer au vu des documents officiels présentés, se défendaut d'avoir livré des enfants à la milice, comme il l'avait entendu dire la radio, en affirmant qu'il s'agissait uniquement d'adultes. Selon Alain FRILET, Wenceslas MUNYESHY AKA avait fustigé les réfugiés, qui avaient eu la chance d'être évacué la veille de l'attaque par laMINUAR, d'avoir ensuite: "osé témoigner sur les antennes de la radio rebelle des massacres perpétrés par les miliciens l'église Sainte-Famille", pour conclure en ces termes : "Évidemment, ça a excité les miliciens, et je comprends qu'ils soient revenus le lendemain pour en enlever une cinquantaine" (D9634).

Les auditions des anciens gendarmes ou militaires n'apportaient que très peu d'éléments sur les différentes attaques subies par le centre Saint Paul.
Sur celle du 17 juin 1994, Chrysogone HATEGEKIMANA, chauffeur de la gendarmerie, indiquait qu'effectivement, cejour là, les miliciens avec à leur tête AugélineMUKANDUTIYE avaient volé de l'argent au centre Saint Paul mais sans causer aucune mort
(D20684/9). Laurent MUNYAKAZI confirmait avoir, cette date, sur ordre de sa hiérarchie, évacué les religieux restés au cenlre Saint Paul vers l'archevêché de Kigali (DI9825).

•••

Lors du jugement de Tharcisse RENZAHO devant le TPIR, sur les faits concernant Saint Paul, le nom de Wenceslas MUNYESHYAKA n'apparaissait pas comme impliqué dans les faits reprochés, bien qu'il s'agisse des mêmes témoins que daus la présente affaire. La responsabilité de Tharcisse RENZAHO n'était d'ailleurs pas retenu pour ces faits (D20241/38 à 60).

A l'issue de l'instruction, seuls deux témoins indiquaient, de façon réitérée, que Wenceslas MUNYESHYAKA était présent lors de l'attaque des miliciens ayant abouti à l'enlèvement et l'exécution de 7 personnes dont les dénommés RUKUNDO et MAZIMPAKA, -datée le plus vraisemblablement du 24 avril 1994-, latémoin réfugiée BAD etl'un des participants l'attaque Hussein RONGORONGO.

INSTRUCTION N- . 141~/UlU. ORDONNANCE DE NON.LIEU· p~ge 36 •

Toutefois, s'agissant de l'audition du témoin BAD non seulement sa déclaration n'était pas corroborée par le responsable des lieux AYN, mais SUltout le comportement prêté Wenceslas MUNYESHYAKA lors de cet événement -s'opposant aux interabamwe- ne permettait pas de

le considérer comme ayant eu un rôle actif dans les enlèvements relatés.
Bien que Hussein RONGORONGO ait plaidé coupable et ait été condamné en 2003 pour une seule attaque commise sur le centre Saint Paul, (020347/240)
il évoquait en 2011 devant les gendarmes français sa participation à 4 attaques, mais l'ensemble de ces déclarations était confus et ne correspondait pas au récit des autres témoins (020043 et suivants). Ainsi, sa relation du déroulement de l'attaque ayant conduit à la mort de RUKUNOO et MAZIMPAKA semblait mêler des éléments de la première intrusion du mois d'avril ayant abouti à l'arrestation de 7 personnes et des éléments de l'attaque du 14 juin où au moins 40 hommes avaient été enlevés. Par ailleurs, aucun des autres attaquants intelTOgés ne confirmaient ses dires sur le rôle qu'aurait

joué Wenceslas MUNYESHYAKA dans ces crimes. Son témoignage n'était d'ailleurs pas, non plus, retenu par les juges du TPIR.

Aucun témoignage direct ne mettait en cause Wenceslas MUNYESHYAKA dans l'attaque du 14 juin. Si Wenceslas MUNYESHYAKA avait tenu des propos auprès de la MlNUAR et des journalistes, qui loin de réprouver l'action de la milice, tendait, à minima, à l'expliquer, il convenait de rappeler le contexte dans lequel ces paroles avaient été prononcées. En effet, la présence du préfet Tharcisse RENZAHO et de la conseillère de secteur Odette lors de la visite de la MlNUAR sur le site, tel que cela résultait de l'article de Libération qui rapportait ses propos, avait pu limiter sa liberté de parole. Par ailleurs, la seule opinion exprimée par Wenceslas MUNYESHYAKA sur les raisons de cette attaque n'était pas suffisante pour en

déduire une participation celle-ci.

Enfin, personne n'impliquait Wenceslas MUNYESHYAKA dans l'attaque de la milice conduite le 17 juin dont les conséquences meurtrières étaient, au regard des témoignages, incertaines.

Ainsi, les éléments recueillis sur les attaques subies par le centre pastoral Saint Paul ne permettaient pas d'engager la responsabilité pénale de Wenceslas MUNYESHYAKA pour ces faits.

5- Les crimes commis à la paroisse de la Saint Famille
5-1- L'organisation mise en place au sein de la paroisse la Sainte Famille
La répartition des réfugIés

A partir du 7 avril 1994, les réfugiés étaient arrivés à l'église de la Sainte Famille, prioritairement des secteurs environnants de Rugenge et de Gisozi. Oès le 12 avril, la paroisse comptait déjà entre 2500 et3000 réfugiés et, selon Wenceslas MUNYESHY AKA, plus de 16000 à la fin juin (020312/4, Gallican NDA YISABAOI9872). Les témoignages démontraient, en effet, que les réfugiés continuaient à ~rriver dans les locaux de la paroisse, de manière échelonnée. Nombre d'entre eux avaient trouvé refuge dans l'église la fin du mois d'avril ou début mai (MUKANYlRlGIRA 020194/14, KAYlTESID514 et 02063812, ZYRARUSHYA 020680/2, UMUHOZA020801/3,MATESO020797,BCB020287/3)etd'autres continuaient à affluer à la fin mai et jusqu'au début du mois de juin (Emmanuel NTAGANIRA 020450/1, Alice UMUTONl 020868/2, AYC 02516, Jean-Claude MAZlMPAKA 03710, Agnès

MUKANDUTIYE D2015313).

INSTRUCnON N" .2415/11111. ORDONNANCE D6 NON.LlEU- po;c 37 •

Ces réfugiés étaient composés pour une grande majorité de Tutsi, qui fuyaient les tueries des milices et des gardes présidentiels. Cependant, les attaques du FPR sur différents quartiers de Kigali avaient également poussé des Hutu en grand nombre à s'abriter à la paroisse de la Sainte-Famille (Gallican NDAYISABA DI9872, Bonaventure NIYIBlZI D20199/2,Odette MUKANYIRIGIRA D20194/6, Jean-Bosco MUGANZADI9853). Autrement dit, ainsi que le formulait Gisèle MUKANGIRA, des voisins s'étaient retrouvés à la Sainte-Famille, ceux d'origine tutsi fuyaient le génocide tandis que ceux d'origine butu fuyaient la guerre (DI1453).

Selon la majorité des témoins, les Hutu et les Tutsi étaient mélangés dans l'église (Gurette UWIMANA D19846, Jean-Bosco MUGANZA D19853, Bonaventure NIYIBIZl D2020017, Antoine NKUSID20393). Blandine NYIRANSHUTI allait mêmejusqu'à dire que cette mixité ethnique leur avait assuré un minimum de sécurité, puisque les interahamwe avaient du mal à différencier les Tutsi des Hutu (D20800/3). Joie-Claire UWlMANA apportait Une voix dissonante faisant état d'une séparation ethnique au sein du site, les Hutu se regroupant dans l'école primaire tandis que les Tutsi se trouvaient entre euxà l'intérieur de l'église (D2030 I/2). L'abbé NDAYISABA ainsi que le témoin AYN admettaient qu'effectivement, il y avait une majorité de Hutu dans la cour de l'école primaire et que les lieux couverts abritaient majoritairement des Tutsi, mais ils précisaient que cette séparation s'était faite naturellement, les lieux couverts étant occupés par les premiers arrivés et les plus menacés, à savoir les Tutsi, qui cherchaient à se soustraire la vue des miliciens (DI9872, D20397).

Il est vrai que tous les réfugiés n'étaient cependant pas tous logés dans les mêmes conditions à la pnroissede la Sainte-Famille. Enraison de leurs relations avec Wenceslas MUNYESHYAKA ou de leur situation familiale, certains réfugiés étaient abrités dans des chambres séparées, qui au presbytèœ ou à la procure (AYC D2516), qui près du réfectoire (Jeanne UTAMULIZA D20864/4), qui à la petite chapelle (Julie UW AMWlZAD2079412). Dans la mesure où tous les témoins cités étaient d'origine tutsi, il convenait de préciser que ces privilèges n'étaient pas attribués sur des bases ethniques.

Plusieurs réfugiés mentionnaient la tenue d'un registre rempli à leur arrivée sur le site. Les abbés Gallican NDAYISABA et AYN expliquaient qu'il s'agissait làd 'une obligation imposée par les autorités afin de recenser les réfugiés, ce registre étant gardé par le chef des réfugiés. AYN précisait d'ailleurs, contrairement à d'autres témoins, que si le lieu de provenance y était inscrit, la mention de l'ethnie, quant à elle, n' y figurait pas (D3669, D3898). Tout en contestant l'existence de ce registre (D20312/4), Wenceslas MUNYESHYAKA reconnaissait que des listes des réfugiés étaient établies mais par les réfugiés eux-mêmes, de façon à connaître le nombre de présents et à assurer une distribution de nourriture équitable, cela était confirmé notamment par Augustin RUTABANA, responsable des réfugiés de l'école primaire (D20l54, D20919). Jean-Bosco MUGANZA, réfugié à la paroisse de la Sainte Famille à compter du 15 avril 1994, expliquait qu'un registre avait bien existé au sein de la Sainte Famille, renseigné par les réfugiés eux-mêmes, registre censé indiquer, en sus des identités, l'ethnie et le lieu de provenance. Il confirmait que le but de celui-ci était de pouvoir COlliIaÎtre le nombre de réfugiés pour obtenir suffisamment de vivres et de médicaments. Il précisaittoutefois, queplusieut·s réfugiés refusaient

de s'y faire inscrire pour des raisons de sécurité (DI9855).

Les conditions de vie des réjùgiés

L'infraction de crimes contre l'humanité incluant la pratique massive et systématique d'actes inhumains et celle de génocide, l'acte de soumission à des conditions d'existence de nature entralner la destruction du groupe, il convenait d'examiner les conditions de vie des réfugiés dans la paroisse de la Sainte Famille.

lNSTRUCfION N". 2415/12/12, ORDONNANCE DE NON-lJEU· p.ago 3 8 .

Comme il a déjà été évoqué, le ravitaillement en nourriture avait été confié à Wenceslas MUNYESHY AKA aidé de l'abbé PaulinMUNY AZIKWlYE, responsable de Caritas. Les vivres étaient obtenus auprès de Carltas, du CICR (Comité laternational de la Croix Rouge) et de la Croix Rouge belge et acheminés par Wenceslas MUNYESHYAKA avec l'escorte des gendarmes pour sécuriser les transports (D20397, D20119, D4041, D3896). L'abbé Paulin MUNYAZIKWIYE, qui était, d'après le témoin AYN, l'interlocuteur habitoel de la Préfectore pour la gestion des vivres (D20184, D20119, D12241) ne pouvait être entendu car il était décédé depuis les faits.

L'unique repas quotidien, composé généralement de porridge et de riz, était préparé et distribué par les sœurs Abizeramariya, une attention particulière étant portée aux jeuneserrfants (W enceslas MUNYESHY AKA D2759 à D2922, Sarah BAMPlR1YE et Beotha MUKAMAZIMPAKA D20392, Concilie MUKAMWEZI D3775, Anastasie UWAYESU D20608).

S'agissant de l'eau, il apparaissait que l'approvisionnement avait posé des problèmes en raison des fréquentes coupures d'électricité, ne permettant pas de la pomper sur place. L'eau était donc puisée à l'extérieur et acheminée à la Sainte Famille, par les camionnettes de l'économat général conduites par les gendarmes, lorsque les combats ou les attaques ne l'empêchaient pas (D20l 19/5, D20392). Il existait, par ailleurs, une citerne, située dans le jardin de l'église, mais ns'agissait, selon Wenceslas MUNYESHYAKA, d'une réserve de secours, destinée à permettre de confectionner la nourriture en cas de pénurie (D2759 à D2922, D20174, D20387, D20392). Certains réfugiés relataient une scène au cours de laquelle Wenceslas MUNYESHYAKA s'était violemment opposé, en le menaçant de son arme, un réfugié dénommé GASONGO qui était monté sur la citerne pour s'approvisioWler (D 19946, D2723). Même si la réaction du prêtre était excessive, il était compréhensible, compte tenu de la situation de pénurie, de mettre en place des

règles de ratioWlement et d'empêcher tout réfugié d'utiliser cette citerne de façon individuelle.

Certes, tous les témoins admettaient que les conditions de vie étaient extrêmement difficiles et qu'ils ne mangeaient pas tous les jours à leur faim (BCB D20287116, Antoine NKUSIDI9939, A YN D20 119/11). Cependant, la très grande majorité reconnaissait que personne n'était mort de faim ou de soif à la Sainte-Famille (Christine GAHONGAYIRE D20729/3, Bonaventure NIYIBIZI D20200/7, Jeanne UTAMULIZA D3892, Alice UMUTONI D20868/4, Jean-Bosco MUGANZA D19856, Gorette UWIMANA D19848, Gallican NDAYISABA D19980, AYN D20397). De façon extrêmement minoritaire, Joie-Claire UWIMANA et Rose MURORUNKWERE affirmaient avoir vu des réfugiés mourir de faim ou de soif, mentionnant néanmoins comme cause possible de leur décès, la maladie ou la chaleur (D3878, D20301,

D20308/3).

Par ailleurs, si quelques réfugiés invoquaient une distribution volontairement discriminatoire de nourriture, le plus grand nombre affirmait que les rations en eau etnolU'riture délivrées aux Hutu ou aux Tutsi étaient les mêmes. Certains précisaient d'ailleurs qu'une distribution de nourriture aux seuls Hutu aurait été difficile, les deux ethnies étant mélangées dans la paroisse (D3768, D3718, D3776, D3878, D20 183, D20324, D20608, D20206). La situation inégalitaire entre les réfugiés s'expliquait, ainsi que le soulignait certains témoins, par la possibilité pour les Hutu d'aller s'approvisionner à l'extérieur, ce qui était impossible pour les Tutsi compte tenu des menaces qui pesaient sur ces derniers (DI9856). Des réfugiés faisaient par exemple état d'achat de jerrican d'eau à un prix bien supérieur à celui normalement pratiqué, expliquant qu'ils achetaient cette eau à l'extérieur de la paroisse ou auprès de ceux qui pouvaient sortir, mais ces récits, à l'exception de celui isolé de Rose MURORUNKWERE (03878), ne mettaient pas en cause Wenceslas MUNYESHYAKA dans ces transactions (D3748, D2479, D3776, D4009,

IWHRucnoN" lia . Z4l5fJUll. ORDONNANCB DE NON-UEU.l'l,&o JI} •

019185, D3950, D20153/4).

Des denrées alimentaires supplémentaires pouvaient également être achetées par les réfugiés qui en avaient les ressources au magasin de l'économat, sous la responsabilité de Gallican NDA YISABA qui expliquait que l'argeut des ventes était eusuite réutilisé pour l'approvisionnement de tous les réfugiés (D9115, 019878).

Ainsi, l'ensemble des témoignages rassemblés nepermettaitpas d'imputer la situation de pénurie alimentaire qui existait sur le sile de la Sainte Famille au comportement délibéré de Wenceslas MUNYESHY AKA.

De même, aucun grief ne pouvait être retenu à son encontre quant à une éventuelle privation de soins apportés aux malades et aux blessés. En effet, il résultait des éléments recueillis qû' un dispensaire avait été mis en place sur le site, dans lequel officiaitnn infinnier Félix KAMANY A avec l'aide des religieuses, du CICR et de réfugiés disposant de connaissances médicales (D20729, 017440, D20160).

Jean Népomuscène GAHURURU, coordinateur des actions de secours de la Croix Rouge rwandaise dans la région de Kigali, déclarait qu'une dizaine de volontaires de son organisation, composés notamment de secouristes bygiénistes et d'assistants médicaux, étaient dépêchés sur place par la Croix Ronge, afin d'y prodiguer des soins (D18S0 à DI8S2). Il précisait que Wenceslas MUNYESHYAKA acceptait d'accueillir sur le site de la Sainte Famille des blessés et malades confiés par le CICR afm de désengorger lenr hôpital. L'ancien caporal de gendarmerie Félicien KAREKEZI attestait avoir personnellement accompagné à plusieurs reprises Wenceslas MUNYESHYAKA, lorsqu'il amenait des blessés à l'hôpital de la Croix

Rouge (D20856/4).

Dès lors, contrairement aux observations développées par les parties civiles, il ne saurait être extrait de l'ensemble des dépositions relatant les conditions de vie à la Sainte Famille, des charges suffisantes susceptibles d'asseoir les incriminations d'actes inhumains ou de soumission à des conditions d'existence visant à la destruction du groupe.

Les mesures de protection

Les conditions d'intervention et de retrait de la MINUAR dans la protection du site de la Sainte Famille étaient relatées par Paul Victor MOIGNY, responsable au sein de la MINUAR des questions de sécurité pour la paroisse de la Sainte Famille (inclnaut le centre Saint Paul), l'hôtel des Mille Collines etla Croix Rouge (D92). Il expliquait ainsi que, vers la mi-avril, la MINUAR avait déployé 4 à 5 militaires tunisiens et un blindé pour assurer la protection du site de la Sainte Famille, en sontien de la gendarmerie rwandaise mais rapidement, dès le début du mois de mai, ces effectifs avaient dn être affectés aillenrs et avaient été remplacés par des observateurs.

Il confirmait que l'abbé avait sollicité l'aide de laMINUAR, en adressant un courrier en ce sens au GénéraiDALLAlRE, et ajoutait n'avoir jamais eu connaissance d'une qnelconque implication de Wenceslas MUNYESHYAKA dans les exactions commises sur le site de la Sainte Famille.

Wenceslas MUNYESHYAKA expliquait que, compte tenn de ses nombreux contacts au sein de l'armée et de la gendarmerie, il avait été désigné, par ses confrères, pour s'occuper de la sécurité des différents sites du complexe de la Sainte Famille, c'est à dire pour obtenir des gardes destinés à assurer la protection des lieux (D203 12). Cet élément était effectivement confilmé par les abbés Gallican NDAYISABA et AYN (D19874, D20397/6).

INSTRUCTlONN".205l11lI1, ORDONNANCE OH NOH-I.lEU- pJ!l'l41J .

Wenceslas MUNYESHYAKA affirmait avoir, dans un premier temps, activé une de ses connaissances le lieutenant-colonel français Alain DAMY, quile renvoyait vers l'Etat Major de la gendarmerie rwandaise. Entendu, cet ancien officier de gendarmerie, affecté auprès du directeur de la gendarmerie rwandaise jusqu'au I l avril 1994 en qualité de chef de coopération, déclarait, en effet, avoir été contacté par Wenceslas MUNYESHYAKA, le 8 avril 1994 au soir ; celui-ci lui avait demandé de l'aide en expliquant être cerné par des interahamwe qui exigeaient la remise des réfugiés tutsi. Alain DAMY indiquait avoir lui-même sollicité un officier de la compagnie de gendarmerie départementale de Kigali qui lui avait affirmé envoyer des gendarmes sur le site, mais il ignorait si son intervention avait été suivie d'effet (D520).

Wenceslas MUNYESHYAKAajoutait avoir, parallèlement, profité d'un déplacementàla Sainte Famille du chefd'Etat Major des armées, Marcel GATSINZI, pour lui demander une protection et c'est ainsi qu'un petit contingent de gendarmes avait été déployé sur les sites de la paroisse de la Sainte Famille et du centre SaU,t Paul (D2031212).

Si aucune personne en poste à l'Etat Major de la gendarmerie en 1994 n'était en mesure de confirmer que l'affectation de gendarmes à la paroisse de la Sainte Famille était due aux démarches effectuées par Wenceslas MUNYESHYAKA, il n'était pas contesté qu'une section de gendarmes avaitbien été déployée pour assurer la protection des lieux(Paul RWARAKABlffi D20424, Callixte KANIMBA D20166).

Jean-Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE, commandant de la compagnie de gendarmerie de Nyarugenge à compter de la mi-avril 1994, était entendu par le magistrat instructeur par visio-conférence le 15 mai 2014 (D20625). Il relatait que sa compagnie était en charge de la protection et de la garde des sites de réfugiés tels que le complexe religieux de la Sainte Famille, l'hôtel des Mille Collines et le lycée Notre Dame de Citeaux. A partir du 1" mai, il avait reçu l'ordre de l'Etat Major de renforcer la protection de ces sites etavaitainsiaffecté 10 gendarmes à la paroisse de la Sainte Famille et 9 au centre Saint Paul. Il ajoutait que Wenceslas MUNYESHYAKA qui se plaignait des incursions des miliciens et des bombardements du FPR, avait, dès leur première rencontre, solliciter des renforts pour la protection de la Sainte Famille ; en réponse, Jean-Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE avait procédé à quelques ajustements en donnant priorité cette paroisse.

Concernant la mission confiée à ces gendarmes, il précisait que, compte tenu de leur effectif réduit, de nombreux gendarmes ayant été appelés sur le front, leur rôle n'était que préventif. En cas d'attaque massive, ils avaient pour consigne d'alerter la hiérarchie pour obtenir d'éventuels renforts. Au quotidien, les gendarmes contrôlaient les entrées sur le site, interdisant l'accès aux civils armés; ils aidaient à l'approvisionnement en vivres et en eau potable et à l'évacuation des blessés.

Lui-même n'étant pas de façon continue présent sur les sites protégés, il citait comme responsables du détachement affecté à la Sainte Famille, le sous-lieutenant Jean-Damascène SEKAMANA et le caporal FélicienKAREKEZI.

Ce dernier était localisé et entendu au Burkina Faso le 24 février 2015 par le magistrat instructeur, ses coordonnées téléphoniques ayant été transmises par le mis en examen (D20856). Félicien KAREKEZI, alias FASHAHO donnait des explications précises sur le déploiement et le rôle des gendarmes chargés de la protection de sites visés.

Au début du mois d'avril 1994, son détachement était basé à la maison de secteur de Rugenge à partir de laquelle des rondes et des surveillances étaient effectuées sur les sites de la paroisse de la Sainte Famille, du centre Saint Paul et du CELA. Puis, avec l'afflux des réfugiés, l'ensemble de sa section, soit environ 7 gendarmes, s'était installé à la paroisse de la Sainte Famille, d'autres éléments du détachement s'occupant du centre Saint Paul. La garde était assurée au niveau de la porte située près de la procure servant d'accès à l'ensemble du site, la

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porte d'entrée de l'église ayant été condamnée par Wenceslas MUNYESHYAKA, et les gendarmes étaient logés 1'intérieur. Lui-même assurait le rô1e de chef d'équipe, secondant le chef du détachement Jean-Damascène SEKAMANA, qui, malgré les recherches, n'était pas localisé (D2060S, D20723, D20S0S).

