Le procès de l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI) ravive les critiques contre cette juridiction, accusée de poursuivre uniquement des Africains, et relance les appels en faveur d'une alternative africaine.
M. Gbagbo, poursuivi pour crimes contre l'humanité, est le premier ancien chef d'Etat remis à la CPI, qui siège à La Haye.
"Prendre nos ressortissants, les anciens chefs d'Etat africains, les mettre à la disposition de la CPI, ça me laisse un peu perplexe", affirme à l'AFP à Dakar Babacar Ba, président du Forum du justiciable, qui regroupe divers acteurs judiciaires au Sénégal.
"C'est comme si nous, les Africains, nous n'étions pas en mesure de dire le droit ou n'avions pas assez de ressources pour pouvoir juger nos propres fils", ajoute M. Ba, juriste.
Pour ce procès, "on pouvait mettre en place des Chambres africaines extraordinaires (CAE) comme on l'a fait avec Hissène Habré", estime-t-il en référence au tribunal spécial créé par l'Union africaine (UA), en vertu d'un accord avec le Sénégal, qui juge depuis le 20 juillet l'ex-président tchadien (1982-1990) pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
Ce procès inédit doit avoir valeur d'exemple en matière de lutte contre l'impunité: pour la première fois, un ancien chef d'Etat africain est appelé à répondre de ses actes devant un tribunal d'un autre pays du continent, selon le principe de "compétence universelle".
Pour le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, le procès de M. Habré, ainsi que d'autres procédures devant la CPI, sont des avancées réalisées en 2015 en matière de "reddition de comptes", car permettant à des victimes de voir "que justice leur est rendue".
"Le monde est témoin d'un changement radical dans la lutte contre l'impunité pour les crimes les plus atroces", a déclaré M. Ban dans un message de Nouvel An, le 14 janvier.
- Contentieux autour du président soudanais -
Un des enjeux, soulignait à l'ouverture du procès Habré le porte-parole des CAE, Marcel Mendy, c'est de démontrer que l'Afrique "est capable de juger ses propres enfants, pour que d'autres ne le fassent pas à sa place", dans une allusion à la CPI.
Encore faut-il pour cela que les Etats africains en manifestent la volonté, ce qui n'a pas été le cas de la Côte d'Ivoire avec Laurent Gbagbo, souligne Babacar Ba. Une condition essentielle, précise-t-il, est de renforcer leurs institutions judiciaires pour adopter "la compétence universelle", à l'instar du Sénégal pour le procès de Hissène Habré.
Créée en 2002 pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre qui n'ont jamais été poursuivis dans leur propre pays, la CPI a ouvert des enquêtes sur huit pays au total, tous africains: Kenya, Côte d'Ivoire, Libye, Soudan, République démocratique du Congo, Centrafrique, Ouganda, Mali.
Des dirigeants africains l'ont ouvertement accusée d'être le bras judiciaire de puissances étrangères au continent.
La création de la CPI "était fortement soutenue par l'Afrique", qui considère désormais qu'elle "n'est plus un tribunal pour tous", a déclaré, au nom de l'UA, le chef de la diplomatie éthiopienne, Tedros Adhamon Ghebreyesus, en novembre à La Haye lors d'une réunion d'Etats signataires du traité instituant la Cour, le Statut de Rome.
Cette critique est infondée, assure la procureure de la CPI, elle-même africaine, la Gambienne Fatou Bensouda. "Toutes les affaires que nous avons, sauf le Kenya, le Soudan et la Libye, ont été initiées à la demande de ces Etats africains", a-t-elle dit à l'AFP en novembre.
Les relations se crispent régulièrement en lien avec le dossier Omar el-Béchir, le président soudanais recherché depuis 2009 par la CPI pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. L'UA s'est plusieurs fois prononcée toute tentative d'arrestation à son encontre, arguant de son immunité de chef d'Etat en exercice.
Lors du sommet de Johannesburg en juin 2015, un tribunal sud-africain a interdit à M. Béchir de quitter le pays. Mais les autorités ont passé outre et l'ont laissé repartir, déclenchant une vive polémique dans le pays.
Pour Angela Mudukuti, du Centre des litiges d'Afrique australe (SALC), organisation d'avocats mobilisés en faveur d'une arrestation de M. Béchir, la CPI mérite d'être appuyée, parce qu'elle "est le seul mécanisme de justice internationale permanente habilitée à s'occuper des crimes monstrueux".
"Les victimes ont besoin de justice", dit Mme Mudukuti à l'AFP à Johannesburg, et les "auteurs présumés de crimes doivent comprendre que la loi les rattrapera".