Face aux violences, la parole d'Abbas semble résonner dans le vide

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L'escalade des violences entre Palestiniens et Israéliens jette une lumière crue sur la déconnexion entre les jeunes qui lancent des pierres et leur président Mahmoud Abbas qui est pourtant le seul interlocuteur pour la communauté internationale et le gouvernement israélien.

M. Abbas est sorti mercredi soir de deux semaines de silence auprès du public face aux évènements qui réveillent le spectre d'une nouvelle intifada. Il a choisi la télévision officielle qui, depuis quelques jours, a arrêté de diffuser en direct les affrontements et les interviews de manifestants s'en prenant ouvertement à l'Autorité palestinienne.

M. Abbas, qui avait jusqu'alors réservé ses commentaires à des cercles restreints de responsables de la sécurité ou d'hommes d'affaires, a appelé à une "résistance populaire pacifique". "Nous ne demeurerons pas les otages d'accords qu'Israël ne respecte pas", a-t-il menacé.

Mais le message semble ne trouver aucun écho auprès de la jeunesse révoltée, mais aussi des générations antérieures qui estiment comme elle que les recours pacifiques ont été épuisés. La rue rejette désormais à haute voix la stratégie des petits pas diplomatiques, du refus catégorique de la violence et de la main tendue qui sont l'ADN de M. Abbas.

C'est M. Abbas qui, en 1993, signait au nom de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) les accords d'Oslo jetant les fondements d'un futur Etat palestinien. M. Abbas était aussi l'un des premiers à dénoncer le recours à la violence quand éclatait la deuxième Intifada.

- Affranchis -

Selon un récent sondage, 65% des Palestiniens souhaitent la démission de l'austère bureaucrate de 80 ans qui assuma la lourde succession du chef historique Yasser Arafat et qui détient tous les pouvoirs en Cisjordanie occupée; 57% y soutiennent une nouvelle intifada.

Dans les manifestations, les jeunes militants du Fatah, le parti de M. Abbas, disent vouloir mener la troisième intifada.

M. Abbas continue, lui, de prôner, comme fin septembre à l'ONU, un mouvement "populaire", non-violent et des actions diplomatiques ou devant la Cour pénale internationale (CPI).

Au sein même de son parti, ses principaux rivaux, Mohammed Dahlane en exil et Marwan Barghouthi, emprisonné par les Israéliens, font entendre leur différence.

Le premier pour prévenir que "le peuple n'acceptera aucune erreur" et que "des prises de positions minimales ne seront pas acceptées". Le second pour appeler, dans une tribune envoyée à la presse, à "agir maintenant pour précipiter (...) le dernier jour de l'occupation qui sera le premier jour de paix".

M. Abbas doit aussi composer avec les Israéliens qui accusent l'Autorité palestinienne d'attiser les haines.

La mobilisation palestinienne s'est affranchie de longue date des cadres traditionnels, Autorité palestinienne ou Organisation de libération de la Palestine (OLP), rappelle le chercheur Nathan Thrall.

- Génération post-Oslo -

"Dans les villages, ce sont des comités locaux qui mènent les manifestations contre la colonisation ou le mur de séparation. Les grèves de la faim de prisonniers ne sont ni ordonnées ni contrôlées par la direction palestinienne. Les Palestiniens qui mènent des attaques semblent apparemment isolés et les événements dans la bande de Gaza échappent totalement au contrôle de l'Autorité", note-t-il.

Malgré les drapeaux déployés et glissés dans les mains des manifestants, malgré les efforts pour prendre la vague, les partis sont tous en retrait des manifestations, observent les experts.

Quant à la mobilisation autour de l'esplanade des Mosquées, c'est essentiellement le Mouvement islamique, mouvance arabe israélienne, qui est à la manoeuvre.

Face aux attaques quotidiennes de colons en Cisjordanie, face à ce que les Palestiniens appellent les "provocations" juives sur l'esplanade des Mosquées, face aux vexations de l'occupation, M. Abbas en a de nouveau appelé mercredi à une "protection internationale", renvoyant la balle dans le camp d'une communauté internationale dont les préoccupations sont ailleurs et dont les tentatives de médiation échouent depuis des années.

Le discours risque de ne pas accrocher les jeunes qui, chaque jour depuis deux semaines, lancent pierres et cocktails Molotov sur les soldats israéliens à travers la Cisjordanie.

Pour le politologue Khalil Chahine, "cette génération est en colère contre l'occupant israélien mais aussi contre les choix des dirigeants palestiniens, dont Oslo".