Il soutenait que le but de la mission assignée aux gendarmes était de protéger les réfugiés "contre tOlites les personnes qui leur voulaient du mal", c'est dire la fois contre le FPR et contre les miliciens. Ainsi, il s'était plusieurs reprises opposé Angéline MUKANDUTIYE et son groupe, qui réclamaient qu'on leur remette des réfugiés. Sur le contrôle des entrées, il confirmait que les civils armés ne pouvaient accéder au site, mais aucun autre filtrage n'était

effectué, de sorte que toute personne se disant menacée pouvait y entrer.
Selon plusieurs dépositions dont celle du chauffeur Chrysogone HATEGEKIMANA, en sus de l'aide apportée dans l'approvisionnement du site et l'évacuation des malades vers l'hôpital du CICR, les gendarmes avaient, à la demande de Wenceslas MUNYESHYAKA, procédé à l'exfiltration de réfugiés particulièrement menacés vers des sites mieux protégés comme l'hôtel des Mille Collines (D20684).

La section de gendarmerie était restée sur le site de la pamisse de la Sainte Famille jusqu'à son évacuation dans les premiers jours de juillet, dans le cadre du désengagement des Forces Armées Rwandaises ayant précédé la prise de la capitale par les troupes du FPR (D2063 5, D20160/3, D20424/3).

Impuissants face au nombre et à la détermination des miliciens selon certains témoins, ou complaisants à leur égard selon d'autres, les faits de la présente procédure démontraient que les gendarmes n'avaient su empêcher la commission d'exactions sur les réfugiés du complexe de la Sainte Famille.

Cependant, contrairement aux observations du CPCR, partie civile, ce constat ne conduisait nullement à conclure à la complicité des gendarmes affectés à la protection de la Sainte Famille dans les crimes objets de l'information judiciaire. D'une part, malgré ce qui était affirmé, aucun élément ne démontrait que leur déploiement sur ce site religieux était le fait de Tharcisse RENZAHO, Préfet de la ville de Kigali. D'autre part, l'analyse des faits tels qu'ils résultaient de la présente procédure, ne permettait pas de mettre en cause ces gendarmes pour leur pruticipation active dans les exactions commises. Seul le lieutenant-colonel MUNY AKAZI avait été condamné, mais en raison de son rôle persOlmel et non en raison des crimes commis par ces derniers, et le comportement positif du commandant de la compagnie de Nyarugenge englobant cette section était au contraire souligné par les réfugiés comme cela sera développé ultérieurement.

5-2- Les enlèvements de réfugiés

D'après de nombreux témoins, les interahamwe avaient la capacité de pénétrer à leur guise dans l'église de la Sainte Famille, ce qui entretenait un très fort sentiment d'insécurité chez les réfugiés. Jean-Bosco MUGANZA soulignait même que certains interahamwe venaient passer la nuit dans la Sainte Famille tandis que le témoin BCB rappelait qu'elle s'était retrouvée à assister à la messe aux côté d'un interahamwe (DI98S4, D20287/1O).

Dans l'esprit des réfugiés tutsi, ce sentiment d'insécurité était démultiplié par le fait qu'ils pouvaient craindre que certains réfugiés hutu de la Sainte Famille soient, en réalité, eux aussi des interahamwe. En effet, des miliciens avaient abrité leur famille dans l'enceinte de la Sainte Famille et certains réfugiés hutu étaient soupçonnés de collaborer avec les interahamwe. Cette

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crainte était particulièrement bien illustré par la déposition de Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA, qui avait tellement peur d'être identifiée par un interahamwe qu'elle changeait l'emplacement de sa couche tous les soirs (020683/4).

L'abbé NDAYISABA insistait sur le fait que les miliciens encerclaient étroitement tout le site (019873,019877). La pression exercée par les miliciens était corroborée par le caporal de gendarmerie Félicien KAREKEZI qni se souvenait des visites quotidiennes des interahamwe, souvent alcoolisés, dl"Ogués et armés, exigeant la remise de telle ou telle personne (02085617).

Même si ce dernier en charge de la sécurité du site contestait que des enlèvements de réfugiés aient pu avoir lien en présence des gendarmes, il était établi que les réfugiés avaient subi un certain nombre d'exactions de la part des miliciens qui s'introduisaient sans difficulté dans la paroisse de la Sainte Famille.

Si deux incidents avaient davantage marqné la mémoire collective, à savoir les enlèvements du 15 avril 1994 et dn 18 juin 1994, les dépositions des réfugiés faisaient aussi état de plusieurs autres incursions de miliciens et de militaires aussi violentes que sporadiques.

Agnès MUKANDUTIYE, réfugiée, mentionnait, de façon générale, des intrusions de miliciens et des enlèvements se produisant de façon quotidienne (020153).

Le témoin protégé BCT, entendu trois reprises de 2000 2013, indiquait avoir été réfugié àla paroisse de la Sainte Famille compter du 20 avril 1994 et jusqu'à son évacuation par la MINUAR le 20 juin 1994, ayant été gravement blessé lors de l'attaque du 17 juin. Il expliquait avoir assisté à, au moins, deux épisodes au cours desquels le PréfetRENZAHO accompagné soit deLaurentMUNY AKAZI,soitd'AngélineMUKANDUTlYE,soitd'OdetteNYIRABAGENZI, était venu chercher une dizaine de réfugiés dont les noms figuraient SUI· des listes, listes lues sur place par Wenceslas MUNYESHYA.KA (Dl 595). Mais en 2003, il admettait ne pas avoir assisté aux enlèvements du 15 avril 1994 puisqu'il était arrivé après cette date et ne relatait qu'une scène où Laurent MUNYAKAZI avait pris cinq jeunes avec l'accord de Wenceslas MUNYESHY AKA (02206/4). Toutefois, son témoignage ne correspondaitpas celui des autres réfugiés impliquant uniquement Laurent MUNYAKAZI dans l'épisode ayant eu lieu le 18 ou 19 juin 1994, après la grande attaque, événement auquel BCT n'avait pu assisté, étant soigné à l'hôpital à cette époque.

Oevant les gendarmes français en janvier 2013, il se souvenait de deux épisodes où Wenceslas MUNYESHYAKA avait livré des réfugiés aux interahamwe, mais il ne pouvait ni préciser la date, ni le nombre de réfugiés, ni même des détails sur Le déroulement de ces faits (020295/3). Ce témoin ne comparaissait pas lors de la confrontation organisée avec Wenceslas MUNYESHYA.KA (020381). Le caractère par trop schématique etfluctuantdes propos de BCT sur ces points entamaient leur crédibilité dans la mesure où on pouvait craindre qu'ils reflètent des informations obtenues par ouY-dire.

Entendu par les enquêteurs du TPIR en 1998, Servilien MUGENGANA expliquait avoir été témoin de trois scènes d'enlèvements par les interahamwe, deux reprises, une vingtaine de réfugiés avaient été enlevés et une autre fois 5 réfugiés tutsi avaient subi le même sort (0 2529). Lui-même avait été sélectionné par les interahamwe du secteur de Rugenge lors de l'une de ces attaques mais, réentendu par les gendarmes français en janvier 2015, il ne se souvenait plus de la date de celle-ci (020836).

Alors qu'en 1998, il déclarait que Wenceslas MUNYESHYAKA accompagnait les interahamwe lorsque ceux-ci sélectionnaient les Tutsi, intercédant en faveur des jeunes femmes, il se rappelait uniquement, lors de sa dernière audition, avoir vu Wenceslas MUNYESHYA.KA parler avecIes

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miliciens lors de leur venue.

Dans ses toutes premières déclarations en 1995 et 1996 (D23/3 et D9113 et 4), Wenceslas MUNYESHYAKA, s'il affirmait qu'une seule tuerie avait eu lieu au sein même du site le 17 juin 1994, admettait qu'à plusieurs repfises les miliciens avaient réussi à entrer dans l'église et emmener des Tutsi. TI précisait que, de façon générale, dans ces cas là, il ne pouvait rien faire, étant soit menacé avec une arme, soit consigné dans sa chambre, soit même fi·appé. TI mentiofUlait notamment les faits du 15 avril Où il avait été molesté (D23/3) et ceux du 18 juin, soit le lendemain de la grande attaque (D9117). Par la suite, il affirmera, qu'en dehors de ces deux cas d'enlèvements, il n' y avait eu que des tentatives d'iutrusion ayant pu être repoussées par les gendarmes (02031217).

L'intrusion des miliciens vers le 15 avril 1994

De l'ensemble des dépositions des réfugiés et du mis en examen lui-même, il ressortait qu'un matin, entre le 10 et le 17 avril, un grand nombre de miliciens avait pénétré dans l'enceiute de la paroisse de la Sainte Famille. Ils avaient regroupés les gens dans l'église, avaient sélectionné une viugtaine de réfugiés, soit sur la base de listes, soit en reconnaissant des personnes de leur secteur. Il étaient repartis avec ces derniers qui avaient été exécutés par la suite sur le site surnommé "CND".

Parmi ceux-ci, figurait Jean de Dieu, fils de la témoin BCB (020287/21) et les dénommés MUPENDA et KANANA (020198).

Selon Innocent KAYIHURA, entendu par les autorités rwandaises le 19 juillet 1996, le 15 avril 1994, soit deux jours après son arrivée à la paroisse de la Sainte Famille, les miliciens étaient entrés dans la pamisse aux environs de huit heures du matin, accompagnés de deux militaires de la Garde Présidentielle. Ils avaient appelé les réfugiés qu'ils connaissaient, avant de quitter les

lieux avec une trentaine d'entre eux, tués peu après sur le sectem de Rugenge. Les miliciens étaient revenus le même jom, trois reprises, emmenant en tout plus de 120 personnes. TI affirmait que WenceslasMUNYESHYAKA était présent durant toutes ces opérations mais sans rien dire, ni faire. Il n'avait réagi qu'à leur dernier passage, en les iucitant à cesser leur sélection (D193291D20271).

Joie-Claire UWIMANA, réfugiée dans l'église de la Saiute Famille à compter du 9 avril 1994, témoignait à deux reprises sur ces enlèvements, devant les enquêteurs du TPIR le 10 février 1999, puis devant les gendarmes français le 19 janvier 2013. Elle relatait que dès le lendemain de son arrivée à l'église de la Sainte Famille, soit le 10 ou le 11 avril 1994, des iuterahamwe en possession de listes de réfugiés avaient fait irruption dans l'église, en compagnie de Wenceslas MUNYESHYAKA. Celui-ci leur avait demandé de répondre présent à l'appel de leur nom. La sélection avait ainsi duré jusqu'à 18 hemes. Les personnes sélectionnées avaient été emmenées à la fosse du eND pour être exécutées.

Lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA, elle maintenait que Wenceslas MUNYESHYAKAétaitentrédansl'égliseaveclesiuterahamwe. D'aprèssessouvenirs,illem avait uniquement demandé de se mettre debout à l'appel de leur nom, mais elle précisait que les interahamwe, connaissant les réfugiés pour être du même quartier, repéraient ceux qu'ils cherchaient sans difficulté et leur faisaient signe de les suivre (020387).

Gorette UWIMANA, présente à la paroisse de la Sainte Famille partir du I l avril 1994, déclarait que le 15 avril 1994, les interahamwe étaient rentrés dans l'église, après avoir fait feu à l'extérieur et tués au moius deux garçons. Wenceslas MUNYESHYAKA accompagnait l'un

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des interahamwe porteur d'une liste. A l'énoncé de leur nom, les réfugiés sortaient de l'église. Son propre nom avait été cité, mais elle n'avait pas bougé. Les miliciens étaient repartis avec les réfugiés sélectionnés dont elle apprenait par la snite qu'ils avaient été tués au lieu dit "CND". Selon elle, les dénommés GASONGO et BllIEHE faisaient partie des personnes capturées.

Sans remettre en cause l'ensemble de son témoignage, force était de constater que celui-ci était emprunt"de propos rapportés. Tout d'abord, aucun autre témoin ne faisait état ce jour là d'une fusillade au sein de la paroisse, cette description correspondant davantage à l'attaque du 17 juin. Par ailleurs, d'après de très nombreux témoins et la décision du Tribunal militaire de Nyamirambo contre Laurent MUNYAKAZI et Wenceslas MUNYESHYAKA, Jean-Marie Vianney MUNYENSANGA alias GASONGO etBllIEHE avaient été capturés et tués le 19 juin 1994 (D185841D20448, D185881D20540, D18625/D20465, D91, D18937f20524

D 18624/D20464, D203 88). Or, Gorette UWlMANA ayanttémoigné auprès d' AfricanRights dès le 16 juin 1994 alors qu'elle se trouvait à Kabuga, n'avait pu assisté ni à la grande attaque du 17

juin, ni aux enlèvements qui avaient suivis celle-ci (D570f2).

Malgré ces incohérences, lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA, elle maintenait ses déclarations (D20398). Elle précisait que, lors de l'appel de son nom, Wenceslas MUNYESHYAKA avait demandé aux interahamwe d'emmener les hommes et non les femmes car ils pounaient en avoir besoin on les épouser par la suite.

Les explications de Wenceslas MUNYESHYAKA sur ces enlèvements étaient les suivantes.

Dans une audition devant les enquêteurs du TPIR le 20 mai 1997, Wenceslas MUNYESHYAKA relatait avoir été avisé, dans les premiers jours suivants la mort du président Juvénal HABY ARIMANA, par larumeurd'une attaqne imminente sur la Sainte Famille. Il avait contacté en vain les militaires français afin d'obtenir une aide. Un jour qu'il fixait avant le 17 avril 1994, les miliciens avaient fait irruption sur le site.

Après s'être caché dans un premier temps dans sa chambre, i l s'était ravisé en constatant que les miliciens s'en prenaient à des enfants logés dans une des chambres situées en face du presbytère. Voulant se porter à leur secours, il était intercepté à proximité de la cuisine du presbytère parun soldat qui contrôlait sa crute d'identité avant de le laisser passer. Il avait réussi à dissuader les miliciens de s'en prendre à ces enfants, mais ceux-ci s'étaient alors rendus dans l'église où ils avaient sélectionné certains réfugiés. A l'intérieur de l'église, il s'était opposé l'arrestation des femmes et des enfants. Les miliciens l'avaient alors repoussé à l'extérieur de l'église, l'un d'entre eux, prénommé Fidèle, lui portant un coup de crosse à l'épaule.

Les interahamwe avaient emmené les personnes sélectionnées dans leur véhicule avant de quitter les lieux (D2813 à D2816, D2861, D18258).
Tout comme Innocent KAYIHURA,
il se souvenait que les interabamwe avaient fait au moins deux tours, ayant pu ainsi procéder l'arrestation de 80 persOlUles.

Réentendu sur cet épisode par le magistrat instructeur le 25 avril 2013, il le datait plus précisément du 15 avril 1994. Il confirmait avoir tenté de s'opposer à l'intrusion des miliciens mais avoir été bloqué par un soldat armé au niveau des cuisines du presbytère, puis avoir accompagné les miliciens durant leur fouille des bâtiments pour tenter de les dissuaderd'enlever des réfugiés. Il affirmait être parvenu à empêcher les miliciens d'ouvrir l'oratoire en leur indiquant qu'il n'y avait pas d"'inyenzi" l'intérieur, son intervention ayant permis de sanver plusieurs réfugiés s'y trouvant dont Bonaventure NIYIBIZI, devenu par la suite ministre duFPR après la chute du gouvernement intérimaire. Cette fois ci, il estimait le nombre de réfugiés emmenés une vjngtaine.

Contrairement ses déclarations antérieures, i l soutenait ne pas avoir accompagné les miliciens

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dans l'église, mais s'être réfugié dans sa chambre (D20312). Il maintenait cette version lors des confrontations, ajoutant avoir, de sa chambre, pu avertir téléphoniquement la responsable du couvent des sœurs de la Charité de l'arrivée des miliciens (D20387).

Il affIrmait que cet événement l'avait poussé à demander une protection auprès des autorités et que ce n'était qu'après celui-ci, qu'il avait obtenu un petit contingent de gendarmes.

Les deux prêtres AYN et Gallican NDAYISABA confirmaient qu'au lendemain de ces enlèvements Wenceslas MUNYESHYAKA avait demandé et obtenu, vers le 20 avril, la protection des gendarmes (D20119/5,DI9873). Demême, Joie-Claire DWlMANA admettait que le mis en examen avait tenu sa promesse de faire venir des gendarmes pour protéger les lieux, même si son manque de confiance dans l'abbé de la Sainte Famille l'avait conduit à y voir un signe de malice supplémentaire (D20301/2).

Odette MUKANYIRIGIRA, réfugiée au CELA, avait effectivement entendu Wenceslas MUNYESHYAKA relater, lors d'une visite au CELA peu après les enlèvements, avoir été frappé dans le dos et n'avoir pu empêcheries miliciens d'enlever une centaine de réfugiés de la Sainte Famille (D1991O).

••

S'il pouvait être considéré comme vraisemblable qne Wenceslas MUNYESHYAKA ait été présent lors des opérations de sélection des réfugiés -comme il l'avait lui-même admis avant de serétracter-, son comportement, tel que décrit par les réfugiés, ne pouvait s'analyser en une aide ou assistance délibérément apportée aux miliciens.

Tout d'abord, Innocent KAHIYURA et Gorette UWlMANA, bien qne lui reprochant d'accompagner les miliciens, reconnaissait toutefois que Wenceslas MUNYESHYAKA était intervenu soit pour dire aux interahamwe de "laisser tomber", soitpour les empêcher de choisir des femmes, étant rappelé qu'à cette époque, la protection des gendannesn'était pas permanente.

Mais surtout, des témoignages établissaient que celui-ci avait, par son intervention, permis à des réfugiés tutsi d'échapper aux miliciens. Ainsi, Bonaventure N1YIBIZI soutenait que, ce jour là, l'abbé avait protégé sa famille en interdisant aux interahamwe de pénétrer dans la chapelle où il s'était caché avec ses enfants (D20l 99/2-3). Il précisait d'ailleurs, que, quelques jours avant, Wenceslas MUNYESHYAKA avait appelé les réfugiés la vigilance en raison des possibilités d'attaque sur la paroisse.

De même, la soeur Marie Cécile LEGENDRE, en charge de la mission de la Charité, confirmait que Wenceslas MUNYESHYAKA j'avait bien prévenue téléphoniquement de l'incursion des intel'ahamwe dans la SaintFamille, afin qu'elle prenne les mesures nécessaires pour laprotection de ceux qu'elle abritait.

Il découle donc de l'ensemble de ces observations que ne saurait être reprochée à Wenceslas MUNYESHYAKA, une quelconque participation aux crimes commis le 15 avril 1994 au préjudice des réfugiés tutsi de la paroisse de la Sainte Famille.

L 'enlèvententde réfugiés lufsi le 18 ou 19juin 1994
Une deuxième intrusion massive de miliciens dans la paroisse de la Sainte Famille se soldant par

la capture de plusieurs réfugiés avait frappé les mémoires.

INSTRUCTION N" .242SJl1Ill.

ORDONNANce DENON-LIEU. page~Ci·

O'après les dépositions, elle s'était déroulée le lendemain ou le surlendemain de la grande attaque du 17 juin 1994. Les témoins soutenaient que les interahamwe étaient dirigés ce jour-là par l'inspectrice Angéline MUKANDUTIYE et plusieurs d'entre eux affirmaient que celle-ci n'avait pu arriver à ses [ms que grâce à la complicité du lieutenant-colonel Laurent MUNYAKAZI (ImmaculéeKANAZAYIRE02044212, AYC02517, AgnèsMUKANOUTlYE 020153/5, TWAGIRAMALIYAD18155,EmmanueINTAGANIRAD20475,BCBD20287113, Laurent MUGABO 020480).

Selon Joie-Claire UWlMANA, Odette MUKANYIRlGIRA, Agnès MUKANDUTlYE et Anastasie NYIRABUKEYE , les interahamwe avaient commencé par fouiller les bâtiments à la recherche de prétendnes armes l'origine de tirs qui auraient eu lieu la veille (020398/3, 020194,020456,017785). Pois, entre une dizaine et vingtaine d'hommes tutsi ou soupçonnés de l'être avaient été sélectionnés.

Les réfugiés décrivaient une longue discussion entre les autorités, à l'issue de laquelle Laurent MUNYAKAZI avait finalement ordonné à sou subordonné le commandant de la compagnie de gendarmerie de Nyarugenge, Jean-Chrysostome NTIRUGIRlBAMBE, de ne pas s'opposer au dépalt des réfugiés (020438/2, 020187). LaurentMUNY AKAZI rassurait toutefois les réfugiés présents en affirmant emmener les sélectionnés à la Préfecture, ou, selon quelques témoins, à la brigade de Muhima, afin de clarifier leur situation, tout en promettant de les ramener l'issue s'ils étaient innocents (Rose RWANGA 020446 et 020478, 020187, 018678/D20374, 01 86921D20376).

Rose RWANGA attestait que les hommes sélectiomlés avaient supplié Wenceslas MUNYESHYAKA de témoigner en leur faveur, mais le prêtre leur avait demandé de suivre Lanrent MUNYAKAZI pour interrogatoire (090, 091 etD20478).

Les hommes sélectionnés avaient [malement été conduits à la Préfecture puis vers un lieu inconnu pour exécution.

La procédure diligeutée par l'auditorat militaire, ayant abouti au jugement du Tribunal militaire du 16 novembre 2006, permettait de recenser parmi les victimes, les nommés Bonaventure RUBASHANKW A Y A alias BlHEHE, Jean-Marie Vianney MUNYENSANGA alias GASONGO ou KASONGO, les prénommés Athanase, Aloys, Alexandre, Jean Damascène, Safari, Ignace, Joy et un certain Jean-Pierre du restaurant Natacha de Muhima (020460/8, 020475,).

Le lieutenant-colonel Laurent MUNY AKAZIreconnaissait qu'il était sur place le lendemain de l'attaque du 17 juiu pour procéder à l'évacuation de religieuses. Cependant, il réfutait avoir participé à l'enlèvement des réfugiés tutsi et affirmait même n'avoir jamais rencontré Angéline MUKANOUTlYE (019828). En dehors des dépositions des réfugiés, cette version était cependant contredite aussi bien par le chauffeur Chrysogone HATEGEKlMANA que par Wenceslas MUNYESHYAKA, qui tous deux se souvenaieut de la présence du lieutenant-colonel MUNYAKAZI sur les lieux (020684/5, 020312111). Il était, d'ailleurs, condamné pour ces faits par le Tribunal militaire qui datait l'événement au 19juin 1994 (D5604, 05605, 05615).

Sur le comportement de Wenceslas MUNYESHYAKA, Odette MUKANYIRIGIRA affirmait que le mis en examen avait marché derrière la chef de file des interahamwe sans rien dire pendant qu'eUe sélectionnait ses victimes (020194/10, 019913). La témoinBCB apportait IDle déposition aUant dans le même sens puisqu'eUe indiquait que Wenceslas MUNYESHYAKA avait parlé avec Angéline puis qu'ils avaient "fait un tour", mais ses explications étaient trop

INST1WCTION N° .1415/12/11. ORDONNANCE DE NON..[JEU· p~c 41.

succinctes pour comprendre le déroulement précis des faits (D20287/l3).
Cependant, pour la majorité des réfugiés, Wenceslas MUNYESHYAKA était resté
l'entrée de la Sainte Famille, avec Angéline MUKANDUTIYE et Laurent MUNYAKAZI; pendant que les miliciens s'étaient déployés sur le site. lis faisaient état soit de la passivité du prêtre, comme Angélique UWIMANA (D20447), soit d'une attitude coopérative consistant, selon les déclarations de RoseRWANGA, à inviter les réfugiés sélectionnés par les miliciens à quitter les lieux sans crainte (D90).

