Les habits neufs de la CPI

Les habits neufs de la CPI©SM/DR
Les nouveaux locaux de la CPi à la Haye
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 Six cubes de verre de hauteur inégale, censés suivre la courbe des dunes de la mer du Nord, accueillent, depuis le 14 décembre, la Cour pénale internationale. Devenue propriétaire de locaux construits sur mesure, la juridiction y voit l’occasion d’afficher son caractère permanent. Elle siège désormais, et pour longtemps, dans le quartier international de La Haye, proche du tribunal pour l’ex-Yougoslavie, de la NCIA, une agence de l’Otan, du Palais de la Paix et surtout, à moins de 2 km de la prison de Scheveningen où résident les accusés en attente de procès. Un temps, la Cour avait envisagé de construire un tunnel entre ses sous-sols et les nouveaux bâtiments, avant d’abandonner l’idée, jugée trop couteuse. Lorsque le projet de construction a reçu le feu vert des Etats-parties en décembre 2007, les Pays-Bas ont accepté d’offrir le site de l’Alexanderkazerne. Certaines ONG avaient protesté à l’idée que la Cour puisse s’abriter sur un ancien site de l’armée. Mais il ne reste trace ni des écuries de l’armée royale, ni du mess des officiers, tous deux rasés pour l’occasion.

Transparence

C’est sur le symbole de la « transparence » que le projet du Cabinet d’architecte danois, Schmidt Hammer Lassen, avait décroché, en 2010, la conception des nouveaux bâtiments. Mais la « transparence » revendiquée ne rend pas la Cour plus accessible, au contraire. Si elle entendait souligner le caractère public de la justice, l’idée ne dépassera pas le symbole. Par un choix pour le moins curieux, la conception des trois nouvelles salles d’audience rend plus opaques encore les procédures de la Cour. Les accusés et les acteurs des procès sont placés à distance de la galerie publique. Quant aux témoins, qui dans leur majorité bénéficient de mesures de protection, ils seront totalement cachés du public. En guise de transparence, la Cour consacre en réalité la distance qui la sépare déjà de ceux auxquels elle entend rendre justice.

Les nouveaux locaux de la Cour ne suscitent guère l’enthousiasme. Beaucoup regrettent déjà le caractère impersonnel du lieu. Un ministre européen s’était inquiété, au printemps, de l’effet qu’aurait sur des témoins congolais ou maliens ces bâtiments hyper modernes. Premier détenus à y avoir fait quelques pas avant son retour en République démocratique du Congo, le 18 décembre, Germain Katanga y aurait vu « un lieu pour les affaires, comme une banque », raconte son avocat David Hooper, qui lui-même, pense que cela pourrait tout aussi bien être « le siège de google aux Pays-Bas ». Un lieu sans âme, en noir et blanc. Seule note souriante : situées dans la tour centrale, les nouvelles salles d’audience ont été testées lors d’un procès fictif organisé par la Cour, pour juger l’ancien roi d’Angleterre Henry V.

214 millions d'euros

Le coût définitif des nouveaux bâtiments ne sera pas connu avant mars 2016. Mais il est à ce jour évalué à quelques 214 millions d’euros (dont 8 millions financés sur le budget annuel de la Cour), pour la construction, le déménagement, et l’administration du projet. Les Etats-parties ont donc dû mettre la main à la poche. Soixante-cinq d’entre eux ont décidé de régler leur part de l’addition en une fois, les autres rembourseront à échéance le prêt sur 30 ans accordé par l’Etat néerlandais. C’est plus que le montant alloué au départ de 190 millions d’euros. Prévoyant des dépassements, le greffier Herman von Hebel avait créé un fonds spécial, mais aucun Etat n’y a versé un kopek. Lors de la dernière session de l’Assemblée de la Cour mi-novembre, les Etats membres ont dû résoudre la question des futurs entrants. Ils ne devront pas partager l’addition déjà réglée, mais s’acquitteront néanmoins d’une part calculée sur la valeur des bâtiments et participeront à leurs frais de maintenance. Les Etats tentés par la ratification du Statut de la Cour, qui déjà doivent verser leur quote-part annuelle au budget régulier, pourraient-ils être dissuadés par le coût ? « Non », a finalement tranché l’Assemblée. « Contribuer à la valeur de l’actif ne devrait pas être un facteur de découragement pour les Etats » souhaitant adhérer à la Cour, peut-on lire dans une résolution de l’Assemblée. « Au stade actuel de l’universalité de la Cour, le choix de participer au système du Statut de Rome ne semble guère dépendre de considérations financières. Les avantages que l’adhésion apporte aux Etats-parties devraient plutôt être évalués » par rapport « au débat politique et au consensus que la Cour peut attirer pour l’accomplissement de sa mission ». Les locaux sont-ils déjà trop étroits ? La Cour dispose désormais jusqu’à 1500 postes de travail, pour près de 800 employés sous contrats à ce jour, mais les Etats ont d’ores et déjà demandé à la Cour de limiter ses prétention futures en fonction de la capacité des nouveaux locaux. Le 18 janvier, la Cour tiendra les audiences de confirmation des charges portées contre le suspect malien, Ahmad Al Mahdi, poursuivi pour la destruction des Mausolées de Tombouctou en juillet 2012. Dix jours plus tard, la Cour devrait ouvrir le procès de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé.