Prononcé par la justice rwandaise le 31 décembre dernier, l'acquittement de l'ex-préfet de Gitarama, Fidèle Uwizeye, est désormais confirmé. L'ancien haut responsable administratif était poursuivi pour génocide, extermination. Après réflexion, le parquet vient d'annoncer sa décision de ne pas faire appel, estimant que justice a été rendue.
Géologue de formation, Fidèle Uwizeye a dirigé la préfecture centrale de Gitarama avant et pendant le génocide des Tutsis de 1994. Il lui était notamment reproché d'avoir participé, le 18 avril 1994, à une réunion de planification du génocide par le gouvernement intérimaire mis en place après l'assassinat du président Juvénal Habyarimana. Sur l'acte d'accusation, figuraient également, en bonne place, l'organisation de barrages routiers auxquels des Tutsis étaient interceptés avant d'être tués, ainsi que le massacre de milliers d'autres Tutsis dans certains endroits de sa préfecture.
Dans son jugement, le Tribunal de grande instance de Muhanga (centre) a relevé des « contradictoires notoires » dans les dépositions à charge, alors que de nombreux témoins, dont des rescapés étaient venus disculper l'ancien préfet, qui comparaissait libre.
« Nous n'avons pas interjeté appel, car après examen de la décision du juge, nous sommes satisfaits », a confié à JusticeInfo.Net le procureur Faustin Nkusi, porte-parole du parquet général rwandais.
L'accusation a confirmé une décision qu'elle envisageait déjà à la mi-janvier, avant l'expiration du délai imparti pour faire appel. « Nous sommes globalement satisfaits de la décision du juge. Et on n'interjette pas appel pour le plaisir de le faire, mais juste pour obtenir justice. Si le juge a dit le droit, et même si cela profite au prévenu, cela rentre également dans notre intérêt et notre mission », avait déjà indiqué M.Nkusi à JusticeInfo.Net.
Préfet pendant le génocide n'est pas forcément synonyme de génocidaire
Après le jugement, l'ancien préfet s'était gardé de crier victoire, car il s'attendait à ce que le procureur interjette appel. Maintenant que le délai d'appel vient d'expirer, la réserve n'est plus de mise. « Je suis très comblé d'avoir été enfin blanchi de ces accusations de génocide, même si je ne me reprochais rien dans mon for intérieur », confie-t-il à JusticeInfo.Net. Et d'évoquer ses efforts et ruses pour porter secours aux Tutsis pendant le génocide. Il affirme avoir fait un choix différent de celui de ses pairs préfets, avoir désobéi à ses supérieurs du gouvernement intérimaire pour sauver ses administrés, dont les témoignages viennent de le réhabiliter. « Des rescapés du génocide de tous les coins de Gitarama ont écrit, d'autres ont directement témoigné pour que j'obtienne justice », se réjouit l'ancien dignitaire.
Dans ce procès, l'accusation s'était appuyée sur une vingtaine de témoins, presque tous des prisonniers condamnés pour leur responsabilité dans le génocide : d'anciens sous-préfets ou d'anciens maires ou encore d'anciens miliciens qui avaient agi sous leurs ordres. Voulaient-ils ainsi se venger de leur chef qui n'avait pas approuvé leurs actes ?
D'abord accablants à l'encontre de leur ancien supérieur hiérarchique, leurs témoignages se sont révélés inconsistants et contradictoires, lors des confrontations devant le juge. « La justice vient de montrer qu'avoir été préfet en 1994 ne signifie pas forcément avoir trempé dans le génocide», conclut Fidèle Uwizeye.
Préfets rebelles
L'ancien préfet de Gitarama s'était déjà montré « rebelle » dès avant le génocide. Au milieu de l'année 1992, alors que le gouvernement est en négociation avec les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR-Inkotanyi), les chefs des 11 préfectures du pays se réunissent autour du ministre de l'Intérieur Faustin Munyazesa pour « apporter leur soutien au président Juvénal Habyarimana » et fustiger ce processus de paix. En effet, la décision de négocier directement avec le FPR avait été prise, contre la volonté du camp présidentiel, par le gouvernement de transition dirigé par le Premier ministre Dismas Nsengiyaremye, qui était membre du Mouvement démocratique républicain (MDR), le principal parti d'opposition à l'époque. La délégation gouvernementale aux pourparlers de paix qui se déroulaient à Arusha, en Tanzanie, était conduite par le nouveau ministre des Affaires étrangères Boniface Ngulinzira, également du MDR et qui était accusé par les proches du président Habyarimana de « vendre le pays » au FPR. Mais lors de cette réunion convoquée par le ministre Munyezesa, trois préfets, dont Fidèle Uwizeye du MDR, refusent de signer et de dénoncer le processus de paix en cours. Les deux autres sont Godefroid Ruzindana, de la préfecture Kibungo (est) et Jean - Baptiste Habyarimana de la préfecture de Butare (sud), qui étaient membres de partis alliés au MDR dans le gouvernement de transition. « Signez sans nous, mais mentionnez dans votre rapport que nous, nous voulons la paix et le partage du pouvoir », avaient-ils protesté les trois préfets « rebelles », selon les souvenirs d'Uwizeye. La pétition des préfets contre les négociations n'aura ainsi pas lieu.
Poursuivi après sa mise à la retraite
Les préfets Ruzindana et Habyarimana seront assassinés pendant le génocide. Mais, à Butare, Jean-Baptiste Habyarimana aura tout de même eu le temps de retarder les massacres qui ne se sont amplifiés qu'après son limogeage par le gouvernement intérimaire.
A Gitarama, Uwizeye aura plus de chance que les deux autres rebelles. Tandis que, le 12 avril 1994, le gouvernement est en débandade, fuyant la fulgurante avancée du FPR, le préfet accueille sous son toit, pendant quelques heures, le président intérimaire Théodore Sindikubwabo, un « homme fatigué et souffrant ».Touché sans doute par cette hospitalité impromptue, estime l'ancien préfet, Sindikubwabo s'opposera à son lynchage. L'éphémère successeur de Juvénal Habyarimana s'exile en juillet 1994 dans l'ex-Zaïre, actuelle République démocratique du Congo (RDC), où il mourra plus tard.
Quant à Uwizeye, il rentre sous bonne escorte à Kigali, en août 1994, en provenance de la préfecture de Kibuye où il s'était réfugié sous la protection de la force de l'ONU au Rwanda (MINUAR). Il occupera diverses fonctions dans le nouveau régime avant de prendre sa retraite en mai 2014 et de se retrouver, six mois plus tard, sur le banc des accusés.
Avant d'être poursuivi par la justice de son pays, qui vient de l'acquitter, il avait témoigné pour l'accusation devant le Tribunal pénal international (TPIR) à Arusha, en Tanzanie, dans des procès de hauts responsables contre lesquels il s'était rebellé avant et pendant le génocide des Tutsis.