Wenceslas MUNYESHY AKAne contestait pas avoir été présent lors de cette dernière intrusion des miliciens qu'il situait le 18 juin 1994 (D91-D20312). li déclarait que, ce jour là, alors qu'il procédait, en compaguie de Laurent MUNYAKAZI, à l'évacuatiou des religieuses carmélites de la procure, il s'était retrouvé, au niveau du portail, face à Angéline MUKANDUTlYE et son groupe d' iuterahamwe, très énervés. Celle-ci les avaient accusés de posséder des armes. Laurent MUNYAKAZI avait réussi à partir en compagnie des religieuses. Lui-même avait tenté de protester contre l'enlèvement des réfugiés, mais sans aucunrésultat, AngélineMUKANDUTIYE lui ayant fait savoir qu'elle n'avait plus aucune confiance envers les prêtres (D9117).

Si la quasi totalité des réfngiés comrrmaient bien que Wenceslas MUNYESHYAKA avait pris part à la discussion avec Angéline MUKANDUTIYE, aucun d'entre eux n'interprétait son attitude comme l'expression d'une opposition de sa part à l'action de cette dernière. La senle personne désiguée comme ayant tenté de s'opposer effectivement an départ des réfugiés lors de cette attaque était le capitaine de gendarmerie Jean-Chrysostome NTIRUGIRlBAMBE, mais celui-ci avait finalement dû se soumettre aux ordres de Laurent MUNYAKAZI, arbitrant en faveur du départ des personnes sélectionnées avec Angéline MUKANDUTIYE.

En dépit du rôle positif qui lui était attribué par les réfugiés, Jean-Chrysostome NTlRUGIRIBAMBE, lors de son audition le 15 mai 2014, ne se rappelait pas de cet épisode. n contestait, en les qualifiant d'affabulations, les propos d'Anastase KARAYIGA rapportés par l'ONG AfricanRights, selon lesquels il lui aurait confié que Wenceslas MUNYESHYAKA avait livré les réfugiés aux miliciens (D571/25, D570/16, D3695/D20187). Sur ce point, i l convenait de mentionner qu'Anastase KARAYIGA, entendu en 2003 par les autorités judiciaires rwandaises, ne faisait pas état de cette confidence, ne formulant aucun grief particulier à l'encontre de l'abbé (D20l87).

De façon générale, Jean-Chrysostome NTIRUGIRlBAMBE soutenait n'avoir jamais été témoin d'une quelconque collaboration de Wenceslas MUNYESHYAKA avec les miliciens (D20635/8). Entendu par les autorités rwandaises, en 2006, dans le cadre de la procédure militaire, puis par le magistrat instructeur en 2014, Chrysogone HATEGEKIMANA, le chauffeur du détachement, confirmait qn' Angéline MUKANDUTIYE et un groupe de miliciens s'étaient présentés, ce jour-là,àl'entréedusite,alorsqu'ils'apprêtaitlui-mêmeàserendreàl'hôteldesMilleCollines. Les attaquants expliquaient qn'ils recherchaient des réfugiés don! les noms figuraient sur une liste et menaçaient de tuer tout le monde s'ils ne les trouvaient pas. LaurentMUNYAKAZr était arrivé ce moment-là et une négociation s'était engagé à laquelle le témoin n'assistait pas, ayant quitté les lieux. A son retour, les miliciens étaient partis en emmenant avec eux au moins dix-sept personnes, d'après les informations qu'il avait obtenues.

futerrogé par l'auditorat militaire sur le rôle qu'avait pu tenir Wenceslas MUNYESHYAKA, il estimait que le prêtre faisait pattie de ceux qui avaient livré les réfugiés. Invité à préciser son propos devant le magistrat instructeur français, il expliquait avoir voulu dire que si Wenceslas MUNYESHYAKA n'avait pas livré dix-sept réfugiés ce jour là, les assaillants en auraient massacré un plus grand nombre (D20524, D20684).

INSTRUCTION N". 24!5/U/ll-. ORDONNANCE DB NON·LlllU· pago 4 8 .

L'ancien caporal, Félicien KAREKEZI, était également questionné sur ces faits. S'il se souvenait de la venue d'Angéline le jour de l'évacuation des sœurs carmélites et des dégâts matériels qu'ene avait causés, il affirmait, que les sœurs avaient pu, après négociation, être évacuées sans encombre et que personne n'avait été enlevé (D20856/8).

Au vu de l'ampleur de l'événement, il était légitime de s'interroger sur la bonne foi de Jean-Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE et de Félicien KAREKEZI, déclarant ne garder aucun souvenir de ces enlèvements. Cette position de la part de deux anciens membres des forces de sécurité rwandaises pouvait, effectivement, traduire un malaise face à l ' implication possible des autorités militaires dans ces faits, en la personne notamment de Laurent MUNYAKAZI.

•••

A l'exception d'Odette MUKANYlRlGIRA, et dans une moindre mesure BCB, affirmant que Wenceslas MUNYESHYAKA accompagnait Angéline MUKANDUTlYE pendant la sélection des réfugiés, l'ensemble des dépositions recueillies attestait que Wenceslas MUNYESHYAKA était resté discuter à l'entrée du site avec les autres autorités présentes pendant les opérations de sélection.

Si l'existence de cette longue discussion ou "négociation" entre Wenceslas MUNYESINAKA, AngélineMUKANDUTlYE,LaurentMUNY AKAZIetJean-ChrysostomeNTIRUGIRIBAMBE figurait dans nombre de déclarations, aucune déposition autre que ceIle du mis en examen n'en révélait la teneur et, dès lors, ne permettait d'établir la position adoptée par celui-ci lors de cet échange.

L'adhésion supposée de Wenceslas MUNYESHYAKA à l'enlèvement des réfugiés tutsi ce jour là était soit basée sur des ouï-dire, soit déduite de son attitude générale pendant les événements, plutôt que fondée sur une action particulière de celui-ci lors de cet épisode.

Certes, selon Rose MURORUNKWERE-RWANGA, WenceslasMUNYESINAKA auraitrejeté les suppliques des réfugiés sélectionnés en les invitant à suivre Laurent MUNYAKAZL Toutefois, compte tenu de la présence de ce dernier représentant l'autorité militaire et de son soutien à l'action d'Angéline MUKANDUTlYE, tel que cela résultait de la majorité des auditions, la mal'ge de manœuvre dont pouvait disposer Wenceslas MUNYESHYAKA dans cette configuration paraissait très réduite.

Dès lors, i l n'était pas permis d'affirmer que la relative passivité de Wenceslas MUNYESINAKA était assimilable à une adhésion ou une participation au crime.

5-3- L'attaque du 17 juin 1994

Cette attaque avait déjà fait l'objet d'examen dans le cadre d'autres procédures judiciaires. Ainsi, Tharcisse RENZAHO avait été condamné par le TPIR, définitivement le 1" avril 20 Il à l'emprisonnement à vie, pour génocide et meurtre constitutif d'une violation grave de l'article 3 commun des conventions de Genève, en raison de l'attaque commise à la Sainte Famille ayant causé la mort d'une centaine de réfugiés (D20241111 et 79 etD20242/2). LaurentMUNYAKAZI, ainsi que Wenceslas MUNYESINAKA in absentia, avaient également été condamnés par jugement du Tribunal militaire de Kigali du 16 novembre 2006 des chefs de complicité d'assassinat de plus de 186 personnes et de génocide, la réclusion criminelle à perpétuité (D5615, D5616).

Le jugement du 24 octob"e 2003 rendu par le Tribunal de première instance de Kigali évoquait également ces faits au travers notamment de la mort de Hyacinthe RWANGA (D20347).

INSTRUcnON W'. 2415lI2f1l. ORDONNANCE DHNON-LlElI- pnga4!} .

De nombreux témoins, anciens réfugiés, miliciens, gendarmes, religieux étaient entendus sur le déroulement de l'attaque.

TI ressortait de ces auditions que celle-ci intervenait en représailles de l'évacuation par les troupes du FPR des réfugiés tutsi regroupés au centre Saint Paul, dans la nuit du 16 au 17 juin

1994.

Selon certaines versions, l'attaque s'était déroulée en deux phases (Agnès MUKANDUTIYE D20153, Odette MUKANYIRlGIRA Dl9907, Eugénie MUKESH1MANA D20169).
Une première incursion des miliciens avait eu lieu le matin mais sans faire de victime, les miliciens avaient pillé les biens se trouvant dans l'annexe du couvent des soeurs Abizeramariya (D19912). Seule Eugénie MUKESIllMANA évoquait des tués lors de cette première phase (D20169).

Puis en fin de matinée ou en début d'après midi, des miliciens étaient entrés en force par la procure alors que d'autres avaient tirés par arme à feu sur les portes de l'église, faisant fuir les réfugiés dans la cour intérieure de la paroisse (D20l63, D2723, D20392).

La majorité des dépositions attestaient que les miliciens avaient tiré de façon aveugle sur les réfugiés tutsi, sortis de l'église, sans procéder à une sélection précise mais eu prenant soin d'écarter préalablement les Hutu (Béatha MUKAMAZIMPAKA D20163/4, Antoine NKUSI Dl9940, Rose RWANGA D90, Joie-Claire UWIMANA D2030 114, Agnès MUKANDUTIYE D20153/5, BCB D2723, Servilien MUGENGANA D20836).

D'après Silas RUGABA (D3959), après que les interahamwe avaient tiré sur les serrures de l'église, les réfugiés paniqués s'étaient retrouvés dans la cour où les attendaient des miliciens. Lui-même s'était fait tiré dessus, une fois son identité vérifiée. Il expliquait faire partie des 3 survivants parmi les 75 fusillés (D3965). Un autre témoin, BCT, blessé par balle lors de cette attaque, expliquait que les miliciens avaient tiré sur les réfugiés une fois ceux-ci sortis de l'église et rassemblés dans le jardin; les réfugiés hutu qui s'étaient identifiés comme tel auprès des interahamwe avaient pu partir (DI598, D20206, D20295).

Toutefois, certaines femmes rescapées indiquaient qu'une fois dans la cour, les interahamwe avaient sélectionnés plusieurs dizaines d'homme qu'ils avaient fusillés dans le jardin du presbytère. Ceux qui tentaient de fuir en escaladant les clôtures étaienttués par les interahamwe restés à l'extérieur (Odette MUKANYIRIGIRAD 19912, Donata MUKASEKURU D20170/5).

De façon isolée, Gisèle MUKAMFURA, interrogée par les gendarmes français le 21 aoOt 2011, donnait un récit des faits quelque peu différent dans la mesure où elle déclarait que ce jour là, les interahamwe avaient lu les noms de réfugiés figurant sur des listes. Elle précisait que ces listes correspondaient à celles rédigées par elle-même et Hyacinthe RWANGA, la veilie, regroupant ceux désirant être évacués, listes remises à Wenceslas MUNYESHY AKA (D 19921, D19922).

Parmi ses nombreuses auditions, devant le TPIR (Dl 605 à D1608 et D17460) et devant les autorités rwandaises (D20191), ce témoin n'avait mentionné auparavant qu'à une seule reprise, le 9 mars 2004, devant les enquêteurs du TPIR, le fait que Wenceslas MUNYESHYAKA avait fourni des listes aux interahamwe et ce, en termes très généraux (DI7460).

Il est vrai que venaient, à l'appui du témoignage de Gisèle MUKAMFURA, les dernières déclarations de Josépha UMWANGAVU, lors de son audition réalisée en 2014, selon lesquelles, le 17 juin 1994, les miliciens avaient cité les noms figurant sur des listes, listes remises par Wenceslas MUNYESHYAKA Patrick HAVUGIMANA, un interahamwe (D20587/3). Toutefois, Josépha UMWANGAVU n'avait jamais fait mention de cet élément dans ces

INSTRUCTION N" .1415111/11. ORDONNANCU DE NON-LIEU- P"(lC jO -

nombreuses auditions précédentes.

Patrick HAVUGIMANA ne pouvait être localisé pour être entendu (020605).
Cette version des faits selon laquelle la lecture de listes par les miliciens avait précédé les tueries, restait très minoritaire, au regard de l'ensemble des dépositions.

Le bilan de l'attaque du vendredi 17 juin 1994 variaient selon les sources. Le jugement du Tribunal militaire faisait mention de 186 tués (D56l6). Joseph MATATA, membre de la commission CLADHO (Collectif des Ligues et Associations de défense des Oroits de l'Homme du Rwanda) dénombrait 50 victimes (0238/22, 0274) ; d'autres témoins rescapés pal'laient, quant à eux, de 75à 100 morts. D'après le jugement du TPIR contre Tharcisse RENZAHO, le nombre de morts avait pu atteindre plusieurs centaines (020241/76).

Les victimes étaient pour la majorité des hommes. D'après les témoins, seules deux ou trois femmes avaient été tuées cejour là dont une certaine Alice TETEL(R)I et Hyacinthe RWANGA, fille de la pattie civile MURORUNKWERE éponseR WANGA (BéathaMUKAMAZIMP AKA 020163/4, Ramadhan NGENDAHIMANA D20563/4, Eugénie MUIŒSHIMANA 020169).

S'agissant de l'identité des responsables de cette attaque, outre Angéline MUKANDUTIYE et Odette NYIRABAGENZI, le préfet RENZAHO était désigné comme ayant été présent lors de l'attaque, pour certains témoins dès le départ, pour d'autres à la fm, ordonnant de stopper les meurtres ou encore proposant de récompenser les meurtriers (019912, 020680, 020169, 020300). Agnès MUKANDUTIYE affirmait également avoir vu parmi les attaquants Robert KAJUGA, le Président national des interahamwe (D20153/6) mais personne ne confirmait cette présence.

Quant au comportement de Wenceslas MUNYESHYAKA lors de cette attaque, les témoignages des réfugiés étaient divergents.

Un seul témoin, Célestin MUNYARUYONGA, rapportait que Wenceslas MUNYESHYAKA avait fait usage de son arme lors de cette attaque, tirant sur les réfugiés avec les attaquants, cet élément, tout comme la description de l'attaque, ne con'espondait à aucune autre déposition (020283/8).

La partie civile Rose MURORUNKWERE épouse RWANGA pointait la responsabilité de Wenceslas MUNYESHYAKA dans la mort de sa fille Hyacinthe RWANGA.
Oans sa première audition de partie civile, le 14 février 1996, Rose MURORUNKWEREépouse RWANGA, qui s'était réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille après avoir quitté le CELA le 22 avril 1994, expliquait que le matin du 17 juin 1994, Wenceslas MUNYESHYAKA était entré dans l'église en dénonçant l'action du FPR sur Saint Paul ayant entraîné des victimes hutu et en les prévenant de la vengeance imminente des miliciens
laquelle il ne pourrait s'opposer.

Prévenue par un gendarme des risques qu'encourait sa fille Hyacinthe en cas d'incursion des miliciens, elle l'avait envoyée supplier Wenceslas MUNYESHYAKA de la cacher, mais celui-ci avait refusé.
Quelques minutes après le retour de sa fille; les miliciens avaient surgi dans l'église et avait tiré dans toutes les directions. Un milicien s'était emparé de sa fille pour l'emmener avec lui, Hyacinthe lui avait dit
"tue moi plutôt", ce qu'avait fait le milicien de deux balles dans la tête. La pattie civile affirmait que ce meurtre s'était produit devant Wenceslas MUNYESHYAKA qui n'était pas intervenu se contentant de "détourner les yeux" (090/2, 09117). Devant/eParquet général de Kigali, le 13 novembre 2001, son récit des circonstances de la mort de sa fille comportait quelques variations. Elle expliquait qu'elle même et sa fille s'étaient

lNSTRUCTION N° .1~15J12I1~. ORPONNANCB DE NON.LffiU. p~ga 31-

rendues au bureau de l'abbé pour lui demander de l'aide; celui-ci était parti en leur disant qu'il allait revenir aussitôt, mais il n'était pas revenu et les interahamwe avaient attaqué. La témoin s'était rendue dans le jardin alors que sa fille s'était cachée tout près du bureau du prêtre. Un iuterahamwe avait découve11 cette dernière et lui avaittiré dessus (D3875). Il pouvait être déduit de cette relation des faits que Wenceslas MUNYESHYAKA n'avait pas assisté l'exécution de

Hyacinthe RWANGA, étant, selon la partie civile, "allé se cacher dans un autre local". Toutefois, selon elle, la responsabilité de la mort de sa fille incombait à Wenceslas

MUNYESHYAKA qui avait refusé de la cacher car elle s'était refusé à lui.

Dans le jugement rendu contre les miliciens de Rugenge, le 24 Octobre 2003, il était également fait mention de la mort de Hyacinthe RWANGA dont la responsabilité était notamment attribuée à Jean-Claude HABlNEZA. Il lui était reproché par Rose MURORUNKWERE d'avoir demandé à Hyacinthe de cohabiter avec elle mais conune celle-ci avait refusé, Jean-Claude HABlNEZA l'avait fait tuer par les interahamwe (020347/61). Jean-Claude HABINEZA plaidait non- coupable mais était condamné pour ces faits (D20347/229). Malheureusement, les cotes des auditions de Rose MURORUNKWERE auxquelles il était fait référence dans le jugement, bien que sollicitées, n'étaient pas fouruies par les autorités rwandaises (D20S88 etD20593). Jean-Claude HABlNEZA n'était pas retrouvé par les gendarmes français pour être entendu (D20421) mais la lecture du jugement permettait de connaltre sa version des faits de la mort de Hyacinthe RWANGA. Selon celui-ci, alors que les inlerahamwe tiraient sur les portes de l'église, elle était sortie avec l'ensemble des réfugiés et elle avait succombé aux tirs des interahamwe (020347/62).

Ainsi, force était de constater que Rose MURORUNKWERE accusait successivement Wenceslas MUNYESHYAKA puis Jean-ClaudeHABlNEZA dumême comportement àl'égard de sa fille, c'est à di!'e d'être à l'origine de sa mort car elle n'avait pas cédé à des avauces sexuelles.

La témoin AYC, réfugiée tutsi à la paroisse de la Sainte Famille était entendue à plusieurs reprises par les enquêteurs du TPIRen 1998 (D2512) ainsi que par les gendarmes français le 18 janvier 2013. Sa dernière audition relalait les circonstances dans lesquelles Hyacinthe RWANGA avait été tuée; la témoin indiquait qu'elle-même était réfugiée dans une chambre de prêtre à la paroisse de la Sainte Famille depuis le 15 juiu 1994, alors que son mari Alphonse, lui, logeait à l'église. Le 17 juin 1994, alors que les iuterahamwe commençaient à tuer les réfugiés de l'église, son mari l'avait rejointe dans la chambre. Quelques temps après, les miliciens avaient pénétré dans la chambre en appelant son mari par son nom; ils ordonnaient aux Hutu de quitter la chambre mais aux Tutsi d'y rester. Le témoin réussissait sortir de la chambre avec ses enfants eu se mêlant aux Hutu. Alors qu'ils sortaient, les interahamwe tiraienl sur son mari ainsi que sur Hyacinthe (02030012).

Alice UMUTONI, entendue en Belgique, le 20 février 2015, confirmait cette version des faits. Oans son souvenir, Hyacinthe occupait une chambre du presbytère avec sa mère, à côté de la sienne; elle y avait été tuée avec un homme prénommé Alphonse. Elle-même n'avait pas assisté à ces faits, mais elle avait vu le corps de Hyacinthe dans la chambre (D20868). Sa soeur Yvette UWAMWEZI ainsi que d'autres réfugiées déclaraient également que Hyacinthe avait été tuée dans une chambre (020153, 020169, D20282).

Josépha UMWANGAVU, partie civile, était âgée de 19 ans lors des événements de 1994. Dans le cadre de sa constitution de partie civile, ene fournissait un témoignage daté du 21 juillet 1995 Sur le comportement de Wenceslas MUNYESHYAKA (D21B1l à 3). EUe était également entendue par le magistrat instructeur le 13 février 1996 (D89), cOM'ontée avec Weuceslas MUNYESHYAKA le 15 février 1996 (D91), auditionnée le 2 février 1997 par les enquêteurs

INSTRUCTIOHN".2425111/1l. OIlDONNANCR ORNON-LIEU- pate n-

du TPIR (D2746) et par l'auditorat militaire de Kigali le 29 mai 2006 (D20377). Elle était entendue comme partie civile, une ultime fois, le 6 mai 2014 (020587).
Elle avait quitté son quartier de Muhima le 13 avril 1994 pour se réfugier à la paroisse de la Sainte Famille car des militaires et miliciens hutu avaient commencé
tuer tous les Tutsi de son quartier. Elle précisait qu'elle connaissait Wenceslas MUNYESHYAKA avant le mois d'avril 1994, celui-ci ayant fait des études avec l'un de ses frères, et Wenceslas MUNYESHYAKA

confirmait en effet que Josépha UMVANGAVU était réfugiée la Sainte Famille partir du mois d'avril 1994 (09113).
Dans sa première audition de partie civile en 1996, elle relatait beaucoup plus d'incidents que ceux mentionnés dans son premier témoignage écrit, sans préciser s'il s'agissait de faits dont elle avait été elle-même témoin ou de faits rapportés. Dans cette audition notamment, elle relatait l'attaque au cours de laquelle Hyacinthe RWANGA avait été tuée, attaque non mentionnée dans son récit de 1995, mais elle datait celle-ci au 17 avri11994 (D89).

Dans son audition devant les enquêteurs du TPlR le 2 février 1997, elle situait encore la grande attaque au 17 avril 1994. Elle expliquait qu'alors que les miliciens séparaient les Hntu des Tutsi, Wenceslas MUNYESHYAKA se tenait près de la porte centrale de l'église, sans bouger, ni parler. Les interahamwe avaient tiré sur les hommes tuant ainsi une soixantaine de personnes. Wenceslas MUNYESHYAKA avait dit "qu'ilfallait tue/' les hommes pG1'ce qu'ils pouvaient olle/' au combat pou/' le FPR ".

Elle affirmait avoir assisté à la mort de Hyacinthe RW ANGA, expliquant que cette dernière avait supplié Wenceslas MUNYESHYAKA de l'épargner mais celui-ci avait répondu qu'elle devait mourir sur le champ et elle avait été tuée par les miliciens (D2748).
Il était évident que la date du 17 avril 1994 ne pouvait correspondre à celle de la grande attaque au cours de laquelle Hyacinthe RWANGA avait été tuée, non seulement car cette attaque, d'après la grande majorité des témoignages, avait eu lieu le 17 juin 1994, soit le lendemain du raid du FPR sur le centre pastoral Saint Paul, mais surtout car,
cette date, la famille R WANGA était réfugiée au CELA (et ce jusqu'au 22 avril 1994).

Dans son audition du 29 mai 2006 devant l'auditorat militaire, interrogée sur l'ensemble des actes répréhensibles commis par Wenceslas MUNYESHY AKA et Laurent MUNYAKAZI, elle ne citait plus ladite attaque (D20377).

Pour ces raisons, elle était réentendue le 6 mai 2014 par le magistrat instructeur. Elle déclarait qu'elle avait quitté la paroisse de la Sainte Famille lors du deuxième convoi organi~é par la MINUAR, eUe précisait, par ailleurs, avoir été évacuée avec Marie-Louise NYILINKWAYA (D20587/2 et 4). Elle maintenait avoir assisté à l'attaque au cours de laquelle Hyacinthe RWANGA avait été tuée, précisant avoir vu cette dernière courir vers le bureau de Wenceslas MUNYESHYAKA en lui demandant de l'aide. Celui-ci était sur le balcon, il voyait tout mais n'avait rien dit (D20587/3).

