Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a annulé mardi l'acquittement de deux hauts responsables du renseignement serbe du régime de Slobodan Milosevic, et ordonné, chose rare, qu'ils soient à nouveau jugés pour des atrocités commises par leurs unités spéciales au début des années 90 en ex-Yougoslavie.
L'acquittement en 2013 de l'ex-chef du renseignement Jovica Stanisic et son ex-adjoint Franko Simatovic, tous deux âgés de 65 ans, pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, avait valu au TPIY de nombreuses critiques. L'accusation, qui avait requis la prison à vie, avait interjeté appel.
Mardi, les juges d'appel ont décidé, à la majorité, que ceux de première instance avaient commis des erreurs et annulé la décision, sans prononcer eux-mêmes un nouveau verdict.
Au vu de "l'ampleur et de la complexité de l'affaire", ils ont ordonné que MM. Stanisic et Simatovic "soient rejugés pour toutes les charges figurant dans l'acte d'accusation", a déclaré le juge Fausto Pocar lors d'une audience publique à La Haye.
Jovica Stanisic, homme de confiance du défunt président Slobodan Milosevic, et Franko Simatovic sont accusés d'avoir organisé, soutenu et financé des unités paramilitaires serbes, dont les tristement célèbres "Bérets rouges" et "Tigres d'Arkan".
Ces derniers ont commis des atrocités lors des conflits en Croatie (1991-1995), qui a fait environ 20.000 morts, et en Bosnie (1992-1995), qui a fait quelque 100.000 morts.
Certains des crimes commis par ces unités ont été filmés, comme l'exécution de trois hommes et trois garçons d'une balle dans le dos près de Srebrenica (est de la Bosnie).
Selon l'accusation, les deux hommes faisaient partie d'une "entreprise criminelle commune", incluant aussi M. Milosevic et le chef politique des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic, dont le but était de chasser à jamais les non-Serbes des territoires revendiqués par les Serbes dans ces deux pays.
- 'Erreurs réparées' -
En première instance, le TPIY a estimé que si MM. Stanisic et Simatovic ont créé, financé et entraîné des unités spéciales ayant commis des atrocités, l'assistance apportée par les accusés à ces unités "n'était pas spécifiquement destinée à la commission des crimes".
Les juges d'appel ont eux assuré que la chambre de première instance a commis une erreur "en requérant que les actes d'aider et d'encourager doivent être spécifiquement dirigés pour être considérés comme assistance à la commission des crimes".
Les deux hommes, restés impassibles lors de la lecture du jugement, vont à nouveau être écroués au centre de détention du TPIY. La date de début de leur nouveau procès n'a pas été déterminée par les juges d'appel.
L'avocat de M. Stanisic, Wayne Jordash, a lui évoqué un jugement "très décevant" et s'est dit "surpris". "La chambre de première instance avait évalué les preuves très soigneusement."
Un nouveau procès "est la pire option qui soit", a-t-il ajouté : "Un nouveau procès va prendre 18 mois à débuter, au mieux, et puis il y aura 2 ou 3 ans de procès suivis par environ 2 ans pour l'appel".
L'avocat de M. Simatovic, Vladimir Petrovic, a pour sa part déclaré à l'AFP que "nos clients sont victimes d'une dispute entre des savants, des juges et des professeurs au sujet du droit pénal international".
La décision de mardi d'ordonner un nouveau procès n'est que la deuxième de ce type du TPIY, en 23 ans d'existence.
Le jugement de premier instance était venu conclure une série d'acquittements fin 2012 et en 2013, d'officiers serbes et croates. Un ancien juge avait alors suggéré que le président du TPIY, l'Américain Theodor Meron, avait indûment poussé ses collègues à prononcer ces acquittements, peut-être suite à des pressions des Etats-Unis.
"Nous sommes heureuses que les erreurs de la cour aient été réparées", a déclaré à la presse Munira Subasic, présidente des "Mères de Srebrenica".
Cette association représente les mères et veuves des près de 8.000 hommes et garçons musulmans tués par les forces serbes de Bosnie dans cette enclave en juillet 1995.
"Ils sont encore jeunes, ils peuvent attendre leur (nouveau, ndlr) jugement", a ajouté Mme Subasic, en référence au risque que les accusés ne meurent avant la fin de leur procès.
Slobodan Milosevic était mort dans sa cellule à La Haye à 64 ans.