Laurent Gbagbo s'est accroché au pouvoir "par tous les moyens", a accusé jeudi la procureure de la Cour pénale internationale à l'ouverture du procès de l'ancien président ivoirien, cinq ans après des violences ayant déchiré la Côte d'Ivoire.
Des centaines de partisans de M. Gbagbo, qui reste une figure influente en Côte d'Ivoire, s'étaient déplacés à La Haye. Une cinquantaine d'entre eux avaient pris place dans la galerie du public et l'ont copieusement acclamé à la clôture de l'audience.
M. Gbagbo est le premier ex-chef d'Etat poursuivi par la CPI. Son procès pour crimes contre l'humanité, qui doit durer entre trois et quatre ans, est un vrai test pour la Cour, entrée en fonction en 2003.
L'ex-président, 70 ans, et son co-accusé Charles Blé Goudé, 44 ans, ex-chef de milice, sont poursuivis pour leur rôle dans la crise née du refus de M. Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara, reconnu vainqueur par les Etats-Unis et l'Union européenne, notamment, de l'élection présidentielle de fin 2010.
Les deux hommes ont plaidé non coupable jeudi matin de meurtres, viols, actes inhumains et persécutions.
"La Côte d'Ivoire a sombré dans le chaos et a été le théâtre de violences innommables", a déclaré la procureure Fatou Bensouda devant la CPI.
Les violences avaient fait plus de 3.000 morts en cinq mois, des deux côtés des belligérants, transformant en champ de bataille certaines zones du premier producteur mondial de cacao, moteur économique de l'Afrique de l'Ouest.
"Lorsqu'il a compris que la présidence allait lui échapper, Laurent Gbagbo, en concertation avec des membres d'un cercle privé de proches, a commencé à mener une campagne de violences orchestrées contre ceux considérés comme ses opposants", a soutenu Fatou Bensouda.
Le but, selon elle : se maintenir au pouvoir "par tous les moyens".
Des attaques contre des civils ont alors été perpétrées par des forces gouvernementales et milices sous le contrôle des accusés, a affirmé Mme Bensouda.
Elle a par exemple évoqué le bombardement d'un marché dans le quartier d'Abobo à Abidjan, le viol d'une femme dans un poste de police ou la répression sanglante de manifestations.
L'accusation continuera vendredi sa déclaration d'ouverture. La défense aura la parole à partir de lundi.
- "Complot" -
Laurent Gbagbo est apparu détendu à son procès. Souriant, portant un costume bleu foncé, il a adressé des baisers à ses partisans assis dans la galerie du public.
Ceux-ci l'ont longuement applaudi à la fin de la journée, se pressant contre la vitre blindée les séparant de la salle d'audience. "Libérez Gbagbo", chantaient-ils, sous les yeux ravis de leur favori.
Quelques centaines de partisans de l'ex-président ont en outre manifesté devant le bâtiment de la CPI. Ils ont chanté, dansé et arboraient des écharpes, chapeaux et autres apparats aux couleurs de la Côte d'Ivoire: vert, blanc et orange.
Ils ont d'ailleurs leur idée de la vérité. "Notre rêve de voir notre président retrouver sa liberté commence aujourd'hui", affirme à l'AFP Marius Boué, qui a fait le déplacement depuis le nord de la France.
En Côte d'Ivoire, des écrans géants ont été installés pour que la population puisse suivre les procédures.
Le ministre ivoirien des Affaires étrangères Abdallah Albert Toikeusse Mabri, a salué jeudi un "un procès très attendu par la Côte d'Ivoire et par les victimes" des violences.
Mais pour le camp Gbagbo, ce dernier est un chantre du multipartisme et la France, ancienne puissance coloniale, est derrière le "complot" qui a entraîné sa chute.
- 'Justice des vainqueurs' -
Le juge président Cuno Tarfusser a de son côté mis en garde contre toute "instrumentalisation politique" du procès. "Ce n'est pas un procès contre la Côte d'Ivoire".
La peine maximale encourue devant la CPI est de 30 ans de prison, mais les juges peuvent prononcer une peine plus lourde s'ils estiment que les crimes commis sont exceptionnellement graves.
Laurent Gbagbo, dont la santé est "fragile", selon ses avocats, avait été livré à la CPI en 2011. Charles Blé Goudé l'avait été en 2014.
Simone Gbagbo, épouse de Laurent, a été condamnée à 20 ans de prison en Côte d'Ivoire pour son rôle dans la crise, en compagnie de 78 autres personnes.
Mais aucun membre du camp Ouattara n'a encore été inquiété par la CPI, ce qui lui vaut parfois d'être taxée de "justice des vainqueurs". Certains s'inquiètent d'ailleurs de "l'impunité" dont jouissent les partisans de l'actuel président ivoirien, réélu en octobre.
Mme Bensouda a répondu à ces critiques jeudi, assurant devant les juges : "Nous enquêtons sur les deux côtés du conflit (...) cela prend du temps et nous demandons de la patience".