Sur scène à guichets fermés, une rescapée d'Auschwitz danse pour la vie

2 min 40Temps de lecture approximatif

Eva Fahidi est de ces rescapés d'Auschwitz qui témoignent, écrivent, transmettent, inlassablement. Au soir de sa vie, cette Hongroise de 90 ans monte également sur scène pour danser, "parce qu'il n'est jamais trop tard".

"Au début, je ne sentais que mes limites, tout ce que je n'arrivais pas à faire", raconte la fine nonagénaire dans une salle de Budapest, où elle a répété son duo avec la danseuse Emese Cuhorka, d'un demi-siècle plus jeune qu'elle.

"Puis lentement, j'ai appris à m'échauffer, c'est fantastique de sentir de nouvelles envies dans mon vieux corps", confie Eva en s'étirant sur le sol du studio.

La vieille dame n'a plus de limites: le spectacle d'une heure et demie proposé par les deux femmes, mêlant danse et dialogue, part dimanche pour trois représentations en Allemagne à l'occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste, qui est commémorée le 27 janvier, jour de la libération du camp d'Auschwitz en 1945.

La pièce s'est déjà jouée huit fois à guichets fermés au prestigieux théâtre Vigszinhaz de Budapest depuis sa première au mois d'octobre.

- Emus aux larmes -

La liberté d'Eva Fahidi sur scène, c'est sa victoire sur ces mois passés dans le camp d'extermination nazi d'Auschwitz-Birkenau. Elle avait 18 ans.

"D'un simple geste du doigt, Josef Mengele (le médecin du camp, ndlr) décidait de notre vie ou de notre mort. Vers la droite, c'était le travail forcé, vers la gauche, c'était les chambres à gaz. On m'a dirigée à droite", raconte la rescapée.

Déportée avec les 440.000 juifs de Hongrie envoyés en quelques semaines dans les camps de la mort, de mai à juillet 1944, Eva Fahidi y a perdu 49 membres de sa famille, dont ses parents. Elle garde en mémoire la dernière vision de sa mère et de sa jeune soeur de 11 ans sur la rampe de triage de Birkenau.

Dans l'une des scènes les plus poignantes du spectacle, la danseuse Emese Cuhorka, 36 ans, soulève Eva comme un bébé.

"Cette image fait souvent pleurer les gens bien qu'elle n'ait rien à voir avec l'Holocauste", observe Reka Szabo, qui a mis en scène le duo avec l'idée de faire dialoguer deux générations autour de la mémoire et du traumatisme.

"Est-il possible de transmettre son expérience ? Deux personnes si différentes peuvent-elle apprendre l'une de l'autre ? Quelle est la sensation physique de vieillir ?", s'interroge la chorégraphe dans la pièce.

Pendant des décennies, Eva Fahidi a été réticente à évoquer son expérience des camps. Puis une visite à Auschwitz en 2003, 59 ans après sa déportation, lui a fait ressentir le besoin d'écrire ses mémoires. "J'ai réalisé que ma vocation était de parler d'Auschwitz à autant de gens que possible, c'est le minimum que je puisse faire".

- 'Le passé est passé' -

Son ouvrage "L'âme des choses" est d'abord paru en allemand en 2004, puis elle l'a traduit en hongrois. Des éditions anglaise et finnoise sont aussi prévues.

Elle a participé aux côtés de la chancelière allemande Angela Merkel à une cérémonie à Berlin commémorant les 70 ans de la libération d'Auschwitz, en janvier 2015, puis témoigné quelques mois plus tard lors du procès en Allemagne de l'ancien comptable du camp d'extermination, Oskar Gröning.

"Quand vous entendez parler Eva, vous n'avez pas l'impression qu'elle est une victime. Elle essaie de surmonter son passé pour vivre pleinement", confie la metteuse en scène qui la connait depuis plus de vingt ans.

Pour la nonagénaire, la danse est une autre façon de s'exprimer. "Avec des gestes et des mouvements, on peut être plus libre qu'avec des mots, en dire davantage", estime-t-elle.

L'émotion transmise est différente: sa petite-fille, qui regimbait contre ses récits sur l'Holocauste, a été "sidérée", dit-elle, par la pièce.

Il a fallu plus de 50 ans à Eva Fahidi pour retrouver cette joie de vivre, confie-t-elle: "J'ai découvert que la haine était un poids. Ce qui est passé est passé. Je suis vivante et j'aime la vie".