Un certain nombre d'éléments introduisaient un doute sur la présence même de la partie civile à la Sainte Famille lors de l'attaque du 17 juin 1994. En effet, tout d'abord, elle ne citait pas cette attaque dans l'ensemble de ses récits sur les événements vécus au sein de la Sainte Famille. D'autre part, lorsqu'elle mentionnait cet événement, ses versions comportaient d'importantes variations, ce qui pouvait laisser craindre que sa relatiou de l'attaque de la Sainte Famille corresponde à des propos rapportés plutôt qu'à ses propres souvenirs. Emlll et surtout, elle indiquait avoir quitté la paroisse de la Sainte Famille lors du deuxième -ou troisième- convoi, en tout cas eu même temps que Marie-Louise NYlLINKWA Y A. Or, d'après le témoignage écrit du 19 juillet 1995 et l'audition de celle-ci devant le Parquet général de Kigali le 14 novembre 2001, Marie-Louise NYlLINKWAYA avait quitté la Sainte FamiUe lors du deuxième couvoi, à savoir aux environs du 10 ou 11 juin 1994, précisant qu'eUe était déjà à Kabuga lorsque des

membres du FPR avaient libéré les réfugiés du centre Saiut Paul, et donc lors de la grande

rnSTRUCTIONN" •2415/12111. OIIDONNANCEDENON_UEU_ P'JlO 51 -

attaque de la Sainte Famille qui avait suivie (D19365, 03945, D3948, D3954).
Convoquée pour être entendue par le magistrat instructeur, Marie-Louise NYILINKW A Y A ne comparaissait pas, sans faire connaître les motifs de sa carence (D20603).

Sarah BAMPIRIYE, entendue le 19 juillet2006 par l'auditOl'at mil itaire de Kigali (D20378) puis le 2S janvier 2012 par les gendarmes français (D20168) et réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille, depuis le 10 mai 1994, expliquait que le 17juin 1994, la conseillère Odette et Angéline étaient arrivées à la paroisse accompagnées des interahamwe de Rugenge, en entrant par la procure. Ils étaient entrés dans l'église et Odette s'était adressée aux réfugiés en leur demandant pourquoi les extrémistes tutsi avaient libéré les réfugiés de Saint Paul. N'obtenant pas de réponse, elle avait alors dit aux réfugiés qu'ils étaient son butin. Environ 30 minutes plus tard, ils étaient revenus, Odette avait demandé ce que des listes soient établies selon les destinations que devaient rejoindre les réfugiés, ce qui avait été fait, les listes avaient été remises à Odette qui avait exprimé sa surprise devant le nombre de personnes souhaitant rejoindre les zones du

FPR, puis, elle était repartie.
En début d'après midi,
la grande attaque avait débuté. Les interahamwe tentant d'enfoncer les portes de l'église, les réfugiés s'étaient précipités dans la cour et les interahamwe leur avaient tirés dessus, en faisant de nombreuses victimes dont son propre mari. La témoin affirmait qu'à ce moment là, dans le jardin de la Sainte Famille, étaient présents Odette, Angéline, Laurent MUNYAKAZI, le préfetRENZAHO et l'abbé Wenceslas.
Cette déclaration variait de ceJle qu'elle avait donnée en 2006 à l'auditorat militaire où elle indiquait que les listes avaient été établies vers le mois d'avril. Par contre, elle indiquait déjà, à cette époque, que la grande attaque avait été précédée d'une visite d'Odette (accompagnée de RENZAHO et deMUNY AKAZI) qui leur avait dit que ceux des réfugiés qui étaient restés après l'évacuation du FPR dans la nuit seraient
"leur repas". Elle déclarait aussi que ces mêmes autorités étaient revenues l'après midi avec les interahamwe et qu'à l'aide d'un canon installé à l'entrée, elles avaienttiré en rafale dans l'église. A l'issue de l'attaque, LaurentMUNY AKAZI avait demandé aux réfugiés rescapés d'applaudir les interahamwe qui les avaient débarrassés des inyenzi, ce que les réfugiés survivants avaient fait en présence de RENZAHO et de l'abbé

MUNYESHYAKA (D20378).
Lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA, elle maintenait avoir vu celui-ci à l'extérieur de l'église en compagnie de Laurent MUNYAKAZI et du préfet RENZAHO. Laurent MUNYAKAZI avait tiré en l'air et Wenceslas MUNYESHYAKA avait dit
"arrêtez ça", puis ce groupe était parti en leur disant de "ramassez ces inyenzi"(D20392). Olivier

UMUHIZI indiquait également avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA parmi ces autorités lorsqu'elles étaient intervenues pour faire cesser les exécutions (D 19926).

Selon Yvette UWAMWEZI, ce n'était qu'après les tueries, que le préfet RENZAHO et le militaire MUNYAKAZI étaient arrivés sur le site et avaient fait chercher le prêtre (D20282).

Béatha MUKAMAZIMP AKA, réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille à compter du 22 avril 1994, expliquait au Parquet général de Kigali le 15 janvier 2003 (D3739 à D3751) COmme aux gendarmes français (D20163), qu'elle avait, à cette période, la malaria et donc qu'eUe circulait très peu en dehors de l'église où elle s'était installée avec sa famille. Le 17 juin 1994, alors que les interahamwe tentaient de forcer les portes de l'église, ene s'était dirigée vers le bureau de Wenceslas MUNYESHYAKA qui se trouvait avec un militaire. Elle avait demandé de l'aide, mais Wenceslas MUNYESHYAKA n'avait pas prêté attention à ce qu'elle disait et avait quitté son bureau en compagnie du militaire tout en riant. Elle était restée assise devant son bureau pendant l'attaque, elle avait revu Wenceslas MUNYESHYAKA à ce même endroit après le

massacre, celui-ci lui demandant si ces cadavres n'avaient pas été tués par les inyenzi. Selon elle, il était parti se cacher pendant l'attaque; elle maintenait ses propos lors de la confrontation

INSTRUCfIONN" .142S1ll1n . ORDONNANCEDENOIi-LU!U-pige5~ _

(D20392).

Antoine NKUSI avait été réfugié la Sainte Famille après avoir quitté le CEL A le 22 avril 1994. Entendu le 5 mars 2003 par le Parquetgénéral de Kigali, il indiquait que le matin avant l'attaque, une messe avait eu lieu au cours de laquelle Wenceslas MUNYESHYAKA avait dit: "Les inyenzi ont emmené les gens qui se trouvaient au centre Saint Paul. Et il y a des inyenzi qui se cachentparmi nous. Nous devons trouver commentnous en débarrasser ". Puis les interahamwe étaient entrés dans l'église, avaient fait sortir les réfugiés et leur avaient tiré dessus dans la cour (D20201/5).

Toutefois, lors de la confrontation avec Wenceslas MUNYESHY AKA, en décembre 2013, il précisait que lui-même n'avait pas assisté la messe et qu'il s'agissait de propos rapportés. Il ne se souvenait plus avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA le jour de la grande attaque (020393).

Aloys ZIRARUSHUYA, entendu par le magistrat instructeur le 29 septembre 2014 indiquait avoir aperçu le prêtre près de l'entrée de la procure, en compagnie du préfet RENZAHO buvant une bière pendant l'attaque (020680/4).

Pour le témoin BCT, Wenceslas MUNYESHY AKA était présent lors de l'attaque mais il ne pouvait préciser son rôle (D20295).

A l'inverse, un grand nombre de réfugiés, entendus sur le déroulement de cette attaque, ne voyaient pas Wenceslas MUNYESHYAKA pendant celle-ci. Certains précisaient qu'il n'était réapparu qu'après les meurtres (Agnès MUKANOUTlYE 020153/6 et 7, Immaculée MUKESHlMANA D3746 et 02724, Odette MUKANYIRIGIRA 019912, Billy MURASffi DI9947). ServilienMUGENGANA se souvenait avoir vu Wenceslas MUNYESHY AKA sur le site lors de 1'arrivée des interahamwe ce jour là, puis celui-ci avait disparu par la suite (020836/6). Oonata MUKASEKURU continnait cette version des faits, indiquant que Wenceslas MUNYESHYAKA était parti se cacher (D3801, D20170).

Si certains de ces réfugiés faisaient état de la venue d'autorités lors de cette attaque telles que le préfet RENZAHO, le lieutenant-colonel MUNYAKAZI ou des chefs de la milice, ils ne mentionnaient pas la présence du prêtre leurs côtés (019912, D19947, Richard NSANZABAGANWA 017754, Eugénie MUKESffiMANA 020169).

Une réfugiée, AYC, précisait avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA regarder la scène de la fenêtre de sa chambre puis rejoindre AngéIine et Odette lors de leur arrivée (D2516). Mais lors de son audition devant les gendarmes le 18 janvier 2013, elle confIrmait seulement qu'il observait ce que les interahamwe faisaient de sa fenêtre (020300/4), ne l'ayant jamais vu avec les interahamwe pendant les attaques.

Joie-Claire UW1MANA déclarait également qu'il était assis sur son balcon à l'étage pendant le massacre (03020, D2030/4, 02038717).

Il était indiqué par denombreuxréfugiés qu'à l'issue de l'attaque, WenceslasMUNYESHYAKA avait demandé à ce que les corps des défunts soient rassemblés dans le garage.
Des réfugiés indiquaient que le but était de les cacher de la MlNUAR et des journalistes (Joie-Claire UWlMANA D20301 et 020387/8, Eugénie MUKESillMANA 020169, Richard

NSANZABAGANW A 02705, KAMA Y AFéIix D20160, OdetteMAKANYIRlGIRA 020 194, Emmanuel SlR(M)UGOMWA 0202671 et 019299). Seule Hyacinthe RWANGA avait été enterrée et ce, à la demande de sa mère (090/2).

S'agissant des déclarations des participants cette attaque, Hussein RONGORONGO, âgé de 18 ans en 1994, était entendu à de multiples reprises, celui-ci ayant plaidé coupable et impliqué

JNSTRUCFION N" .142SJl1fIl. ORDONNANCE US NON.lJEU·PlRo5S-

de nombreuses personnes, militaires ou autorités civiles. Lors de ses auditions de 2005 et de 2006 devant l'auditorat militaire, il parlait des attaques de façon générale commises sur le secteur de Rugenge, notamment Saint Paul et la Sainte Famille et citait les personnalités qui supervisaient les attaques. Palmi les autorités civiles, il citait Angéline MUKANDUTIYE, inspectrice scolaire, Odette NYIRABAGENZI, conseillère du secteur de Rugenge, le prêtre Wenceslas MUNYESHYAKA et le Préfet de Kigali, Tharcisse RENZAHO, et parmi les autorités militaires sur lesquelles étaient principalement axées les auditions de l'auditorat militaire, il mentionnait notamment le major Laurent MUNYAKAZI (D20379/6, D203 80/2). Devant les enquêteurs du TPIR en 2006, il relatait l'attaque de l'église de la Sainte Famille à laquelle il avait participé le lendemain de l'évacuation des réfugiés du centre Saint Paul pal' le FPR, "pOUl' punir le FPR de son opération de sauvetage". Selon lui, l'attaque avait débuté tôt le matin et duré jusqu'à 11 heures, ils avaient utilisé des fusils. Us avaient tué beaucoup de réfugiés dont Hyacinthe, la fille de Charles RWANGA, en tirant au hasard dans la foule des réfugiés tutsi qui se trouvaient dans l'église. Il avait vu Wenceslas MUNYESHYAKA arriver par la porte de communication avec le centre Saint Paul en compagnie d'Odette

NYIRABAGENZI et Angéline MUKANDUTIYE, cette dernière disant "al/ons voir qui a été tué" et ils s'étaient approchés des corps. Tharcisse RENZAHO était arrivé sur ces entrefaits avec des policiers armés, alors que les tueries étaient terminées et s'était rendu près de Wenceslas MUNYESHYAKA, AngéIine MUKANDUTlYE et Odette NYIRAGABENZI (D17818 à D17819).

Lors de son audition devant les gendarmes français en 2011, il confIrmait que les interahamwe dont il faisait partie, sur ordre d'Angéline, avaient attaqué le complexe de la Sainte Famille le matin du 17 juin 1994, en compagnie de militaires et de gendarmes. Les attaquants tiraient "sur tout ce qui bougeait". Il confIrmait que certains d'entre eux avaient pillé les biens de l'annexe et notamment avaient volé l'argent, ce qui avait rendu Wenceslas MUNYESHY AKA furieux et ce dernier était parti. Environ 15 minutes plus tard, le préfetRENZAHO, AngéIine, Odette et le major MUNY AKAZI étaient arrivés sur place et le préfet RENZAHO avait ordonné de stopper les tirs. C'est à ce moment là, que le témoin avait remarqué le corps de Hyacinthe RWANGA dans les bras de sa mère.

II affIrmait que les gens n'avaient pas été sélectionnés avant d'être tués, que les interahamwe tiraient partout et que lui-même avait abattu trois jeunes hommes tentant de fuir en enjamhant les murs d'enceinte (D20054,D20055).
Lors de la confrontation,
il confnmait la présence de Wenceslas MUNYESHYAKA qu'il avait vu vers la fIn de l'attaque, mais il indiquait qu'il se trouvait dans l'église près de l'autel aux côtés des dirigeants des interahamwe, notamment AngéIine et Odette (D2038817).

Selon André MUGISHA (D20076 D20079), i l avait été recruté le matin même du 17 juin 1994 pour faire "l'Umuganda" à la Sainte Famille, lui même n'avait qu'une machette et était resté à l'extérieur en veillant à ce que personne ne puisse s'échapper. L'attaque avait été menée par les interahamwe de Rugenge et de Muhima, i l n'avait pas vu de militaires, ni d' autœs autorités. Ces interahamwe étaient entrés sur le site de la Sainte Famille par tous les côtés et avaient tiré. Le témoin n'avait pas vu de corps mais avait appris par la suite qu'il y avait eu beaucoup de morts.

Wenceslas MUNYESHYAKA niait toute participation cette attaque qui, selon lui, était le seul massacre ayant eu lieu l'intérieur même de l'enceinte. Lors de ses interrogatoires par le juge d'instruction en 1995 et 1996 (D23, D91), ainsi que par les enquêteurs du TPIR en 1997 (D3155, D2816 àD2818, D2845 àD2857), il expliquait que, dans la nuit du 16 au 17 juin 1994, un raid du FPRsur le centre pastoral Saint Paul avait permis l'évacuation des réfugiés s'y trouvant mais qu'à cette occasion 50 réfugiés qui se trouvaient à l'école primaire de la Sainte Famille avaient également été tués. Le 17 juin 1994 vers 8 h, des miliciens avaient assiégé l'église, mais ils avaient pu être repoussés, notamment grâce l'arrivée de gendannes ou militaires dirigés par le

INSTRUCTION N° •ZoIlmlt:12 •

OlIDONNANCB DB NOH.LlI!U- pBg.I 56 -

lieutenant-colonel MUNYAKAZI, qui était en train d'évacuer les prêtres restés à Saint Paul vers l'archevêché. En fin de matinée ou en début d'après midi, vers 13 heures, il y avait eu une nouvelle attaqne de 100 à 200 miliciens, qui étaient entrés en escaladant les clôtures du côté de l'annexe des soeurs du couvent Abizeramarya. Il précisait être allé prévenir les secours, puis s'être réfugié dans sa chambre à la procure et non dans la chambre située à l'étage du presbytère. Les miliciens, arrivés dans la cour et le jardin du presbytère avaient "tiré dans le tas" et causé environ 50 morts. De sa chambre, par la fenêtre, il pouvait voir une petite partie de la cour

(D20312/8, D20387f8).
Selon lui, cette attaque avait été conduite rapidement, il n'avait reconnu aucun des miliciens présents et indiquait n'avoir VIl ni Angéline, ni Odette, ni le préfet RENZAHO ce jour là. Lorsqu'il était reveuu au presbytère, l'attaque était finie et les miliciens repartis.

Il reconnaissait avoir fait transporter les corps dans le garage le lendemain ou 3 jours après, en attendant de trouver une solution pour leur ensevelissement. Il ne voulait pas laisser les cadavres se décomposer dans la cour au milieu des réfugiés survivants. Il contestait avoir souhaité cacher les corps aux yeux de la MINUAR, expliquant qu'il était de toute façon illusoire de vouloir dissimuler une telle attaque (D20312/11).

Dans les jours qui avaient suivis, les services de la Préfecture étaient venus chercher les corps (D2847). Il avait proposé à Rose RWANGA d'enterrer sa fille dans le jardin des prêtres, ce qui avait été fait et également pour unjeune garçon que connaissait sœur Suzanne (D9117, 02846).

Lors des confrontations avec les parties civiles le 15 février 1996 (D9117) et avec les témoins Joie-Claire UWIMANA (D20387), Sarah BAMPIRIYE et Beath. MUKAMAZIMPAKA en décembre 2013 (D20392), il maintenait s'être caché à la procure pendant l'attaque après avoir prévenu les secours.

Lors de l'interrogatoire récapitulatif du 15 septembre 2014, Wenceslas MUNYESHYAKA réitérait ses déclarations, expliquant qu'après avoir repoussé la première tentative des miliciens dans la matinée, les renforts s'étaient dirigés vers l'hôtel des Mille Collines. Lors du retour des miliciens en début d'après midi, il maintenait avoir prévenu la gendarmerie, grâce au téléphone du réfectoire des prêtres (D20664/12 et 13).

Aucun des militaires ou gendarmes entendus ne confirmait que l'alerte avait été donnée par Wenceslas MUNYESHYAKA. Entendu par les gendarmes français le 3 décembre 2013, Paul RWARAKABIJE, ancien chef des opérations (G3) de l'Etat Major de Gendarmerie en 1994, expliquait qu'effectivement après le raid du FPR sur le centre Saint Paul dans la nuit du 16 au 17juin 1994, les interahamwe étaient venus en masse et plusieurs reprises à la Sainte Famille. Lui-même, le 17 juin 1994, s'était rendu à l'hôtel des Mille Collines car il craignait une attaque des interahamwe. La section de gendarmes affectée à la protection de la Sainte Famille ayant été submergée, il avait fallu faire appel à des renfOlts. Le témoin avait sollicité le chef de l'Etat Major des Armées, le général major BIZIMUNGU pour solliciter des renforts afin de faire dégager la milice de la Sainte Famille (D20424). TI n'avait pas été prévenu par Wenceslas MUNYESHYAKA directement.

Laurent MUNYAKAZI avait, lui-même, été condamné à perpétuité par le Tribunal militaire en 2006 pour complicité dans cette attaque mais avait plaidé non coupable. Lors de son audition par les gendarmes français le 16 ao(t 2011, il précisait avoirreçu l'ordre d'aller protéger l'hôtel des Mille Collines. Sur place, i l avait entendu des tirs en provenance de l'église de la Sainte Famille et avait prévenu son EtatMajor qui lui avait donné l'ordre d'intervenir à la paroisse de la Sainte Famille mais ils étaient arrivés trop tard, les meurtres ayant déjà été commis (D 19823 àDI9835). Laurent MUNYAKAZI ne se souvenait ni avoir vu Weuceslas MUNYESHYAKA, ni lui avoir

INSTRUCTIONN° 24Z~I2I11. OR.DONNANCI!DENON·LIIlU·pa,~57

parlé lors de son arrivée sur le site après les tueries (D19827). Contrairement aux propos de Wenceslas MUNYESHYAKA, il affirmait n'être intervenu àla Sainte Famille que dans l'après- midi et non le matin. Il ajoutait que c'était dans la soirée du 17 juin 1994 qu'il avait évacué les religieux restés à Saint Paul vers l'archevêché (DI9828).

Jean-Chrysostome NTIRUGIR1BAMBE, commandant de la compagnie de gendarmerie de Nyarugenge, expliquait que lui-même n'était pas présent sur Kigali le jour de cette attaque, il en avait été informé lors de son retour le 18 juin, apprenant qu'il y avait eu un ou deux blessés parmi les gendarmes (D20625).

Félicien KAREKEZI, caporal de gendarmerie, relatait le déroulement de l'attaque de la façon suivante (D20856/8 et 9). Un premier groupe de miliciens était intervenu le matin mais avait été contré par les gendarmes, les miliciens les avaient menacés de revenir. Moins d'une heure après, ils étaient revenus en débroussaillant à l'extérieur de la paroisse, ils étaient entrés dans le complexe en sautant par dessus les clôtures et la porte setrouvant du côté de l'annexe des soeurs Abizeramaryia. Une fois l'intérieur, les miliciens avaient commencé à tirer sur les réfugiés. Les gendarmes avruentrépliqué et tué ainsi 4 attaquants. Malgré leur demande de renfort auprès du camp de Mubima, les militaires, dont Laurent MUNYAKAZI, n'étaient arrivés qu'après le massacre. Il indiquait que 53 personnes avaient été tuées et 3 gendarmes blessés, il se souvenait de ce nombre car il avait lui-même dénombré les cadavres avant de les regrouper. Sur les auteurs de l'attaque, il n'avait reconnu aucun des miliciens présents; toutefois il se souvenait avoir aperçu Angéline MUKANDUTlYE à l'extérieur de l'enceinte après l'attaque. Il n'avait pas vu Wenceslas MUNYESHYAKA pendant l'attaque, celui-ci se cachant mais l'avait vu après celle-ci, attristé.

La relation de cette attaque par Chrysogone HATEGEKIMANA lors de son audition par le magistrat instructeur le 2 octobre 2014 était un peu plus confuse. Il se souvenait d'une arrivée massive des attaquants vers 9 ou 10 heures, les deux gendarmes l'entrée avaient essayé de s'opposer. Malgré les négociations et les suppliques de l'abbé, les attaquants avaient sauté les clôtures et avaient tué un certain nombre de réfugiés, tout en en enlevant d'autres. Le témoin lui-même s'était réfugié dans sa chambre puis en était ressOlti au bruit des tirs. A ce moment là, il avait vu Laurent MUNYAKAZI.

Il ajoutait qu'à la fin de l'attaque, l'abbé lui avait dit que les interahamwe l'avaient trouvé dans sa chambre et qu'ils l'avaient menacé avec un fusil (D20684/4 et 5).

•••

Au vu des différents témoignages, i l était difficile de déterminer avec précision le comportement de Wenceslas MUNYESHYAKA lors de cette attaque, ce qui s'expliquait aisément du fait de la confusion générée par cette attaque d'une extrême violence et du temps écoulé entre celle-ci et les auditions.

Pour les raisons précédemment évoquées, les dépositions des parties civiles Rose MURORUNKWERE épouse RWANGA et Josépha UMWANGAVU sur le rôle de Wenceslas MUNYESHYAKA dans la mort de Hyacinthe RWANGA ne pouvaient être retenues, compte tenu soit de leurs trop fortes variations, soit de leur incohérence. Certes, si au vu du temps écoulé depuis les faits, il était impossible d'exiger des témoins des versions successives dénuées de toute coutradiction, il n'en demeurait pas moins que les dépositions affectées par trop de modifications, particulièrement lorsqu'elles concernaient le comportement du mis en cause, devaient être appréciées avec prudence.

INSTRUCTIONU" .l41!/ll1ll. ORDONNANCBDE NON·UIlU·plg<lS9-

Ainsi, l'issue de l'instruction, les témoignages les plus incriminants l'encontre de Wenceslas MUNYESHYAKA étaient ceux qui faisaient état de sa présence pendant l'attaque aux côtés des autorités civiles ou militaires ou des chefs de la milice, l'unique déposition attestant de sa participation aux tirs sur les réfugiés devant être écartée, car non corroborée.

Non seulement, ces quatre déclarations des témoins Aloys ZIRARUSHYA, SarahBAMPIRlYE, Olivier UMUHJZI et Hussein RONGORONGO constituaient, quantitativement, un faisceau de preuve très mince face au nombre total de témoignages recueillis (plus d'une cinquantaine). Mais aussi, des écueils importants contribuaient en diminuer la valeur probante. Tout d'abord, les déclarations d'Aloys ZIRARUSHYA contenaient des éléments qui portaient atteinte leur crédibilité dans la mesure où - bien que marquants s'ils avaient été réels - ils n'étaient repris par personne, tel était le cas de la description de Wenceslas MUNYESHYAKA buvant une bière en regardant l'attaque.

