A l'automne 2015, trois jeunes se sont échappés de l'Armée de résistance du Seigneur, un groupe rebelle violent, connu pour enlever et enrôler des enfants. Ces jeunes ont marché à travers de vastes étendues de forêts et de terres isolées avant de se retrouver sur la route principale où ils ont rencontré des chasseurs qui les ont conduits à Obo, ville située dans le sud-est de la République centrafricaine (RCA). Après avoir passé de 11 mois à 3 ans au sein de la LRA, ils ont avant tout eu besoin de changer de vêtements, de prendre un repas chaud et de passer un examen médical. Toutefois, c’était un nouveau périple qui commençait pour eux. Un périple que les victimes d'enlèvement et les membres de leurs communautés d’origine font ensemble : une quête pour comprendre et se relever du traumatisme causé par l'imprévisible violence de la LRA. Un récent rapport de la Harvard Humanitarian Initiative explique ce que les personnes qui ont été enrôlées dans la LRA ont vécu et les défis que les populations rencontrent dans les régions où celle-ci opère (the experiences of those indoctrinated into the LRA, and the challenges communities face in LRA-affected areas).
La LRA, dirigée par Joseph Kony qui est poursuivi par la Cour pénale internationale, est née dans les années 1980 dans le nord de l'Ouganda où elle est devenue tristement célèbre pour ses exactions (viols, enlèvements d'enfants, mutilations). En 2005, les pressions militaires s'intensifient et chassent la LRA du territoire ougandais, la repoussant dans les pays voisins. Aujourd'hui, le groupe continue d'engendrer des déplacements massifs et de semer la terreur dans le nord de la République démocratique du Congo, le sud du Soudan et la République centrafricaine. Bien que poursuivis pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI) depuis 2005, Joseph Kony et ses hauts commandants sont toujours en liberté. Le seul prévenu de la LRA à comparaître aujourd'hui est Dominic Ongwen, un ancien enfant soldat devenu commandant de la LRA. Il est actuellement en détention pour le compte de la CPI . Son audience de confirmation des charges s’est ouverte le 21 janvier.
Le rapport de la HHI a étudié les quatre pays dans lesquels la LRA est ou a été présente. Il s'est intéressé plus particulièrement à la façon dont les personnes et les populations au niveau local ont créé des structures visant à encourager la résilience et la défense personnelle face à la violence chronique et imprévisible. Les personnes qui ont participé à cette étude décrivent les moyens novateurs qui permettent aux populations de faire front face aux problèmes liés à l'insécurité. Cela comprend la création de réseaux d'alerte précoce, la formation de comités de paix destinés à accueillir les anciens combattants de la LRA de retour dans la vie civile et le lancement de coopératives économiques. Cependant, la question des problèmes de santé mentale liés au fait d’avoir été témoin ou victime d'actes de violence fait partie des questions les plus inextricables et les plus difficiles à régler dans les quatre pays ayant fait l'objet de cette étude.
La violence dans les territoires affectés par la LRA touche non seulement les personnes kidnappées par le groupe mais aussi tous les membres des communautés concernées. Les gens expliquent qu'ils sont confrontés à des problèmes psychologiques tels que l'agressivité, l'anxiété, la dépression et les souvenirs envahissants.
Les responsables communautaires, les personnalités religieuses, les associations de femmes et autres groupes se sont proposés pour tenter de répondre aux besoins psychologiques des populations. Parmi les efforts fournis au niveau local, figurent l'offre de conseils, la conduite de campagnes d'éducation, la direction de groupes et la guérison spirituelle à travers la prière ou les rituels traditionnels.
Malgré ces moyens, les participants dans tous les sites sur lesquels les chercheurs se sont rendus, ont fait savoir qu'il était urgent d'obtenir une méthode plus formalisée pour soigner les traumatismes. Une religieuse a raconté, par exemple, qu'elle était chargée de s'occuper de dizaines d'enfants qui avaient été kidnappés par la LRA mais qu'elle n'avait pas les connaissances suffisantes pour aider les enfants à traiter ce qu'il avaient vécu. Résultat: elle et ses jeunes se sentaient démunis face à leurs traumatismes.
Dans le cadre du projet visant à favoriser la résilience, l'équipe de recherche de la HHI s'est associée à un psychologue clinicien qui avait déjà travaillé en Afrique et créé un kit permettant de participer à la ''guérison des traumatismes.'' La trousse contenait un programme pour créer des ateliers, des formations et des messages à la radio destinés à encourager les conseils relatifs aux traumas, à comprendre la santé mentale et à promouvoir l'auto-prise en charge et la capacité à s'en sortir. Ces documents ont par la suite été présentés à Invisible Children, une des rares ONG à bénéficier d'une longue expérience, oeuvrant dans tous les pays affectés par la LRA.
Invisible Children a organisé deux grands ateliers autour de ces documents: l’un avec des journalistes des quatre radios FM de RCA et un autre avec des membres issus de sept comités de paix dirigés par la population, actifs à travers l'est de la RCA. Les journalistes de quatre sites différents se sont concentrés sur les façons d'encourager les initiatives de traitement des grands traumas au sein des communautés qui étaient très touchées par la LRA. Après cinq jours d'atelier axés sur les compétences en matière de d'enseignement psychologique de base et de soins auto-administrés, les journalistes ont réalisé deux émissions de radio destinées à donner aux membres de la communauté les moyens de comprendre le trauma et de soutenir la famille et les voisins qui font face à des problèmes de santé mentale. Une représentante d'une ONG locale travaillant avec des personnes revenues de la LRA a récemment indiqué que, plus que tout, les rapatriés dont elle s'occupait avaient besoin d'un espace pour se sentir en sécurité et non pas d'être jugés. Grâce au kit, elle a l'impression que ses collaborateurs sont désormais équipés pour leur apporter précisément cela.
(1) Jocelyn Kelly est Directrice du Programme concernant les femmes dans la guerre (Women in War Program) au Harvard Humanitarian Initiative où elle prépare et effectue des recherches liées au rapport hommes-femmes dans les conflits. Pauline Zerla est l'ancienne coordinatrice adjointe de Invisible Children; elle gère et met en oeuvre des programmes de consolidation de la paix axés sur les jeunes, les médias et la réinsertion d'anciens combattants en Afrique subsaharienne.