Contrairement à nombre de ses pairs, le jeune président du Kenya n'a pas connu le maquis. Mais lorsqu'il s'agit de guerroyer contre la Cour pénale internationale (CPI), Uhuru Kenyatta a l'art de mobiliser les troupes, même en dehors de son pays. Au point que la guérilla contre cette Cour semble aujourd'hui devenue, comme le déplorent certains de ses concitoyens, l'élément central de la politique étrangère de son gouvernement.
Le monde s'y attendait. Au sommet de l'Union africaine (UA) qui s'est terminé le 31 janvier à Addis-Abeba, le président Uhuru Kenyatta a proposé à ses pairs de préparer une feuille de route censée aboutir au retrait des pays africains du Statut de Rome, texte fondateur de la Cour pénale internationale. L'Union africaine accuse cette Cour de persécuter les dirigeants africains dont, certains, comme le Zimbabwéen Robert Mugabe, n'hésitent pas à la qualifier de « très raciste ».
Cependant, même si le chef de l'Etat kényan a été applaudi, l'adhésion ou le retrait de la CPI est un acte qui n'engage qu'un Etat, pas toute une région de la Planète encore moins un continent. D'ailleurs, même dans son propre pays, le fils du Père de l'Indépendance du Kenya a du mal à rallier tous les suffrages au combat qu'il mène depuis plus de deux ans contre la CPI. Tout en reconnaissant les faiblesses de la CPI, liées plus aux textes qui la régissent qu'à son fonctionnement, des voix kényanes reprochent au président de faire d'une affaire individuelle une cause nationale, en violation des assurances qu'il avait données lors de sa campagne électorale.
« Toute la politique étrangère du Kenya est entièrement bâtie sur le combat contre la CPI, créant la fausse idée que le pays est en procès et que la souveraineté nationale est menacée du fait des procédures pénales visant deux individus », s'insurge ainsi l'analyste politique Macharia Gaitho, dans les colonnes du Daily Nation, l'un des plus grands quotidiens du pays. Uhuru Kenyatta a été élu dès le premier tour en 2013, en dépit des poursuites qui étaient engagées contre lui devant la CPI pour crimes contre l'humanité commis dans son pays lors des violences postélectorales de 2007-2008.
En décembre 2014, la CPI a dû abandonner les poursuites contre le président du Kenya, après que la Procureure Fatou Bensouda eut retiré, faute de preuves, les charges qui étaient portées contre le nouveau président. Avant d'en arriver à cette décision, Fatou Bensouda avait plusieurs fois accusé les autorités kényanes d'interférence avec ses témoins, dont certains avaient renoncé à leur engagement antérieur à témoigner contre le chef de l'Etat. Mais le vice-président du Kenya William Ruto et l'animateur radio Joshua Sang sont, eux, toujours en procès devant la CPI.
Macharia Gaitho rappelle, dans sa tribune, que « le président et son vice-président ont été élus après avoir promis que les ennuis personnels n'affecteraient pas leur capacité à diriger le pays ». « Maintenant qu'ils sont au pouvoir, ils ont fait de leurs ennuis personnels un agenda national, puis continental », constate l'ancien journaliste, qui dénonce une façon égoïste de promouvoir l'impunité.
Pour Raila Odinga, principal opposant au président Uhuru Kenyatta et candidat malheureux à la présidentielle de 2013, les peuples africains, souvent sous le joug de dictateurs criminels, ont besoin de la CPI. Le vieil opposant kényan affirme que le désengagement des pays africains de la CPI ne saurait être envisagé qu'après la mise en place par l'Afrique d'un cadre juridique garantissant réellement la justice aux victimes de ces crimes. « Retirer l'Union africaine de la CPI avant la mise en place d'un tel mécanisme revient à exposer les populations africaines à des tyrans pilleurs qui seraient libres de perpétrer leurs atrocités sachant bien qu'il n'auront jamais à rendre des comptes pour leurs crimes contre l'humanité», affirme l'opposant cité par la presse kényane.
Une autre question souvent soulevée par des analystes a trait à l'indépendance d'un tel mécanisme africain. Quel serait le degré d'indépendance d'une cour pénale africaine, financée par des gouvernements africains ? Quelle serait sa compétence dès lors que les chefs d'Etat africains en fonction ne cessent de faire valoir leur immunité y compris pour les crimes les plus graves, notamment le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre couverts par la compétence de la CPI ?
Le retrait d'un Etat n'annule pas les procédures en cours
Dans son éditorial, le Daily Nation, rappelle, pour sa part, que le retrait des pays africains ayant adhéré au Statut de Rome, n'invaliderait d'ailleurs pas les poursuites engagées contre le vice-président William Ruto et le journaliste Joshua Sang. Selon l'article 127 du Statut de Rome, « tout Etat partie peut, par voie de notification écrite adressée au secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, se retirer du présent Statut. » Mais « le retrait prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue, à moins que celle-ci ne prévoie une date postérieure ». Par ailleurs, ce retrait ne peut pas avoir d'effet rétroactif, ce qui signifie qu'une telle volteface n'a pas d'impact sur les affaires et les enquêtes en cours. En plus de cela, l'obligation demeure, pour l'Etat concerné, de continuer à coopérer avec la Cour s'agissant des procédures ouvertes.
Créée en vertu du Traité Rome entré en vigueur le 1er juillet 2002, la CPI, premier tribunal permanent chargé de juger les crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, est loin d'être parfaite. Les principales voix qui ont milité en faveur de sa création l'admettent. « Faut-il l'améliorer, étendre son champ d'action ? », demande Elise Keppler, conseillère juridique à Human Rights Watch, avant de répondre elle-même : « Absolument ».
Certaines puissances, comme les Etats-Unis, constate-t-elle, échappent à la compétence de la CPI dont ils n'ont pas ratifié le texte fondateur. Quoi que non parties à la CPI, ces puissances, lorsqu'elles sont, de surcroît, membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, peuvent bloquer certaines enquêtes, protégeant ainsi des criminels.
Mais, en l'état actuel des choses, estime-t-elle, « la CPI reste le dernier espoir de justice pour beaucoup (de victimes) lorsque d'autres voies ont échoué », car elle « peut même amener les dirigeants de haut niveau à rendre des comptes lorsqu'ils sont impliqués dans les pires violations » des droits de l'homme.