S'agissant des déclarations de Sarah BAMPIRlYE et Olivier UMUHIZl, i l convenait de préciser que tous les deux déclaraient avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA avec les autorités la fin de l'attaque pour demander l'arrêt des tueries, ce qui pouvait également être apprécié, malgré les interprétations données, comme un élément à décharge.

Quant aUX déclarations d'Hussein RONGORONGO, il était difficile, au vu de ses multiples auditions évolutives de connaltre avec précision le nombre d'attaques auxquelles celui-ci avait réellement participé. Ainsi, dans le cadre de son procès devant le Tribunal de première instance de Nyamirambo, il n'avait reconnu Sa participation qu'à une seule attaque commise à la Sainte Famille, attaque ayant causé la mort de Frédéric RWABUWERERE alias B1HEHE (020347/194). Or, il résultait de la lecture du jugement que cette personne -différente de celle raflée le 18 juin 1994- avait été tuée au mois de mai, en tout cas avant Hyacinthe RWANGA, ayant été découverte Saint Paul ou la Sainte Famille selon les récits (D20347/62,157 et 218). A l'inverse, devant les gendarmes fmnçais, il affirmait avoir participé plusieurs attaques meurtrière à la Sainte Famille, savoir une commise au mois de mai au cours de laquelle une centaine de Tutsi aurait été enlevée -attaque non relatée par les autres témoins- et celle du 17 juin 1994. Au regard de la multitude des accusations portées par Hussein RONGORONGO, de leur

caractère non désintéressé et de leurs contradictions, les déclarations de celui-ci quant au rôle de Wenceslas MUNYESHYAKA, devaient être traitées avec circonspection.

Par ailleurs, ces quatre témoignages n'étaient pas concordants entre eux, Wenceslas MUNYESHYAKA étant aperçu à des endroits différents et en compagnie de personnes distinctes.

Enfin et surtout, ces déclarations ne s'accordaient pas avec le récit de nombreux réfugiés selon lesquelles le mis en examen avait fui dans sa chambre dès le début de l'attaque, avait assisté passivement au déroulement des faits de sa fenêtre, et n'était réapparu qu'à la fin de l'attaque ou après le départ des assaillants.

En tout état de cause, dans la mesure où Wenceslas MUNYESHY AKArésidait dans la paroisse de la Sainte Famille dont il avait la charge, sa présence dans cette paroisse lors de l'attaque, défaut de précision sur son rôle, ne pouvait elle seule être significative d'une contribution ou même d'un encouragement aux meurtres commis.

5-4- Les viols

Dès les premières auditions des parties civiles, i l était reproché à Wenceslas MUNYESHY AKA d'avoir entretenu des relations sexuelles avec les réfugiées tutsi profitant de leur vulnérabilité. Une dénommée Olive était citée comme étant la "protégée" de Wenceslas MUNYESHYAKA, ce qui lui avait permis d'être évacuée vers l'hôtel des Mille Collines (D88, 089/2). Josépha

INSTRUCTION N° .1415f11111. ORDONNANCE DENON·LIEU. p.ge59-

UMVANGAVU ajoutait également que des jeunes filles étaient emmenées la nuit par des miliciens pour être violées et ce avec l'accord de Wenceslas MUNYESHYAKA (D89/2).

Rose MURORUNKWERE épouse RW ANGA se disait persuadée que Wenceslas MUNYESHYAKA n'avait pas caché safille le jour de la grande attaque car celle-ci avait refusé ses avances (D90/3).
D'autres témoins relayaient les affirmations selon lesquelles Hyacinthe RWANGA était morte pour s
'être refusée WenceslasMUNYESHY AKA(D201 68/5,DI9921 ,D20563/4) et qu'Olive UMUIllRE alias NYIRASOMBE avait été la maitresse de Wenceslas MUNYESHYAKA lors de son séjour à la Sainte Famille, en échange de la protection de l'abbé (D19920, Dl9953, D20520).

Rappelons ici que, d'après le jugement rendu par le Tribunal de Kigali contre les miliciens de Rugenge, si la mort de Hyacinthe R WANGA était rattaché à une cause identique, c'est dire au fait d'avoir refusé des avances sexuelles, l'auteur de ces avances était une personne autre que l'abbé, à savoir Jean-Claude HABINEZA; cette version était également rapportée par la témoin Agnès MUKANDUTlYE (D20 153/6).

Le jugement du Tribunal militaire du 16 novembre 2006 condamnait Wenceslas MUNYESHYAKA pour avoir commis des viols sur des jeunes femmes réfugiées à la Sainte Famille (D56l6).Toutefois, la lecture de ce jugement révélait que cette condamnation reposait uniquement sur des témoignages indirects notamment ceux de Elie MPAYIMANA, Sarah BAMPIRlYE, et Josépha UMWANGAVU, aucune déclaration de victime de viol n'ayant été recueillie (D56l3, D5614).

Selon les déclarations devant l'auditorat militaire d'Elie MPAYIMANA, décédé depuis, Wenceslas MUNYESHYAKA avait violé Jasée MUKURlRA, qui avait eu le courage de témoigner contre lui en France (D20502/4 et 5). Or, il s'avérait que cette jeune femme était Josépha UMWANGAVU, fille de MUKURIRA (D20587), partie civile dans la présente procédure qui n'avait jamais dénoncé de tels faits commis sur sa propre personne.

L'acte d'accusation du procureur du TPIR contre Wenceslas MUNYESHYAKA comportait également des accusations de viols commis sur des femmes tutsi, soit comme auteur principal de ces criroes, soit comme complice de viols commis par des interahamwe (D6388, D63 89).

Parmi les témoins entendus par les enquêteurs du TPIR, seules deux femmes tutsi réfugiées la paroisse de la Sainte Famille -BFY etBFZ- relataient des faits dont elles avaient été elles-mêmes victimes, les autres faisant état de propos rapportés.

BFY, âgée de 12 ans en 1994, expliquait, dans une audition du 31 janvier 2002, avoir été amenée la paroisse de la Sainte Famille le 7 avril 1994 par le père MUNYESHYAKA, qui venait d'apprendre la mort de sa tante qu'il connaissait. Un soir, alors qu'elle était à la Sainte Famille avec deux autres jeunes filles Olive UWINIZA et Oda UWJMANA, Wenceslas MUNYESHYAKA était venu les voir avec deux interahamwe pour les conduire dans des chambres. Il s'était adressé à Olive en disant "foi Olive, tu es mienne, personne ne doit te toucher". Le témoin et son amie Oda avaient, elles, été violées par les interahamwe. Plus tard dans la soirée, Wenceslas MUNYESHYAKA les avait évacuées toutes les deux vers Kabuga (Dl2402 à 012407).

Réentendue par les gendarmes français le 17 janvier 2013, BFY révélait que sa déclaration antérieure était fausse, elle ne connaissait même pas Wenceslas MUNYESHYAKA, ayant été réfugiée soit chez elle, soit dans la paroisse de Kiziguro pendant le génocide (D20299). Elle expliquait avoir été contactée par une prénommée Yvette travaillant au TPIR qui lui avait

INSTRUCTION N". 2425112(U. ORDONNANCIl DIlNON.LIEU· page GO

demandé de témoigner contre Wenceslas MUNYESHYAKA en inventant une histoire de viol. Elle ajoutait avoir inventé les identités des deux jeunes filles Olive et Oda.

BFZ, âgée de 19 ans en 1994, était interrogée à deux reprises par les enquêteurs du TPIR, le 28 décembre 2001 et le 29 novembre 2004 (D17567, DI75831D20674). Dans ces deux auditions, elle affirmait avoir été victime de viol de la part même de Wenceslas MUNYESHYAKA.
En 2011, elle relatait qu'elle se trouvait en visite chez son cousin domicilié
Kigali lors de l'attentat contre l'avion présidentielle 6 avril 1994. Elle s'était par la suite réfugiée au centre Saint Paul où elle était restée plus d'un mois. Puis, elle était partie la Sainte Famille en compagnie de Yordette et Nadine et toutes trois avaient été orientées vers une chambre. Weuceslas MUNYESHYAKA était venu les voir le lendemain matin, leur touchant les fesses en disant que les filles tutsi étaient vraiment jolies. Il était revenu le soir même et avait entraîné Nadine sur le lit. La témoin ne voyait pas ce qu'il se passait entre eux car le rideau devant le lit était tiré, mais elle entendait Nadine se plaindre d'avoir mal. Après le départ de Wenceslas

MUNYESHYAKA, Nadine leur avait confié avoir été violée par le prêtre. La deuxième nuit, il était revenu pour voir Nadine mais celle-ci l'avait supplié de ne rien lui faire, il avait alors saisi BFZ par le bras, l'avait poussé sur le lit et l'avait déshabillée. Lui-même avait enlevé son gilet pare-balles et son pistolet, ouvert sa braguette et l'avait pénétré. Elle précisait qu'il s'agissait de son premier rapport sexuel, qu'elle avait pleuré et lui avait dit qu'il lui faisait mal. Elle avait saigné et l'abbé lui avait affirmé qu'un tel saignement était normal la première fois.

Elle indiquait que le lendemain, il leur avait dit d'aller rejoindre les autres vers l'église pour manger. A ce moment là, les interahamwe étaient arrivés et avaient tiré sur des gens dans l'église. Nadine avait été tuée. BFZ et Yordette étaient restées cachées parmi les cadavl'es pendant une journée et une nuit jusqu'à ce que les corps soient évacués. Puis, le témoin était resté dans l'église sans jamais retourner dans les chambres.

Elle citait comme ayant également été agressée sexuellement par Wenceslas MUNYESHYAKA, la nommée NYIRASOMBE, qui s'était confiée à ce sujet à Nadine et elle (D17570).

En 2004, elle déclarait qu'au départ, elle s'était cachée dans les maisons près du centre Saint Paul et qu'elle se rendait régulièrement à ce ceutre pour apporter de l'aide aux réfugiés. Apprenant que de nombreux militaires, gardes présidentiels et interahamwe se trouvaient au centre Saint Panl, elle avait fui avec Yorodette et s'était cachée dans les fourrés, puis elles avaient rejoint la paroisse de la Sainte Famille où elles avaient été dirigées, avec Nadine, vers une chambre.

Elle affmuait, à nouveau, que dans la nuit, Wenceslas MUNYESHYAKA était venu et avait violé Nadine. La nuit suivante, Wenceslas MUNYESHYAKA était revenu; Nadine s'étant refusée à lui, il avait attrapé BFZ par le bras, l'avait emmenée sur le lit, déshabillée et pénétrée. Elle confirmait également que c'était le lendemain de ce viol, vers 8h que les interabamwe avaient attaqué la Sainte Famille, attaque durant laquelle Nadine avait été tuée (D17585, Dl7586, D20674).

Le 3 octobre 2014, BFZ était entendue par le magistrat instructeur et son récit variait sur plusieurs points (D20685). Sur son parcours, elle disait s'être réfugiée dans les maisons des Pères Blancs près du centre Saint Paul jusqu'au raid du FPR sur ce centre. Le lendemain, voulant se rendre Saint Paul, elle avaitvu des militaires dn gouvernement qui leur avaient ordonné de se rendre la paroisse de la Sainte Famille.

Pendant son séjour à la Sainte Famille, elle avait rencontré NYIRASOMBE et Nadine qu'elle se remémorait plutôt sous le prénom de Blandine, les deux étant victimes de viols de la part de l'abbé. Elle indiquait avoir reçu les confidences de Blandine sur ce point mais elle contestait avoir assisté àlascène entre WencesiasMUNYESHYAKA etNadine/Blandine, telle que décrite dans ses auditions devant les enquêteurs du TPIR. Elle déclarait simplement avoir vu l'abbé

II'ISTRUCTIONN" .lO!l12l12 . ORDONNANCE DIlNON·LIIl1J·p.~'I·

emmener Blandine dans sa chambre. Concernant les relations entre NYIRASOMBE et W enceslas MUNYESHY AKA, elle faisait simplement état de ce que Blandine lui avait raconté. Elle expliquait qu'elle logeait habituellemeut dans l'église et qu'un jour où elle était allée voir Blandine, elle avait rencontré l'abbé devant une chambre, celui-ci l'avait touché la taille en lui disant qu'elle avaitune bonnetaille et l'avaitfait entrer dans lachambre. A l'intérieur, il l'avait déshabillé et lui avait itnposé un rapport sexuel. Elle maintenait que celui-ci portait un gilet pare-balles et une arme, qu'elle n'était pas d'accord avec cette relation mais qu'au vu de sa situation, elle ne pouvait s'y opposer. Elle confirmait également qu'il s'agissait de son premier

rapport sexuel.
La témoin ayant
du mal à établir la chronologie des événements, il était difficile de savoir si le viol qu'elle relatait avait eu lieu avant ou après l'attaque du 17 juin 1994. Toutefois, à l'issue de l'audition, elle indiquait qu'au moment où les interahamwe avaient tué des réfugiés dans l'église, elle se trouvait encore à Saint Paul mais qu'elle avait vu les corps par la suite, elle avait également vu des interahamwe venir à la paroisse pour s'emparer de réfugiés.
Contrairement à ses déclarations précédentes, elle ne se souvenait pas de lamOlt de Blandine ou Nadine.
En réponse aux interrogations du magistrat instructeur face aux divergences entre ses différentes déclarations,BFZinvoquaitl'anciennetédesfaits,ajoutantqu'elleu'avaitaucunintérêtàmentir,

n'ayant aucun différent avec Wenceslas MUNYESHYAKA qu'elle ne connaissait pas avant et qu'elle n'avait jamais revu par la suite.

Olive UMUIDRE alias NYIRASOMBE, âgée de 16 ans lors des événements de 1994, faisait l'objet de deux auditions, l'une par l'auditorat militaire de Kigali le 30 mai 2006, l'autre par les gendarmes français le 14 mars 2012 (D20256, D20120).
Elle expliquait que sa famille connaissait bien Wenceslas MUNYESHYAKA. Après la mort de sa mère, vers la
fin du mois d'avril, Wenceslas MUNYESHY AKA était venue la chercher avec sa soeur pour les ramener à la paroisse de la Sainte Famille, là où étaient déjà réfugiés des membres de la fratrie.

Selon ses déclarations, elle et ses sœurs avaient été logées dans une chambre du presbytère avec d'autres femmes; elle y était restée jusqu'à son départ pour/'hôtel des Mille Collines au mois de mai.
Auparavant, un jour de mai, un interahamwe était venu pour emmener sa sœur sous prétexte de la protéger; celle-ci l'avait suivi et Olive UMUHIRE avait appris par la suite que sa sœur avait été tuée. Quelques jours après, un de ses voisins dénommé FURAHA accompagné d'autres interahamwe s'étaient introduits dans l'enceinte de la Sainte Famille et avaitvoulu la faire partir avec lui; elle était allée informer le père Wenceslas MUNYESHYAKA qui avait fait intervenir les gardes. FURAHA était parti, menaçant de revenir en force. Pour ces raisons, Wenceslas

MUNYESHYAKA avait organisé son départ à l'hôtel des Mille Collines où elle avait partagé la chambre de la mère et des sœurs de l'abbé, ce départ avait eu lieu avant la grande attaque de la Sainte Famille.
En 2006, elle afftrmait, déjà, qu'à sa connaissance, aucune jeune femme réfugiée n'avait eu à subir d'agressions sexuelles de la part de l'abbé. Devant les gendarmes français, elle contestait toujours avoir entretenu des relations sexuelles avec Wenceslas MUNYESHYAKA, et même avoir occupé la chambre de ce dernier. Elle expliquait qu'il s'agissait là d'une rumeur qui s'était répandue dès qu'elle avait quitté la Sainte Famille pour l'hôtel des Mille Collines, que cette rumeur était due à lajalousie des autres réfugiés qui estimaient qu'elle avait bénéficié d'une mveur.

Elle ajoutait qu'après le génocide, ene avait été sollicitée pour témoigner contre Wenceslas MUNYESHYAKA en l'accusant de viol mais elle avait refusé de le faire, ne souhaitant pas mentir.

INS'IRUcrIONl'i°,24WHIU, ORDONNANCEDENON·LUlU· PJilO ~2

Le frère et la soeur du témoin, Olivier UMUIDZI et Oda MUTAMBAYIRE étaient entendus et ne faisalent état d'aucune relation sexuelle entre Wenceslas MUNYESHYAKA et leur soeur Olive (D19925, D20525). Oda MUTAMBAYIRE confirmait qu'Olive UMUHIRB avait été évacuée l'hôtel des Mille Collines pour échapper l'iuterahamwe FURAHA.

D'autres déclarations évoquaient le fait que WenceslasMUNYESHYAKA avaitfacilité l'action des interahamwe ou des militaires qui venaient chercher des jeunes femmes réfugiées la paroisse de la Sainte Famille pour les violer.

Ainsi, Florida MUKANGIRA affirmait avoir été victime avec d'autres femmes de deux enlèvements dans la Sainte Famille, les deux suivis de viols et de meurtres de certaines femmes dont sa sœur (DI 7469, D20802). En fonction de ses déclarations -devant les enquêteurs du TPIR ou devant les gendarmes français-, les auteurs des faits étaient soit des militaires de la garde présidentielle, soit des interahamwe. Dans son audition par les gendal'fies français le 27 novembre 20 14, elle précisait que lors du premier enlèvement, au mois de mai, par des militaires, Weuceslas MUNYESHYAKA n'avait pas réagi, laissant faire. Par contre, le 25 juin 1994, celui-ci avait lu une liste d'environ une dizaine de femmes tutsi, dont elle-même et sa soeur, et elles avaient été conduites par des gardes présidentiels dans une maison de Kiyovu-Ies-riches pour y être violées (D20802/2).

Si certains réfugiés faisaient effectivement état d'enlèvement individuel de jeunes femmes, aucune autre déclaration ne mentionnait les scènes d'enlèvements collectifs de femmes par des militaires telles que décrites par Florida MUKANGIRA.

Les enquêteurs du TPIRprocédaient le20 janvier 1998 l'audition de BBH réfugiée auprès des soeurs Abizeramayia. Elle expliquait que le 16 juin, des miliciens qui s'étaient introduits dans la paroisse de la Sainte Famille, lui avaient demandé de les suivre; elle avait cherché à gagner du temps leur demandant de revenir le lendemain, le temps qu'elle rassemble ces affaires. Sa réponse avait provoqué un désaccord entre les miliciens se soldant par un tir. Alertés, les gendarmes avaient fait partir ces derniers. La témoin avait été par la suite appelée dans le bureau de Wenceslas MUNYESHYAKA qui lui avaitreproché d'être l'origine de troubles, en refusant de suivre les interahamwe (DI 7506). BBHne pouvait être réentendue par les gendarmes frauçais car elle n'était pas localisée (D20361).

Josépha UMWANGAVU lors de sa dernière audition du 6 mai 2014, indiquait qu'un soir Wenceslas MUNYESHYAKA était venu chercher Denise UMWALI dans l'église. Lorsque cette dernière était revenue, elle leur avait confié en pleurant avoir été violée par les miliciens sur accord de Wenceslas MUNYESHY AKA (D20587/2).

Denise UMWALI était auditionnée par les gendarmes français (D20618). Elle confirmait effectivement avoir été réfugiée la paroisse de la Sainte Famille pal1ir du 22 avril 1994 et en être partie par le deuxième convoi d'évacuation organisée par la MINUAR, soit avant la grande attaque du 17 juin.

ConcernantI'attitude de Wenceslas MUNYESHY AKA, elle disaitIa chose suivante, notamment au regard de son armement urje pensais ]qu 'il était du côté des tueurs. En journée, je me cachais constamment. Les militaires voulaient m'emmener. Je ne sais pas pourquoi. Voulaient-ils une femme ? Me tuer? Je ne sais pas. En tout cas, je me faisais discrète en

journée. Maisje ne me cachaispas awcyewc de ['abbé Wenceslas. Pour moi, l'abbé Wenceslas

n'étaitpas une menace",

Elle contestait les propos de Josépha UMWANGAVU, indiquant qu'elle n'avait jamais été· sélectionnée par Wenceslas MUNYESHY AKA, qu'elle n'avait jamais été violée et qu'elle n'avait jamais tenu de tels propos Josépha UMWANGAVU (D20618/6).

rNSTRUCT10NN" .24151n/11. ORDONNANCS DU NON·L.IEU· p.go 63

Dans le cadre d'une commission rogatoire internationale adressée aux autorités belges, était entendue, le 12juin 2011, Gaudelive RUSAKIZA, à la demande des conseils du mis en examen. Cette femme tutsi qui avait perdu son mari, ses parents, des frères et sœurs lors des événements de 1994, expliquait qu'après le génocide, elle avait été approchée par les services de renseignements rwandais pour témoigner contre Wenceslas MUNYESHYAKA en prétendant avoir été violée par celui-ci, mais elle avait refusé (D238116 à 18).

Wenceslas MUNYESHYAKA niait avoir entretenu des relations sexuelles avec des réfugiées en échange de sa protection, affirmant avoir toujours respecté son vœu de chasteté (D91/7). l i s'agissait selon lui de rumeurs (D3160). li ajoutait que le viol faisait partie des fausses accusations très régulièrement utilisées pour obtenir facilement des condamnations au Rwanda (D20312/12).

Une confrontation était organisée entre Wenceslas MUNYESHYAKA et BFZ (D20734). Celle-ci maintenait ses accnsations à l'encontre de Wenceslas MUNYESHYAKA qu'eIle reconnaissait via l'écran du dispositif de visio-conférence. Elle confirmait que cette relation sexuelle avait eu lieu dans uue chambre mais n'arrivait pas à la situer précisément.
Le mis en examen ne reconnaissait pas la témoin et contestait avoir eu une relation sexuelle avec elle. Il affi.mait que cette dernière mentait, arguant qu'elle donnait une description erronée des lieux, se trompant notamment sur la couleur de porte des chambres (D20734/S).

Olive UMUHIRE était de nouveau entendue en présence de BFZ et de Wenceslas MUNYESHYAKA, via le système de vidéo-conférence (D2073S). BFZ et Olive UMUlllRE alias NYIRASOMBE ne se reconnaissaient pas, BFZ précisant n'avoir vu NYIRASOMBE qu'une fois et ne lui avoir jamais parlé. Olive UMUIDRE indiquait, de nouveau, avoir quitté la paroisse Sainte Famille pour l'hôtel des Mille Collines bien avant le raid du FPR sur le centre Saint Paul mais BFZ maintenait sa version, sans pouvoir se souvenir des dates.

BFZ confirmait avoir appris ce que subissait Olive, par la dénommée Blandine bien qu'Olive UMUHIRE réaffirmait ne pas avoir subi de viol de la part de l'abbé Wenceslas MUNYESHYAKA. De même, elle n'avait jamais été au courant de relations sexuelles entre celui-ci et des jeunes femmes réfugiées.

Olive UMUHIRE se souvenait effectivementqu 'une dénommée Blandine était réfugiée en même temps qu'elle la paroisse de la Sainte Famille. Grâce aux coordonnées qu'elle fournissait, Blandine NYIRANSHUTI faisait l'objet d'une audition par les gendarmes français, le 26 novembre 2014. Elle relatait effectivement s'être réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille à compter du 10 avril 1994 ; elle reconnaissait qu'Olive UMUIDRE s'y trouvait aussi mais elle ne se souvenait de personne du nom de BFZ. Elle n'avait pas été victime d'agression sexuelle de la part de Wenceslas MUNYESHYAKA et ne connaissait personne qui l'avait été; par contre, elle était au courant des rumeurs sur la relation entre Wenceslas MUNYESHYAKA et Olive UMUHIRE, rumeurs nées à la suite du départ de cette dernière pour l'hôtel des Mille Collines (D20800).

