L'impunité règne toujours en République démocratique du Congo, spécialement dans l'Est, où les groupes armés –mais aussi l'armée régulière – commettent tueries, pillages et viols. Le gouvernement semble avoir fait des efforts pour rendre justice aux victimes. Certains individus ont été déférés devant la Cour pénale internationale tandis qu'une trentaine d'affaires de crimes de guerre ont été jugées par les tribunaux militaires du pays.
Une de ces affaires concerne des viols perpétrés à Minova, dans la Province du Nord-Kivu. En novembre 2012, après une humiliante déroute face aux rebelles du M 23, l'armée congolaise avait reçu ordre de se replier dans la petite agglomération de Minova. Là, des soldats se livrèrent à des atrocités, dont des viols en masse.
Suite à la pression et grâce au soutien de la communauté internationale, un procès a eu lieu devant un tribunal militaire congolais. Trente-neuf militaires ont été jugés, dont 14 officiers.
Mais, selon un rapport de Human Rights Watch (HRW) publié le 1er octobre, les victimes n'ont pas le sentiment que justice ait été vraiment rendue.
L'auteure du rapport, Géraldine Mattioli –Zeltner, directrice de Plaidoyer au sein du Programme Justice internationale de HRW répond aux questions de www.justiceinfo.net
Géraldine Mattioli –Zeltner : Le verdict a été une déception dans la mesure où seuls deux soldats de rang ont été reconnus coupables de viol. Il y a eu au minimum 100 cas de viols à Minova et le résultat c'est que seulement deux auteurs matériels ont été identifiés et condamnés. Tous les officiers ont été acquittés. D'une manière générale, ce procès a été une grande déception car il n'a rendu justice ni aux victimes, ni aux accusés –dirais-je-, dans le sens que beaucoup d'autres soldats ont été condamnés pour pillages sans preuves solides. Il y a donc eu une vraie question d'équité pour beaucoup de soldats. Nous avons aussi, par exemple, établi que deux des officiers qui ont été jugés dans l'affaire avaient été rétrogradés avant les événements de Minova et semblent avoir été inclus dans l'affaire pour servir de boucs émissaires potentiels, offerts sur un plateau à la communauté internationale qui demandait avec insistance que justice soit rendue.
JusticeInfo.Net : Votre rapport parle aussi de faiblesses du dossier d'accusation….
GM : Il nous semble que les problèmes observés dans ce procès illustrent bien les difficultés rencontrées dans les autres affaires de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité en général au Congo. L’un des problèmes clés semble avoir été la très grande faiblesse des enquêtes – et vous devez vous rappeler que cette affaire était très complexe, avec des milliers de victimes, des milliers de soldats, beaucoup de bataillons, et il était parfois difficile de dire qui était aux commandes. Les enquêteurs congolais n'avaient pas l'expertise nécessaire pour construire un dossier autour d'une scène de crime aussi complexe. La deuxième grande difficulté que j'ai déjà mentionnée a trait aux droits des accusés : les accusés n'ont pas bénéficié d'une défense suffisamment forte, n'ont pas bénéficié du droit d'appel à cause de la spécificité de la juridiction qui les a jugés. (…) Et le troisième grand problème dans le dossier Minova, qui, une fois de plus illustre ce qui se passe de façon plus large au Congo, c'est ce manque de volonté de poursuivre les hauts responsables. Vous avez des procès de soldats de rang, mais vraiment pas de volonté de poursuivre les commandants de haut niveau, qui sont souvent protégés au sein de l'armée ou par des élites politiques ou autres.
JusticeInfo.Net : Quelles sont alors vos recommandations ?
GM : Nous demandons non seulement au gouvernement congolais mais aussi aux partenaires internationaux d'apporter des changements qui touchent réellement les problèmes fondamentaux. Nous pensons que ce qui changerait fondamentalement la situation serait la création d'un mécanisme internationalisé, soit des chambres spéciales ou un tribunal au sein du système judiciaire congolais, qui comprendrait un personnel international.
