"Prési! Prési!", hurlent de joie des dizaines de partisans de Laurent Gbagbo qui apparaît sur un écran géant à son procès pour crimes contre l'humanité devant la CPI. A quelques centaines de mètres de là, dans le même quartier de Yopougon, des parents de victimes vouent l'ex-président ivoirien aux gémonies.
Enorme quartier populaire de 2 millions d'habitants de l'Ouest d'Abidjan, Yopougon, bastion de Gbagbo mais qui compte de grands sous-quartiers musulmans fidèles à l'actuel président Alassane Ouattara, a été le théâtre d'exactions des deux camps. Les sentiments sont exacerbés des deux côtés.
"Gbagbo ou rien, homme de paix, démocrate et espoir de l'Afrique", dit une affiche à l'entrée du Baron, un bar avec une grande cour intérieure où des dizaines de militants pro-Gbagbo regardent l'ouverture de son procès devant la Cour pénale internationale de La Haye. Quand il annonce qu'il plaide non coupable, ils scandent "Libérez Gbagbo!".
"Pourquoi les personnes qui ont attaqué sont en liberté, et celui qui a été attaqué est incarcéré?", questionne Désirée Douati, fille d'un ancien ministre de Gbagbo et présidente de l'organisation des Femmes et familles des détenus d'opinion.
La jeune femme dit avoir perdu plus de dix membres de sa famille depuis 2002 dans la crise ivoirienne et fustige une "justice des vainqueurs" alors que seuls des partisans du camp Gbago ont été jugés en Côte d'Ivoire.
"Ma tante a vu son mari et son dernier enfant se faire assassiner" dans l'ouest. "Quand-est ce que justice sera rendue pour cette femme?", demande-t-elle, alors que Simone Yoro, une commerçante, assure que les "rebelles (pro-Ouattara) ont fait du porte-à-porte" pour tuer les gens du quartier.
Richmond Tapé "a l'impression que Gbagbo est condamné d'avance" et demande "à qui profite le crime?", en désignant Ouattara mais aussi l'ex-président français Nicolas Sarkozy. Hostile à l'ancienne puissance coloniale, le camp Gbagbo est persuadé que Paris a placé Ouattara au pouvoir pour défendre ses intérêts.
- Article 125 -
Sur des tables du Baron, des DVD sont à vendre pour 1.000 francs CFA (1,5 euros). Sur l'un d'eux, on voit un soldat français devant le corps d'un enfant.
A quelques centaines de mètres du Baron, on regarde aussi le procès dans le sous-quartier très pauvre de Doucouré-Yopougon. C'est une enclave musulmane où il y a eu "une centaine de morts, une centaine de blessés, une quarantaine de femmes violées", selon Diomandé Adama, président du collectif des victimes.
"Ils ont ciblé le quartier (...) pro-Ouattara et habité par des Nordistes", région d'origine de l'actuel chef de l'Etat, dit-il. "On brulait les personnes, 100 FCFA de pétrole, 25 FCFA pour la boîte d'allumettes", rappelle-t-il, un mode opératoire surnommé "l'article 125".
"C'est Gbagbo qui a envoyé les gens. C'est un soulagement de voir des gens qui ont commis des exactions sur des gens sans défense soient à La Haye. J'attends que la vérité soit dite. Si la vérité est dite, ils (Gbagbo et Ble Goudé) seront condamnés", assène-t-il.
Un peu plus loin, sous l'arbre à palabre, Ibrahim Fofana, montre les stigmates encore visibles dans le quartier. "On était entouré. J'ai envoyé une partie de ma famille dehors mais quand ils ont +fermé la porte+ j'étais ici avec ma femme. On a eu peur de mourir", dit-il soulignant que de nombreuses victimes ont été enterrées dans le quartier, faut de pouvoir accéder au cimetière.
"On veut une sanction exemplaire. Ils traitaient les hommes comme des animaux. C'est (Gbagbo) un criminel aguerri", estime Salif Sako, 67 ans.
Aujourd'hui, les deux camps cohabitent mais certains musulmans font état de leur peur de sortir de Doucouré alors que près de la mairie, Richmond crie "Sans Gbagbo, pas de réconciliation".