Une expertise psychologique de BFZ avait lieu, par le biais de la vidéo-conférence. Selon l'expert psychiatre, BFZ ne présentait aucun trouble psychiatrique de nature influencer ses dires et ses capacités de fabulation ne paraissaient pas développées. Elle confiait l'expert que son propre mari n'était pas au courant des faits et qu'ainsi, révéler son viol comprenait pour elle plus de risque que de ne rien dire. L'expert expliquait que l'illettrisme de BFZ rendait difficile les repérages précis dans le temps et dans l'espace (D20743).

INSTRUCTIONN".24l5/WI1. ORDONNANCRDENON-LIIlU-JI<IBcM -

RéintelTOgé notamment au vu des conclusions de cette expertise, WenceslasMUNYESHYAKA contestait toujours avoir violé BFZ, doutant même de la présence de celle-ci à la Sainte Famille au vu de la confusion de ses déclarations (D20814/6).

**.

S ' i l était humainement compréhensible que des victimes de viol soient réticentes à révéler de tels faits à lajustice afin de préserver leur dignité et leur vie privée, les témoignages indirects faisant état de propos rapportés -dont il ne pouvait être exclu qu'ils soient issus de rumeurs- ne pouvaient se substituer à des plaintes des victimes elles-mêmes.

Au terme de l'information judiciaire, seuleBFZ maintenait avoir été victime des agissements de Wenceslas MUNYESHYAKA. Aucun autre témoignage de victime lui prêtant un rôle actifdans les crimes de viol subis, n'avait été recueilli, Denise UMWALI ayant démenti les propos de Josépha UMWANGA VU etBFY s'étant rétractée. Par ailleurs, Olive UMUHIRE que beaucoup désignaient comme "la maîtresse" de Wenceslas MUNYESHYAKA, avait toujours contesté avoir eu des relations sexuelles avec celui-ci.

Bien que la sincérité des déclarations de BFZ était soulignée par l'expert psychiatre au regard de l'émotion suscitée par l'évocation des faits et de son absence d'intérêt à mentir, ses accusations devaient être analysées de façon objective pour déterminer si elles constituaient des charges suffisantes pourrenvoyer Wenceslas MUNYESHYAKA des chefs de viol, caractérisant une atteinte grave à l'intégrité physique et psychique dans le cadre de l'infraction de génocide etun acte inhumain constitutif de crime contre l'humanité.

Or, force était de constater que, même en extrayant le témoignage de BFZ du contexte de rumeurs et de manipulations évoqué, ses déclarations, qui comportaient des variations importantes au gré de ses auditions successives, restaient isolées.

En effet, entendue en octobre 2014, BFZ donnait une chronologie différente des événements, indiquant être arrivée à la paroisse de la Sainte Famille après l'attaque du 17 juin mais tout en ayant été témoin d'une autre attaque. Lors de cette même audition, il était également difficile d'obtenir des détails sur le déroulement du viol. Cette confusion dans la chronologie, dans les lieux où elle logeait (église ou chambre) et la réticence à élaborer sur les faits pouvaient s'expliquer aisément par le temps écoulé depuis les événements, la personnalité de BFZ (son illettrisme) et le traumatisme vécu.

Toutefois, en ce qui concernait le déroulement des événements précédant et suivant son viol, la différence de version entre les deux auditions devant les enquêteurs du TPIR et celles devant le magistrat instructeur français, était de nature susciter de légitimes interrogations. Ainsi, BFZ devant le magistrat instructeur, afftrmaitn' avoir jamais assisté au viol de Nadine contrairement aux déclarations circonstanciées et réitérées faites en 2001 et 2004, elle contestait même avoir tenu de tels propos. De plus, alors qu'à ces dates, elle affl11Dait que ladite Nadine était morte lors de la grande attaque et qu'elle-même avait passé la nuit parmi les cadavres, elle ne mentionnait plus ce fait lors de l'instruction, indiquant ne se réfugier à la paroisse de la Sainte Famille qu'après cette attaque.

Par ailleurs, malgré les premières déclarations de BFZ devant les enquêteurs du TPIR mentionnant d'autres jeunes filles victimes de viols, soit NadinelBlandine et Olive alias NYIRASOMBE, aucune des deux -à supposer que Blandine NYIRANSHUTI soit la même personne que la prénommée Nadine ou Blandine visée par BFZ- ne confirmait avoir été victime de tels faits. Ces jeunes femmes, qui selon BFZ avaient été en contact avec elle, n'étaient pas non

!NSlllUCTIONN". 24151J2I12. ORDONNANCI! DENon.LIEU. Jl~ 65.

plus en mesure de confhmer la présence de BFZ, la paroisse de la Sainte Famille à la période considérée, celles-ci ne reconnaissant pas la témoin.

Ainsi, les déclarations de BFZ n'étant pas corroborées par d'autres témoins, les divergences entre ses auditions successives sur des points importants fragilisaient la force probante de celles-ci.

Dans ses conditions, le seul témoignage de BFZ ne saurait constituer une charge suffisante justifiant le renvoi de Wenceslas MUNYESHYAKA pour les fails dénoncés par celle-ci.

5-5- La dénonciation de réfngiés particulièrement recherchés par la milice interahamwe : les cas d'André KAMEYA, de Félicien MUTALlKANWA et de Jeanne de Chantal

MUGABUSHAKA UWAMARIY A

Le cas d'André Kameya.

Le 26 avril 2010, Olivier NYAMUSill KAMEYA se constituait partie civile (020583). Dans un courrier adressé le 4 septembre 2013 au magistrat instructeur, celui-ci expliquaitque sonpère André KAMEYA était un opposaot politique au régime du président HABYARIMANA et un journaliste rec01l1lu.

Après le 7 avril 1994, se sachaotrecherché, son père avait décidé de se cacher dans l'enceinte du journal catholique Kinyamatekajusqu'au 13 juin 1994, alors que la partie civile elle-même s'était réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille.

Le 14 juin 1994, son père était venu les rejoindre. Après une discussion entre eux, André KAMEYA envisageaitdeuxsolutionspoursasurvie,soitretourneraujournalKinyamateka,soit s'adresser il Wenceslas MUNYESHY AKA pour demander sa protection.
Le 16juin 1994, Olivier NYAMUSHI KAMEY A s'était rendu au point de rendez vous fIXé avec son
père; à cet endroit, il avait vu Aloys ZIRARUSHYA qui lui avait indiqué qu'André KAMEYA venait de le quitter pour aner voir Wenceslas MUNYESHYAKA.

Dans la même journée, il avait appris qu'Odette, la conseillère de secteur de Rugenge et le Préfet RENZAHO s'étaient vaotés auprès des réfugiés du centre Saint Paul d'avoir tué André KAMEY A.
OlivierNYAMUSillKAMEY A estimait que Wenceslas MUNYESHY AKA avaitjoué
Un rôle dans la mort de son père. li faisait état d'un témoignage que l'abbé avait donné à Reporters Sans Frontière sur cet épisode (D20328/4).

Jeao-François DUPAQUIER, dont la constitution de partie civile avait été déclarée irrecevable au regard de l'absence de préjudice directlié aux actes reprochés au mis en examen (D20, D63), était entendu comme témoin par le premier magistrat saisi, le 6 février 1996 (D77). Il expliquait qu'en tant que journaliste, il écrivait sur le Rwanda depuis une vingtaine d'années. Sans être présent au Rwanda d'avril à juillet 1994, il Yétait retourné au mois de septembre 1994 et en janvier-février 1995 et avait rédigé un rapport sur la mort desjoumalistes pendant le génocide. C'était cette occasion qu'il avait appris qu'André KAMEYA avait été tué sur dénonciation de Wenceslas MUNYESHYAKA.

Toutefois, dans une nouvelle audition en 2000, ses propos étaient plus nuancés puisqu'il indiquait que, bien qu'étant intimement convaincu de la responsabilité de Wenceslas MUNYESHYAKA dans la disparition d'André KAMEYA, il n'avait pu en obtenir la preuve, malgré ses investigations approfondies. Il invoquait ainsi comme témoin à décharge Aloys ZIRARUSHYA, témoin oculaire de l'arrestation de KAMEYA, selon lequel Wenceslas MUNYESHYAKA auraittenté de protéger André KAMEY A (D451).

INSTIUCTIONN" •14l5Jn1U • ORDONNANCE DENON·LlEU. pD.J:o 66 •

Auditionné le 29 septembre 2014, Aloys ZIRARUSHYA ne confirmait pas cette version mais plutôt celle du fils d'André KAMEYA (D20680). Il relatait que ce dernier avait quitté sa cachette au journal Kinyamateka pour les rejoindre la paroisse de la Sainte Famille. Il avait décidé d'aller voir Wenceslas MUNYESHYAKA pour qu'il l'emmène l'hôtel des Mille Collines. Le témoin ne l'avait plus revu par la suite, ayant été évacué mais il avait appris par la suite qu'il avait été tué.

De façon surprenante, contrairement aux propos qu'il aurait tenus à Jean-François DUPAQUIER, Aloys ZIRARUSHYA ne pensait nullement que Wenceslas MUNYESHYAKA avait protégé André KAMEY A mais, l'inverse, qu'il avait livré aux tueurs bien qu'il n'ait pas assisté à cette scène.

Différents documents faisaieut état de la mort d'André KAMEYA mentionnant des lieux différents quant à sa découverte, soit le bureau du journal Kinyamateka d'après le rapport du CLADHO (D8506-D8753) -bureau proche de Saint Paul et de la Sainte Famille tel que cela figure sur le plan en DI0465-, soit le centre Saint Paul d'après l'acte d'accusation du TPlR contre Wenceslas MUNYESHYAKA (D5626).

La mort d'André KAMEYA avait fait l'objet d'un examen dans le cadre du jugement de Tharcisse RENZAHO devant le TPIR (D20241/80 à 83). Le seul témoin, un interahamwe ayant participé à l'arrestation de celui-ci au sein de l'église de la Sainte Famille, affirmait que le nom de KAMEY A figurait sur un document signé de Thareisse RENZAHO, document qui se trouvait dans les mains d'Odette NYlRABAGENZI, mais lui-même n'avait pas participé au meurtre de KAMEYA. Au regard des éléments soumis, les juges du TPlR considéraient qu'il n'était pas établi que Tbarcisse RENZAHO ait donné l'ordre de tuer André KAMEYA dont le caractère flou des circonstances entourant sa mort était souligné (D20241/83).

Dans ses auditions devant les enquêteurs du TPIR en 2006, Hussein RONGORONGO, dont le témoignage avait été utilisé dans le procèsRENZAHO, afflffilaitque l'enlèvementdujournaliste André KAMEYA avait eu lieu à l'église de la Sainte Famille et qu'il avait été sorti de l'église pour être conduit dans le véhicule d'Odette NYIRABAGENZI qui l'attendait à l'extérieur. Bien qu'il désignait de façon générale Wenceslas MUNYESHYAKA comme collaborant avec Tharcisse RENZAHO, Une mentionnait pas le rôle de celui-ci dans cet épisode (D17814, 017817, D17818).

Par contre, dans son audition devant les gendannes français en 2011, il disait avoir appris d'Angéliue que Wenceslas MUNYESHYAKA avait dénoncé André KAMEYA (D20048). Lors de sa confrontation avec Wenceslas MUNYESHYAKA en 2013, il donnait la version suivante: il indiquait qu'alors qu'il se trouvait avec d'autres interabamwe chez Angéline, Odette les avait informés avoir appris de Wenceslas MUNYESHYAKA que André KAMEYA se trouvait à la paroisse de la Sainte Famille, c'était dans ces conditions qu'ils étaient partis le chercher (D20388/20).

Le déroulement des faits précédant la découverte d'André KAMEYA variait de celui figurant dans les auditions de 2006 puisque dans ces dernières, c'était alors qu'il se trouvait à la paroisse de la Sainte Famille qu'un interahamwe prénommé Michel avait brandi une photographie de KAMEYA en demandant à tous de le chercher (Dl7818).

Les déclarations de Wenceslas MUNYESHYAKA concernant André KAMEYA comportaient également d'importantes variations.
Lors de la confrontation
aVeC HusseinRONGORONGO, il contestait qu' AndréKAMEY A avait été réfugié à la paroisse de la Sainte Famille, précisant notamment qu'un certain Daniel NTAMBARA avait reconnu avoir tué André KAMEYA, tel que cela figurait dans le jugement du 24 octobre 2003 du Tribunal de Kigali (D20347/238 et 240).

rNSTRUCTlONN" .1415/12/12. ORDONNANCIi DR NON·LlI!lJ. pDB~ 67

Interrogé plus précisément sur Ce qu'il savait du SOlt subi par André KAMEYA lors de l'interrogatoire récapitulatifdu 15 septembre 20 14, il expliquaitqu'uue uuit, il avait enteudu des cris la porte de ln paroisse; n euteudait des gens crier "c'est KAMEYA" et dire qu'on l'emmenait chez la conseillère Odette. AJors qu'il essayait d'en savoir plus, deux personnes J'avaient repoussé et il était retourné dans la paroisse (D20664115 et 16).

Postérieurement à cet interrogatoire, était joint à la procédure, le rapport de Reporter sans frontière; "Rwanda,: l'impasse? La liberté de [apresse apl'ès le génocide du 4juillet au 28 aoOt 1995" établi par Henri DEGUINE. Ce rapport dénouçaituotamment les atteintes portées à la liberté de la presse et l'emprisouuemeut de journalistes ou d'employés de presse. Ainsi, il étaitfait état de l'arrestation en février 1995 d'Alhanasie UWAMARIYA, secrétaire dujournal Kinayamateka, Olivier KAMEYA l'accusant d'avoir révélé aux interahamwe la cachette où Se trouvai t son père.

C'est dans CeS conditions que le journaliste avait recueilli le témoignage de Wenceslas MUNYESHYAKA relatant qu'André KAMEY A se serait réfugié à la paroisse de Saint Paul et aurait péri alors que l'abbé cherchait comment l'aider à fuir -WenceslasMUNYESHYAKA était par erreur dans Ce document désigné comme prêtre de la paroisse SaintPaul-.

Dans ce témoignage, Wenceslas MUNYESHYAKA relatait qu'un soir, les gendarmes avaient surpris un homme porteur d'une grenade et de deux cartes d'identité. Une fois qu'ils l'avaient identifié comme étant André KAMEYA, ils avaient souhaité le tuer. Wenceslas avait tenté de les en empêcher, aidé par "F". Ne pouvant le garder à la paroisse de la Sainte Famille car il était trop menacé et vu l'impossibilité en raison du couvre-feu de le conduire à l'hôtel des Mille Collines, ils avaient décidé de le conduire chez "K" dont il espérait qu'elle puisse l'aider ayant aidé d'autres gens à fuir. Mais an-ivé à Ce domicile, le journaliste avait été tué par les interahamwe (D20666/24).

Au vu de la différence entre cette version et son dernier interrogatoire, Wenceslas MUNYESHYAKA étaità noUVeau entendu (D20672). Il expliquait que la version douuée à RSF correspondait non pas à ce qu'il avait lui-même vu ou fait mais à Ce qu'il avait appris. Compte tenu de la situation qui régnait à l'époque de l'interview au Rwanda, il avait voulu "prendre des choses [sur lui], pour ne pas avoir de mort sur [la] conscience ".

Il maintenait qu'entendant du brouhaha l'extérieur, il était sorti et avait vu un attroupement de gens, miliciens et de gendarmes, il avaittenté de s'interposer mais avait reçu des menaces. C'est alors que le sous-lieutenant SEKAMANA - le dénommé F -était intervenu et avait proposé comme solution d'emmener André KAMEYA chez Odette NYIRABAGENZl, autorité civile- la dénommée K-. Wenceslas MUNYESHYAKA s'était alors retiré et avait ensuite appris de SEKAMANA Ce qu'il s'était passé chez Odette.

n ajoutait que le comportement d'Odette NYIRABAGENZI, malgré son engagement au sein de la milice, pouvait permettre d'espérer quant au sort d'André KAMEYA car celle-ci avait elle-même sauvé certaines personnalités en les emmenant à l'hôtel des Mille Collines.

Henri DEGUINE,journaliste et auteur du rapport de Reporters Sans Frontière, entendu à deux reprises confIrmait être l'auteur de Ce rappOltet expliquait avoir mené une autre enquête en 1995 sur la désinformation au Rwanda, en prenant le cas de l'abbé SIBOMANA. Selon lui, des campagnes de presse avaient été délibérément montées contre l'église catholique au Rwanda, via notamment des organisations comme AfricanRights dont les accusations avaient été reprises par le magazine Golias. C'était dans ce cadre qu'il avait été en coutact avec Wenceslas MUNYESHY AKA mais lui-même u ' avait pas enquêté sur son cas (D4027 à D4029).

Il ne gardait aucun souvenir de l'interview qu'il avait eU avec Wenceslas MUNYESHYAKA sur André KAMEYA et n'avait conservé aucune archive (D20782).

INSTRUCTION N° .142SJllll1: • ORDONNANCEDBNON·LIEU-p~ 6&·

Etaient obtenues des copies des jugements de condamnation d'Odette NYIRABAGENZI (020690 D20707). TI apparaissait dans l'un de ces jugements qu'elle avait été condamnée in absentia -étant en exil- pour le menrtre d'André KAMEYA avec comme co-auteur Cassien KARAMUKA (020698/2).

Celui-ci, entendu par le magistrat instructeur en novembre 2014, admettait effectivement avoir été condamné pour avoir tué André KAMEYA mais ne reconnaissait pas sa culpabilité. Il indiquait que le journaliste avait été tué par les policiers municipaux qui escortaient Odette NYIRABAGENZI près du domicile de cette dernière, lui-même n'avait pas assisté à son meurtre mais il l'avait appris dès le lendemain (020783).

Malgré des recherches, le jugement de condamnation de OanielNT AMBARAn'était pas obtenu des autorités rwandaises mais était fourni par Wenceslas MUNYESHYAKA dont les conversations téléphoniques faisant l'objet d'une surveillance divulguaient qu'i! était en possession d'une copie de ce document (020810, D20815, D20823 020824).

L'exploitation du jugement du Tribunal de première instance de Kigali en date du 2 décembre 2002 révélait que seul Daniel NTAMBARA avait été condamné pour ce meurtre, Cassien KARAMUKA ayant été acquitté mais condamné pour association de malfaiteurs (D20284/19). Daniel NTAMBARA assidûment recherché pour être entendu n'était pas retrouvé (020677, D20831). Toutefois, il ressortait du jugement que celui-ci s'était rétracté, indiquant que ces aveux lui avait été extorqué sous la menace.

D'autres condamnés dans le cadre de cejugement étaient entendus par les gendarmes français (Wenceslas RUTAGANlRA 020795, Alphone GASANA 020845, Oenis NlRAGIRE alias GOYOGOYI 020839, John SHUMBUSHO D20840, Oadu BISANUKURl 02084, Jean NTAHORUGIYE 020842, Alphonse GASANA 020845). Mais ces derniers n'apportaient pas d'éléments sur les circonstances de la mort de KAMEY A; ils ne se souvenaient pas que le nom de Wenceslas MUNYESHYAKA ait été évoqué lors du procès notamment dans la mort de ce dernier.

Dominique RURANGIRWA, qui était cité dans la procédure rwandaise conduite contre Wenceslas MUNYESHYAKA, comme un témoin accusant ce dernier d'avoir dénoncé André KAMEYA à Odette NYIRABAGENZI (020550/3), ne confirmait pas cet élément devant les gendarmes français (020837). Il indiquait qu'à cette période, il était caché au centre Saint Paul et n'avait donc été témoin ni de la capture d'André KAMEYA, ni de son meurtre, il avait juste eu des soupçons sur Wenceslas MUNYESHYAKA qui, en tant que responsable de la paroisse de la Sainte Famille, devait, à son avis, connaître la cachette du journaliste (020837/2).

Laetitia UMUHOZA KAMEYA, flUe du défunt, était auditionnée le 26 novembre 2014; eUe ne pouvait fournir aucune infotmation sur les circonstances de la mort de son père, ayant à ce moment là, déjà été évacuée sur Kabuga (020801). Elle précisait avoir demandé de l'aide à deux reprises Wenceslas MUNYESHYAKA pour pouvoir se réfugier à la paroisse de la Sainte Famille alors que sa famille -à l'exception de son père- était cachée chez les sœurs de Calcutta. La première fois, il avait refusé puis, après la malt de sa mère et de sa sœur, il avait accepté de les accueillir à la paroisse de la Sainte Famille et leur avait envoyé deux gendarmes pour les y conduire. Elle-même ainsi que ses deux sœurs et un frère avaient ainsi été abrités chez les soeurs Abizeramariya. Elle avait retrouvé sur le site de la Sainte Famille son grand frère Olivier. Par la suite, elle avait sollicité Wenceslas MUNYESHYAKA pour qu'il les aide à figurer sur les listes d'évacuation de la MINUAR ; après avoir dans un premier temps répondu que les gens étaient enregistrés dans l'ordre alphabétique, il avait réussi à faire figurer leur nom sur les listes et ils avaient pu être évacués vers Kabuga. Seul son frère Olivier était resté car il ne voulait pas

IHSIRUcnON N" .142511211l.

ORDONNANCE DE NON-LlEU- page 69 -

partir sans leur père.

L'ancien caporal de gendarmerie, FélicienKAREKEZl se souvenait avoir été cherché les enfants d'André KAMEYA pour les ramener à la paroisse de la Sainte Famille, par contre selon lui, ce dernier lui-même n'avait jamais été réfugié la paroisse de la Sainte Famille. Un jour, il avait vu Wenceslas MUNYESHYAKA discuter avec des miliciens et une personne dont les mil iciens affIrmaient qu'il s'agissait d'André KAMEYA. Cette personne contestait être KAMEYA, afflfillant être un déplacé de BYUMBA logeant à l'extérieur de la paroisse. Le lieutenant SEKAMANA et le témoin lui-même étaient allés voir lesdits déplacés qui leur avaient confirmé que la personne arrêtée faisait bien partie de leur groupe (020856/10).

Comme déjà indiqué, le lieutenant SEKAMANA, non localisé, ne pouvait être entendu.

Le cas de Félicien MUTALIKANWA.

En parallèle du cas d'André KAMEYA, une autre hypothèse de dénonciation auprès d'Odette NY ARAGABENZl par Wenceslas MUNYESHYAKA de réfugiés particulièrement recherchés, était évoquée par certains témoins: celle de Félicien MUTALIKANWA.

Parmi les témoignages fournis lors de la plainte initiale, celui de Charles KAGARAMA mentionnait la situation de l'avocat MUTAREKANWA enfermé dans une chambre de la paroisse de la Sainte Famille par l'abbé, qui avait téléphoné à Odette NYIRABAGENZl pour qu'elle vienne le chercher mais l'avocat avait sollicité l'aide du major CYTAZA qui l'avait conduit à l'hôtel des Mille Collines (D3, annexe 2A).

Interrogé sur cette attestation, le 1" août 1995, Wenceslas MUNYESHYAKA reconnaissait effectivement avoir installé l'avocat Félicien MUTALIKANWA dans une chambre pour le protéger, ce dernier étant recherché comme militant pro-FPR; i l invitait le magistrat à recueillir son témoignage, ce dernier étant toujours vivant (D23/4). Convaincu d'avoit' bien agi à son égard, il reprenait d'ailleurs cet argument dans une lettre ouverle adressée au président

KAGAME en juin 2006 (020358/3).