JusticeInfo.Net : Comme vous l'avez dit, les difficultés dans cette affaire sont les mêmes que dans d'autres dossiers, notamment ceux relatifs aux meurtres de journalistes ou de défenseurs des droits de l'homme. Cela ne traduit-il pas un manque de volonté politique ou un contrôle insuffisant du gouvernement central ?
GM : C'est probablement une combinaison des deux, et je constate que les questions d'interférence au Congo sont très vastes et difficiles à identifier clairement. Il y a souvent des interférences de la part de personnes de la sphère politique. Il y a aussi des interférences de la hiérarchie au sein de l'armée congolaise. Les responsables de haut niveau dans la police ou l'armée sont des figures très puissantes au Congo. Il peut aussi y avoir des interférences de la hiérarchie judiciaire, de personnes haut placées se trouvant là pour protéger certains intérêts. Mais, somme toute, je pense que vous avez raison, il y a une question de volonté politique de poursuivre certains auteurs de crimes au Congo. Il peut y avoir une certaine volonté pour une certaine justice lorsque les auteurs concernés sont de bas niveau, mais lorsqu'on commence à toucher des cibles difficiles, potentiellement sensibles, il y a un manque de volonté politique. Et c'est pourquoi nous pensons qu'un mécanisme internationalisé serait utile non seulement pour apporter l'expertise spécifique requise mais aussi pour en finir avec cette question de volonté politique et instaurer un mécanisme de justice à l'abri d'interférences potentielles.
JusticeInfo.Net : Le gouvernement congolais accepte-t-il cette idée d'un mécanisme internationalisé ?
GM : Oui, le gouvernement congolais a proposé deux lois pour la création d'un tel mécanisme internationalisé. (…) Il semble ainsi que le gouvernement a, dans une certaine mesure, accepté la proposition et travaillé à la rédaction de ces lois, mais sans vraiment déployé les efforts nécessaires pour convaincre le Parlement d'accepter ces deux projets de lois. Et il est apparu, lors de discussions que nous avons eues avec des gens du Parlement à Kinshasa, que beaucoup de parlementaires ont peur de ce que ce mécanisme signifierait pour eux. Souvenez-vous que certains membres du Parlement congolais ont un passé douteux, car ils auraient été actifs dans des groupes rebelles dans les années 90.
JusticeInfo.Net. Mais pourquoi cette idée d'un mécanisme internationalisé pour le Congo alors que nous avons déjà la Cour pénale internationale ?
GM : La Cour pénale internationale a des limites car elle travaille déjà sur sept autres situations et même si elle a d'autres enquêtes en cours, il n'y a pas eu de nouvelles inculpations au cours des récentes années et je crois qu'il est difficile de savoir quand la Cour pourra ouvrir de nouvelles affaires. Et, malheureusement, des crimes très graves continuent d'être perpétrés au Congo (…) et l'on assiste à un immense gouffre d'impunité entre la situation sur le terrain et ce que la Cour pénale internationale a jusqu'ici pu faire.
Je pense qu'il est important de se rappeler qu'il y a des crimes très graves qui ont été commis avant 2002, date à partir de laquelle la CPI est compétente, et les mécanismes proposés par le gouvernement renvoyaient aux années 93 ou 90, donc aux crimes commis il y a 20 ans, pas seulement durant la période de compétence temporelle de la CPI. Je pense donc que l'idée serait que tous ces différents mécanismes travaillent ensemble. Nous pensons toujours qu'il y a de la place pour la CPI, car il y a probablement des crimes que même ce mécanisme internationalisé ne pourrait pas poursuivre. Par exemple, Human Rights Watch a exhorté la CPI à enquêter sur les soutiens étrangers aux groupes rebelles au Congo. Ce sont des faits que nous avons documentés en ce qui concerne plusieurs groupes armés, des appuis venant de l'armée, de responsables militaires au Rwanda ou en Ouganda, sachant très bien que ces groupes se livrent à des atrocités.