Lors d'une audition devant le Parquet général de Kigali, le 28 mai 2002, Jeanne MUTAMULlZA, réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille, relatait en toute fm d'audition avoir, le soir de l'arrivée de MUTALlKANWA, entendu le père Wenceslas MUNYESHYAKA téléphoner la conseillère Odette pour qu'elle envoie des interahamwe tuer MUTALIKANW A. Elle précisait que deux de ses fi"ères qui étaient cachés chez Odette avaient également assisté à cette conversation (D3894).

Son frère Jean de la Croix IDAMBASI était entendu, quant à lui, le 28 juin 2006 par l'auditorat militaire. Il confirmait effectivement avoir entendu Odette parler au téléphone, et celle-ci leur avait dit, à l'issue, que l'appel provenait de Wenceslas MUNYESHYAKA l'avetiissant qu'il lui avait trouvé "un inyenzi de renon~ Félicien MUTALIKANKA ". Mais elle lui avait répondu qu'elle ne pouvait envoyer les interahamwe à cette heure car ils risquaient de tuer les enfants et les vieilles femmes, ce qu'elle ne souhaitait pas (D20l59).

Félicien MUT ALIKANW A(D20167), entendu par les gendarmes 1.25 janvier2012, n'apportait pas le témoignage décharge espéré par Wenceslas MUNYESHYAKA. A l'inverse, il déclarait que l'abbé Wenceslas MUNYESHYAKA l'avait informé qu'il ne pouvait le garder à la Sainte Famille et qu'il allait le confier aux autorités. Dans le même temps, sa sœur et d'autres réfugiés lui avaient appris que Wenceslas MUNYESHYAKA avait téléphoné à Odette pour l'informer de sa présence. Il expliquait avoir été enfermé dans une pièce par les gendarmes la demande de Wenceslas MUNYESHYAKA. Dans la nuit, sa sœur avait réussi convaincre des gendarmes

mSTRUCTION N" .l4lSfl1JU. ORDONNIINCE DI! NON·LŒU+ paga 10·

de l'évacuer avant l'arrivée d'Odette mais ce plan avait échoué car Wenceslas MUNYESHYAKA avait prévenu le préfet et l'Etat Major. Au petit matin, Félicien MUTALIKANWA avait été conduit par les gendarmes auprès du major RWAGAKINKA qui l'avait emmené l'hôtel des Mille Collines. Parmi les personnes susceptibles d'avoir entendu la conversation téléphoniqueenb'e WenceslasMUNYESHYAKA et Odette NYIRAGABENZI, il citait Bernadette KANZA YIRE, l'épouse de Bonaventure NIYIBIZI et Gilbert MISTER.

François-Xavier NSANZUWERA, ancien procureur de Kigali réfugié l'hôtel des Mille Collines à l'époque des faits, se souvenait, dans son audition par les policiers belges le 14 décembre 2000, avoir rencontré le Major Laurent RWAGAKINGA à cet hôtel qui lui avait raconté qu'il venait d'y escorter Félicien MUTALIKANWA et ce, la demande de Wenceslas MUNYESHYAKA (DI 87).

Wenceslas MUNYESHYAKA contestait la version des faits de Félicien MUTALIKANWA (D20664114).1I expliquait que ce dernier s'était tout d'abord réfugié chez les sœurs de Calcutta, la soeur Suzanne avait sollicité son aide car compte tenu de la personnalité de cet avocat, très recherché et médiatisé, les sœurs ne pouvaient le protéger. Il avait donc demandé aux gendarmes d'aIler le chercher et ils l'avaient installé dans une pièce fermant avec une pOtte métalliq ne, non accessible à la population. La nuit même, il avait sollicité l'Etat Major, dans son souvenir Paul RWARAKABIJE lui-même, pour obtenir une escorte de façon à l'évacuer à l'hôtel des Mille Collines, et c'était ce qui avait été fait.

Sur l'existence d'une conversation téléphonique entre Wenceslas MUNYESHYAKA et Odette NYIRAGABENZI à propos de la présence à la Sainte Famille de Félicien MUTALlKANWA, seul Jean de la CroixIBAMBASI, réentendu par les gendarmes le 12 novembre 2014, maintenait avoir entendu cette conversation alors qu'il était caché chez Odette NYlRABAGENZI (D20796). Son frère, Gilbert MISTERIMISTA se souvenait que Jean de la Croix et un dénommé Etienne, réfugié chez Odette avec eux, lui avaient raconté avoir entendu une conversation téléphonique entre Odette et l'abbé Wenceslas MUNYESHYAKA propos de Félicien MUTALIKANWA mais lui-même n'avait pas entendu cette conversation car il donnait (D20844).

Etienne SlBOMANA confirmait qu'il était à compter du 10 avril 1994, caché chez Odette NYIRABAGENZI avec Jean de la Croix IBAMBASI et Gilbelt MISTA. Toutefois, il ne se souvenait pas d'une conversation téléphonique d'Odette à propos de Félicien MUT ALlKANW A et il précisait que d'après lui, la ligne téléphonique avait été coupée trois jours après leur arrivée (D20843).

Interrogé également snI' ce qui avait pu arriver à André KAMEYA, ces personnes réfugiées chez Odette NYIRABAGENZl n'apportait aucun élément. Seul, Etienne SIBOMANA avait entendu une nuit de l'agitation et KAMEYA s'exclamer "NYIRABAGENZI, pourquoi veux tu ma mort ? .. (D20843/4). .

Parmi les personnes qui étaient réfugiées à la paroisse de la Sainte Famille, Bernadette KANZAYIRE contestait avoir assisté à un quelconque échange téléphonique entre Wenceslas MUNYESHYAKA et Odette NYIRABAGENZI à propos de Félicien MUTALlKANWA (D20847).

L'épouse de Bonaventure NYIBIZI, Julie UWAMWlZA se souvenait avoir entendu Wenceslas MUNYESHYAKA s'adresser à quelqu'un au téléphone pour lui dire que "l'inyenzi Félicien MUTAJUKANWA élait là" mais elle ne pouvait affirmer que son l'interlocuteur était Odette (D20794).

INSTRUCTION N" .lUS/IVI ~. ORDONNANŒDENON-LIHU- paga 71-

Réentendue, par la police belge agissant sur commission rogatoire internationale, Jeanne (M)UTAMULIZA se souvenait que le soir de l'arrivée de MUTALIKANWA, celui-ci s'était fait frappé par les réfugiés hutu de la Sainte Famille. Le témoin avait vu la sœur de ce dernier Francaise MOTI pleurer et elle lui avait conseillé d'aller voir MUNYESHYAKA pour empêcher que son frère Ile soit tué. A son retour, Françoise MOTI lui avait dit avoir vu Wenceslas MUNYESHYAKA au téléphone et craindre que celui-ci n'appelle la conseillère ou le bourgmestre pour les faire tuer mais la témoin l'avait rassurée. Elle avait vu Wenceslas MUNYESHY AKA faire appel aux gendarmes pour qu'ils emmèneut Félicien MUTALIKANWA, et ils l'avaient enfermé dans une pièce qui servait de stock, située dans le bâtiment, au rez-de-chaussée, en dessous de l'étage des chambres des prêtres. Dès le lendemain, Félicien MUTALIKANWA avait été évacué sur l'hôtel des Mille Collines.

Elle affIrmait ne pas avoir assisté à la conversation téléphonique évoquée et expliquait que lors de son audition au Parquet général, son audition avait été corrigée, pour supprimer les fautes d'orthographe, par quelqu'un du personnel et qu'elle-même avait signé sans relire l'exemplaire imprimé.

Par demande d'acte en date du 21 novembre 2014, le conseil de Wenceslas MUNYESHYAKA sollicitait l'audition du major Laurent RWAGAKINGA dont il communiquait Ullnuméro de téléphone en Zambie (D20807).
Contacté, Laurent RWAGAKINGA alias NIYONKURU faisait parvenir une attestation dans laquelle
il expliquait que sur ordre du colonel Paul RWARAKABlJE, G3 de l'Etat Major de la gendarmerie, il avait conduit l'avocat Félicien MUTARIKANWA de la paroisse de la Sainte Famille à l'hôtel des Mille Collines. Le rôle de Wenceslas MUNYESHYAKA avait été de l'aider à le localiser à l'intérieur de la paroisse (D20809).

Paul RWARAKABlJE ne se souvenait pas de cet épisode en particulier mais indiquait qu'il était arrivé àcette période que Wenceslas MUNYESHYAKA sollicite des interventions pour secourir des gens (D20838).

Marie-Céline LEGENDRE, alias sœur Suzanne conftrmait que cet avocat important avait été évacué sous escorte de la Charité à la Saiute Famille par Wenceslas MUNYESHYAKA (04924).

Félicien KAREKEZI relatait également comment Félicien MUTALIKANWA, considéré à l'époque comme un proche du FPR, était arrivé à la paroisse de la Sainte Famille, c'était lui-même qni était allé le chercher chez les sœurs de la Charité pour le ramener la paroisse. Comme sa présence à la Sainte Famille avait été connue des autres réfugiés, Wenceslas MUNYESHYAKA l'avait mis dans une pièce à part et il avait été ensuite évacué à l'hôtel des Mille Collines. Félicien KAREKEZI ajoutait qu'il avait appris par la suite que cette évacuation était due l'intervention de Wenceslas MUNYESHYAKA mais lui-même n'avait pas assisté à celle-ci (D20856/11).

Le cas de Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA,

Parmi les personnes s'estimant menacées par Wenceslas MUNYESHYAKA, figurait la partie civile Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA(D28, Dl9/27, 020262, D492 0498, Dl906, D17155, 019355,020520, D20683).

Il ressortait de ces nombreuses dépositions qu'elle avait été réfugiée à la paroisse de la Sainte Famille du 28 avril au 18 mai 1994. Elle expliquait qu'elle était recherchée par la milice en raison notamment de ses visites dans les zones contrôlées par le FPR; elle s'était d'a bord cachée au Centre Hospitalier de Kigali puis elle avait cherché àjoindre la paroisse de la Sainte Famille

INSTRUCTION Wo .2.(15/12/11. ORDONNANCB DHNON·UElJ. page n_

car c'était un lieu qui concentrait beaucoup de réfugiés et où "il y avait les moyens de survivre même si c'était incertain ".
Elle indiquait avoir été interrogée par Wenceslas MUNYESHY AKAsur le lieu où se trouvaient ses parents. Une autre fois, celui-ci, furieux, lui avait dit qu'il avait entendu la voix de son père à la radio Muhabura, et il l'avait questionné sur sa qualité de membre du FPR ce qu'elle avait contesté. il lui avait également demandé si elle pensait que les "inkotanyi" allaient gagner la guerre ce à quoi elle avait répondu oui. Wenceslas MUNYESHYAKA avait été taché par cette

réponse et son attitude à son égard avait, par la suite, changé.
Devant les enquêteurs du TPIR le 9 janvier 1998, elle expliquait qu'à la suite de sa réponse sur la victoire
du FPR, Wenceslas MUNYESHYAKA l'avait menacée en disant que, dans ces conditions, elle ne devait pas survivre (D17160). Dans son audition devant l'auditorat militaire de Kigali, les paroles prononcées par Wenceslas MUNYESHYAKA avaient un tout autre sens puisque ce dernier aurait dit "Si les Inkotanyi gagnent, nous mourrons" (D20520/4).
Grâce à l'intervention d'un de ses anciens collègues du PNUD, ene avait pu être évacuée à l'hôtel des Mille Collines (D17161).

Lors de son audition devant le magistrat instructeur le 29 septembre 2014, elle maintenait que Wenceslas MUNYESHYAKA lui posait des questions sur le FPR et qu'il lui interdisait sur un ton agressif d'avoir des contacts avec l'extérieur, notamment la MINUAR (D20683).
Elle indiquait qu'effectivement, quand elle lui avait dit qu'elle était confiante quant à la victoire du FPR, celui-cilui avait répondu que le FPR n'allait pas gagner la guerre et que
"si le FPR

gagnai~ ce serait notre mort tous ", signifiant par là sa crainte que les membres du FPR massacrent la population en cas de victoire.
Elle confirmait également être jmrtie car on lui avait dit que son nom était sur la liste de gens qui devaient être tués quelques jours plus tard. Son dépalt avait été organisé par Grégory Alex Gromo, ancien collègue
du PNUD -décédé depuis-, qui avait négocié avec les militaires. Wenceslas MUNYESHYAKA était venu la prévenir qu'un arrangement avait été fait pour qu'elle puisse partir à l'hôtel des Mille Collines mais elle-même avait refusé de partir seule souhaitant qu'un groupe de réfugiés partent avec elle. Laurent MUNYAKAZI avait indiqué qu'un trop grand groupe risquait d'attirer l'attention et de rendre l'évacuation trop dangereuse. Elle avait donc proposé qu'un premier groupe parte et qu'un second parte le lendemain, c'est ce qui avait été fait. Elle était donc restée et avait rejoint l'hôtel des Mille Collines le lendemain. Si elle concédait ainsi que Wenceslas MUNYESHYAKA était intervenu dans son transfert pour l'hôtel des Mille Collines, elle affirmait que celui-ci avait voulu la faire revenir par la suite car elle figurait sur la liste des gens devant être tués lors de la grande attaque.

Face à l'auditionde VictorMUNYARUGERERO selon laquelle Wenceslas MUNYESHYAKA venait cacher les personnes les plus menacées à l'hôtel des Mille Collines dont la fille du Docteur MUGABUSHAKA (D20195/3), c'est à dire la partie civile, celle-ci affirmait à nouveau qu'elle avait été sauvée grâce à son ancien collègue et DOU l'initiative de Wenceslas MUNYESHY AKA.

Dès son premier interrogatoire le 1" août 1995, Wenceslas MUNYESHYAKA contestait le témoignage de cette dernière, indiquant au contraire l'avoi!' aidé fuir à l'hôtel des Mille Collines en faisant appel aux gendarmes (D23/4). il maintenait cette position par la suite, ajoutant ne l'avoir jamais menacée ni même interrogée (D20664/16).

Constantin GASANA ne pouvait être entendu car non localisé (D20677/2).

***

INSTRUCTIONN" .H2S11!1U. ORDONNANce DlillOU.LlliU.pap13.

Malgré des recherches approfondies, aucune des versions recueillies ce jour sur l'arrestation et la mort d'André KAMEY A était concordante et permettait d'établir avec un degré de précision suffisant les circonstances dans lesquelles ce dernier avait été découvert puis tué.
Seules les déclarations de Hussein RONGORONGO incriminaient Wenceslas

MUNYESHYAKA. Toutefois, d'une part, celles-ci variaient en fonction de la personne contre laquelle était diligentée la procédure dans le cadre de laquelle l'audition était recueillie (Tharcisse RENZAHO ou Wenceslas MUNYESHYAKA). Et d'autre part, au vu des multiples accusations portées par Hussein RONGORONGO contre diverses personnes, i l ne pouvait être exclu que ses accusations soient motivées par un intérêt personnel autre que l'unique volonté de participer à la manifestation de la vérité.

Aucun autre ex-milicien ou iuterahamwe, impliqué dans l'enlèvement suivi de la disparition d'André KAMEY A(ettrès vraisemblablement de son exécution) ne confirmait cette version des faits.

De même, la confusion des propres déclarations de Wenceslas MUNYESHYAKA ne pouvait suffire, à elle seule, pour considérer que ce dernier avait joué un rôle dans l'arrestation d'André KAMEYA, faute d'autres témoignages corroborant l'hypothèse livrée au journaliste de Reporters Saus Frontière, qui par ailleurs n'avait rien à voir avec celle de Hussein RONGORONGO.

Les récits de Félicien MUTALIKANWA et de Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALlYA, àlessupposerétablis, auraientpuvenirausupportde la thèse selon laquelle Wenceslas MUNYESHYAKA, sans même exposer l'ensemble des réfugiés tutsi, avait dénoncé quelques personnes considérées comme des complices du FPR, thèse se basant sur une dénonciation (celle de KAMEYA) ayant abouti et deux dénonciations avortées. Aussi plausible soit-elle au vu des opinions politiques affichées du prêtre, cette thèse se heurtait cependant à des écueils importants.

La limite majeure aux deux dépositions à charge de FélicienMUT ALIKANW A et de Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA résidait dans le fait même que ces personnes recherchées par la milice avaient finalement survécu, et que la participation de Wenceslas MUNYESHYAKA à cet heureux épilogne ne pouvait être exclue. En effet, ces deux personnes avaientfmalementpuêtreévacuéesversl'hôteldesMilleCollines, opérationeffectuéeparles gendarmes dans le cas de Félicien MUTALlKANWA et par les militaires dans le cas de Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA.

S'agissant de Félicien MUTALlKANWA, l'hypothèse de sa dénonciation par Wenceslas MUNYESHYAKA reposait uniquement sur l'interception d'une conversation téléphonique entre celui-ci et Odette NYIRABAGENZI.
Or cette conversation n'était directement, à ce jour, rapportée que par une seule personne, Jean de la Croix IBAMBASI présent au domicile d'Odette ainsi qu'indirectement par son frère qui avait recueilli ses propos.

L a propre sœur du témoin contestait finalement avoir assisté à cette conversation, exp liquant que l'origine de cette histoire était née de la crainte non fondée de la sœur de Félicien MUTALIKANWA qui avait vu l'abbé au téléphone.
Cette seule conversation incertaine quant
son existence et son contenu devait êtœ confrontée aux éléments à décharge tels que les témoignages de sœur Suzanne et de Félicien KAREKEZI. Selon ces derniers, c'était sur intervention de Wenceslas MUNYESHYAKA que Félicien MUTALlKANWA avait été extrait des sœurs de la Charité à la paroisse de la Sainle Famille pour être ensuite conduit, sur ordre de l'Etat Major, d'après Laurent R WAGAKINKA, à l'hôtel des Mille Collines.

Or rien ne permettait de contredire les déclarations de Wenceslas MUNYESHYAKA qui affirmait avoir fait appel l'Etal Major pour cette évacuation, d'autant plus que cela résultait

INSTRUCTION],!·. 24JSfl1/1l.

ORDONNANCB DE NON.LIEU- pD&074 •

également des propos de Félicien MUTALIKANWA lui-même, rapportant avoir appris des gendarmes que l'abbé avait contacté l'Etat Major après avoir cherché en vain àjoindre le préfet.

S'agissant de Jeanne de Chantal MUGABUSHAKA-MUJAWAMALIYA, les charges étaient encore plus faibles. A prut les déclarations de la partie civile faisant état de propos rapportés, auCun témoignage direct ne mentiOlmait que le nom de la partie civile figurait sur une liste de personnes tuer.

6 -Conclusion sur la responsabilité pénale de Wenceslas MUNYESHYAKA.

Analysejuridique liminaire

Avant de statuer sur la responsabilité individuelle de Wenceslas MUNYESHYAKA, il paraît utile de rappeler les textes sur lesquels se fonde l'analyse de cette responsabilité, en d'autres termes, de préciser le cadre juridique et la loi applicables aux faits reprochés.

La compétence des juridictions françaises pour poursuivre et juger les faits de la présente procédure repose sur la 10in'96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de lalégislation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'aulres violations graves au droit international bumanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda. Ce texte législatif est la réplique de la loi n'95-1 du 2 janvier 1995 portaut adaptation de la législation française à la résolution 827 instituant le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

Dans sa rédaction iaitiale, la loi dn 2janvier 1995 relative à la mise en oeuvre de la résolution 827 instituant le TPIY disposait en son article 1" que ses dispositions étaient "applicables toute personne poursuivie des chefs de crimes ou de délits définis par la loi française qui constituent" l'un des crimes relevant de la compétence du TPlY tels que définis par son statut. Lors de l'adoption de la loi du 22 mai 1996, cette formulation n ' a pas été conservée. Elle pouvait en effet laisser supposer que la coopération judiciaire avec le TPI était subordonnée à l'exigence d'une double incrimination (par le statut et par le dmit français) alors qu'à l'évidence, s'agissant de la répression internationale de violations graves du droit international humanitaire, nne telle condition n'apparaissait pas justifiable. Le deuxième alinéa de l'article 1" de la loi du 22 mai 1996 énonce donc désormais que les dispositions légales "sont applicables à toute personne

poursuivie à raison des actes qui constituent, au sens des articles 2 4 du statut du tribunal international, des infractions graves à 1 'article 3 commun aux conventions de Genève du 12 août 1949 et au protocole additionnel II aux dites conventions en date du 8juin 1977, un génocide ou des crimes contre l'humanité", supprimant ainsi la condition d'une incrimination de droit interne.

Toutefois, l'article 2 de la loi de 1995 auquel renvoie l'article 2 de la loi de 1996, dispose que : "[lJes auteurs ou complices des infractions mentionnées à l'article 1erpeuvent êtrepoursuivis etjugés par les juridictions françaises, ell application de la loifrallçaise, s'ils sont trouvés en Fr((l1ce ". Cette précision relative l'application de la loi française -qui n'existait pas dans la rédaction initiale de la loi de 1995- cantonne ainsi à la coopération judiciaire, la portée des dispositions de l'ruiicle 1" ayant supprimé l'exigence de double incrimination. Elle signifie que si l'incrimination des faits par la loi française ne peut être une condition de la coopération française avec le tribunal international, elle est en revanche nécessaire à lenr répression en

France par les juridictions françaises.

Au soutien de leurs observations, les associations FIDH et SURVIE, parties civiles à la présente procédure, ont produit un rapport du professeur de droitpnblic Mathias FORTEAU, développant

NSlR.UCTfONN° .l425/lVn. ORDONNANCEDBNON-L11iÙ'pD~ 1 5 .

une argumentation contraire, concluant à la primauté des qualifications pénales telles que définies par les articles 2 et 3 du statut du TPIR sur les infractions internes et donc à leur application par les juridictions françaises.

Toutefois, tes conclusions de ce rapport se heurte au principe de solidarité des compétences législative et juridictionnelle affirmé par la chambre criminelle de la Cour de Cassation (Crim 23 octobre 2002) qui a toujours exclu que lesjuridictions pénales françaises appliquent une autre loi pénale que la loi pénale française, y compris dans le cadre de poursuites sur le fondement de la compétence universelle.

Contrairement aux propositions du professeur FORTEAU selon lesquelles la peine prévue par la loi française pourrait s'appliquer aux incriminations définies par le statut, peine et incrimination ne peuvent être dissociées, la peine étantlégalement rattachée à un comportemeut précis qu'elle vise à sanctionner.

Ainsi, pour que les faits soient réprimés en France, il importe que soient réunis les éléments constitutifs d'une infraction prévue et réprimée par la loi française, seules étant alors applicables les peines prévues par cette loi.

Par ailleurs, l'application des incriminations résultant des articles 211 - 1 et 212-1 du code pénal pour des poursuites exercées en France, n'est pas contraire aux stipulations internationales de la résolution 955. En effet, cette résolution fait obligation aux Etats de coopérer pleinement avec le tribunal international et ne leur impose pas de juger eux-mêmes les actes entrant dans les prévisions du statut de ce tribunal. C'est la loi du 22 mai 1996, ainsi que cela résulte de son article 1", qui fixe, outre les conditions de coopération avec cette juridiction, celles de l'exercice de la répression en France.

Ainsi, aux termes de cette loi, la répression n'est possible en France, au titre de la compétence universelle reconnue aux juridictions françaises que dans la mesure où les faits entrent par ailleurs dans les prévisions des articles 2 ou 3 du statut du TPIRetqu 'ils revêtent donc, au regard de cette loi, la qualification de génocide ou de crime contre l'humanité. En conséquence, quelle que soit la qualification de l'infraction au regard du droit interne, il importe de s'assurer de la compétence des juridictions françaises en vérifiant que l'infraction matérielle a été commise dans les circonstances définies par le statut du TPIR, c'est à dire, soit la circonstance que l'auteur avait l'intention de détruire en tout ou partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux (crime de génocide), soit la circonstance que les faits avaient été connnis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique à l'encontre d'une population civile pour des motifs discriminatoires (crimes contre l'humanité).

Les faits de la présente affaire ayant déjà été soumis à l'examen du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, notamment dans le cadre de l'affaire RENZAHO et au vu des constats judiciaires établis par cette juridiction sur l'existence d'un génocide et de crimes contre l'humanitéperpétrésauRwandacontrelapopulationtutsi,iln'estpascontestablequelescrimes commis contre les réfugiés tutsi au CELA, au centre pastoral Saint Paul, et à la paroisse de la Sainte Famille, revêtent les qualifications de génocide et de crimes contre l 'humanité, tels que définis par le statut du TPlR.

li résulte donc de ce qui précède que les juridictions françaises sont bien compétentes pour connaître des faits du présent dossier connnis en 1994 au Rwanda, entrant dans les prévisions des article 2 et 3 du statut du TPIR, et susceptibles de constituer les infractions prévues et réprimées par la loi française sous les qualifications de génocide, crimes contre l'humanité et

INSTRUCTIONN", ~lVll. OkOONNANCI! O.RNON.UIiU. PII!:O1li .

participation à une entente formée en vue de la préparation de ces crimes.

De même que pour la définition des crimes, la loi française, en vigueur au moment des faits, s'applique aux modes de responsabilité pénale. Mais, s'agissant de crimes internationaux ayant donné lieu à une abondante jurisprudence de la part des tribunaux ad hoc, l'application de la loi française n'exclut pas que les juridictions françaises puissent s'inspirer de cette jurisprudence.

Dans le présent dossier, les accusations portées contre Wenceslas MUNYESHYAKA pouvaient s'analyser, selon les faits visés conune des actes de co-action (viols, actes inhumains, participation l'entente) ou comme des actes de complicité des crimes commis par les miliciens.

Analyse factuelle

La procédure diligentée contre Wenceslas MUNYESHYAKA reposait pour l'essentiel sur des témoignages, d'anciens réfugiés rescapés, de ses confrères ou consœurs, d'ancien membres des forces de sécurité, d'ex-autorités locales ou encore d'autres personnes telles que des journalistes ayant côtoyé ce dernier pendant les événements de 1994.

Wenceslas MUNYESHYAKA rejetait en bloc l'ensemble des témoignages à charge, arguant de manipulations. Il prenait soin de souligner les contradictions existantes dans ceux-ci pour prouver leur caractère mensonger, bien que ses propres déclarations n'étaient pas, elles-mêmes, exemptes de profondes variations.

A l'instar d'Hervé DEGUINE, journaliste RSF, certaines personnalités, dont deux anciens procureurs du Rwanda, attiraient l'attention sur le caractère emblématique de ce dossier dépassant le simple cadre judiciaire ainsi que sa très large couverture médiatique, susceptibles d'influer sur les déclarations (D4027, 020004, 0186, 0382).

Certes, la thèse globale et indiscriminée de Wenceslas MUNYESHYAKA selon laquelle ce contexte empêchait toute relation sincère des faits, ne pouvait qu'être rejetée mais la médiatisation de la présente procédure, à laquelle s'ajoutait le délai écoulé depuis les événements, obligeait à une analyse rigoureuse des témoignages. Ainsi, si certaines variatious dans les déclarations successives pouvaient être admises comme inhérentes au temps écoulé, à l'évolution et à la sélectivité de la mémoire, les dépositions affectées par trop de modifications ou d'invraisemblances, notamment sur le comportement du mis en cause, ne pouvaient être retenues;

Dans son réquisitoire définitif aux fins de non-lieu pour défaut de charges suffisantes, le procureur de la République estimait, au terme de son analyse, que les investigations n'avaient pas pennis de démontrer la participation active de Wenceslas MUNYESHYAKA dans les faits reprochés, que ce soit en qualité d'auteur principal ou de complice.

A l'inverse, les parties civiles, personnes physiques et associations CPCR ,FIDH et SURVIE, concluaient, par voie d'observations, à l'existence de charges suffisantes contre Wenceslas

MUNYESHYAKA supportant son renvoi devant la Cour d'assises de Paris.

Contrairement à ce qu'indiquent les parties civiles, le rôle des magistrats instructeurs n'est pas uniquement de recueillir et juxtaposer des témoignages et d'en laisser l'interprétation à la juridiction de jugement. Il leur appartient de procéder à leur analyse pour évaluer si, au vu des éléments à charge et décharge, il existe des charges suffisantes justifiant le renvoi de Wenceslas MUNYESHYAKA devant la Cour d'assises. Un examen attentif du contenu des

TNSTRUCfIONN" .142!1/12/J1. ORDONNANCEDBNON·LII!U· p!JlI71·

dépositions et leur recoupement aVec d'autres pièces du dossier, était donc nécessaire pour apprécier la valeur probante des multiples témoignages recueillis dans cette procédure.

Concernant les actes pour lesquels WenceslasMUNYESHYAKA était visé comme auteur direct, il résultait des observations précédemment développées que les accusations portantsur les viols, les dénonciations de réfugiés, les privations de nourriture ou de soins, n'étaient pas suffisamment étayées, quant à leur matérialité.

Les éléments rassemblés au cours de l'information judiciaire permettaient, à l'inverse, d'établir que des miliciens avaient eillevé et/ou tué un grand nombre de réfugiés tutsi au CELA, au centre Saint Paul et à la paroisse de la Sainte Famille et ce, avec l'encouragement ou l'aval des autorités, notamment du Préfet RENZAHO.

Le griefle plus fréquemment adressé par les réfugiés à Wenceslas MUNYESHYAKA était son absence de réaction lors de ces exactions. Celui-ci, n'ayant pas empêché les miliciens d'agir, était considéré aussi responsable qu'eux (D20300, D20206/S). Formulé autrement, il lui était reprochédenepasavoir "usédesoninfluencepoursauverdespersonnesendangerdemortqui étaient venues trouver refuge près de lui" (D20S20). Comme évoqué précédemment, lors des intrusions meurtrières des miliciens, peu de témoins rapportaient une contribution active du mis en examen, au delà de sa simple présence sur la scène de crime, l'elativement attendue dans la mesure où il était le gardien des lieux. Le plus grand nombre décrivait une attitude se limitant entamer une discussion avec les attaquants puis à disparaître abandonnant les réfugiés à leur sort ou à assister passivement aux faits. Le sentiment de la majorité des témoins était bien résumé par les propos d'Agnès MUNKANDUTIYE qui disait: "Bizarrement, l'abbé Wenceslas était souvent absent au moment des allaques" (D20IS317), ou ceux de Blandine NYIRANSHUTIquisoulignaitquelemisenexamen "venaitsurtoutaprèslesenlèvementspour se justifier auprès de nous en prétendant qu'il avait tenté d'empêcher les enlèvements, sans

pouvoir rienjaire"(D20800/6) ou encore ceux de Félix KAMANYA qui voyait Wenceslas MUNYESHYAKAalleraudevalltdesinterahamwe,gesticulerpuis "ilrevenailverslesréfugiés en leur disant de prier et s'en allait" (D20160/4).
Sans même avoir vu d'actes précis de collaboration entre Wenceslas MUNYESHYAKA et les miliciens, des réfugiés tel RamadhanNGENDAHIMANA, considéraient cette collusion comme évidente en constatant que ceux-ci entraient très facilement dans la paroisse de la Sainte Famille et que l'abbé les laissaient faire (D20563).

Comme preuve de cette collaboration en coulisses, les réfugiés opposaient l'attitude pour le moins passive de Wenceslas MUNYESHYAKA face aux interahamwe, au comportement courageux de AYN qui s'opposait publiquement aux actions de la milice. Mais force était de constater que AYN lui-même n'était pas toujours parvenu à empêcher les miliciens d'agir, même si contrairement à Wenceslas MUNYESHYAKA, il avait su conquérir la confiance des réfugiés par sa force morale.

Pour les parties civiles, la collaboration de Wenceslas MUNYESHYAKA avec les miliciens et les autorités impliquées dans le génocide était également démontrée par ses prises de position idéologique de nature à éclairer son comportement durant les événements, notamment sa permissivité vis à vis des interahamwe.

Il était établi que WenceslasMUNYESHYAKA entretenait des rapports étroits avec les autorités et manifestait une hostilité certaine l'égard du FPR. Outre les déclarations des réfugiés et de l'abbé Gallican NDA YISABA, le témoin LucPILLIONNEL,de nationalité suisse, faisait état de propos tenus par Wenceslas MUNYESHYAKA, sans équivoque sur ce point. Entendu par le magistrat instructeur en 1996 et par les enquêteurs du TPIR en 1997, il expliquait avoir croisé

INS'JRUCTlOtJ N". 1415/12112.. ORDONNANCB DI!NON-L1EU'I'~78.

le prêtre à la procure de Bukavu, vers le 17 ou 19 juillet 94, alors que lui-même y organisait le rapatriement de sa belle famille d'origine tutsi. Il précisait avoir déjà entendu parler de lui auparavant par un ami dont un membre de la famille avait été réfugié à la paroisse de la Sainte Famille. Lors de cette rencontre, Wenceslas MUNYESHYAKA lui était apparu comme abattu par la défaite des Forces Armées Rwandaises, s'identifiant au parti hutu, insistant sur les crimes couuuis par le FPR et exprimant de la haine l'égard des tutsi qualifiés d '''inyenzi'' ; i l lui aurait ainsi avoué avoir laissé les milices enlever les réfugiés tutsi de la Sainte Famille afin de faire de la place aux déplacés hutu (D81-D2371).

Saus exclure l'existence de cette rencontre dont il n'avait gardé aucun souveuir, Wenceslas MUNYESHYAKA contestait la réalité des propos rapportés par Luc PILLIONNEL dont il mettait en cause l'impartialité, l'accusant de faire partie ou d'être influencé par la propagande orchestrée par le FPR qui le pourchassait déjà à cette période (D20 177/8).

S'il était impossible de déterminer la nature exacte des paroles tenues par Wenceslas MUNYESHYAKA lors de cette rencontre, la prise de position du mis en examen à l'encontre du FPR et en faveur des forces loyalistes atteignait son paroxysme dans une lettl'e adressée au pape Jean-Paul II le 2 aoOt 1994, signée par celui-ci parmi 29 prêtres rwandais réfugiés au Zaïre. Cette lettre qui reprenait la rhétorique des extrémistes hutu, invoquant la domination du peuple rwandais par une minorité tutsi, présentait les massacres de Tutsi comme "le résultat de la provocation et du harcèlement du peuple rwandais par le FPR". Bien que prônant la réconciliation, ce texte fustigeait les mensonges du FPR, la manipulation des chiffres, affirmant "que le nombre de hutu civils tués par l'armée du FPR dépasse de loin les tutsi victimes de troublesethniques"etrécusaitlamiseenplaced'untribunalinternationaldestinéànejugerque les seuls Hutu (D9115 à 10).

Sans contester être signataire de cette lettre, Wenceslas MUNYESHYAKA invoquait qu'il n'avait pas participé à sa rédaction, que lui même n'aurait pas choisi les mêmes termes même s'il était d'accord avec certaines parties du texte. Il expliquait le contexte dans lequel celle-ci avait été écrite en août 1994 par ses confrères qui étaient sous le choc de pertes récentes et qui nourrissaient un fort ressentiment contre le FPR (D20177/9 et 10).

Force était de constater que les manifestations d'opinion de Wenceslas MUNYESHYAKA, son absence de neutralité dans le conflit, les paroles proférées par ce dernier pendant les événements à l'égard des réfugiés avaient alimenté de nombreuses accusations générales de coUaboration et de complicité avec les interabamwe et "les autorités génocidaires ". Mais les prises de position idéologique de celui-ci, aussi radicales soient-elles, ne sauraient se substituer à l'établissement d'actes matériels susceptibles d'être reproché au mis en examen.

Pour les parties civiles, la présence passive de Wenceslas MUNYESHYAKA sur les lieux des crimes était synonyme de soutien moral à ceux-ci et, dès lors, constitutive d'une forme de complicité au vu de la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux.

Il résulte de cette jurisprudence, que pour être considéré comme complice par "aide et encouragement" au sens du statut du TPIR, le comportement de l'accusé doit avoir largement contribué à la commission du crime. Cela peut être le cas lorsqu'il est établi que ce comportement équivalait à une approbation tacite et à un encouragement au crime et a eu un effet considérable SUl' sa couuuission. La simple présence peut effectivement être constitutive d'une complicité lorsqu'il est prouvé qu'elle aeu un effet substantiel sur la perpétration de l'infraction et que la personne avait j'intention requise (c'est à dire connaissait le projet criminel des auteurs).

Les tribunaux internationaux ad hoc ont retenu la complicité par aide et encouragement dans des

6 INSTRUCTIONN .1415112111.

ORDONNANCE DE NON-LIEU-I'_gc 79.

casoù "['autoritédontétaitinvestil'accuséetsaprésencesurleslieuxpermettaitdedéduire, que parson inaction, celui-ci avait approuvé tacitement/es crimes et/es avait encouragé" (arrêt TPIY BRDANIN § 273). Ainsi, cette seule présence de l'accusé lorsqu'elle s'ajoute à l'autorité -phénomène du "spectateur approbateur"- peut être considérée comme une aide constitutive de complicité. Pour exemple, ont été condamnés sur cette base juridique ministre, préfet, bourgmestre, commandant d'unité de police (arrêts TPIRKALIMANZIRA § 74,KA YISHEMA §201,AKAYESU§693,ArrêtTPIYFURUNDZIJA §273).

Mais cette mise en jeu de la responsabilité n'est pas automatique, la nature de la présence de l'accusé devant être appréciée en fonction des faits de l'espèce (arrêt MUVUNY1 §80,

BAGILISHEMA §34 à 36).
Pour caractériser la complicité par approbation tacite ou encouragement au cr.ime, la présence doit avoir effectivement encouragé ou légitimé de façon importante les agissements des auteurs principaux.

En droit français, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a développé une jurisprudence proche de la théorie du "spectateur-approbateur", estimant que devait être considérée comme complice "lapersonne qui,par sa seuleprésence dans un groupe d'agresseurs, et alors qu'elle adhéraitpleinement l'intention délictueuse du groupe, afortifié moralement les assaillants" (Crim20 janvier 1992). Ainsi est sanctionnée la caution morale ou l'aide psychologique positive apportée par cette seule présence aux auteurs principaux.

Toutefois, lorsque la présence sur la scène de crime est fortuite ou qu'elle ne résulte pas d'un choix délibéré, il apparaît difficile de prêter cette seule présence une quelconque influence volontaire sur la réalisation de l'infraction.

Pour appliquer au cas de Wenceslas MUNYESHYAKA cette jurisprudence du "spectateur approbateur", les parties civiles mettaient en avant l'autorité dontjouissait ce dernier, soulignant d'une part, sa qualité de responsable de la paroisse Sainte Famille et d'autre part, la bienveillance et les privilèges dont il avait pu bénéficier de la part des autorités impliquées dans le génocide.

Toutefois, s'i! était vrai que Wenceslas MUNYESHYAKA ponvait avoir une certaine autorité sur les réfugiés de la Sainte Famille en sa qualité de responsable des lieux, l'information judiciaire ne démontrait pas que ses relations amicales avec des autorités militaires ou des miliciens dont il avait su tiré parti, lui conférait une position d'autorité, en terme de ponvoir, contrôle ou même d'influence vis à vis de la milice et des autorités officielles impliquées dans

les massacres.
D'autre part, la présence de Wenceslas MUNYESHYAKA à la paroisse de la Sainte Famille avant, pendant ou après les attaques, n'était pas en soi significative d'un quelconque soutien ou encouragement, ce dernier officiant et résidant dans cette paroisse.
Pour ces deux raisons, il ne saurait être tiré des conséquences juridiques identiques d'une palt, de la présence sur les lieux lors des attaques de la Sainte Famille du Préfet RENZAHO et du lieutenant-colonel Laurent MUNYAKAZI, tous deux investis d'une autorité administrative ou militaire et d'autre part, de celle de Wenceslas MUNYESHYAKA, prêtre responsable des lieux.

Par ailleurs, s'agissant de l'inaction de Wenceslas MUNYESHYAKA face aux crimes commis par les miliciens, il convient d'ajouter que plusieurs témoins, et même parmi les plus critiques li l'égard de Wenceslas MUNYESlNAKA affmnaient qu'il était très difficile voire impossible de s'opposer aux interahamwe (Jean-Bosco MUGANZA D19850, Gisèle MUKAMFURA D19922, Félix KAMAYA D20160).

Les prêtres AYN, Gallican NDAYISABA et Emmanuel TUBANE confirmaient l'impossibilité

g INSTIlUCTIONN .14%NI2I1Z.

ORDONNANCE DENON-LIIlU. ,Igo 10.

pour les religieux d'empêcher les intrusions des miliciens, précisant en effet que les gendarmes affectés la garde du complexe de la Saiute Famille étaient eux-mêmes en position de faiblesse face au nombre et la détermination des miliciens (DI9878, D20119/6). Le déséquilibre des forces en présence était admis par les anciens gendarmes, Jean-Chrysostome NTIRUGIRIBAMBE et Jean-Baptiste NSANZIMFURA qui reconnaissaient que, si les gardes en poste à la Sainte Famille pouvaient interdire l'entrée à des groupes réduits de miliciens, ils ne pouvaient résister leur venue en nombre (D20635/5, D20720).

En soulignant qu'à l'époque les interahamwe étaient en réalité cousidérés par les autorités comme des forces amies, Félicien NGIRABATWARE, ancien officier des FAR, mettait en exergue la toute-puissance de cette milice (D20609). TI en était de même pour Paul RWARAKABlJE, ancien chef des opérations de la gendarmerie, qui reconnaissait que les interahamwe bénéficiaient de protection à des niveaux très élevés.

Paul Victor MOIGNY, colonel de la MINUAR, ainsi que des articles de presse se faisant l'écho des affronts subis par cette force internationale, attestaient également du pouvoir d'action sans limites dont disposaient les miliciens (D92/2, D9634). Enfin, selon le témoignage d'un membre même du Comité National des interahamwe, Ephrem NKEZABERA, les miliciens, soutenus par d'éminentes personnalités politiques et en lien avec les forces de sécurité, faisaient régner leur loi dans la capitale jusqu'à la chute du régime au mois de juillet 1994 (Dc17, DcI9).

En conséquence, la facilité avec laquelle les miliciens entraient dans l'église et leur liberté d'actionpouvaientrefléterdavantagel'étenduedeleurmargedemanœuvrequ'unecollaboration du mis en examen. L'absence d'opposition franche aux miliciens, au vu de la puissance de ces derniers, ne suffisait pas caractériser un soutien apporté ces derniers ou même une adhésion implicite aux crimes conunis par ceux-ci.

Selon ses confrères, le comportement ambigu de Wenceslas MUNYESHYAKA, capable de s'afficher en tenue militaire pour faire preuve d'autorité mais sans oser braver onvertement la milice, ne traduisait pas une connivence avec les interahamwe mais reflétait davantage les traits de caractère d'un homme décrit comme "peureux" quoique doté "d'un égo important" (D20119, DI9873).

Enfm, la faiblesse des éléments charge sur une implication de Wenceslas MUNYESHY AKA dans les crimes commis, s'ajoutait l'existence d'un certain nombre de dépositions de témoins décharge. Ainsi, en plus de certains réfugiés ayant été secourus par Wenceslas MUNYESHY AKA (notamment NIYIBIZI, GISAGARA,UMUHlRE, UMUTONI), les dépositions de personnages de poids tels que les prêtres AYN, Gallican NDAYISABA, les officiers de gendarmerie dont l'action positive de protection était reconnue (NTIRUGIRABAMBE, KAREKEZI) de même que le conseiller français Alain DAMY, attestaient des actions entreprises par Wenceslas MUNYESHYAKA pour protéger les réfugiés

tutsi et les faire échapper au sort que leur réservait la milice.

En conclusion, quelque soit la réalité du réseau social de Wenceslas MUNYESHY AKA au sein du monde miliciano-militaire, ses manifestations d'opinions radicales et ses prises de positions politiques, on ne saurait déduire une participation aux crimes sur la simple base d'une proximité personnelle et idéologique. L'examen de chaque scène de crime n'ayant pas 'permis de caractériser Son encontre des actes matériels pénalement répréhensibles, Wenceslas MUNYESHYAKA ne peut se voir reprocher une pmiicipation aux crimes de génocide et autres crimes contre l'humanité, constitutive d'une co-action ou d'une complicité.

JI en est de même s'agissant des actes de torture visés par le réquisitoire introductifdu 25 juillet 1995 pour retenir la compétence des juridictions françaises sur la base de l'article 1er de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984 et de l'article 689-2 du code de procédure

INSTRUCTIONN' .141~U/U. ORDONNANC!! DI':NON.UI!U.~gc BI-

pénale, la loi du 22 mai 1996 n'étant pas, à l'époque du réquisitoire, encore entrée en vigueur. En l'espèce, l'existence de tortures, susceptibles de constituer soit un élément matériel du crime contre l'humanité, soit une infraction autonome, n'est pas démontrée.

L'implication de Wenceslas MUNYESHYAKA dans une entente formée en vue de la préparation des dits crnnes n'étant pas non plus établie, il convient de n'y avoir lieu suivre contre celui-ci.

NON-LIEU

Attendu qu'il n'existe, dès lors, pas de charges suffisantes contre WenceslasMUNYESHYAKA d'avoir, en tant que co-auteur ou complice, au Rwanda en 1994, commis:
-les infractions de génocide, autres crimes contre l'humanité consistant en la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d'actes inhumains, et de participation à une entente formée en vue de la préparation de l'un de ces crnnes,

faits prévus et réprimés par les articles 211-1,212-1,212-3 du code pénal tels qu'en vigueur au 1er mars 1994, en application de la loi 96-432 du 22 mai 1996,
- le crime de tortures,
faits prévus et réprimés par l'article 222-1 du code pénal, en application de l'article 689-2 du code de procédure pénale visant l'article 1"
de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984.

Déclarons n'y avoir lieu à suivre en l'état et ordonnons le dépôt du dossier au greffe poury être repris s'il survenait des charges nouvelles.

L'INFORMONS de son droit de demander, devant le premier président de la cour d'appel, en application des dispositions de l'article 149 et suivants du code de procédure pénale, la réparation intégrale du préjudice matériel et moral résultant de la détention dont i l a fait l'objet.

L'INFORMONS que le premier président de la cour d'appel devra être saisi par voie de requête, dans le délai de SIX MOIS à compter de la date à laquelle la présente décision deviendra défmitive, que les débats devant le premier président doivent avoir lieu en audience publique, sauf opposition du requérant qui, à sa demaode, doit être entendu personnellement, ou par l'intermédiaire de son conseil.

L'INFORMONS que les décisions prises par le premier président de la cour d'appel peuvent, pendant un délai de DIX JOURS de leur notification, faire l'objet d'un recours devant une commission nationale d'indemnisation des détentions provisoires. Cette commission placée auprès de la Cour de Cassation, statue souverainement et ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours, de quelque nature que ce soit.

Fait en notre cabinet, le 2 octobre 2015,

Mme Emmarm<{lle

Le Premier Vice-président chargé de ,instruction

Claude CROQUET

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La présente ordo~nnance a été notifiée par IeUre recommandée avec remise de copie à M. Wenceslas MUNYESHYAKA~ mis en examen et ses avocats, Me DUPEUX et Me BOURG, le 5 octobre 2015,

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Copie de la présente ordonnance conforme aux r6quisitions de M. le pl'Ocureur de la République, Lui ft été donné le 5 octobre2015parcahierd transmissioninterne,

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